II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus

"L'invention de la vie de bohème" (et pas bohême s'il vous plaît même si l'accent circonflexe sied mieux à l'esprit bohème !), enfin un livre pétillant d'images et de pensées effervescentes pour s'échapper de l'ambiance grisâtre du moment (et accessoirement des 50 nuances de grey !)...


Après le livre "l'invention de la vie de bohème" de Luc Ferry, les bobos seraient-ils des ringards ?!
Avouons que nous connaissons globalement assez mal l'époque historique de 1830-1900. Après la grande et tumultueuse révolution française et l'aplomb persistant d'un Napoléon Bonaparte, nos mémoires d'écolier/lycéen ont déjà amplement saturé. En dehors de quelques figures littéraires incontournables de cette époque comme Victor Hugo ou Gustave Flaubert, les termes comme hydropathes, zutistes, hirsutes et incohérents, ne sonnent pas à nos oreilles comme des bruits très familiers. Et pourtant ce sont les ancêtres des bobos ! Luc Ferry a eu une excellente idée de nous faire remonter le temps pour faire connaissance avec ces êtres extravagants et pleins d'humour que sont les bohèmes de 1830 à 1900. Il ne s'agit pas tout à fait d'un essai philosophique, mais plutôt d'un livre d'art, avec de belles reproductions d'affiches, de caricatures, de dessins et gravures, entremêlés de réflexions philosophiques et sociétales. Un concept d'ailleurs intéressant pour se cultiver en matière artistique tout en philosophant.


Après le livre "l'invention de la vie de bohème" de Luc Ferry, les bobos seraient-ils des ringards ?!
L'esprit bohème se positionne avant tout en rupture avec les monde bourgeois, le fameux "Mr Prudhomme". Ce qui d'après Luc Ferry est un héritage de la révolution française et du cartésianisme. En rupture aussi avec la prose du quotidien, l'esprit bohème a également un goût incontestable pour la dérision. L'humour qui aide souvent à déconstruire ses idoles à coups de marteau. Jeunisme antivieux, paradis artificiels avec Théophile Gautier, culte de la fête, les bohèmes finissent quasiment toujours par trahir leurs idéaux de jeunesse et par se convertir au confort bourgeois. Luc Ferry compare ces artistes bohèmes à la génération 68 reconvertie au Medef, l'inspection générale ou les sénatoriales... Faut-il s'en étonner ? Non, car "la bohème ne fut en réalité, pour parler comme le vieux Marx, qu'une des superstructures paradoxales du monde bourgeois.", "Le bourgeois et bohème s'accordant finalement dans l'impératif commun de l'innovation pour l'innovation". Notons au passage, qu'Albert Camus, philosophe non issu du monde bourgeois, a très bien flairé cet esprit rebelle de faussaire chez Baudelaire et les surréalistes. "Le dandy se croit supérieur, aristocrate, il revendique une extrême solitude et un surstoïcisme, mais, dans les faits, il a besoin de l'assentiment d'autrui, car seul son regard le constitue, on ne fait donc pas plus servile, pas plus esclave que cette caricature de grande et belle individualité. Il s'imagine unique, mais autrui le constitue comme une chose à sa merci" (extrait du livre de Michel Onfray, l'ordre libertaire, la vie philosophique d'Albert Camus). Camus n'aurait probablement pas souscrit au phénomène du boboisme...

Aussi, point étonnant que l'esprit bohème soit né avec le capitalisme. Luc Ferry rappelle que le capitalisme, loin d'être conservateur, se caractérise d'abord et avant tout par une espèce de "révolution permanente". Par conséquent, le capitalisme pousse à l'innovation perpétuelle à tout prix. Et l'art contemporain témoigne de cette course folle à l'originalité, dénuée de sens, qui ne cherche point à créer de la beauté, mais qu'à interpeler. Autrefois, "l'artiste, à la différence du philosophe ou du savant, était celui qui avait le génie d'exprimer des valeurs, des sentiments, des idées ou des symboles, non par des concepts et des formules abstraites, mais par le mise en forme d'une matière immédiatement perceptible par tout un chacun". L'art contemporain est au final l'héritier de l'esprit de bohème, en ce qu'il ne cherche pas à créer de la beauté, de l'harmonie, mais de l'inédit. Question alors, l'art contemporain, en répétant sans cesse le même objectif hérité d'une époque vieille comme le début du capitalisme, ne serait-il pas en train de devenir ringard ? Le XXIème siècle nous le dira... Mais, tant qu'il y aura des snobs et des bobos, Damien Hirst et Jeff Koons peuvent dormir sur leurs deux oreilles !

L'invention de la vie de bohème, 1830-1900, Luc Ferry, Editions Cercle d'art, 2012. 246 pages.


Rédigé par Marjorie Rafécas le Lundi 11 Mars 2013 à 23:31 | Commentaires (0)

FLASH-INFO pour ne pas perdre le PHIL

Samedi 26 Janvier 2013

Fifty Shades of Grey ou comment échapper à ce tapage médiatique si grossier. Pas besoin de l'acheter, on est déjà harcelé par des extraits choisis dans n'importe quel magazine féminin. Comment 1 million de lectrices ont pu succombé à ce roman, où au bout de la 3ème ligne, je bâille déjà ! Cela veut dire que le marketing à coup de marteau est terriblement efficace même quand on vend un navet... Je suis réellement impressionnée par le pouvoir de la publicité (même si en tant que marketer, il serait temps que je réalise que la marketing adapté à Mme "Michu" est plus porteur que le positionnement décalé et original).


Pourquoi je ne lirai pas (non plus) Fifty Shades of Grey...
"J'ai survécu au Troisième Jour Après Christian et à mon premier jour au bureau. Toute distraction a été bienvenue. Le temps a filé dans une brume de nouveaux visages, de nouvelles tâches à accomplir (...). Bien sûr je peux me payer une voiture - une belle voiture neuve. (...) ". (extraits du tome 2 "Cinquante nuances plus sombres). Avouons-le, c'est mal écrit et absolument inintéressant. Les personnages de Christian et Anastasia sont totalement inodores et incolores (bien pires que ceux de la collection Harlequin). Et pourquoi mettre une majuscule à Troisième, à Jour et à Après, l'auteur a tellement peu d'expressivité, qu'elle a besoin de rajouter des majuscules à des mots d'une banalité sans fin. En 2012, on est tombé bien bas... C'est l'inflation du mauvais goût.

Quant au côté soi-disant érotique, il faut le chercher. Je ne sais pas si c'est la vision anglo-saxonne de la sexualité, mais c'est très procédurier et complètement lymphatique. Il serait temps d'y mettre un peu de piment. Je vous en livre des extraits "Mon peignoir s'ouvre et je suis paralysée par son regard brûlant. Puis il le fait glisser sur mes épaules et le laisse choir à mes pieds. Je me tiens à présent nue devant lui. Il caresse mon visage du dos de sa main et son contact se répercute jusqu'au fond de mon sexe." Au secours, on s'ennuie. C'est nunuche à souhait et sans rythme. C'est plat à 180 degrés. Merci au magazine Elle d'en avoir publié quelques extraits, cela m'a évité de faire une grave d'erreur si je l'avais acheté !

En 2013, j'espère que les éditeurs vont arrêter de nous proposer des livres qui nous font perdre du temps et de l'argent. Disons-le, ce livre est insultant.
Je respecte les personnes qui l'ont acheté... Mais je suis sûre qu'à la place, ils auraient pu lire d'autres livres bien plus talentueux et sulfureux.


2013, soyez exigeants !

En publiant mon article, je viens d'ailleurs de me rendre compte que je ne suis pas la seule à penser que ce livre ne mérite pas ce succès et cela me rassure !. Voici quelques autres articles sur le sujet :
- Pourquoi je ne lirai pas Fifty Shades of grey. par Colin Fay cliquer
- Pourquoi je ne lirai pas Fifty Shades of grey. par Michelle Bourque cliquer
- Pourquoi je ne lirai pas cinquante nuances de grey cliquer
- On a lu « Fifty Shades of Grey »… Tout ça pour ça ? cliquer
- «Cinquante nuances de Grey»: Anastasia Steele, pire narratrice au monde, Cécile Dehesdin cliquer



"Cinquante nuances plus sombres", d'E.L James, JC Lattès. Un livre que je n'achèterai pas...



Rédigé par Marjorie Rafécas le Samedi 26 Janvier 2013 à 15:33 | Commentaires (4)

Je viens d'achever le roman la liste de mes envies de Grégoire Delacourt, c'est court, savoureux, cela se lit comme une petite Madeleine de Proust. Halte à la grandiloquence, glorification des petites choses, de l'infiniment petit... Le personnage central du roman, Jocelyne, "petite" mercière dans la ville d'Arras, à la vie bien ronde et monotone, voit tout à coup son train-train quotidien brisé par un gain au loto de dix huit millions d'euros ! C'est ainsi qu'elle se met à rêver et à écrire la liste de ses envies.


photo Anthropologie (une enseigne très cocooning)
photo Anthropologie (une enseigne très cocooning)
Elle a des envies toutes simples. Mais elle a peur d'encaisser son chèque. De quoi a-t-elle peur ? De la fin du désir ? Car celui qui a tout, que peut-il désirer ? La fin du désir, c'est la mort. Ce qui est symbolisé par la mort de son mari, qui lui n'a pas hésité à encaisser le chèque comme un grossier personnage, obèse de cupidité.

Au-delà du côté un peu moraliste de l'histoire, un peu comme La Grenouille de La Fontaine qui voulait être aussi grosse que le bœuf, c'est la tendance au repli qui respire dans tout ce roman. Cette tendance sociétale très actuelle. Faut-il s'en inquiéter ? Ce repli sur soi est souvent critiqué par les personnes engagées qui ne comprennent que l'on "subisse". Or, on peut aussi faire du social en tenant un blog sur la couture... Le repli, c'est aussi une sorte de sagesse. C'est l'amour simple et humble (pas des grandes passions), le bonheur du quotidien, la gaieté, la chaleur d'une petite maison sans prétention, les détails... Cela plaît apparemment bien aux Français, car c'est dans la même lignée que les livres de Muriel Barbery, Anna Gavalda ou Philippe Delerm. Les Français ont-ils renoncé de croire aux grandes choses ? Il semblerait que l'on soit toujours autant dans l'ère de la désillusion. Et cela ne va pas en s'arrangeant...

Alors, vivent les petites choses ! Vive le cosy ! Seul risque : un excès de mollesse :-)

Mais, le fait d'avoir des petites envies permet de se tenir à l'abri du terrible sentiment de l'envie. Comme disait Albert Camus : "Devant ma mère, je sens que je suis d'une race noble : celle qui n'envie rien". Ne rien envier, la nouvelle force avant la fin du monde ?! A vous de voir si vous en êtes capable...
En attendant la date fatidique du 21 décembre, je vous propose exceptionnellement une compil de titres musicaux très cocooning pour rester serein et détendu (qui se mariera bien avec la lecture de La liste de mes envies !), car un peu de thérapie musicale ne fait jamais de mal :
- Love, Nat "king" Cole
- Yeh Yeh, Goergie Fame and The Blue Flames
- A fair affair (Je t'aime), Misty Oldland
- Why can't we, Asa
- I Know, Irma
- One, Mary J. Blige & U2
- Hey ya, Irma
- Battez-vous, Brigitte
- This is a love song, Lilly Wood and The Prick
- Dee Doo, Cocoon
- Make a sound, Lou Doillon
- Pain is, Alex Hepburn
- Hallelujah, Astrazz
- How can you mend a broken heart, Al Green
- Phone Call, Ornette
- For once in my life, Vonda Shepard
- Close to you, Solitaire
- It's not unusual, Tom Jones
- Will you still love me tomorrow ?, Amy Winehouse
- Mercy mercy me, Marvin Gaye
- Me and Bobby McGee, Janis Joplin
- Your song, Billie Paul
- Call me, Aretha Franklin
- It's been done, Angela McCluskey
- Pensons à l'avenir, Cali.

La liste de mes envies, Grégoire Delacourt, 2012, Editions JC Lattès.


Rédigé par Marjorie Rafécas le Mardi 11 Décembre 2012 à 22:54 | Commentaires (2)

Alors que Michel Onfray rassemble encore toutes ses forces pour démontrer que Freud est un imposteur, on pourrait se demander si sa prochaine cible ne sera pas les inventeurs du rock :-). Car le rock n'est-il pas un peu l'abolition du surmoi ?! C'est encore à cause de Freud tout "ça" !
Après "Rock'n philo" de Francis Métivier, je me suis plongée dans le livre "Culture Rock" de Denis Roulleau, attirée par les couleurs très "pop" et vitalisantes de la couverture. Je n'ai pas été déçue d'avoir traversé les mythes (au sens de Roland Barthes) de cette révolution culturelle. Aisément accessible, cette encyclopédie est composée de 250 entrées par ordre alphabétique, dans une ligne graphique très Rock & Folk. On peut y entrer par n'importe quelle lettre, l'effet psychédélique est assuré !


La culture rock, un mode de pensée aussi révolutionnaire que la psychanalyse ?
"Il y a des gens rock qui ne jouent pas du rock and roll : Jean-Paul Sartre n'a rien à voir avec le rock et pourtant il est rock ! C'est pour cela que, finalement, je crois qu'il s'agit d'une culture.", disait bizarrement Pete Townshend de The Who. Sartre, un philosophe rock and roll ? Ce n'est pas l'image la plus spontanée que nous avons de l'auteur de la Nausée, mais comme l'esprit rock est très ambivalent, le maître du paradoxe pourrait y faire figure d'icône !

Le rock irrigue tellement de domaines (littérature, cinéma, mode, graphisme...), qu'il est difficile d'en saisir un système de pensée. Une ligne directrice semble néanmoins se dégager nettement : se rebeller contre tout système, le pouvoir de la négation (attention nous frôlons le nihilisme). Dans le livre "Culture Rock", le rock se découvre (sans tout à fait se dévoiler) par des mots qui se lisent comme des tatouages de l'histoire du rock : Androgynie, Beat Generation (J. kerouac, A. Ginsberg et W. Burroughs), Charles Bukowski, Canal plus, Censure, Contre-culture, Comics, Deezer, Festivals, Flyers, Indépendant, les Inrockuptibles, Ipod, Jean, Libération, Logo, lunettes noires, MTV, Myspace, Boris Vian, Vinyle, pédale Wah-wah, the Wall... La mythologie du rock nous enivre. Si bien qu'à la fin, on a envie de jouer à un quizz : rock ou pas rock ? Exemples, les réseaux sociaux, c'est rock ou pas rock ? Twitter c'est rock, mais Facebook, avec ses avalanches de portraits "photoshopés", est bien trop lisse pour se prêter aux aspérités d'une guitare enragée. Entre Paris et Londres, quelle est la ville la plus rock ? Londres sans la moindre hésitation... Entre le journal Libération et Le Monde... Libé l'emporte largement. Mais pourquoi ? Pour comprendre, j'attends maintenant un livre sur la pensée rock and roll !

En attendant que sorte ce prochain livre, voici mon pronostic en philosophie (sans réfléchir) :
Les philosophes les plus rocks : Nietzsche et Schopenhauer
Les philosophes les moins rocks : Kant et Rousseau (quoiqu'encore Rousseau peut avoir un côté très naïf and folk !)

C'est bien évidemment discutable ! So, let's rock Kant...

"Culture rock, l'encyclopédie", Denis Roulleau, Flammarion, 2011.

Rédigé par Marjorie Rafécas le Dimanche 11 Novembre 2012 à 15:52 | Commentaires (2)

FLASH-INFO pour ne pas perdre le PHIL

Dimanche 15 Avril 2012

«- Tu es et tu resteras toujours une petite bourgeoise moraliste. Comme Camus.
Cécile fulminait. Elle a rétorqué d’un ton calme :
- Toi tu es et tu resteras toujours un petit con prétentieux. Comme Sartre. »

Cet extrait du livre "Le club des incorrigibles optimistes" de Jean-Michel Guenassia illustre bien dans quel état d’esprit belliqueux on débattait à l’époque de Sartre et de Camus. Il fallait à tout prix choisir son camp.


Couverture du livre, Sartre and Camus, a historical confrontation, à lire aussi.
Couverture du livre, Sartre and Camus, a historical confrontation, à lire aussi.
Camus ou Sartre ? Cela revenait de façon très caricaturale à devoir choisir entre un communisme révolutionnaire ou la modération d’une morale bourgeoise. L’amitié entre Sartre et Camus s’est brisée du fait de leur différence d’opinion politique et sur leur conception de l’histoire. Le communisme les a divisés et l’indépendance de l’Algérie les a définitivement éloignés. Le décès brutal de Camus en 1960 ne permit pas réellement de poursuivre le débat. Sartre finira mollement vainqueur de leur querelle, du fait que le titre officiel de « philosophe » pour Camus a toujours été contesté par les universitaires français. Mais, en 2012, Michel Onfray a le mérite de reposer le débat. Car finalement, on n’a jamais réellement rendu justice aux idées de Camus, même si ses romans sont les plus lus au monde. Pourtant, sa lucidité était bien plus probante que celle de notre existentialiste qui ne voulait pas reconnaître la réalité des Goulags.

Lors de son discours du 10 décembre 1957, Camus surprend aujourd’hui par son côté extra-visionnaire : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse ». Un propos d’une extrême actualité au regard de la situation du monde en 2012. Michel Onfray a raison, le style de Camus est vrai et sonne juste. « Camus reproduit cette ascèse dans sa langue, son écriture, son style : efficace, simple, clair, direct, ignorant l’inutile, allant au nécessaire. Une prose utile pour dire les choses justes et vraies. »

Pourquoi avoir privé Albert Camus de l’estampille « philosophe » pendant tant d’années ? Il semblerait que lorsque l’on écrit trop clairement, cela reste douteux pour certains professeurs de philosophie… Même si Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, paraît-il… Même punition pour Voltaire d’ailleurs !

Avouons que ce manque de reconnaissance est réellement mystérieux. Comment l’auteur de « La nausée » a-t-il pu être pris plus au sérieux que l’homme révolté ? Cela ferait-il plus crédible de se sentir mal dans sa peau ?!
Peut-être que Michel Onfray a raison quand il oppose les philosophies convenues « apolliniennes » à celles dionysiennes. Camus avait mal choisi son camp.

Ce qui est néanmoins étonnant est qu’en 2012, nous nous passionnons encore pour des combats du XXème siècle qui n’ont jamais été réglés. Nous nous cognons toujours aux mêmes débats idéologiques et ne réussissons pas à les transgresser. Le clivage Camus/Sartre est le reflet de l’histoire politique française. Est-ce par nostalgie que nous re-débattons toujours des mêmes idées ? Ou par manque d’idées nouvelles ? En tout cas, les idées de Camus n’ont jamais paru aussi jeunes ! Reconnaissons que Michel Onfray a eu raison de ressortir de l’inconscient collectif cette vieille querelle au goût du jour, et surtout de rendre honneur à Albert Camus, sobre et sincère.
D’ailleurs, avons-nous réellement tranché entre Rousseau et Voltaire ? Pas vraiment. Mais cette faculté de ne jamais trancher, n’est-ce pas aussi le charme français et le reflet de son esprit paradoxal ?

Michel Onfray, L’ordre libertaire, la vie philosophique d’Albert Camus.

Rédigé par Marjorie Rafécas le Dimanche 15 Avril 2012 à 15:15 | Commentaires (0)

« Le rock réveille, la philosophie éveille », pouvons-nous lire sur le dos du livre de Francis Métivier, paru tout récemment cette année, intitulé « Rock’philo ». Quand on aime à la fois le rock et la philo, il paraît alors difficile de passer à côté de ce livre original développant le concept de la pensée acoustique cher à Nietzsche.


Rock’n philo, mieux comprendre le rock grâce à la philo…
Au départ, je m’attendais plutôt à un livre utilisant les refrains du rock pour expliquer les grands concepts philosophiques, or c’est tout à fait l’inverse : c’est l’éclairage philosophique qui fait enfin comprendre des morceaux de rock très populaires que nous avons écoutés passionnément, un peu comme des bovins, sans jamais en saisir vraiment le sens… C’est le cas par exemple de « I’m a loser baby » de Beck, répéter sans cesse que l’on est un loser aurait dû nous interloquer. N’est-ce pas une chanson un peu masochiste ?! Pourtant, le message qui s’en dégage est bien plus fin qu’il n’y paraît. On y décèle le concept du moi haïssable de Blaise Pascal, ce moi minable qui nous pousse alors à nous plonger nerveusement dans le divertissement. Le Grunge véhicule un message de dévalorisation de soi, pour nous aider à mieux le dépasser. « Smells like teen spirit » de Nirvana met aussi en exergue cette cyclothymie du « moi ». Ainsi, grâce à ces chansons, on saisit tout le paradoxe du narcissisme. Si l’on n’arrive pas d’ailleurs à dépasser ce narcissisme propre à l’adolescence, l’autodestruction s’enclenche. C’est ce qui s’est produit avec Kurt Cobain, et plus récemment avec Amy Winehouse. Ainsi, se traiter de loser permettrait-il de tuer métaphoriquement son « moi idéalisé » pour ensuite apprendre à mieux se connaître ? A méditer… Les chansons servent toujours de catharsis pour nous aider à progresser et à sortir de nos schémas de pensée obsessionnels. On peut même s’inspirer du « pixisme », philosophie qui consisterait « à mettre en œuvre une musique et un texte d’une excentricité paradoxale qui n’a d’autre but que de révéler des évidences intellectuellement simples »… Ce qui ressemble au fond à la philosophie de Cioran, qui savait jouer excellemment avec le paradoxe « J’exècre cette vie que j’idolâtre ». Le rock, c’est au fond tout un programme philosophique !

Notons que ce livre permet également d’enrichir sa culture musicale. L’auteur a en effet une aisance toute particulière pour analyser les notes, les sons, la mélodie et traduire la musique en concepts rationnels, ce qui nous permet de mieux saisir l’alchimie du rock.

Un conseil : lire les chapitres en écoutant les titres de rock cités. C’est bien plus prenant, et surtout on comprend alors mieux ce qu’explique l’auteur grâce à la puissance de la musique !

Morale de l’histoire : peut-on être un vrai rocker sans être vraiment philosophe ?! -:) Une question à poser à Mick Jagger…

Le livre :
Rock’n Philo, de Francis Métivier
Editions Bréal, 2011

Rédigé par Marjorie Rafécas le Lundi 12 Septembre 2011 à 12:09 | Commentaires (0)

C'est ce que l'on peut découvrir dans une interview de Marjorie Poeydomenge, auteure de Descartes n'était pas Vierge, à propos du lien entre l'astrologie et la philosophie, réalisée par L'action littéraire (Jean-Christophe Grellety). La philosophie grecque a été bien plus puissante que l'on le soupçonne...


La philosophie grecque serait-elle responsable du développement de l'astrologie en Occident ?
Action Littéraire (AL) : Vous avez suivi des études de philosophie. Vous savez que dans cet espace de sens, il y a, depuis les Grecs, une division entre ce qui relève de la «Raison» et de ce qui est hors de, l'opposition, rationnel/irrationnel, et que depuis longtemps l'astrologie est réputée appartenir à l'irrationnel. Comment expliquez-vous ce cheminement intellectuel qui vous a conduit à valider à priori les principes de sens de l'astrologie, puisque vous avez publié cet ouvrage qui fait le portrait des principales figures de l'histoire de la philosophie à l'aune des principes de l'astrologie ?

Marjorie Poeydomenge (MP) : Il est vrai qu’avoir pris la décision de décrire les philosophes par leur signe astrologique est un cheminement intellectuel assez étrange pour une personne attachée à la discipline philosophique et je comprends que cela puisse surprendre ! D’autant plus que je ne suis pas du tout astrologue. En fait, cette idée est née d’un pari que j’avais hasardeusement pris avec un collègue. Il m’avait mis au défi que puisque j’accordais un peu de crédit aux portraits zodiacaux de l’astrologie et que je m’intéressais énormément à la philosophie, de deviner le signe astrologique (solaire) de Kant, Rousseau, Nietzsche etc. D’un point de vue purement statistique, j’avais donc 1 chance sur 12 de « tomber juste ». Et ce fut le cas pour Rousseau (Cancer) et Kant (Taureau). Comment expliquer ce hasard ? Je ne saurais vraiment l’élucider. Mais du coup, cela m’a donné envie d’écrire un livre sur les philosophes et leur signe astrologique. Je me suis dit : pourquoi pas tenter ce pari insolent ?! Certes, complètement en contre-pied du rationalisme pur et dur, mais pouvant également susciter des nouvelles interrogations et proposer des portraits innovants en adéquation avec les portraits zodiacaux connus du grand public. Le projet était stimulant, mais il a fallu énormément d’énergie et de travail pour arriver au bout ! Car il y a très peu de littérature sérieuse sur l’astrologie (mais j’en ai tout de même trouvé, notamment les écrits de Suzel Fuzeau-Braesch) et surtout, il a fallu que j’analyse les théories les plus connues des philosophes pour vérifier si ces dernières coïncidaient avec leur signe astrologique et que je parcoure leur biographie pour tenter de déceler dans leur personnalité des « signes » de leur portrait zodiacal… Au cours de ce travail, même si dans mon livre je n’évoque pas les philosophes grecs (pour la raison toute simple qu’il m’était difficile de m’assurer de leur date de naissance), j’ai été très étonnée de l’influence de la philosophie grecque sur l’astrologie que nous utilisons aujourd’hui. Ainsi pour en revenir à votre question de départ, sur l’opposition entre rationnel et irrationnel, si l’on respecte vraiment l’histoire des idées philosophiques, on devrait connaître (et admettre) le rôle de la philosophie grecque dans la rationalisation de l’astrologie et sa propagation. La philosophie grecque et l’astrologie n’étaient pas à l’époque en opposition. C’est la philosophie grecque qui a contribué à l’idée que l’astrologie pouvait être une « science ». Même les maîtres des mathématiques et de la géométrie comme Pythagore lui ont accordé du crédit et ont favorisé son essor. C’est également Empédocle avec sa théorie des 4 éléments (eau, terre, feu et air) qui a influencé les 4 éléments utilisés en astrologie, et notamment ceux utilisés dans la médecine d’Hippocrate. Mieux encore, c’est Philippe d’Oponte, un disciple de Platon, qui a associé les planètes avec les noms des dieux de la mythologie. Enfin, autre point que j’ai découvert et qui m’a surprise : c’est sous l’influence des stoïciens que les planètes sont devenues des divinités, car l’astrologie allait dans le sens de leur conception de la rigidité du destin. Par conséquent on devrait être sensible à la conclusion de S. Fuzeau-Braesch dans le Que sais-je sur L’astrologie de 1989 : « c’est tout le génie grec scientifique et rationnel qui va induire une nouvelle naissance à la tradition séculaire de l’astrologie chaldéo-babylonienne ». Comment alors prétendre que l’astrologie est à l’origine irrationnelle ? Elle n’est peut-être pas scientifique, mais elle peut être tout à fait rationnelle.

AL : Qu'est-ce que pour vous l'astrologie ?

MP : C’est avant tout une grille de portraits psychologiques, représentée par les 12 signes du Zodiaque. Je ne suis pas du tout intéressée par son côté prédictif et n’apprécie pas le concept de « voyance » qui ne fait qu’aliéner notre liberté et nous donner des mauvaises excuses pour ne pas agir ou ne pas se remettre en question. Ce sont les prédictions qui ont le plus desservi l’astrologie. Prédire le futur dérange car il remet en cause l’idée d’un libre-arbitre. Maintenant, nous pouvons admettre qu’il y ait des influences, mais ces influences ne déterminent pas, là est la nuance, pour couper avec le côté sectaire de l’ésotérisme fataliste. L’astrologie est plus proche d’une météorologie que d’une boule de cristal. D’ailleurs, c’est ainsi que la majorité des gens la conçoivent, à travers l’horoscope du journal, qui est né au départ dans la presse américaine et qui a été popularisé en France dans les années 30. L’horoscope est alors entré dans les mythologies de Roland Barthes. L’horoscope n’est pas du tout perçu comme une science, mais les portraits zodiacaux intriguent et suscitent des interrogations. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’au cours d’un dîner ou d’une conversation professionnelle, votre interlocuteur puisse vous demander votre signe astrologique. En dehors de cette vulgarisation des horoscopes qui est certes amusante et légère mais qui n’a au fond aucune crédibilité, j’ai pu découvrir dans mes recherches un univers de l’astrologie bien plus subtil que les caricatures populaires que nous en avons. Rappelons que l’astrologie est née de l’émerveillement des Hommes face au ciel nocturne. Et l’émerveillement, n’est-il pas le point de départ de toute démarche philosophique ? Si l’on réfléchit bien à l’apport de l’astrologie, celle-ci a créé un ordre du temps. Notre calendrier est lié à cette conception du temps. D’ailleurs, il est important pour tout être humain de domestiquer le temps. Notre calendrier est divisé en 12 mois (chiffre 12 qui rappelle le nombre des signes du Zodiaque), qui sont eux-mêmes découpés en semaine de 7 jours, correspondant à une phase de lune. Ainsi, la notion de semaine est liée aux phases lunaires. Les noms des jours de nos semaines tirent leur origine d’un dieu planétaire (Lundi-Lune, Mardi-Mars, Mercredi-Mercure etc.). L’astrologie occidentale (qui dérive en fait de l’astrologie grecque) se fonde uniquement sur le système solaire, appelée « le zodiaque tropical ». Du reste, j’en profite pour faire un petit clin d’œil à l’actualité de ces derniers mois qui a bien « buzzé » dans la presse, depuis l’article de Robert Roy Britt dans Live Science, que tous les signes du Zodiaque seraient faux à cause de la précession des équinoxes. Sans entrer dans le débat de savoir si l’astrologie sidérale (qui définit les signes du zodiaque par rapport à la position des vraies constellations) est plus authentique que l’astrologie tropicale (celle que nous utilisons en Occident, 12 signes égaux de 30°), cette soi-disant découverte est loin d’être une nouveauté ! La précession des équinoxes qui fait bouger la position des constellations avait déjà été découverte II siècles avant J-C par Hipparque, astronome grec ! Il est vrai que l’astrologie a dû mal à gagner en crédibilité, mais si en plus la presse scientifique fait passer pour des découvertes des phénomènes qui ont été découverts des siècles avant J-C, on ne peut pas dire que nous soyons complètement objectifs et neutres vis à vis de cette discipline qui date de 5000 ans ! Un peu de sérieux ne ferait pas de mal, même chez les plus rationnels d’entre nous. Et comme dirait Claude Levi-Strauss, « L’astrologie a été un grand système, car elle a aidé l’homme à penser pendant des millénaires ». Ainsi, un peu de respect pour nos ancêtres n’est pas complètement à proscrire.



(Pour information et les astrophiles, c’est bel et bien l’astrologie tropicale que j’ai utilisée dans mon livre comme grille de référence ainsi que le signe solaire, n’en déplaise à Françoise Hardy… Car ce que me reproche F. Hardy, le fait de n’avoir utilisé que le signe solaire comme grille de classification des philosophes, notre chanteuse-astrologue ne se l’est pas appliqué à elle-même, notamment dans son livre Les rythmes du Zodiaque où elle utilise surtout le signe solaire de personnes célèbres. Ainsi, nul n’est parfait…)



AL : Depuis la Renaissance, les intellectuels européens ont construit l'idée de l'identité d'un sujet humain qui est, en son cœur même, «libre». Depuis, des études dans des disciplines diverses ont révélé des couches de conditionnement et de détermination, à des degrés divers. Bref, le sujet humain, «libre», est sous influence, multiple. C'est bien ce que vous nous expliquez à propos de ces «philosophes» que vous dépossédez d'une part de leur volonté et intelligence, puisqu'ils veulent s'attribuer tout. Placer la pensée sous la domination d'influences cosmiques comme physiques, est-ce que vous pensez que les professeurs de philosophie peuvent vous entendre et vous comprendre ?

Pour lire la suite et télécharger le PDF de l'entretien :
cliquer ici

Rédigé par Marjorie Rafécas le Mardi 5 Avril 2011 à 08:32 | Commentaires (0)

FLASH-INFO pour ne pas perdre le PHIL

Dimanche 27 Février 2011

C'est ce que l'on pourrait se demander à la lecture d'un article paru cette semaine dans le TéléObs, "les spectateurs se sentent pris pour des imbéciles". Les jeunes Français délaisseraient les fictions françaises télévisées au profit des séries américaines, car d'après Cécile Mingalon, directrice associée de "Séquence Marketing", les soaps françaises seraient trop "cerveau gauche". Du coup, elles sont jugées ringardes et prévisibles. Elles ne font pas vibrer.


La tradition française serait-elle trop "cerveau gauche" ?
Dans les séries américaines, "la bande-son capture les sens, stimule le cerveau droit. La musique ne se contente pas de souligner ce qui se passe à l'image. C'est un personnage à part entière". La mauvaise qualité des fictions françaises proviendrait-elle d'une mauvaise oreille musicale ? Pourtant, pour stimuler le cerveau droit, rien de tel que la musique. Aussi, l'excès de rationalité nuit à l'authenticité des personnages. "Dans les fictions américaines, on sent la crasse". Dans les films français, c'est un "pastiche de clochard". Or, ce sont les détails discrets qui ficèlent le personnage.
Autre phénomène qui expliquerait le désamour des jeunes Français pour la production française, ils ont une vision négative de leurs institutions, l'école, la police, l'hôpital etc. La police et l'hôpital made in USA sont plus exotiques. Mais peut-être est-ce aussi explicable par le fait que la représentation américaine de ces institutions fait davantage appel au cerveau droit qu'au cerveau gauche… D'ailleurs n'est-ce pas aussi vrai pour les avocats ? Ally McBeal est un personnage bien plus attachant que ceux d'Avocats et Associés. Comme par hasard, il s'agit d'une série qui manie très bien le registre musical, en particulier celui de Barry White… Quant aux magistrats, n'en parlons pas ! Rien de plus triste que la représentation des procès à la française.
Même dans l'éducation, la France recourt trop au cerveau gauche, ce qui peut nuire incontestablement à l'apprentissage des langues. Même erreur dans les entreprises françaises, trop imprégnées d'une hiérarchie lourde à l'ancienne avec un style de management qui ne tient pas suffisamment compte de l'intelligence émotionnelle… Bref, il y a donc beaucoup à dire sur ce déficit de cerveau droit. A quand les coachs pour se perfectionner en langage cerveau droit ?!

Article "Les spectateurs se sentent pris pour des imbéciles", TéléObs du 26/02 – 4/03/2011, p 7.

Rédigé par Marjorie Rafécas le Dimanche 27 Février 2011 à 15:56 | Commentaires (1)

FLASH-INFO pour ne pas perdre le PHIL

Lundi 8 Novembre 2010

Cet automne, la mode a décidé d'être stricte et rigoureuse, comme pour nous rappeler que la fourmi n'est pas complètement "has been", même si la cigale est bien plus compatible avec notre société de consommation. Tweed, formes rectilignes, couleur Camel, pulls Jacquard, style preppy ou BCBG, rallongement des jupes… Halte à la dérision !


Illustration du magazine Elle, du 28 octobre 2010
Illustration du magazine Elle, du 28 octobre 2010
C'est même le retour de la ceinture toute fine pour accentuer la taille, accessoire signifiant inconsciemment "il faut se serrer la ceinture" ! D'ailleurs, pourquoi ne pas avoir décrété à nouveau "tendance" le serre-tête, car quitte à se serrer la ceinture, autant se prendre aussi la tête !

Ces lignes pures, au fond très occidentales, traduiraient-elles une envie de protectionnisme économique ? Nous pouvons aussi interpréter ce refus de l'opulence par la volonté de se réfugier dans les valeurs d'une autre époque. On freine la consommation, on affiche une allure anti-blingbling et on paraît ainsi bien plus authentique. Les conditions économiques ont souvent une influence sur les couleurs. Pendant la dépression des années trente, les tissus étaient choisis en fonction de leur durabilité : la palette des teintes havane, des gris, bleus et verts délavés était choisie en raison de leurs caractéristiques moins salissantes.

Mais ne cédons pas à la dépression, car nous assistons également au retour du bombardier. Nous allons donc passer à un mode offensif grâce à ce manteau en mouton retourné, en "conquérant du monde" comme le dit si bien un magazine de mode ; Le bombardier étant le symbole des aviatrices de la 2eme guerre mondiale comme Hélène Boucher. La sortie de crise est peut-être donc proche ?

Et bien si la mode sert de baromètre économique et sociologique, nous pouvons être optimistes car le printemps 2011 va être un véritable feu d'artifice de couleurs ! Les codes couleur sont en totale euphorie. Va-t-on alors retrouver le sourire en 2011, c'est le pari que font les créateurs de mode. Espérons qu'ils aient raison !

Rédigé par Marjorie Rafécas le Lundi 8 Novembre 2010 à 00:30 | Commentaires (2)

FLASH-INFO pour ne pas perdre le PHIL

Dimanche 17 Octobre 2010

L'année 2010 serait-elle consacrée à la volatilité de l'amour ? C'est ce que laisse présager la rentrée philosophique de cet automne : avec le livre de Luc Ferry "La révolution de l'amour" aux éditions Plon et celui de Pascal Bruckner qui, après son ouvrage de 2009 "Le paradoxe amoureux", récidive avec un nouveau titre "Le mariage d'amour a-t-il échoué ?" (Grasset). Mais nos deux philosophes ne semblent pas en phase sur le bilan du mariage d'amour.



Luc Ferry et Pascal Bruckner en compétition sur le même credo marketing : l'amour ?
Cette recrudescence de réflexions sur "l'amour" semble intrinsèquement liée à l'inflation des divorces, soit à l'échec des relations amoureuses à travers notamment celles de la génération 68. Pourtant, l'amour est loin d'être un thème novateur. Dès 1977, Pascal Bruckner, dans son livre co-écrit avec Alain Finkielkraut "le nouveau désordre amoureux", dénonçait déjà à l'époque le dogme de "l'amour libre", qui cache au fond de lui un oxymore : le désir aliène plus qu'il ne libère… Nous avons quitté une norme, l'interdit et la pudeur pour une autre, celle de l'angélisme du désir, de la contrainte "orgasmique", la multiplication des partenaires.

2010 sonnerait-il le glas de l'amour normé ? Enquête auprès de Luc Ferry et de Pascal Bruckner…



Luc Ferry et Pascal Bruckner en compétition sur le même credo marketing : l'amour ?
Luc Ferry, l'amour "la seule chose qui compte dans l'existence"

Malgré ses mariages successifs, c'est ce qu'a affirmé Luc Ferry, lors de l'émission Thé ou Café sur France 2 (http://the-ou-cafe.france2.fr/index-fr.php?page=emission2&id_article=2840) où il était invité. Lors de cette émission, nous avons redécouvert un homme serein, plein d'optimiste et surtout touchant lorsque Catherine Ceylac lui a demandé de repasser une chemise sous l'objectif amusé de la caméra ! Luc Ferry reconnaît aimer les femmes et les voitures, ce qui s'oppose bizarrement à l'image traditionnelle que nous avons des philosophes. Même si dans son livre Luc Ferry célèbre le mariage d'amour, il admet que le mariage fondé sur le sentiment court le risque d'une certaine fragilité. L'enjeu du mariage d'amour est en fait de transformer l'amour passion en une relation stable, tendre et complice. Luc Ferry ne croit pas aux amours multiples dans la durée. Il estime que si on est un Don Juan, il vaut mieux vivre seul. Mais, encore faut-il en avoir les moyens… Selon lui, la plupart des hommes ont la tentation des amours multiples plus que les femmes, pour des raisons historiques et biologiques. "Je n'ai jamais vu de femmes amoureuses s'intéresser à d'autres hommes, alors q'un homme amoureux peut toujours avoir un œil qui traîne". Quant au phénomène du démon de midi, il s'abstient de tout jugement. C'est difficile de fixer un modèle. Quitter sa femme revient selon lui à devenir un don juan au ralenti. Détruire une relation, pour en reconstruire une à l'identique ou errer entre des amours frustrants, on finit par se dire comme Luc "So what ?". L'amour ne répond pas toujours à la volonté et ce problème reste le même pour tout le monde. Certes… Mais, il reste que l'on peut se demander si avec son nouvel essai "La révolution amoureuse", Luc Ferry est véritablement révolutionnaire et innovant. Ne fait-il pas que constater un phénomène qui est évident pour la majorité des gens ? Le terme "révolution" utilisé dans le titre ne serait-il pas tout simplement exagérément ambitieux ? Il serait intéressant de connaître le point de vue de Pascal Bruckner, plus politiquement incorrect, sur le livre de Luc.

Luc Ferry et Pascal Bruckner en compétition sur le même credo marketing : l'amour ?
Pascal Bruckner, faut-il en finir ave l'amour gnangnan et le porno ?

Bruckner pense que l'on a fait des progrès dans la progression des femmes, mais pas en amour. Comme il le dénonce dans "Le paradoxe amoureux" : "Nous vivons le temps d'une double obscénité, affective et érotique, les noces de Bridget Jones et de Rocco Sifredi, le triomphe simultané du cul et du culcul, de la chick lit et du trash". "Le gnangnan et le porno ont ceci en commun : ils dégoulinent ici de larmes, là de liquides divers. Mais l'orgie perpétuelle du X n'est pas moins idéaliste que les fadaises du roman rose". Téléphone rose ou roman rose, même topo ?! L'accumulation de roucoulades et de hard sex toys finirait par transformer l'amour en un mille-feuilles sans âme. Notre époque est en plein paradoxe, nous alternons entre un besoin permanent de stimuli en tout genre et celui d'un amour authentique et sincère. Il faut reconnaître que nous avons aujourd'hui peu de tolérance à l'ennui et que Mai 68 a réussi à libérer les femmes, mais pas l'amour. Dans sa critique des mœurs amoureux, on retrouve en fait la critique plus générale de Bruckner contre l'ère de la surconsommation, qu'il avait déjà exprimé dans son essai "L'euphorie perpétuelle". Finalement, le diktat de notre société étant de baigner perpétuellement dans une euphorie artificielle, l'amour est devenu lui-aussi jetable, ce qui met inévitablement en danger le mariage d'amour.

Reste que l'amour est un phénomène étonnant, même pour les plus cyniques…
Contrairement à ce que l'on pourrait penser du cynique invétéré Michel Houellebecq, ce dernier confie dans le livre "Ennemis publics" que l'amour reste un phénomène étonnant pour une société athée et en pleine crise de confiance. Il cite à ce propos son philosophe "préféré" Schopenhauer : "Il est vraiment surprenant de voir des gens qui se précipitent l'un vers l'autre, sans s'être jamais vus, comme s'ils avaient affaire à d'anciennes connaissances". L'amour est "cet étrange phénomène que j'ai pu constater expérimentalement, en tant que romancier, et qui est que des gens absolument athées, et de ce fait persuadés de leur solitude ontologique totale, et de leur mortalité absolue, sans rémission, n'en continuent pas moins à croire en l'amour, ou du moins se comporter comme s'ils y croyaient".

A tout bien réfléchir, après maintes tergiversations romanesques et philosophiques, l'amour reste l'histoire à laquelle tout le monde croit ! Soit la plus puissante des religions, et la moins maîtrisable…

Pour en savoir plus sur l'état amoureux :
- La révolution amoureuse, de Luc Ferry, Plon 2010.
- Le paradoxe amoureux, Le mariage d'amour a-t-il échoué ? de Pascal Bruckner, Grasset 2009 et 2010.

Rédigé par Marjorie Rafécas le Dimanche 17 Octobre 2010 à 17:30 | Commentaires (0)

Recherche






Profil
Marjorie Rafécas
Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.




Infos XML

RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile

Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs