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Interview de François Gauthier, rédacteur en chef de la Revue de l'Inde

François Gauthier est une personne que je voulais connaître depuis longtemps car j'avais lu quelques uns de ses écrits et articles sur l'Inde. La possibilité de l'interviewer m'est venue à la parution de l'excellente revue dont il est le rédacteur en chef, "La Revue de l'Inde", un trimestriel dont le premier numéro est paru en octobre 2005. Ecrivain, journaliste et photographe français, François Gautier, né à Paris, fut le correspondant en Inde et en Asie du sud du Journal de Genève pendant quinze ans, puis du Figaro durant huit ans. Il est l’auteur « d’Un Autre Regard sur l’Inde » (1999, Editions du Tricorne), pour lequel il fut invité à Bouillon de Culture en mai 2000 (le livre a été réédité trois fois depuis), de « Swami", PDG et moine hindou (Editions J.P. Delville, 2003, 8000 exemplaires vendus, de "La Caravane Intérieure", Les Belles Lettres, Paris 2005) et de « Femmes en Inde » (Albin Michel, à paraître). Ecrivant également en Anglais, il a publié « Rewriting Indian History » (Vikas), « Arise O India » (Har Anand, 2000, trois rééditions), « A Western journalist on India » (Har Anand, 2001) et « A Guru of Joy » (India Today Book Club, 2002, six rééditions). Résidant en Inde depuis 35 ans et marié à une Indienne, François Gautier est aujourd’hui le rédacteur en Chef de la "Revue de l’Inde", publiée par les Belles Lettres, est directeur de Collection sur l’Inde chez le même éditeur et correspondant en Asie du Sud de Marianne.
Je vous propose de découvrir sa revue et son amour de l'Inde par le biais de l'entrevue qu'il a bien voulu m'accorder. Merci François.



CI: François, pourriez-vous en quelques mots vous présenter aux lecteurs de Couleur Indienne ? ?

Photo de François Gauthier
Photo de François Gauthier


























Je suis né à Paris. Après des études secondaires dans différentes pensions en Europe, je fais des études commerciales (qui ne m’intéressent pas), un peu de journalisme et de photo. J’écris le scénario d’un film pour un ami. Puis j’entends parler d’une caravane de voitures qui part de Paris jusqu’à Auroville, près de Pondichéry en Inde. Je décide de l’emprunter, puis de continuer vers le Japon pour un tour du monde, avant de terminer mes études. Mais je tombe amoureux de l’Inde à Delhi, puis je rencontre Mira Alfassa, la Mère, grand choc de ma vie, et décide de rester en Inde.

Parlons à présent de « la revue de l’Inde », une nouvelle revue trimestrielle dont le dont le n°1 est paru en octobre 2005 ? Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir créer cette excellente revue ?

Interview de François Gauthier, rédacteur en chef de la Revue de l'Inde
J’ai été contacté dans un premier temps par Michel Desgranges, le PDG des Belles Lettres, vieille maison d’édition française à laquelle il a redonné une nouvelle vie, pour diriger une collection de livres sur l’Inde aux BL. UN peu plus tard, il me demandait si cela m’intéressait de devenir le rédacteur en chef d’une Revue sur l’Inde, toujours publiée par les BL. J’ai dit oui, bien sûr. J’ai été correspondant du Figaro pendant huit ans en Asie du sud et j’ai écrit huit livres sur l’Inde, mais être rédacteur en chef d’une revue entièrement dédiée à l’Inde prime sur tout cela.

Pourquoi l’appeler « La Revue de l’Inde ? » Comment la présenteriez-vous ? Quels sont les objectifs de cette revue ?

« La Revue des Deux Mondes » a créé un genre : du texte sérieux, pas ou très peu de pub, des auteurs connus ou des spécialistes dans leur domaine. Nous avons voulu doter la Revue de l’Inde des mêmes qualités, afin de sortir du sillon misérabiliste et condescendant, souvent utilisé en Occident (et en France) quand on parle de l’Inde.

Pourquoi vouloir créer une revue sur l’Inde ? Et sous ce format ? N’est-ce pas un pari risqué ?

Interview de François Gauthier, rédacteur en chef de la Revue de l'Inde
Tout pari est risqué. Mais il y a trente ans que je parie sur l’Inde et que je sais que je vais gagner.

Votre magazine a la particularité de contenir différents points de vue exprimés par des intervenants illustres, selon différents thèmes. Comment s’établissent les contacts avec les différents « auteurs » de l’ouvrage ? Est-ce que ce sont eux

Les deux, soit je les sollicite, soit c’est eux qui proposent un article.

Etes-vous satisfait des ventes de ce premier numéro et du deuxième ? Avez-vous déjà beaucoup d’abonnements ? Avez-vous des échos sur la manière dont est reçue la revue en France ?

Oui, je crois que le démarrage a été bon.Maintenant, comme toutes les nouvelles publications, il faut deux ans avant de faire un bénéfice et pour cela nous avons besoin de mille abonnements. J’en appelle donc à tous ceux qui aiment l’Inde de nous soutenir en s’abonnant en ligne : http://www.lesbelleslettres.com/html/abonnements.htm#Inde/"

La couverture du numéro est une très belle photo d’une magnifique femme indienne en sari rose. Je crois aussi que pour le numéro deux, c’est une femme en sari qui l’illustre ? Pourquoi le choix de cette photo ?

Je crois en la Shakti, l’énergie féminine qui fat tourner le monde. Comme Sri Aurobindo, le grand penseur indien l’a si bien dit : « sans Elle je ne me manifeste pas, sans Moi Elle n’existe pas ». En Inde, la femme, malgré les clichés qui s’y attachent, jouent un rôle extrêmement important.

La revue est constituée, écrite, fabriquée en Inde mais éditée et diffusée en France, si j’ai bien compris, pourquoi ?

La plus grande tare de l’indologie occidentale, c’est qu’elle prétend analyser et comprendre un pays aussi diverse, contradictoire et compliqué que l’Inde, assise sur son savant derrière dans des universités et des centre des recherche à Paris, Bonn, ou New York, avec une ou deux voyages annuels « d’étude » en Inde . Non, pour comprendre l’Inde, ne serait ce qu’un peu, il faut y vivre et essayer de la vivre du dedans.

D’autre part, y a-t-il une diffusion de la revue en Inde ?

Pas encore, mais dans un premier temps, nous voudrions mettre les articles anglais en ligne.

La France semble à présent se rendre compte que l’Inde est un véritable partenaire financier sur lequel elle doit compter. On peut le voir avec la visite récente de Jacques Chirac. Que pouvez-vous me dire à ce sujet ?

Il était temps. Cependant les Français continuent d’investir dix fois moins en Inde qu’en Chine. Il est vrai qu’il est plus facile de faire des affaires en Chine qu’en Inde. Mais c’est parce qu’une main de fer au sommet impose un diktat : un enfant par famille, conditions de travail précaires, pas de syndicats etc. En Inde, toutes les tares, les séparatismes, les revendications, ont éclaté au grand jour depuis 60 ans.Mais que se passera-t-il lorsqu’un événement quelconque enlèvera le couvercle de la marmite en ébullition en Chine ? Les Français devraient penser à cela.

Pensez-vous que l’Inde présente un bon potentiel économique pour la France ? A quel niveau et dans quels secteurs plus particulièrement ?

L’infrastructure, c’est une des grandes faiblesses de l’Inde. Les secteurs à potentiel en Inde : les grandes surfaces ; le nucléaire, bien sûr, si les Français savaient oser …

Pensez-vous que la France est suffisamment consciente de ce potentiel ?

Malheureusement, non. Les Français ont d’une part trop longtemps été obsédés par la Chine ; et de l’autre, les spécialisants de l’Inde en France (CNRS, EHESS) ont toujours mis l’accent sur les tares de l’Inde : intouchabilité, castes, fondamentalismes hindou (un contresens), mariages d’enfants, occultant ainsi toutes les grandes qualités de l’Inde.

Que peut apporter au niveau économique l’Inde à la France ? Et la France à l’Inde ?

Une alternative économique à l’a Chine. Un bon joueur ne met pas tous ses pions sur la même case. On est en train de revenir de l’Eldorado chinois et la France doit diversifier ses investissements en Asie, car l’Inde est le vrai tigre d’Asie.La France peut apporter à l’Inde son savoir faire technologique et aussi un certain bon sens qui manque quelquefois aux Indiens.

Pensez-vous que les mentalités françaises et indiennes soient compatibles économiquement ? Culturellement ?

Elles le sont bien plus que les mentalités japonaises et indiennes, par exemple, qui sont aux antipodes. Pourtant les Japonais ont réussi les premiers leur pari d’investissement en Inde

14 / A votre avis que doit faire l’Inde pour être encore plus séduisante économiquement auprès de l’Occident ?

Libéraliser plus, éliminer la corruption et la pesante bureaucratie, mais sans perdre sa spécificité, sans être avalée par les multinationales américaines et japonaises, comme cela s’est passé dans beaucoup de pays d’Asie qui ont perdu leur âme en cours.

Pensez-vous d’ailleurs que l’Inde s’intéresse vraiment à la France ? Il semble d’ailleurs que bon nombre de Français s’y installent et y sont appréciés ? Qu’en pensez-vous ?

Malheureusement pas en ce moment. Il y a eu deux périodes où l’Inde s’est intéressée à la France : dans les années 60, lorsque toute une génération d’intellectuels indiens, particulièrement bengalis, connaissaient Camus, Malraux, Sartre... Et en 1998, lorsque la France a été le seul pays à ne pas condamner l’Inde pour ses essais nucléaires (la France venait de faire de même dans le Pacifique). Puis il y a eu le voyage de Jacques Chirac en Inde en 1998, lorsque qu’il état l’invité d’honneur de la fête nationale (Republic Day). Enfin, lorsque la France a gagné la Coupe du Monde de football, le potentiel de sympathie pour les Français a été à son apogée en Inde. Malheureusement la France n’a pas exploité cette ouverture indienne et le moment a passé. Aujourd’hui les Indiens sont obsédés par les Etats-unis et la France est passée loin derrière.

Qu’est-ce que l’Inde a de plus que la Chine qui semble être le marché qui intéresse le plus les Français, à tort ou à raison d’ailleurs ?

La démocratie, une peuple pro-occidental, des lois libérales, un pays qui est un bastion de liberté dans une Asie en proie à la montée du fondamentalisme musulman (Afghanistan, Pakistan, Bangladesh, Indonésie etc.) et la tentative d’hégémonie chinoise.

À votre avis que doit faire la France pour mieux séduire l’Inde ?

Reconnaître à l’Inde une importance politique. Reconnaître que c’est un bastion très isolé de démocratie en Asie, reconnaître à l’Inde suzeraineté sur le Cachemire, qui a fait partie culturelle physique et spirituelle de l’Inde depuis 3000 ans.Il n’y a pas de raison que nous reconnaissions aux Chinois droit de suzeraineté sur le Tibet, où il y a eu génocide atroce, et même sur Taiwan, et ne pas donner cette même prérogative à l’Inde.

Vous vivez en Inde plutôt pour des raisons professionnelles ou est-ce vraiment par goût ?

J’aime l’Inde qui m’a tant donné, professionnellement, spirituellement ; j’y rencontré tant de grandes âmes : La Mère de Pondichéry, bien sûr, mais aussi le Dalaï lama que j’ai interviewé huit fois, Sri Sri Ravi Shankar, dont j’ai écrit la biographie. Et sentimentalement bien sûr, étant marié à une Indienne exceptionnelle : Namrita

Avez-vous toujours voulu aller en Inde ?

Jamais . J’y suis arrivé par hasard comme je vous l’ai déjà dit.

La première fois que vous êtes venu en Inde, comment avez-vous perçu le pays ?

J’ai eu une expérience spirituelle très forte à Delhi dans l’ashram de Sri Aurobindo et de Mère. Puis une très belle expérience quand j’ai rencontré la Mère.

Et maintenant que ressentez-vous en Inde, comment vous y sentez-vous ?

J’y suis chez moi, même si je reste un Occidental avec un atavisme occidental. Si vous essayez de devenir totalement indien, l’Inde vous rejette ou vous y perdez votre raison.

Vous habitez à Delhi, si vous pouvez en quelques mots, racontez-moi la ville ? Comment qualifieriez-vous votre vie là-bas ?

Delhi était autrefois une ville belle, verte, paisible. Aujourd’hui, c’est devenu une métropole polluée où tout le monde est pressé. Delhi c’est une grosse bulle où, entre les cocktails d’ambassade et soirées de journalistes branchés, les mêmes idées bateaux sont véhiculées et répétées sans les comprendre.

On sent en vous une véritable passion pour ce pays ? Est-ce ainsi que vous définiriez votre relation avec l’Inde ?

J’ai découvert qu’en Inde existe une connaissance qui autrefois était l’apanage de tant de civilisations, mais qui aujourd’hui a disparu du monde. L’Inde, et c’est un paradoxe, car elle a une image misérabiliste doit devenir le leader spirituel de l’humanité, une fois qu’elle a réussi sa modernisation sans y perdre son génie spécifique.

Est-ce aussi cela qui fait de vous aussi un spécialiste et un expert de l’Inde ? Les livres et articles que vous avez écrit en témoignent.

J’aime à penser que je suis un spécialiste de l’Inde, un spécialiste qui à la fois connaît l’Inde du dehors, en tant que journaliste et indianiste, mais aussi du dedans, car encore une fois one ne peut bien connaître l’Inde sans s’y idientifier. La philologie tant chère à nos indianistes, peut s’appliquer à la Grèce ou à l’Egypte, des gandes civilisations qui n’existent plus que dans la Mémoire, mais pas à l’Inde, grande civilisation vivante, qui a préservé les sciences du pranayama, de l’ayurvéda, de la méditation etc. One ne peut prétendre étudier les temples indiens, sans apprécier l’art de la puja ; one ne peut pas se dire sanskritiste sans comprendre le sens caché des Védas. C’est l’arrogance française qui croit que l’on peut séparer l’académique du spirituel.

Pensez-vous et aimeriez rester encore longtemps en Inde ?

Toute ma vie.

Pour finir, en gros quels seront les thèmes abordés dans les prochains numéros de la Revue de l’Inde ?

Esprit pour le N°3 (sortie fin avril), avec des articles d’Elie Wiesel, Andrew Cohen, Jacques Attali, Michaël de Saint Cheron. LE N°4 (sortie 28 juin) sera un spécial Tibet

Pour vous y a-t-il une « couleur indienne ? » et si oui quelle est-elle ?

Le bleu de Krishna, le safran des sannyasins ?

Comment aimeriez-vous conclure cette interview ?

Que le génie de l’Inde, c’est d’avoir su préserver, malgré les invasions barbares, malgré la colonisation européenne, malgré la globalisation d’aujourd‘hui son génie propre, alors que tant de civilisations anciennes, telle l’Egypte ou la Grèce ne le possèdent plus que dans des musées.

Merci François de nous avoir accordé un peu de votre temps pour répondre à cette interview. Si vous cliquez sur la photo de la couverture du n°2 de la Revue de l'Inde, vous arriverez sur le site pour vous abonner à la revue.


Quelques mots sur la Revue de l'Inde

La Revue de l’Inde est d’abord une tentative pour exprimer la réalité indienne dans sa complexité et donner la parole à sa différence pour nous la rendre plus proche, nous y initier. Dans chaque numéro, une pléiade d'intervenants de tout bord et environnement, plus ou moins connus du grand public indien et français, proposent de porter un regard différent sur l’Inde, un regard subjectif, personnel...Mais aussi patient et passionné, objectif et pointu...Tous ces intervenants expriment des points de vue toujours intéressants et riches sur le pays...On retrouve les mêmes rubriques (Témoignages, Economie, Politique et Actualité, Art et Culture, Opinion, Bien-être, Post-Scriptum.), mais chaque numéro répond à un thème particulier sur lequel donc les "chroniqueurs" dissertent. La revue de l'Inde est une oeuvre collective qui se lit comme un recueil de pensées sur l'Inde...Un livre, le livre de l'Inde d'aujourd'hui.
Le numéro 2, paru en février, a pour thème la Croissance économique de l'Inde... Si vous ne connaissez pas cette revue, abonnez-vous ou découvrez la d'abord chez votre marchand de journaux, vous ne le regretterez pas.

Samedi 1 Avril 2006
Fabienne-Shanti DESJARDINS

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