L'eau sacrée.
Dans l’hindouisme, les fleuves sont des entités sacrées (il y a sept fleuves sacrés).
Le Gange, par exemple, est un grand fleuve qui prend sa source dans l’Himalaya puis coule sur près de 3 000 km avant d’atteindre la baie du Bengale dans son delta commun au Brahmapoutre à Calcutta.
Le fleuve n’est pas, en Inde, connu pour sa géographie mais pour les rites qui lui sont liés : des pratiques religieuses consacrées par des usages très longs, comme la dispersion des cendres des morts. Les morts sont brûlés, souvent mal brûlés car le bois coûte cher, et jetés au Gange : il n’y a pas de cimetière hindou. Les bords du fleuve sont aménagés pour ces rites, car les cendres dans l’eau appartiennent au cycle de la réincarnation. De toute l’Inde on vient mourir sur les rives du Gange, surtout à Bénarès. Des marches d’escaliers ont été créées avec des bûchers funéraires, alors qu’à quelques pas d’autres hindous se lavent, nagent ou lavent leur vaisselle. Ces rites s’expliquent par une série de mythes. Dans le Mahâbhârata, épopée indienne rédigée entre mil avant J.C. et le VIe siècle de notre ère, le Gange est un élément fondamental de la Trinité hindoue regroupant Brahmâ, Vishnou et Shiva. Dans le poème, Vishnou est le Gange et Shiva la Jamna, affluent sacré du Gange. A la confluence de ces deux gigantesques cours d’eau émerge une rivière souterraine, qui est une des formes de Brahmâ et que seuls les ascètes peuvent voir. Le Gange est un archétype qui est reproduit comme l’indiquent les nombreux noms de fleuves qui portent en eux le mot "Ganga". En effet, le Gange est un très grand fleuve certes, mais qui a la particularité de couler dans la région berceau de la religion hindouiste, aussi en a-t-il inspiré en partie les mythes. De plus, le Gange est considéré comme un fleuve parfait car il passe par les montagnes, les plaines et se termine à l’océan. Il fait partie d’un cycle, car l’océan est le symbole de l’unité, l’endroit où tout va ou retourne.
L’eau et l’illusion
Dans la pensée hindoue, l’eau est aussi liée à la « mâyâ ». La « mâyâ » c’est l’illusion. Ce que nous les hommes prenons pour la réalité n’est que le rêve de Brahmâ. C’est par ce rêve que le dieu créateur fait exister l’univers. Ce rêve est entretenu par Vishnou, le Préservateur, qui utilise « « mâyâ » pour tisser la toile du réel. Cela ne veut pas dire que le monde en lui-même est une illusion, mais notre perception en est faussée : nous supposons l’univers fait d’une multitude d’objets, alors que toutes ces choses ne font qu’une. Les catégories rationnelles ne sont que de simples constructions de l’esprit, sans aucune réalité.
Comme je le disais, le concept de la « mâyâ » est souvent associé à l’eau, qui change perpétuellement puisqu’elle coule d’un endroit à l’autre. L’eau est dans ce cadre, à la fois un symbole et un agent de l’illusion. Lorsque Vishnou lève le voile de mâyâ pour ses fidèles, l’eau est toujours proche. Une célèbre légende évoque un sage à l’ascèse rigoureuse qui cru pouvoir demander à Vishnou le secret de mâyâ. Le dieu lui ordonna alors de plonger dans une rivière. Quand le sage en émergea, il était devenu une femme ayant oublié son existence précédente. Après une vie bien remplie, cette femme se jeta par désespoir dans le bûcher funéraire de son mari. Le feu fut alors transformé en eau, et le sage retrouva son ancien corps. Alors Vishnou apparut et dit à l’ascète « voilà mâyâ » qui comprit alors la nature de l’illusion.
Les 7 rivières sacrées de l'Inde
Les rivières terrestres sont considérées comme nécessaires au processus de la vie
Parmi tous les fleuves de l'Inde, on en dénombre sept qui sont considérés comme sacrés et font l'objet de pèlerinages à certains endroits aménagés de leur cours et à leur source. Ces sept rivières sacrées de l'Inde sont le Gange, la Yamunâ, la Sarasvati, l'Indus, la Godâvarî, la Narmadâ et la Kâverî. Au Népal, la rivière Bagmati joue le même rôle pour la population hindoue. Le site de Pashupatinath, non loin de Kathmandou, connaît sur ses rives un rassemblement régulier de sâdhu, le Shiva Ratri, venant du Népal et de l'Inde entière.
D'ailleurs, plusieurs sites sacrés de la religion hindouiste sont situés aux alentours du Gange. On pense notamment à Haridwâr ou encore Vârânasî, aussi connu sous le nom de Bénarés. Comme cela a été évoqué précédemment, la Yamunâ, affluent du Gange, est aussi sacré que le Gange lui-même. Ainsi, tous les douze ans, aux confluents de ces deux cours doux se déroulent un très important rassemblement sacré appelé la Kumbhamelâ. Mais, pour les hindous, une autre rivière s'ajoute à leur croyance, il s'agit de la Sarasvatî, considérée comme étant mystique et invisible.
Naissance et itinéraire du Gange ou comment Ganga arriva sur Terre
« Entre tous les fleuves, je suis le Gange », dit Krishna dans la Bhagavad-Gita.
Le Gange est sans aucun doute possible le fleuve le plus sacré de l’Inde, où il est vénéré depuis des temps immémoriaux comme une véritable mère, dispensatrice de vie et de bienfaits incomparables. Une mère parfois redoutable, qui rappelle constamment l’évanescence des choses et l’impermanence du monde, qui emporte, submerge et dévaste. Une mère surtout protectrice et aimante, qui nourrit et féconde généreusement, qui lave ses enfants de leurs péchés et éveille en eux l’aspiration spirituelle.
Aucun fleuve ne semble pouvoir revendiquer une mythologie aussi complexe et grandiose que celle du Gange. Plusieurs légendes étonnantes évoquent ainsi la descente prodigieuse de la déesse Ganga sur la terre, venue des cieux pour sauver l’humanité. Parmi ces différentes différentes légendes, il y en a une que j'aime beaucoup.
Il y a une légende hindoue que j'aime beaucoup. C'est sur la naissance du Gange.
Un jour, le dieu Vishnu entendit Shiva jouer de la flûte. La musique était tellement belle, qu’il s’assit pour l’écouter. C’est alors que ses pieds se mirent à fondre. Brahmâ recueillit l’eau qui en coulait dans un pot. Le Gange était né. Il est aussi appelé Vishnu padi, celui qui est né des pieds de Vishnu. Mais au début le fleuve demeura au ciel, il ne coulait pas sur Terre. Au même moment, près du Golfe du Bengale, des yogis étaient en grande méditation afin d’atteindre la sagesse infinie. Alors qu’ils étaient sur le point d’y parvenir des démons sortirent de l’eau pour les distraire.
Un yogi, grâce à de sévères austérités avait obtenu la faculté d’avaler n’importe quoi. Ses compagnons lui demandèrent d’avaler l’océan pour en éliminer les démons. Mais puisqu’il n’y avait plus d’eau sur Terre, la végétation vint à se dessécher, les arbres mourraient, les récoltes étaient perdues. Les yogis essayèrent d’interpeller les dieux mais il n’y avait même plus d’eau pour accomplir les rites de purification.
Le roi Bagiratha implora Brahmâ, lui qui détenait le pot contenant les eaux primordiales. Le roi entreprit alors de se livrer à des mortifications. Pendant plus de 1000 ans, il se tint au sommet de l’Himalaya, ne se nourrissant que de l’air qui fouettait son visage et de sa foi en Brahmâ, le Créateur. Brahmâ, ému par tant de courage lui accorda la réalisation d’un vœu. Immédiatement, Bagiratha lui demanda de rétablir l’eau sur Terre. Brahmâ ordonna alors à Ganga, la déesse personnifiée du Gange d’aller couler sur Terre. Celle ci refusa et était tellement furieuse qu'elle risquait de provoquer des dégâts irréparables.
Bagiratha ne se découragea pas et retourna au sommet de l’Himalaya, reprenant ses mortifications et ses méditations intenses.
Shiva, la divinité du yoga, entreprit de l’aider. Il captura dans les boucles de sa chevelure les flots déferlants du Gange. Les eaux divines coulèrent alors calmement sur Terre, rendant la vie aux hommes.
Depuis le fleuve sacré a une place fondamentale dans la religion hindouïste. Chaque hindou rêve de ne pas renaître après sa mort, car toute vie, même heureuse et prospère, est un fardeau comparée au moksha, le nirvana des hindous, stade où l'âme se fond paisiblement dans l'Univers.
C'est dans cet espoir que, toute sa vie, l'hindou fait des offrandes aux dieux, se purifie chaque jour et effectue de longs pèlerinages vers des temples célèbres, des montagnes ou lacs sacrés. Néanmoins, le plus sûr moyen d'échapper à tout retour sur terre et d'accéder ainsi au moksha est encore d'aller mourir sur les rives du Gange.