Ainsi le Kâma Sutra, se référant aux préceptes de la religion hindoue, rend hommage aux quatres étapes que l'homme doit connaître dans toute sa vie, étapes qui correspondent aux quatre âges de la vie : le dharma (la vertu), l'artha (le bien-être matériel) et le kâma (l'amour et le plaisir). Parvenir à cette troisième étape, permet d'atteindre la moksha (la libération suprême), qui est l'ultime et dernière étape.
«Il faut atteindre l'équilibre de ces trois valeurs pour vivre heureux», explique Alka Pande, commissaire de l'exposition et spécialiste de la question. «C'est un texte qui couvre tous les domaines de connaissance, de l'art d'écrire à la musique et à la danse : comment vivre sa vie, comment gagner de l'argent. Il montre comment, tout en ayant en cultivant une dimension érotique, on peut atteindre l'éveil spirituel.».
Pour ces différentes raisons, la Pinacothèque a choisi de nommer l'exposition Spiritualité et Érotisme, afin de montrer les liens entre hindouisme et sexualité. Le texte a influencé non seulement les écrits érotiques, mais aussi la poésie sanskrite, ainsi que les arts picturaux. «Le texte en lui-même n'est pas très romantique ou dramatique, raconte Alka Pande, il est écrit en aphorismes, et il se lit comme une série de recommandations. Ce n'est pas un roman. Beaucoup de personnes ne le lisent pas, et c'est pour ça qu'ils croient que le livre 2, qui fait la liste et la description de positions sexuelles, est le cœur du Kâma-Sûtra. Même en Inde les gens pensent que c'est un livre honteux.»
L'exposition reprenait tous les aspects de ce manuel "du savoir-jouir de la vie", à travers des miniatures, des vestiges de temples, des peintures, des bijoux, des sculptures, collectés dans des musées ou venant de collectionneurs privés.
Le Kâma Sutra expliqué par le commissaire de l'exposition Alka PANDE
En voici un extrait :
"Le Kama Sutra est-il l'un des textes les plus mal compris du monde ?
Incontestablement ! La plupart des gens se le représentent comme un manuel dédié uniquement au sexe alors qu'en réalité il s'agit d'un livre sur la vie en général et sur l'équilibre des relations entre hommes et femmes en particulier.
C'est ce qu'enseigne le Kama Sutra : comment parvenir à cet équilibre harmonieux et comment, notamment, bien traiter la femme. "La femme est comme une fleur, elle doit être traitée en douceur", écrit l'auteur. Loin d'être un texte pornographique, le Kama Sutra est un traité sur la vie urbaine, il célèbre la sensualité et le désir et parle de la joie qu'ils engendrent.
L'une des raisons de la mauvaise interprétation qui a été faite du Kama Sutra vient sans doute de la médiocrité des traductions. La première fut réalisée par Richard Francis Burton en 1873. Elle était terrible ! Il aura fallu attendre 1963 pour que de meilleures interprétations de ce très beau texte soient publiées en anglais, en Grande-Bretagne et aux Etats- Unis.
Le Kama Sutra se compose de sept livres et de 36 chapitres. Chacun d'entre eux est d'un extrême raffinement ; il n'y a rien de vulgaire dans cet ouvrage. Prenez le très beau chapitre consacré aux courtisanes. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, ce n'étaient pas des femmes faciles, elles étaient très éduquées et n'ont jamais été des prostituées comme souvent dans les pays occidentaux. En Inde, les courtisanes jouissaient d'un statut spécial, elles étaient considérées et respectées.
Mais la plupart des gens ne vont pas au-delà du livre 2, qui parle des fameuses « positions ». Les peintres pour leur part se sont souvent contentés d'illustrer les pires positions !
Vous aimez à souligner que la plupart des commentaires et des traductions du Kama Sutra ont été faits par des hommes, à l'exception de Wendy Doniger (*) et de vous-même. Diriez-vous que votre interprétation de cet ouvrage est une interprétation «féminine » ? Cela rejaillira-t-il sur l'exposition ?
Oui c'est vrai, à condition de ne pas confondre « féminine » et « féministe ».D'ailleurs, être féministe ne signifie pas que l'on ne peut pas être féminine. Pour ce qui est de l'exposition, il est clair qu'en tant que curateur, j'ai sans doute davantage pris en considération les femmes dans cette présentation du Kama Sutra que ne l'aurait fait un homme. Mais encore une fois, ce sera une perspective féminine et non pas féministe, j'insiste bien sur ce point.
Reste que pendant des siècles, le Kama Sutra n'a été lu que par des hommes. En ce qui me concerne, depuis 2001, date à laquelle j'ai publié « Indian erotica » - publié en français par Trédaniel sous le titre « Erotisme indien » -, j'ai écrit cinq ou six interprétations de cet ouvrage. Avec une formidable liberté !
Avez-vous le sentiment que la société, la culture étaient plus riches dans l'Inde pré-moderne ? L'Inde d'aujourd'hui est-elle plus prude ?
Ô combien ! C'est l'héritage colonial britannique qui a tout cassé. L'Inde prémoderne jouissait d'une culture et d'une société florissantes. Encore une fois, les femmes y occupaient une place de choix. Aujourd'hui, dans les grandes métropoles indiennes, elles ont aussi su trouver leur place, certaines sont à des postes de « décideurs ». Mais ce n'est pas pareil, cela n'a pas de charme. Et voyez-vous, paradoxalement, une telle exposition ne pourrait pas avoir lieu en Inde où pèse encore un certain conservatisme.
Le directeur de la Pinacothèque de Paris, Marc Restellini, relève à juste titre que la religion hindoue et l'érotisme font très bon ménage, ce qui n'est pas le cas avec le christianisme notamment. Résultat, en Inde, ce sont dans les temples que l'on trouve les plus belles sculptures érotiques...
Il y a beaucoup de femmes au Panthéon des dieux hindous ! Dans la foi chrétienne c'est différent. Les Catholiques croient en l'Immaculée Conception et au fond, pour les Chrétiens, l'acte sexuel a pour but la procréation, pas le plaisir. Le Kama Sutra enseigne exactement le contraire, c'est un ouvrage fondé sur le plaisir.
L'exposition fera également mention du « troisième sexe ». Est-ce là une tradition indienne ?
Le troisième sexe a toujours été reconnu en Inde, il n'a pas fallu attendre la décision de la Cour suprême (en Inde qui a légalisé l'homosexualité) , il y a quelques semaines, pour cela. Même sous les Moghols ceux que l'on appelle ici les « hijras » avaient leur place.
En tant que curateur d'une exposition qui aura lieu à Paris, quel est votre message au public français ?
Après tout, nos deux pays sont des pays de l'amour ! L'exposition sera l'occasion pour les Français - et les autres - de découvrir à la fois des peintures, des sculptures, mais aussi la gastronomie indienne.
Structure du Kama Sutra et organisation de l'exposition
Ce traité recommande ainsi au nouveau mari d'attendre au moins trois jours avant de déflorer sa promise et de la couvrir d'attentions et de caresses avant de passer à l'action : « Les femmes sont délicates comme des fleurs et, comme telles, doivent être entreprises avec précaution ». On est loin du drap taché de sang de la nuit de noces brandi comme un triomphe pendant des siècles dans bien d'autres cultures.
De plus un livre entier est consacré à « l'art de séduire l'homme (ou la femme) d'un autre ». L'adultère est donc encouragé, ce qui paraît inconcevable dans notre culture ! « Il n'y a pas de concept de péché » dans cet art de vivre, justifie encore la commissaire Madame PANDE. Au moins les hommes et les femmes partent-ils à égalité. Et seul un conjoint frustré dans son couple peut être séduit. Une sorte de légitimation morale de l'adultère qui s'inscrirait dans un ordre naturel de la vie.
Il est composé de sept livres divisés en 36 chapitres : Les Méditations ; L'art de faire l'amour ; L'art de faire la cour et le Mariage ; La conduite de l'épouse; Séduire les femmes des autres ; la Courtisane ; Les aphrodisiaques et les charmes.. "C'est beaucoup plus qu'un livre sur le sexe, c'est un livre sur l'art de vivre une grande vie, déclare à l'AFP Alka Pande. C'est un livre sur les parfums, la nourriture, le maquillage, la musique, la danse. C'est un des plus beaux textes sur l'esthétique de la vie, un texte profane, pas religieux."
Le Kâma Sutra ne juge pas et accepte des pratiques qui vont à l'encontre de l'ordre social de l'époque (4ème siècle), tel qu' un couple adultère, une femme dominatrice, des relations homosexuelles,...
Une scénographie pédagogique de l'exposition
En effet, Il était intéressant, en organisant cette exposition, de ne pas rester à la surface des choses et des idées préconçues en la matière, et de prendre le Kâma Sutra dans sa globalité avec l’ensemble de ses 7 livres, alors que le scandale qui l'auréole ne porte que sur le second tome.
Et c'est à mon sens ce que la Pinacothèque a très bien mis en exergue.
La place importante de l'érotisme dans la spiritualité Hindoue, au regard de celle qu'on lui réserve dans les religions occidentales, tiendrait selon Michel Angot au fait que si dans le christianisme Dieu est amour, en Inde Dieu fait l’amour. Plus les dieux sont bons amants, plus ce sont de bons dieux.
Dans l’Inde traditionnelle, la pratique sexuelle, que l’on observe notamment très présente dans la statuaire ne vise en fait qu’à lire le monde et demeure une construction rituelle.
L'érotisme qui s'y exprime dépasse l'acte génital stricto sensu pour devenir un acte social, artistique et religieux tel qu' en témoignent les oeuvres présentées dans cette exposition mettant en scène les divinités de l'hindouisme.
La pinacothèque a donc rassemblé plus de 300 œuvres qui respectent strictement l’ordonnancement du propos des 7 adhikaranas (livres) du Kama-Sutra : la société et les concepts sociaux, l’union sexuelle, la séduction et le mariage, l’épouse, les relations extra-maritales, les courtisanes, les arts occultes..
Le premier livre, le Sadharana, se présente comme une succession de principes généraux.
Le second livre, le plus célèbre, le Samprayogika, sur les «jeux amoureux», il énonce par exemple : la compatibilité, les étreintes, les baisers, les griffures et les morsures, les positions sexuelles, l’inversion des rôles, les coups et les soupirs, les plaisirs oraux, les préludes et les conclusions des jeux de l’amour, les querelles amoureuses.
Viennent ensuite le livre 3 le Kanya Samprayuktata pour apprendre à faire la cour puis le livre 4, le Bharyadhikarika qui porte sur le rôle de l’épouse.
Le livre 5, le Paradarika, est un sympathique passage sur l’adultère et les meilleurs moyens d’y parvenir.
Son pendant féminin, le livre 6, est le Vaisika, consacré à la courtisane.
Le dernier livre, l’Aupanishadika, donne quelques bons conseils pour la route, avec des recettes occultes pour créer des charmes, des philtres, des sortilèges amoureux....
Ainsi chacun d'entre eux nous délivre un propos pédagogique spécifique
De nombreuses œuvres proposées, souvent issues de collections privées, ne présentaient aucune connotation érotique.
En incorrigibles occidentaux que nous sommes, nous mettrons le charme et le succès de l’exposition - sur le compte des huiles et des miniatures illustrant des scènes sexuelles passionnées et sensuelles.
Le cartel le plus photographié des visiteurs et visiteuses de l’exposition était celui énonçant que "toute femme doit connaître la joie de l’orgasme. Tout homme doit apprendre le savoir-faire amoureux : baisers, caresses, asana (postures), morsures et griffures, et rechercher le plaisir de sa partenaire avant le sien."
Pour le Dr Alka Pande, commissaire de l’exposition, chaque dieu du panthéon hindou a une épouse. Brahma est marié avec Saraswati, Vishnu avec Lakshimi, et Shiva avec Parvati. La mythologie indienne est très explicite sur les amours des dieux, qui s’adonnent à l’adultère ou à des relations licencieuses non seulement avec des déesses mais aussi avec des êtres d’autres natures. Elle investit largement les domaines de la sexualité, et les caractères masculins-féminins sont interchangeables entre dieux et déesses.
Pour conclure
Ainsi bas-reliefs en bois ou en pierre, souvent issus du Tamil Nadu (sud), miniatures des écoles de Jodhpur, Jaïpur ou Sirohi: l'exposition parcourt les régions et les époques de l'art érotique hindou, entre les couples enlacés sur des terrasses ou sur des lits de brocart et les amours torrides de Shiva. Sont également présentés des objets de dévotion - lingam, symbole du sexe masculin, coupes de libation, et un très étrange plastron féminin de bronze utilisé dans un rite du Kerala. Quelques unes de ces oeuvres illustrent d'ailleurs cet article.
De nombreuses aquarelles de l’école de Sirohi, dans le Rajasthan des XVIIIe et XIXe siècles, abordent tous les fantasmes ou presque. Au-delà des positions sexuelles les plus acrobatiques, la diversité des pratiques amoureuses est célébrée. En solitaire, à plusieurs, avec des objets ou même des animaux. Parfois, des tigres, des serpents, tentent d’interrompre l’accouplement des humains. Le seigneur doit, tout en continuant d’honorer la femme, le tuer d’une flèche à bout portant. Parfois, carrément, les bêtes sauvages participent activement au sexe. Par ailleurs, l’homosexualité n’est pas interdite, comme le montre ce dessin de deux barbus debout en levrette, de l’école de Nathdwara, au XIXe siècle. Quand on évolue dans le parcours qui nous fait connaître l'oeuvre au sein du musée, on est aussi invité à écouter de la musique indienne, à être happée par des extraits de films Bollywood aux actrices sensuelles...
Très spectaculaire, la scénographie de l'exposition utilise un panel de couleurs typiquement indiennes - rose, safran, vert avocat - inspiré par la fête indienne de la couleur, Holi, qui célèbre l'équinoxe de printemps.
Traduite pour la première fois en anglais par l’écrivain Richard Burton en 1883, l’œuvre fut soumise la vindicte de ces compatriotes et à la pudibonderie anglaise de l’époque et, pour cela, longtemps censurée. Aujourd’hui encore, «il serait compliqué d’organiser une telle exposition en Inde alors que, dans les temps prémodernes, l’érotisme était une part essentielle de la vie, regrette la commissaire. Mais nous pourrions essayer, espère-t-elle. La société change vite.
A ce titre, il est important qu'une telle exposition ait lieu chez nous ici en France, dans cet occident dont les codes sont si différents de ceux de l'Inde d'aujourd'hui et d'hier, pour réhabiliter l'oeuvre des préjugés qui l'entourent et ouvrir un peu plus les mystères fascinants qui entourent la culture Indienne, et ce par le biais du prisme de la spiritualité liée à l'érotisme, concept complètement étranger à notre propre culture.
Repères érotico-culturels
C'est le nombre de positions (asanas) proposées dans le livre. Mais une très belle aquarelle de l’école de Nathdwara en dépeint 84 (vous la trouverez parmi les images qui illustrent cet article).
Lingam
Représenté sous la forme d’une pierre dressée nommée Lingam, le phallus est sacré dans la culture hindouiste traditionnelle, et il symbolise le pouvoir créateur de Shiva. Il est très souvent associé au YoniYoni :
Le Yoni désigne l'organe génital féminin (matrice ou vulve). Il est le symbole de l'énergie féminine dénommée "Shakti". Il est rarement représenté seul, mais presque toujours associé au Lingam. On le représente le plus fréquemment sous la forme d'un plat carré à bec verseur. Voir la photo ci-contre.