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Susheela RAMAN, une artiste indienne entre Inde et Occident

Née à Londres en 1973 de parents tamouls, Susheela Raman grandit en Australie. Son père et sa mère, tous deux mélomanes, lui transmettent leur passion pour la musique de leur pays d'origine. A l'adolescence, la chanteuse découvre les charmes du blues, du rock et de la soul. Ce mélange de genres forme l’identité musicale de Susheela. En 1997, elle part s’installer à Londres. Elle y rencontre Sam Mills, guitariste et producteur. Ensemble, ils produisent Salt Rain, le premier album de la jeune femme, dans les bacs en 2001. Deux ans plus tard, elle sort l'opus Love Trap. Son troisième album débarque en 2005 et s'intitule Music for Crocodiles. Cette année 2007, elle sort son quatrième album, 33 1/3. Ca fait longtemps que j'avais envie de vous parler de cette artiste dont beaucoup, et j'en fais partie, son fans.



Son enfance


La première de toutes les musiques à l'avoir marquée est celle qui a baigné son enfance, c'est à dire la musique carnatique de l'Inde du Sud. Susheela est née à Londres en 1973 de parents tamouls. "Aussi loin que je me souvienne, cette musique a toujours été présente à la maison, donc en moi. Avant même que je sache parler." raconte Susheela. Elle aurait voulu y échapper qu'elle n'aurait pas pu. Mais un enfant a-t-il vraiment envie d'échapper à la musique qui fait son environnement ? Sa mère chantait, son père aussi. Il avait une sœur dotée d'une voix magnifique. Quand celle-ci a commencé à donner des concerts de chant carnatique, il l'accompagnait à la tampura. "Elle est décédée au moment d'entamer une tournée en Inde du Nord. Plus tard, sa grand-mère a toujours cru que que Susheela était sa réincarnation."
A deux ans, elle a son premier contact avec l'Inde que ses parents avaient quittée en 1966. Le souvenir qui lui en reste n'est pas celui qu'elle préfère. Une cérémonie à Tirupati, un rituel au cours duquel on rase les cheveux des enfants. "

Sa découverte de la musique hindoustanie


D'Australie où ses parents s'étaient installés avec elle en 1977, elle partait pour l'Inde, le temps des vacances, pour visiter la famille, assister à un mariage. Puis, un jour, pour étudier la musique, à 20 ans, lorsque son père et sa mère sont retournés chez eux et qu'elle-même s'est installée en Angleterre. Après l'apprentissage par capillarité, elle avait entamé son apprentissage de la musique avec son premier professeur, Rajani Chandrasekar, à Sidney. A Bénarès, sur les rives du Gange, elle entend une voix qui s'échappe par-dessus les murs. Il s'agit de Shruti Sadolikar qui donne un récital de chant khyal. "Ce qui m'a frappée c'est que j'avais l'impression qu'elle chantait uniquement pour moi. Les grands chanteurs ont ce don de vous faire croire qu'ils ne chantent que pour vous."Ce sera son second professeur. Elle lui donnera quelques clés pour comprendre et apprécier la musique hindoustani (de l'Inde du Nord). "J'ai trouvé souvent dans la musique hindoustani peut-être plus d'émotion, de passion, de sensualité que dans la musique carnatique. Celle-ci est restée très pure, contrairement à celle du Nord qui s'est mélangée, a évolué avec les invasions successives. Cette idée de mélange est plus en accord avec moi-même. Mais je n'ai jamais interprété ce répertoire. Il faut toute une vie pour l'apprendre."

L'envie d'une musique de fusion et la sortie de Salt Rain.

Susheela RAMAN, une artiste indienne entre Inde et Occident

L'idée fixe, l'obsession de Susheela Raman, c'est la fusion, la rencontre entre les cultures. Elle-même est faite de cela, c'est sa force, sa richesse, affirme-t-elle. "C'est la réalité du monde. Les gens n'arrêtent pas de se déplacer, alors forcément les cultures se mélangent." Et tant mieux. L'idée de transposer cette évidence en musique lui vient après avoir écouté Passion, la bande-son du film de Martin Scorsese, La Dernière Tentation du Christ, album avec lequel Peter Gabriel inaugura son label Real World en 1989. Ce disque a été un déclic. Susheela a commencé à penser qu'effectivement il pouvait y avoir des possibilités de mélanger des cultures différentes en musique. Même si elle y avait déjà réfléchi elle ne savait pas encore comment s'y prendre, elle n'était pas prête. C'est ce disque qui la fera se lancer. Ainsi est né Salt Rain, en 2001, un album subtil, au charme envoûtant, construit et pensé avec le guitariste et producteur anglais Sam Mills.

On y a découvert une jeune femme anglaise d'origine indienne au regard brûlant qui affiche sans ambiguïté un parti pris de fusion entre musique classique de l'Inde du Sud, sonorités occidentales et même échos d'Afrique. De l'ethno-pop, dirait-on paresseusement. Elle y interprète des adaptations de pièces anciennes comme Ganapati, dédié au dieu Ganesh, composée au XVIIIe siècle par Dikshitar, Mahima, écrite à la même époque par Tyagaraja, autre compositeur de référence dans la musique carnatique ; des relectures originales, Song to The Siren de Tim Buckley, ou Trust in Me, la chanson du perfide serpent Kaa dans Le Livre de la jungle de Walt Disney. Une certaine idée de la culture universelle en somme.

A la base, le pari de Susheela n’était pourtant pas gagné. Son répertoire, rappelons-le, puise dans la tradition savante du chant carnatique (soit de l’Inde du Sud) et n’était pas à priori pas destiné à séduire la foule des non-initiés. Mais en la mariant avec d’autres expressions plus occidentales comme la pop, le funk, la soul et le blues, et grâce au savoir-faire du producteur Sam MILLS, Susheela RAMAN a développé une forme de variété métissée raffinée et travaillée dans ses moindres détails de manière à séduire le plus grand nombre tout en évitant de galvauder ses racines, ce que je trouve très appréiable. Restait à savoir si ce difficile équilibre, pourtant garant de sa qualité et de sa crédibilité artistique, n’allait pas être rompu pour satisfaire aux exigences mercantiles que suscite tout succès médiatique. On attendait donc au tournant son deuxième album, Love Trap.

Love trap, son deuxième album

Susheela RAMAN, une artiste indienne entre Inde et Occident

Comme on ne change pas une équipe qui gagne, on retrouve sur Love Trap les musiciens qui avaient joué sur Salt Rain, et avec lesquels Susheela a nourri une complicité grandissante au fur et à mesure des concerts donnés ensemble : le percussionniste du groupe TAMA Djanuno DABO (congas, bongos, shakers...), le percussionniste Aref DURVESH (tablas, dholak...), le bassiste Hilaire PENDA, le violoncelliste Vincent SEGAL, et bien sûr le guitariste Sam MILLS, qui, une fois de plus, tire toutes les ficelles de la production. Simple invité sur un morceau du disque précédent, le clarinettiste et flûtiste grec Manos ACHALINOTOPOULOS a gagné du galon et étale davantage ses couleurs ici. Mais histoire d’élargir encore les possibilités d’arrangements à connotation ethnique, il a été de plus fait appel aux talents de diverses personnalités, comme le célèbre batteur nigérien Tony ALLEN (qui a joué avec Fela KUTI).

On trouve même quelques sonorités hispanisantes dans Bliss et Dhamavati grâce au pianiste David DORANTES, tandis que le vent des steppes sibériennes souffle sur Amba et sur Manasuloni (la pièce la plus rock n’roll de tout l’album !) avec la présence des chanteurs de gorge Albert KUVEZIN et Radik TIULIUSH (également à la vièle), du groupe YAT-KHA. Ailleurs, on surprendra aussi quelques notes de kora, de saxophone, de guitare hawaienne, etc. Love trap est un album qui affiche la volonté de faire World à tout prix, peut-être un peu trop sans doute par endroits.

Mais sur le fond, Love Trap poursuit l’exploration et la réadaptation, définie par son prédécesseur, des séduisantes arcanes du chant carnatique, des langues sanskrite et tamoule et puise en majorité dans les répertoires des compositeurs "saints" TYAGARAJA et DIKSHITAR. Susheela impose son timbre de voix chaleureux, ornementé et onduleux dont elle a le secret, et tente aussi l’aventure du chant en anglais, le temps d’une reprise bon teint du Save me de Joan ARMATRADING et du morceau éponyme à l’album (une variante d’un morceau de Mahmoud AHMED), chanson à mon avis qui est la moins bonne de l'album.

Sur la fin du disque, les conventions inhérentes à un album "World" et "Fusion"semblent cependant avoir été abandonnées avec le capiteux Ye Meera Divanapan Hai, tiré d’un film hindi des années 1960, et l’ultime Blue Lily Red Lotus, un hymne à Shiva qui, en gardant ses traits acoustiques et traditionnels, nous plonge dans un contexte éminemment contemplatif et dévotionnel avant de s’achever dans une accélération rythmique éloquente. Où l’on voit que sa reconnaissance médiatique galopante n’a pas fait totalement perdre à Susheela RAMAN le goût de l'audace. Qu'en est-il de son troisième album "Music for crocodiles" ?

Music For Crocodiles

Susheela RAMAN, une artiste indienne entre Inde et Occident

Dans ce troisième album, on découvre des titres plutôt pop bien rythmés. Trop modernes diront certains. En effet, ces nouveaux morceaux sonnent radicalement plus urbains, plus actuels. L'artiste s'essaie entre autres au français (ce qui est touchant) avec deux titres dont l'excellent: « L'âme volatile». Ecrit par un poète franco-pakistanais, ce texte aborde les déboires amoureux de la vie.

Un très beau documentaire en 2005, raconte la genèse de cet album. Mark Kidel a suivi cette artiste unique, cette voix d’or de la world music, dans le sud de l’Inde, le Tamil Nadu (région d'où je suis aussi originaire moi aussi, je vous le rappelle) où elle a enregistré la majeure partie de Music for Crocodiles. Ce documentaire, passé sur Arte, évoque un voyage musical envoûtant et joyeux, émouvant et fort.

Dans ce reportage, on y découvre des échanges entre musique occidentale et musique indienne...deux univers contradictoires mais proches en fait, que Susheela n'a de cesse de rapprocher dans ces albums. Elle même incarne cette contradiction, confrontée à ces origines hindoues et son éducation occidentale...L'artiste, en Inde, se retrouve elle dans les deux mondes. On y voit de vrais dialogues, où se mêlent tradition sacrée du Tamil Nadu et le répertoire complexe et métissé que Susheela Raman approfondit d’année en année. Entre autres un passage qui montre bien cet échange : des jeunes filles en sari de l’école de chant carnatique (de Thiruviyar, au Tamil Nadu) qui après avoir vocalisé avec la belle chanteuse, arrêtent à leur tour de chanter, suspendues à la voix chaude et au sourire éclatant de leur aînée Susheela Raman, qui leur susurre une version douce de “Voodoo child”, de Jimmy Hendricks accompagnée par la guitare complice de Sam Mills, son fidèle musicien alter ego...Les jeunes filles, qui ne connaissent pas cette musique finissent ensuite par la fredonner avec elle...Un joli moment. Plein de moments magiques de ce type parsèment ce film où l'émotion transparait à travers l'héroïne.. et qu'on retrouve dans cet album, très différent des deux précédents. Il y a aussi un moment où elle rencontre un chanteur classique indien, star carnatique , quasi mythique et un joli échange artistique se produit entre eux...

Et les échanges se répètent tout au long d’un voyage aux images somptueuses : de Madras, la capitale de l’état, à Thiruviyar, la ville de la mère de Susheela, haut lieu de la musique carnatique. Née à Londres, elle a grandi en Australie et s’est nourrie des influences contradictoires du jazz et du rock, et du chant classique de ses origines, appris dès l’enfance.

D’abord douloureuse, la contradiction est devenue l’essence de son art et d’un inlassable désir d’ouverture. La redécouverte de ses sources la conduit désormais régulièrement à Thiruviyar. A un moment on l'entend dire dans le film “Je me sens chaque fois plus enracinée et plus déracinée. Car plus on en sait, plus on s’aperçoit que l’on ne sait pas.”

C'est souvent ce que je ressens moi-même, dans cette quête de mon identité indienne, surtout depuis le décès de ma mère...et peut-être que cela touche aussi vos propres quête d'identités...

D'où le bouleversement que j'ai ressenti en découvrant les images de ce documentaire, que j'ai vu en avant-première à Paris. A l'issue de la projection, Susheela, comme par enchatement sortie de l'écran, nous a offert un mini concert en direct avec 6 chansons, magie de l'instant...envie d'aller la voir et de lui dire combien j'étais touchée, que moi aussi je suis à la recherche de mes sources indiennes, mais ensuite elle est partie très vite et je n'ai pas pu lui parler.

Music for Crocodiles, c'est tout ça à la fois, tout ce que l'on voit dans le documentaire, l'âme de Susheela, les échanges musicaux, sa quête d'identité etc... et on y retrouve, plus que dans Love Trap, l'esprit de Salt Rain...

33 1/3

Susheela RAMAN, une artiste indienne entre Inde et Occident

Encore un album très différent des précédents et suprenant. Susheela aime aller là où on l'attend pas et plus sa carrière avance, plus elle se tient à cette volonté, oser toujours, et échanger, mélanger les influences musicales à l'envi. Avec "33 1/3", elle revisite de sa voix chaude et sucrée quelques uns des grands standards musicaux internationaux. Au programme : The Velvet Underground, Bob Dylan, Jimi Hendrix, Nirvana… baignés de sonorités traditionnelles indiennes. Résultat ? Envoûtant et intéressant ! Susheela a même changé les intonations de sa voix, qui est encore plus grave et donne à cet album une empreinte très particulière.

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