LE VIRUS DU VOYAGE ET DE LA LIBERTE DES SON PLUS JEUNE AGE
Elle tire très vite les enseignements de ses premières fugues : il faut se libérer du corps, le maîtriser par des exercices physiques et des jeûnes… Ainsi, à 17 ans, peut-elle partir de Hollande à bicyclette et atteindre Nice en une semaine. Deux ans plus tard, nouvelle fugue : arrivée en Suisse par le train, elle gagne l'Italie à pied par le Saint-Gothard avec pour tout bagage les Pensées d'Epictète. Rattrapée par à sa mère, elle lui promet de demeurer sédentaire jusqu'à sa majorité.
Après des études musicales et lyriques, elle se lance dans des travaux sur la philosophie bouddhiste, apprend le sanskrit, suit les cours sur le Tibet au Collège de France et passe de longues heures dans la salle de lecture du musée Guimet : " L'Inde, la Chine, le Japon, tous les points de ce monde commencent au-delà de Suez… Des vocations naissent… La mienne y est née " écrit-elle plus tard.
Elle rêve continuellement de pays où les fugues sont longues et irréversibles.
PREMIERS PAS EN ASIE ET PREMIERES PEREGRINATIONS
L'argent commençant à manquer, elle retourne en France avec la ferme intention de revenir. De retour à Paris où elle doit désormais gagner sa vie, plus nomade que jamais et forte de ses études musicales, elle se lance dans une carrière d'artiste lyrique. Elle se retrouve ainsi sur la scène de différents théâtres, puis, sous le pseudonyme de Mademoiselle Myrial, elle aura l'emploi de première chanteuse aux théâtres de Haiphong et de Hanoï. Cette tournée au Tonkin terminée, elle retourne en France où elle publie un manifeste libertaire.
Happée par sa soif de voyages, elle repart pour la Grèce à l'opéra d'Athènes, puis pour Marseille et enfin Tunis, où elle accepte la direction artistique du Casino en 1902.
En 1904, au moment où elle vient de renoncer au théâtre pour le journalisme, Alexandra David épouse Philippe Néel qui la soutiendra toujours dans toutes ses expéditions. Elle écrit dans diverses revues anglaises et françaises dont "La Fronde".
Féministe engagée, elle milite notamment pour que les femmes qui restent au foyer reçoivent un salaire. À Paris, à Londres, à Bruxelles, elle donne des conférences sur le bouddhisme, sur l'hindouisme, s'insurge contre l'orientalisme mort prêché en Europe, lequel s'attache davantage à l'histoire des religions qu'à la réelle spiritualité vivante, et publie ses premiers essais.
Elle écrit aussi " La vie d'exploratrice se marie mal avec la vie de famille… " et le démontre car elle est davantage sur les routes qu'auprès de son mari.
14 ANS DE VOYAGE POUR ATTEINDRE LES PORTES DE LHASSA
Avec la bénédiction d'un mari très libéral, Alexandra David-Néel embarque seule pour un voyage prévu pour quelques semaines en Inde, mais elle n'en reviendra que quatorze ans plus tard !
Chargée de mission par le ministère de l'Instruction publique, elle traverse les Indes en 1910. À cette époque, elle souhaite approfondir sa connaissance du sanskrit et de l'hindouisme.
Ce départ marque le commencement d'une vie. À peine arrivée à Colombo, elle inaugure sa méthode et son style : le voyage érudit. Elle apprend les idiomes, traduit les manuscrits, rencontre des sages et des lettrés, puis s'essaie à la méditation. Sévère mais très documentée, elle est critique, privilégie toujours la rationalité face aux superstitions, et n'hésite pas à se travestir pour assister aux cérémonies interdites.
En 1912, afin d'approcher et de révéler les arcanes du bouddhisme tibétain, elle escalade les Himalayas. Là, solidement recommandée par un évêque japonais, elle obtient une entrevue avec le treizième dalaï-lama exilé à la frontière du Tibet d'où il a été chassé par les Chinois ; celui-ci lui donnera rendez-vous à Lhassa, invitation qu'elle mettra onze ans à honorer ! Devenue disciple d'un grand maître tibétain, elle séjourne dans un ermitage himalayen, où elle mène une vie d'ascète.
Arrivée au Sikkim, où des liens de très étroite amitié l'ont liée à Sidkéong Tulku, souverain de ce petit état himalayen, elle a visité tous les grands monastères, augmentant ainsi ses connaissances sur le Bouddhisme et plus précisément sur le Bouddhisme tantrique.
C'est dans l'un de ces monastères qu'elle a rencontré en 1914 le jeune Aphur Yongden dont elle fera par la suite son fils adoptif. Il restera avec elle et la suivra fidèlement pendant 40 ans et mourra même avant elle. Tous deux décident alors de se retirer dans une caverne ermitage à 3900 mètres d'altitude, au Nord du Sikkim.
Puis, de villes en monastères, de vallées en déserts, à pied ou à dos de mule, accompagnée de Aphur, elle suit ses propres itinéraires, tandis que Philippe Néel se ruine pour entretenir chacun de ses pas. Alexandra méprise le confort, ignore les défaillances, manque de se faire dévorer par des yogis anthropophages et découvre l'art du "Toumo", qui consiste à supporter les froids polaires en majorant la chaleur de son corps. Révoltée par l'interdiction qui lui est faite de se rendre dans la capitale du Tibet et après plusieurs tentatives qui se soldent par autant d'expulsions, elle réalise un prodige : au terme d'un parcours de plus de 3 000 km, des mois d'errance à pied, des accidents et des démêlés avec les brigands, elle devient la première Occidentale à pénétrer dans la cité interdite de Lhassa en 1924. Elle a 56 ans.
UN HERITAGE LITTERAIRE IMPRESSIONNANT
ALEXANDRA DAVID NEEL : EN QUELQUES MOTS...SES MOTS
Sur le Tibet :
"Nulle description ne peut donner une idée de la sereine majesté, de la grandeur farouche, de l'aspect effroyable et du charme ensorcelant des différents paysages tibétains. Souvent, en parcourant ces hautes terres solitaires l'on ressent l'impression d'y être un intrus. Inconsciemment on ralentit le pas, on baisse la voix et des paroles d'excuses montent aux lèvres."
Alexandra David Néel, Mystiques et magiciens du Tibet. Editions Plon
"Cette vue juste initiale, c’est la pensée qui vient à l’homme s’arrêtant dans sa marche, se demandant : est-il raisonnable de ma part, est-il salutaire de suivre sans réfléchir la foule moutonnière qui chemine bêlant en chœur sans savoir pourquoi. Ai-je examiné les doctrines que je professe, les opinions que j’émets ? Suis-je certain que les actes que j’accomplis sont bien véritablement ceux qu’il est convenable, sensé d’accomplir ? Je passerais l’examen de mes croyances et de ma conduite et m’assurerais si elles conduisent au bonheur ou à la douleur. A cette détermination s’ajoute celle d’examiner impartialement des doctrines et des directives, autres que celles que l’on a suivies jusqu’alors, afin de juger de leur valeur. "
Alexandra David-Néel – Le Bouddhisme du Bouddha