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Noor Inayat KHAN, une princesse indienne espionne morte pour la France

Elle était une pacifiste qui combattit pour la Grande-Bretagne et mourut entre les mains de la Gestapo. Mais qui donc était cette femme exceptionnelle ? C’est l’histoire d’une jeune princesse indienne et musulmane qui rejoignit la Résistance pendant la seconde Guerre Mondiale. Critique féroce de l’impérialisme britannique, elle travaille pourtant avec passion et audace à nuire et à perturber les forces de l’ordre. Une fois capturée, elle se montra impénitente et incontrôlable. Elle mourut dans des conditions atroces en captivité. Pendant plus d’un demi-siècle, des mythes, des idées fausses et absolument imaginaires ont obscurci la mémoire de Noor Inayat Khan. Par cet, article, modestement, je voudrais lui rendre justice.



Sa famille et son enfance

Noor Inayat KHAN, une  princesse indienne espionne morte pour la France

Noor Inayat Khan était l’arrière-arrière-arrière-petite-fille de Tipu Sultan, le célèbre prince musulman régnant de Mysore, dont les prouesses militaires tant vantées retardèrent l’avancée des forces de la Compagnie des Indes orientales à la fin du XVIIIème siècle. Même après la conquête, les Britanniques en Inde tinrent la famille en extrême suspicion. Mais le père de Noor, Hazrat, tourna le dos à cette tradition rebelle et guerrière en devenant un maître soufi et en fondant un ordre pour diffuser –par la musique - sa foi pacifique, tolérante et non-dogmatique. Chanteur et instrumentaliste doué d’une famille de virtuoses, il rencontra son épouse américaine lors d’une tournée en Californie. Au moment de la naissance de Noor, en janvier 1914, les Inayat Khan vivaient et se produisaient à Moscou, et sa mère, avait changé son nom - Ora Ray Baker – en celui d’Amina Begum, adoptant le sari et le voile.

Après une enfance dans les squares froids de Bloomsbury en temps de guerre, Noor grandit dans la banlieue parisienne, à “Fazal Manzil”, une maison très chère à Suresnes, devant laquelle une fanfare militaire joue encore en son honneur chaque 14 Juillet. En tant qu'aînée de quatre enfants, considérée par tout le monde comme gentille, distraite et artiste de tempérament, elle eut soudain à prendre en charge la famille lorsque son père mourut lors d’une visite en Inde en 1927, laissant sa mère paralysée par la douleur. Pour la première, mais non la dernière fois, une crise tranforma Noor la rêveuse en Noor la leader.

Le début de son engagement

Noor Inayat KHAN, une  princesse indienne espionne morte pour la France

Dans les années 30, Noor étudia la musique (particulièrement la harpe) au Conservatoire de Paris, et la psychologie infantile à la Sorbonne. Elle devint aussi un écrivain de talent et auteur d’histoires radiophoniques pour enfants. On peut trouver sur amazon.com ses Twenty Jataka Tales (1939) (Vingt contes jataka): des charmantes fables bouddhistes, dans lesquelles, étrangement, des animaux surmontent leur fragilité pour réaliser des exploits de bravoure et de sacrifice. À cette époque, elle se lia à un pianiste d’origine juive Plus tard, il y eut les rumeurs d’une liaison , durant la guerre, avec un camarade, officier britannique, mais on n'en sait très peu sur sa vie amoureuse, qui reste encore, actuellement très mystérieuse.

Après l’invasion de la France par l’Allemagne en 1940, Noor, la pacifiste musulmane soufie – qui croyait passionnément au droit à l’indépendance de l’Inde du joug colonial -, fit le choix moral qui décida du cours de sa vie, et de sa mort. Elle et son frère Vilayat décidèrent que face à l’agression nazie, la non-violence ne suffisait plus. Ensemble, ils firent le vœu de travailler – comme Vilayat le rapporte lors d'une entrevue en 2003 - “pour contrer l’agression du tyran ”.

Son combat

Noor Inayat KHAN, une  princesse indienne espionne morte pour la France

Survivant au chaos de l’exode de masse de Paris vers Bordeaux, ils firent une dramatique évasion par voie maritime vers l’Angleterre. Là, Noor s’engagea comme volontaire dans la WAAF (Women’s Auxiliary Air Force-Auxiliaires féminines de l’aviation) et commença un long chemin de formation à la signalisation et à la TSF qui devait la conduire, elle - une femme élevée en France, parfaitement bilingue, et avec des compétences radio poussées – à être recrutée comme agent secret novembre 1942, à la SOE, Special Operation Executive, service de sabotage et de renseignement créé en 1940 par Churchill pour infiltrer la France occupée.

Officier navigant temporaire, elle navigue sous différents noms : Madeleine, Rolande, Marie-Jeanne, Norah Becker.

Après une formation intensive comme opérateur radio, elle fut la première femme dans cette fonction à être infiltrée en France occupée, le 16 juin 1943. Elle atterrit à bord d'un monoplan ultraléger, avec avec comme converture un emploi de bonne d'enfants. Elle a aussi un équipement qui comprend des tickets d'alimentation, un pistolet automatique, des stimulants pour se tenir éveillée, des somnifères pour endormir quelqu'un à son insu, des simulateurs de nausées et du cyanure.

Peu après son arrivée, les Allemands procédèrent à des arrestations massives de résistants. On proposa à Noor de rentrer en Angleterre, mais elle préféra continuer son travail pour ne pas laisser ses camarades français sans communications. Elle transmet un grand nombre de messages vers l'Angleterre, dont celui du remplacement de Jean Moulin par Georges Bidault à la tête du CNR. Après trois mois et demi, le 13 octobre 1943, elle est arrêtée rue de la Faisanderie, à Paris, trahie par la sœur du chef du sous-réseau Cinéma.

Elle refusa de donner à la Gestapo la moindre information.

Noor fut envoyée en novembre 1942 à la prison de Pforzheim où, attachée par trois chaînes, à l’isolement total, elle endura pendant dix mois des sévices médiévaux. Elle était classée comme détenue Nacht und Nebel (“Nuit et brouillard”), destinée à l’oubli et à la mort. Enchaînée, affamée, battue, elle ne parla jamais. Puis en septembre 1944, ce fut le transfert à Dachau, avec trois femmes détenues, et la fin de ses souffrances. Le 12 septembre 1944 elle y fut exécutée avec trois autres agents féminins de la SOE (Yolande Beekman, Eliane Plewman et Madeleine Damerment) le jour suivant.

Et elle entra dans l'Histoire ?

Noor Inayat KHAN, une  princesse indienne espionne morte pour la France

Le fait de connaître toute la vérité –ou presque toute la vérité – sur Noor ne la rend pas moins paradoxale. Basu, qui fait voler en éclats tant de mythes sur cette “femme musulmane d’origine indienne qui a fait le sacrifice suprême pour la Gande-Bretagne”, souligne aussi qu’elle était une ardente partisane de la liberté indienne. Noor choqua – et sans doute impressionna plutôt – le panel qui l’interviewa lorsqu’elle posa sa candidature à la WAAF en 1942, en déclarant qu’après la guerre, elle pourrait se sentir obligée de combattre les Britanniques en Inde. Cela fait d’elle – bien qu’officier britannique et titulaire de la Croix de Saint-Georges – une bien curieuse héroïne nationale Britannique. Et pour ce qui est de son identité musulmane, le type de soufisme oecuménique à la Inayat Khan serait considéré comme une hérésie ou même pire aux yeux des tenants d’une ligne dure qui sont censés parler au nom de l’Islam en et à l’Occident.

En 1949, Noor reçut la George Cross à titre posthume pour son courage, ainsi que la MBE et la Croix de Guerre. Outre Noor, la George Cross ne fut décernée durant la deuxième guerre mondiale qu'à deux autres femmes, Odette Hallowes et Violette Szabo.

La clé de sa carrière est peut-être que cet enfant d’un foyer libéral et cultivé a choisi son destin librement. Elle a choisi de combattre le nazisme ; elle a choisi de le faire aux côtés des Britanniques; elle a choisi les risques de l’espionnage; et elle a choisi de rester à Paris quand le SOE lui avait ordonné de rentrer. Lors d’une cérémonie du souvenir à Paris, la nièce du Général de Gaulle résuma ainsi son parcours sans faute : « Rien, ni sa nationalité ni les traditions de sa famille, rien de cela ne l’obligeait à prendre son poste dans la guerre. Pourtant, elle l’a choisi. C’est notre combat qu’elle a choisi, qu’elle a mené avec courage admirable et invincible. » Quand elle est morte, avec le mot « liberté » aux lèvres, c’était de la sienne qu’elle parlait. Et aussi de la nôtre.

Une héroïne digne de roman

Noor Inayat KHAN, une  princesse indienne espionne morte pour la France

Le charisme de cette princesse-martyr, à l'incroyable destin a inspiré des oeuvres littéraires qui ont en quelque sorte corrompu la vérité des faits. Ainsi ces dernières années, deux romans pittoresques ont enjolivé son histoire au gré des intérêts et des penchants de leurs auteurs : il y a la version fanchement romancée de Laurent Joffrin "La princesse oubliée" et le livre plus engagé politiquement de Shauna Singh Baldwin "The Tiger Claw" (La griffe du tigre).

Plus insolite, il est à noter, qu'un chanteur-compositeur de word music fusion, Geoffrey Ames a dédié son 6ème CD, intitulé Noor à la princesse espionne.

Elle est aussi le sujet de différentes biographies


Déjà dans les les années 50-60, une oeuvre littéraire avait évoqué la vie de cette héroïne. Il s'agit de "Madeleine" de Jean Overton Fuller. Cette dernière, est un écrivain britannique, amie personnelle de la famille Inayat Khan. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle est employée au Bureau de la censure postale à Londres. À la fin des hostilités, elle voyage beaucoup à travers l'Europe pour interviewer différentes personnes en relation avec la vie tragique de Noor. Le livre qui en résulte, Madeleine, est publié en 1952.[1].

Cependant, la découverte récente de fichiers personnels ont permis de faire émerger à la lumière historique les faits et gestes toujours opaques du SOE et des agents de sa « Section F » (pour laquelle travaillait Noor), qui espionnaient (et mouraient) en France.

Du matériel frais a fait surface lorsqu'en 2005, Sarah Helm, dans" A Life in Secrets", a retracé la biographie de Vera Atkins, l’officier d’État-major du SOE qui, rongée par le remords pour le sort si atroce de tant de ses “filles” de la Section F, a mené une enquête secrète, après-guerre, sur les conditions dans lesquelles elles avaient été trahies et capturées. Un an après, Shrabani Basu – historienne et journaliste d'origine Indienne basée à Londres, où elle est correspondante d’un groupe de presse indien – a reconstitué l’histoire de Noor de la manière la plus complète et fiable à ce jour, dans une nouvelle biographie intitulée "Spy Princess: the life of Noor Inayat Khan".


Samedi 31 Mai 2008
Fabienne-Shanti DESJARDINS

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