II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus
LIVRES PHILous
Lundi 11 Mars 2013"L'invention de la vie de bohème" (et pas bohême s'il vous plaît même si l'accent circonflexe sied mieux à l'esprit bohème !), enfin un livre pétillant d'images et de pensées effervescentes pour s'échapper de l'ambiance grisâtre du moment (et accessoirement des 50 nuances de grey !)...
Avouons que nous connaissons globalement assez mal l'époque historique de 1830-1900. Après la grande et tumultueuse révolution française et l'aplomb persistant d'un Napoléon Bonaparte, nos mémoires d'écolier/lycéen ont déjà amplement saturé. En dehors de quelques figures littéraires incontournables de cette époque comme Victor Hugo ou Gustave Flaubert, les termes comme hydropathes, zutistes, hirsutes et incohérents, ne sonnent pas à nos oreilles comme des bruits très familiers. Et pourtant ce sont les ancêtres des bobos ! Luc Ferry a eu une excellente idée de nous faire remonter le temps pour faire connaissance avec ces êtres extravagants et pleins d'humour que sont les bohèmes de 1830 à 1900. Il ne s'agit pas tout à fait d'un essai philosophique, mais plutôt d'un livre d'art, avec de belles reproductions d'affiches, de caricatures, de dessins et gravures, entremêlés de réflexions philosophiques et sociétales. Un concept d'ailleurs intéressant pour se cultiver en matière artistique tout en philosophant.
L'esprit bohème se positionne avant tout en rupture avec les monde bourgeois, le fameux "Mr Prudhomme". Ce qui d'après Luc Ferry est un héritage de la révolution française et du cartésianisme. En rupture aussi avec la prose du quotidien, l'esprit bohème a également un goût incontestable pour la dérision. L'humour qui aide souvent à déconstruire ses idoles à coups de marteau. Jeunisme antivieux, paradis artificiels avec Théophile Gautier, culte de la fête, les bohèmes finissent quasiment toujours par trahir leurs idéaux de jeunesse et par se convertir au confort bourgeois. Luc Ferry compare ces artistes bohèmes à la génération 68 reconvertie au Medef, l'inspection générale ou les sénatoriales... Faut-il s'en étonner ? Non, car "la bohème ne fut en réalité, pour parler comme le vieux Marx, qu'une des superstructures paradoxales du monde bourgeois.", "Le bourgeois et bohème s'accordant finalement dans l'impératif commun de l'innovation pour l'innovation". Notons au passage, qu'Albert Camus, philosophe non issu du monde bourgeois, a très bien flairé cet esprit rebelle de faussaire chez Baudelaire et les surréalistes. "Le dandy se croit supérieur, aristocrate, il revendique une extrême solitude et un surstoïcisme, mais, dans les faits, il a besoin de l'assentiment d'autrui, car seul son regard le constitue, on ne fait donc pas plus servile, pas plus esclave que cette caricature de grande et belle individualité. Il s'imagine unique, mais autrui le constitue comme une chose à sa merci" (extrait du livre de Michel Onfray, l'ordre libertaire, la vie philosophique d'Albert Camus). Camus n'aurait probablement pas souscrit au phénomène du boboisme...
Aussi, point étonnant que l'esprit bohème soit né avec le capitalisme. Luc Ferry rappelle que le capitalisme, loin d'être conservateur, se caractérise d'abord et avant tout par une espèce de "révolution permanente". Par conséquent, le capitalisme pousse à l'innovation perpétuelle à tout prix. Et l'art contemporain témoigne de cette course folle à l'originalité, dénuée de sens, qui ne cherche point à créer de la beauté, mais qu'à interpeler. Autrefois, "l'artiste, à la différence du philosophe ou du savant, était celui qui avait le génie d'exprimer des valeurs, des sentiments, des idées ou des symboles, non par des concepts et des formules abstraites, mais par le mise en forme d'une matière immédiatement perceptible par tout un chacun". L'art contemporain est au final l'héritier de l'esprit de bohème, en ce qu'il ne cherche pas à créer de la beauté, de l'harmonie, mais de l'inédit. Question alors, l'art contemporain, en répétant sans cesse le même objectif hérité d'une époque vieille comme le début du capitalisme, ne serait-il pas en train de devenir ringard ? Le XXIème siècle nous le dira... Mais, tant qu'il y aura des snobs et des bobos, Damien Hirst et Jeff Koons peuvent dormir sur leurs deux oreilles !
L'invention de la vie de bohème, 1830-1900, Luc Ferry, Editions Cercle d'art, 2012. 246 pages.
Aussi, point étonnant que l'esprit bohème soit né avec le capitalisme. Luc Ferry rappelle que le capitalisme, loin d'être conservateur, se caractérise d'abord et avant tout par une espèce de "révolution permanente". Par conséquent, le capitalisme pousse à l'innovation perpétuelle à tout prix. Et l'art contemporain témoigne de cette course folle à l'originalité, dénuée de sens, qui ne cherche point à créer de la beauté, mais qu'à interpeler. Autrefois, "l'artiste, à la différence du philosophe ou du savant, était celui qui avait le génie d'exprimer des valeurs, des sentiments, des idées ou des symboles, non par des concepts et des formules abstraites, mais par le mise en forme d'une matière immédiatement perceptible par tout un chacun". L'art contemporain est au final l'héritier de l'esprit de bohème, en ce qu'il ne cherche pas à créer de la beauté, de l'harmonie, mais de l'inédit. Question alors, l'art contemporain, en répétant sans cesse le même objectif hérité d'une époque vieille comme le début du capitalisme, ne serait-il pas en train de devenir ringard ? Le XXIème siècle nous le dira... Mais, tant qu'il y aura des snobs et des bobos, Damien Hirst et Jeff Koons peuvent dormir sur leurs deux oreilles !
L'invention de la vie de bohème, 1830-1900, Luc Ferry, Editions Cercle d'art, 2012. 246 pages.
Rédigé par Marjorie Rafécas le Lundi 11 Mars 2013 à 23:31
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Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.
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