Un poète jusqu'à son dernier souffle
Sa mère meurt quand il a quatorze ans. Une de ses belles-sœurs lui apporte la révélation de l'amour humain, qui doit communiquer avec l'amour de la nature et de Dieu. En 1884, le suicide de sa belle-sœur le bouleverse et le change à jamais : dès lors, il apprend à renoncer à l'amour particulier pour mieux aimer la nature et Dieu, c'est-à-dire l'humanité tout entière. Entre 1901 et 1918, des événements tragiques s'abattent sur lui: sa femme, trois de ses enfants et son père meurent. Homme d'une grande sérénité, d'une vitalité débordante et d'une inlassable résignation devant Dieu, il transforme la souffrance en joie. Il veut découvrir le dieu de beauté dans la nature, dans le corps, dans la pensée, dans la parole, dans l'acte. Il veut que la vie devienne belle dans sa totalité.
Rabindrah (c'est son diminutif) Tagore est plus connu en tant que poète plutôt qu'en tant que philosophe, mais ces deux arts sont rarement éloignés l'un de l'autre dans la civilisation indienne, et une philosophie implicite est présente dans la poésie de Tagore. Il s'intéresse aussi à l'éducation et à la pédagogie et en 1921, il rénove l'université Vishbabharati à Shantiniketan où un enseignement de la culture indienne est dispensé aussi bien à des indiens qu'à des étrangers.
Son œuvre littéraire la plus fameuse est "L'offrande lyrique" (traduction française d'André Gide) et il est l'auteur des paroles des hymnes nationaux de l'Inde et du Bangladesh).
Il a été le premier écrivain d'Asie à recevoir le prix Nobel de littérature en 1913.
Il meurt en 1941 et selon la tradition hindoue, son corps est parti en cendres et son âme en fumée.
Quelques trois mois plus tôt, son 80ème anniversaire avait été pour l'Inde ce que furent les funérailles de Victor Hugo en France : une apothéose. Il est rare qu'en un lieu et un temps donnés, un poète soit ainsi le porte-parole de son peuple. Dans ce cas là il faut que les circonstances s'y prêtent et que le génie soit parlant.
A sa naissance, comme un heureux présage, son père déclara en visionnaire fier de son fils: « Il s'appelera Rabindrah, le soleil. Comme lui, il ira par le monde et le monde sera illuminé ». Pourtant pour être tout à fait exact, si Tagore fut un grand voyageur, c'est le monde qui vint à lui. Ainsi il fut, et ce n'était pas un hasard, reconnu en France et aidé par des hommes comme Sylvain Lévi, Albert Kahn, André Gide (qui le traduisit) et surtout Romain Rolland qui devint un de ses amis les plus fidèles et fervent. Universel, Tagore le fut d'abord par le prodigieux eclectisme de son activité puisqu'il fut philosophe et critique, dramaturge et comédien, romancier et poète, produisant en tout cent vingt volumes.
En outre il laissera deux mille chansons et trois mille peintures ou dessins et fondera l'université libre de Cantiniketan, lieu de liberté et de joie au sein « de la grande fraternité des arbres ». Pour nous, de nos jours, il est avant tout le poète qui, au matin de l'opération qui devait lui être fatale, dicte son dernier poème, restant un poète jusqu'à son dernier souffle de vie. Il dit "J'ai reçu mon invitation au festival du monde, et j'ai joué tant que j'ai pu."
Bibliographie
Gitanjali, 1910, traduit par Gide sous le titre de l'Offrande lyrique (poésie)
Gora, 1910 (roman politique sur l'Inde)
La Maison et le Monde, 1916 (superbe roman d'amour, l'histoire à plusieurs voies d'un couple, adapté au cinéma par Satyajit Ray)
Kacha et Devayani, 1894
Quelques extraits d'oeuvres de Rabindrah TAGORE
Toujours, tu te tiens solitaire par delà les ondes de mes chants.
Les vagues de mes harmonies baignent tes pieds,
mais je ne sais comment les atteindre.
Et ce que je joue pour toi est une musique trop lointaine.
C'est la douleur de la séparation qui s'est faite mélodie : elle chante par ma flûte.
Et j'attends l'heure où ta barque traversera l'eau jusqu'à mon rivage,
et où tu prendras ma flûte dans tes mains.
Écoute, mon coeur ; dans cette flûte chante
la musique du parfum des fleurs sauvages,
des feuilles étincelantes et de l'eau qui brille;
La musique d'ombres sonores, d'un bruit d'ailes
et d'abeilles.
La flûte a ravi son sourire des lèvres
de mon ami et le répand sur sa vie.
Cet amour entre nous n'est point un simple
badinage, mon aimé.
Encore et encore les nuits rugissantes
des tempêtes se sont abattues sur moi,
éteignant ma lumière ;
des doutes noirs se sont amassés, effaçant toutes les étoiles de mon ciel.
Encore et encore les digues ont été rompues, laissant les flots balayer mes moissons,
et les plaintes et le désespoir ont déchiré mon ciel de part en part.
Et j'ai appris que dans votre amour,
il y a des coups douloureux, mais jamais
l'apathie glacée de la mort.
Rabindrah Tagore (La corbeille de fruits)
Autre extrait, Les Jasmins
Ah ! ces jasmins ! ces blancs jasmins !
Je crois encore me souvenir du premier jour où j'emplis mes bras de ces jasmins blancs !
J'ai aimé la lumière du soleil, le ciel et la terre verte.
J'ai entendu le murmure argentin de la rivière dans l'obscurité de minuit.
L'automne et les couchers de soleil sont venus à ma rencontre au tournant d'un chemin,
dans la solitude, comme une fiancée qui lève son voile pour accueillir son bien-aimé.
Cependant, ma mémoire reste parfumée de ces premiers jasmins blancs que j'ai tenus dans
mes mains d'enfant.
Rabindrah Tagore
Durant plus d'un jour de paresse
Durant plus d'un jour de paresse j'ai pleuré sur le temps perdu. Pourtant il n'est jamais perdu, mon Seigneur ! Tu as pris dans mes mains chaque petit moment de ma vie. Caché au coeur des choses, tu nourris jusqu'à la germination la semence, jusqu'à l'épanouissement le bouton, et la fleur mûrissante jusqu'à l'abondance du fruit. J'étais là, sommeillant sur mon lit de paresse et je m'imaginais que tout ouvrage avais cessé. Je m'éveillai dans le matin et trouvai mon jardin plein de merveilles et de fleurs.
Rabindranath Tagore
Quelques extraits du Jardinier d'Amour, sa plus grande oeuvre poétique
De peur que je n'apprenne à te connaître trop facilement, tu joues avec moi. Tu m'éblouis de tes éclats de rire pour cacher tes larmes. Je connais tes artifices. Jamais tu ne dis le mot que tu voudrais dire. De peur que je ne t'apprécie pas, tu m'échappes de cent façons. De peur que je te confonde avec la foule, tu te tiens seule à part. Je connais tes artifices. Jamais tu ne prends le chemin que tu voudrais prendre. Tu demandes plus que les autres, c'est pourquoi tu es silencieuse. Avec une folâtre insouciance, tu évites mes dons. Je connais tes artifices. Jamais tu ne prends ce que tu voudrais prendre.
Rabindranath Tagore (Le Jardinier d'amour, XXXV)
Crois à l’amour, même s’il est une source de douleur.
Ne ferme pas ton coeur.
Non, mon ami, vos paroles sont obscures, je ne puis les comprendre.
Le cœur n’est fait que pour se donner avec une larme et une chanson, mon aimée.
Non, mon ami, vos paroles sont obscures, je ne puis les comprendre.
La joie est frêle comme une goutte de rosée, en souriant elle meurt.
Mais le chagrin est fort et tenace. Laisse un douloureux amour s’éveiller dans tes yeux.
Non, mon ami, vos paroles sont obscures, je ne puis les comprendre.
Le lotus préfère s’épanouir au soleil et mourir, plutôt que de vivre en bouton un éternel hiver. Non, mon ami, vos paroles sont obscures, je ne puis les comprendre.
Rabindranath Tagore (Le Jardinier d'amour)
Tes yeux m'interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée; de même la lune voudrait
connaître l'intérieur de l'océan.
J'ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler.
C'est pourquoi tu ne me connais pas.
Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux et t'en faire
un collier que tu porterais autour du cou.
Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l'arracher de sa tige et la
mettre sur tes cheveux.
Mais ce n'est qu'un coeur, bien-aimée. Où sont ses rives, où sont ses racines?
Tu ignores les limites de ce royaume sur lequel tu règnes.
Si ma vie n'était qu'un instant de plaisir, elle fleurirait en un tranquille sourire que tu pourrais
déchiffrer en un moment.
Si elle n'était que douleur, elle fondrait en larmes limpides, révélant silencieusement la
profondeur de son secret.
Ma vie n'est qu'amour, bien-aimée.
Mon plaisir et ma peine sont sans fin, ma pauvreté et ma richesse éternelles.
Mon coeur est près de toi comme ta vie même, mais jamais tu ne pourras le connaître tout entier.
Rabindranath Tagore (Le Jardinier d'amour)
Extrait de Gitanjali (l'Offrande lyrique), son autre oeuvre poétique importante
Laisse subsister ce peu de moi par quoi,
je puisse te nommer mon tout.
Laisse subister ce peu de ma volonté par
quoi je puisse te sentir de tous cotés,
et venir à toi en toutes choses, et t'offrir
mon amour à tout moment.
Laisse seulement subsister ce peu de moi
par quoi je puisse jamais te cacher.
Laisse seulement cette petite attache
subsister par quoi je suis relié à ta volonté,
et par où ton dessein se transmet dans ma vie : c'est l'attache de ton amour.
Rabindranath Tagore (traduction André Gide) Gitanjali "L'Offrande Lyrique"
Quelques citations de Tagore
"La nuit, en secret, épanouit les fleurs et laisse le grand jour récolter les compliments."
" Il en est des conseils comme des médicaments ; les plus amers sont les meilleurs." Rabindranàth Tagore (Extrait de "Amal et la lettre du roi")
"Celui qui chante va de la joie à la mélodie, celui qui entend, de la mélodie à la joie." (Extrait de "A quatre voix")
"Mais c'est l'effort de toute une vie de faire connaître et honorer son vrai moi." (Extrait de "Chitra")
"Si vous fermez la porte à toutes les erreurs, la vérité restera dehors." (Extrait de "Sadhana")
"Un grain de poussière ne souille pas une fleur." (Extrait de "A quatre voix")
"L'illusion seule est aisée. La vérité est toujours difficile ! " (Extrait de "A quatre voix")
"L'illusion est la première apparence de la vérité" (Extrait de "Chitra")
"Le voyageur doit frapper à toutes les portes avant de parvenir à la sienne" (Extrait de "L'offrande lyrique", 1912)
«Lorsque je jette mon regard tout autour, je rencontre les ruines d'une orgueilleuse civilisation qui s'écroulent et s'éparpillent en vastes amas de futilités. Pourtant je ne céderai pas au péché mortel de perdre confiance en l'homme: je fixerai plutôt mon regard vers le prologue d'un nouveau chapitre dans son histoire.» (Extrait de "L'offrande lyrique", 1912)
"C'est à l'artiste de proclamer sa foi dans le Oui éternel, de dire:"Je crois en un idéal qui plane sur toute la terre, qui la pénètre toute entière... en un idéal de Paradis qui n'est pas le produit de l'imagination, mais l'ultime réalité où toutes choses résident et se meuvent. Je crois que cette vision du paradis s'aperçoit dans la lumière du soleil, dans la verdure de la terre, dans la beauté de la figure humaine, dans l'illumination de la vie humaine, et même dans des objets en apparence insignifiants et sans attraits. Partout sur cette terre, l'esprit du Paradis veille et fait entendre sa voix. Il atteint notre oreille intérieure sans que nous le sachions, il donne le ton à notre harpe de vie, dont la musique envoie notre aspiration au-delà du fini, non seulement en prières et en espérances, mais en temples qui sont des flammes de pierre, en peintures qui sont des rêves immortalisés, en danse qui est méditation extatique au centre immobile du mouvement." (Extrait de "Le sens de l'art" )
Sources :
http://www.toutelapoesie.com/poetes/rabindranath_tagore.htm
http://matinsdumonde.free.fr/Tagore.html
http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/ma/ma_2295_p0.html
http://site.ifrance.com/philo-sofia/universel/tagore.html
http://www.evene.fr/citations/auteur.php?ida=459 (24 citations de Tagore sur le site citationsdumonde.com)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Rabindranath_Tagore
http://www.franceweb.fr/poesie/tagor2.htm