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« Matrubhoomi, Un film choc sur la malédiction d'être femme en Inde - un autre aspect du cinéma Indien

Je voudrais vous parler d’un film engagé et très dérangeant, sur la condition des femmes en Inde…Le cinéma Indien, par le biais de jeunes metteurs, en scène, c’est aussi un cinéma dur et cru qui dénonce les travers de la société Indienne. C'est le cas du très dur et bouleversant "Matrubhoomi, Une Nation Sans Femmes",
Un film de Manish Jha Avec Tulip Joshi, Vinamra Joshi, Sudhir Pandley, Shushant Singh, Piyush Mishra, Pankaj Jha, Deepak Bandhu, Sanjay Sonu. C'est un film qui date de 2003



Manish Jha, jeune réalisateur de 24 ans à l'époque du tournage de Matrubhoomi, prend la caméra comme d'autres prennent les armes, et s'attache à dénoncer l'accablante situation des femmes au travers d'un conte réaliste d'une extrême cruauté



L'histoire


Ouvrant son récit avec un superbe plan-séquence d'une femme accouchant d'une fille, que l'on noie dans un baril de lait (prémonition d'une fatalité tragique). "C’est une fille", annonce avec désespoir la sage-femme au nouveau père, qui une minute plus tôt célébrait l’arrivée imminente d’un fils. "L’an prochain, ce sera un garçon", déclare l’homme, stoïque, qui s’en va noyer le nouveau-né dans une bassine de lait. Image-choc sur laquelle la caméra s’arrête longuement, comme tétanisée par la cruauté du geste. Le corps du bébé ne remontera pas à la surface. Seules les gouttes de lait dégoulinant lentement le long de la bassine attestent de la mort. La scène est brève, cinq minutes à peine, mais ces cinq minutes-là annoncent crûment la couleur. Le problème que Manish Jhâ a choisi comme décor de son film est douloureux, presque tabou. Dans une Inde rurale que l’Inde moderne voudrait bien oublier, on tue encore des filles. L'Inde rurale de Manish est un monde composé d'hommes prêts à payer cher pour trouver une épouse, les femmes ayant quasiment disparu. Il nous présente non sans humour, des hommes frustrés, asservis à leurs désirs, dont la moindre apparition d'une figure féminine (la séquence du spectacle chanté par le travesti, clin d'oeil aux Boollywooderies) suscite une frénétique excitation. Une séquence dénonçant ironiquement les traditions d'un pays qui respecte plus ses vaches (sacrées), que la femme même, montre un homme allant se soulager dans une ferme, auprès d'une de ces bêtes, après avoir vu un film érotique sur une vieille télé à l'image tremblotante.

Le film est violent par la réalité qu'il montre, dans les yeux de son metteur en scène qui utilise volontiers la provocation et tout pour mettre le spectacteur mal à l'aise.

"La première partie, volontiers légère présente le portrait d'une société traditionnelle, composée d'hommes brutaux, soulageant leur libido par tous les moyens : pornographie, homosexualité... "Alors que Ramcharan, homme d'une caste supérieure et père de cinq enfants, déplore ne pouvoir marier aucun de ses fils, le prêtre Jagannath découvre par hasard Kalki, une jeune fille chantant près d'un lac. La suivant, il convainc le père, moyennant une somme d'argent importante, de marier sa fille. Kalki se retrouve ainsi promise à l'aîné, mais ses frères étant si désespérés, elle devient l'épouse des cinq, chacun choisissant un jour de la semaine pour profiter de sa compagnie. La pauvre fille se retrouve alors vite abusée par les frères, ainsi que par son beau père. Tous la violent sans considération. Le seul à lui manifester de la tendresse est le fils cadet Sooraj. Mais leur complicité suscite la colère des autres frères qui tuent Sooraj. Commence alors un long calvaire pour Kalki, aux mains de ses bourreaux, mais aussi victime d'une tragique guerre de castes.

Manish Jha a visiblement décidé de heurter notre sensibilité dans le but fort louable de dénoncer une situation des plus effrayantes : la condition des femmes dans l'Inde rurale. Prenant comme point de départ le constat de la pratique infanticide sur les nouveau-nés filles, Manish Jha imagine une fable, sorte d'anticipation extrême d'un futur (probable ?) où les femmes auraient disparu.

"Bien qu'évitant le piège de la complaisance et du larmoyant, la démonstration tourne néanmoins parfois à la surenchère, notamment dans la répétition incessante des viols. La caméra ne montre rien qu'un pantalon baissé, ou une file d'hommes attendant leur tour, mais le malaise est d'autant plus grand, parfois jusqu'à l'écoeurement et c'est parfois c'est un peu trop... On comprend assez vite le but de la démonstration, sans qu'il soit utile d'en rajouter plus. Le film glisse habilement du portrait humoristique de la gente masculine à la tragédie, puis à l'horreur. Le metteur en scène s'est attaqué à un sujet brûlant et ambitieux, au risque de choquer. Mais le scénario, au récit linéaire sans temps morts, ratisse trop large à mon avis. Il introduit en outre une histoire de vengeance, dénonce les luttes de castes, dont Kalki est une nouvelle fois la victime, et tous ces "combats annexes" diluent le propos initial et devient un prétexte à la fin naïvement optimiste du film : la fille de Kalki nait enfin,et elles sont toutes deux sauvées de la mort par le jeune domestique.

Ces quelques maladresses, à mettre sur le compte de la jeunesse, ne doivent pas occulter la découverte d'un réalisateur prometteur, capable de confronter le spectateur à la brutalité d'une situation emblématique des femmes, dans une Inde qui oscille entre féodalisme et arme nucléaire, téléphones portables et misère." (les morceaux entre guillemets sont tirés de http://www.sancho-asia.com/)

Une subversion du mythe hindou de la femme


Grâce à la photographie et au sens de la composition de Venu Gopal, Manish JHA accentue le réalisme des images, tout en y mêlant la beauté et la poésie d'une Inde mythique.

Avec une merveilleuse maîtrise du plan-séquence il suggére plus qu'il ne montre, et dépeint la lente dégradation d'une femme dont la qualité même d'être humain est niée par l'homme. Les seuls qui feront preuve de la moindre tendresse envers elle, comme le fils cadet et le jeune serviteur, seront brutalement tués, coupables de compassion. Après tant d'abus, Kalki finit effectivement par perdre toute humanité ; et tel un cadavre livide et souillé, ne réagit plus à la moindre infortune. Seul l'approche de son accouchement, fruit de son humiliation, marquera son réveil. C'est d'ailleurs la seule fois où l'homme fera preuve d'une hypocrite humanité, ceci dans le seul but de réclamer la paternité d'un hypothétique mâle dont il rêve. Si la dernière femme est l'avenir de l'homme, celui-ci semble bien incapable d'en prendre conscience. Prisonniers des traditions et des coutumes, les hommes sont voués à la barbarie et à l'autodestruction, c'est ce que veut aussi démontrer Manish Jha. Chez lui, le mythe rejoint aussi la réalité. La déesse Draupadi est mariée à cinq frères dans l'épique récit du Mahabharata ; et le nom Kalki est l'incarnation de la déesse Vishnou, sauveur du Monde.


Dimanche 7 Décembre 2008
Fabienne-Shanti DESJARDINS

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