Les arts de l'image et du dessin en Inde
L'Inde possède une tradition iconographique et visuelle artistique, populaire et élitiste à la fois. Cette vieille tradition populaire de l'image se perçoit au Rajasthan avec les fresques (mandanas) peintes sur les murs des maisons en fonction de différentes occasions cérémonielles (poudre de couleurs et/ou poudre blanche). Leur existence est éphémère et surnaturelle car le dessin se définit comme un réceptacle destiné à accueillir une divinité. Il peut être un support témoin idéologique d'une culture alternative (comme cela fut le cas pour des tribus afin de légitimer des velléités séparatistes).
Mais il existe d'autres techniques comme par exemple, l'encre sur papier qui est une technique populaire chez les peintres de Madhubani (Bihar).
Pata chitra (pigment sur carton de chiffon) est une des principales formes d'art de l'Orissa. On peint des mythes religieux, des légendes et des divinités. Ces peintures - produites pour les pèlerins du grand temple de Jagannatha à Puri - figurent le temple, des divinités et des récits de la vie de Vishnu et de ses incarnations
Les conteurs itinérants (bhopas) commandent les phads (peintures narratives) aux communautés des peintres professionnels et des imprimeurs textiles (chippa). Le conteur chante le récit illustré en jouant d'un violon très simple. Sa femme, ou son enfant, tenait une lampe à l'huile qui illumine les détails au fur et à mesure qu'évolue le récit. Pour garder l'attention de son public lors du spectacle qui peut durer toute la nuit et parfois douze bonnes heures, le conteur raconte des farces et fait des allusions propres à l'endroit où il est. Malgré les farces, on peut dire qu'on vénère autant qu'on se divertit, la peinture étant ici souvent une sorte de temple portatif.
La peinture en Inde, généralités et historique
L'art pictural dans le sous-continent indien date probablement de la préhistoire. C'est essentiellement à l'époque de la peinture sur pierre.
La peinture sur roche a perduré jusqu'au IIIe millénaire avant notre ère (Pachmarhi, Inde centrale). Quant à la peinture sur poterie, elle existait à l'époque de Mohenjo Daro (Civilisation de l'Indus, 2500 ans av. J.C.).
Par contre, aucun vestige de peinture murale de l'époque védique, ou plus récemment, des Mauryas, Bihâr (IV-IIe siècle av. J.C.), n'a été trouvé bien que les anciens textes en font mention (Râmâyane, Shilpashâstra).
Les plus anciennes peintures à être parvenues jusqu'à nous se trouvent dans les grottes bouddhiques d'Ajantâ (IIe siècle av. J.C.) ; le véritable développement de l'art pictural a commencé à cette époque.
C'était ainsi également l'époque des magnifiques manuscrits indiens, notamment jaïns, avec l'oeil gauche allongé et les coloris pleins de force.
Alors que l'art classique fut influencé au nord par les invasions musulmanes des XIIIème et XIVème s., il a continué de se développer dans le sud, relativement épargné. C'est là que l'on retrouve, dans les peintures de Leepakshi et Travancore, les qualités décoratives de la peinture originelle.
L'arrivée des Moghols a entraîné une renaissance de la peinture, qui a duré jusqu'au XIXème s. S'est alors développé un style de miniatures d'inspiration indienne, persane, européenne. de là naquirent deux styles remarquables dans la peinture indienne : le style Kangra et le style Basohli .
Le style Kangra se caractérise par sa délicatesse, sa féminité, tandis que le style Basohli est plein de force.
Le peintre le plus célèbre de l'Inde est vraisemblablement Ravi Varma (1848-1914) par ses productions à l'huile de l'iconographie religieuse hindoue.
Dès le début du 20ème siècle se profile un refus de l'apport occidental surdominant pour un modèle idéaliste remettant au premier plan les valeurs de la civilisation indienne et précisément hindoue. Abanindranath Tagore (à ne pas confondre avec Rabindranath Tagore, l'écrivain et philosophe) est le premier peintre à exprimer ce refus avec l'École du Bengale. Il souhaite développer et opposer le spiritualisme indien au réalisme matérialiste occidental. Ce refus s'accompagne d'un repli identitaire à l'origine de la non pérennisation du mouvement.
A partir des années quarante, des artistes refusent cette dichotomie. Deux écoles Calcutta Group et le Progressive artist group (Bombay) s'ouvrent à l'Art Contemporain. Les artistes de cette école constituent les noms de renommé international de l'Art Contemporain indien : Das Gupta, M.F. Husain, Souza. M.F. Husain est le plus renommé et se caractérise par une peinture variée englobant portrait (Gandhi et Mère Térésa), scènes mythologiques, peinture entre le figuratif et l'abstrait.
Cette ouverture amorcée se confirme dans les années soixante avec une explosion des thématiques explorées, une liberté totale pour les sujets d'inspiration et d'utiliser toutes ressources esthétiques. Les œuvres de Kumar, de Jeram Patel, de Ganesh Pyne et de Malani se diffusent dans le monde entier.
Mais à l'image de l'histoire de l'Inde, il paraît périlleux de dater, de classer nationalement l'évolution de la peinture indienne. Les différences régionales sont nombreuses et des peintres restent inclassables. Swaminathan illustre cette tendance. Il fonde le Groupe 1850 et refuse toute historicisme en art. Il condamne la dégénérescence des institutions liées à la peinture. Il fonde un mouvement au Madhya Pradesh où art moderne et traditionnel connaissent un traitement similaire. Avec M.F. Husain, ces deux peintres désenclavent la peinture moderne en Inde. Leur travail reste important compte tenu de la faiblesse institutionnelle en ce domaine. Cette carence s'accompagne également d'une absence de galeries, de marché. Il n'existe pas ou très peu de politique institutionnelle pour l'Art Contemporain
Dans le passé, la peinture indienne était marquée par la précision du dessin et la vocation particulièrement décorative. Je dirai que la peinture indienne était foncièrement stylisée et belle.
Aujourd'hui, l'art contemporain indien s'inscrit dans le concert mondial. De nombreux peintres indiens restent inspirés par le riche héritage artistique et culturel de l'Inde, et nombreuses sont les marques de la culture indienne dans leurs oeuvres - vêtements traditionnels, motifs anciens, architecture... Par ailleurs, de nombreux peintres sont inspirés par l'abstraction et l'art moderne occidental. Nombreux aussi sont ceux qui pratiquent la création artistique assistée par ordinateur - l'art digital !
Dans le passé, il était possible d'opposer la peinture européenne et la peinture indienne, tant les différences entre elles étaient importantes. Les Européens se caractérisaient par la simplicité et le réalisme, alors que le style indien était très décoratif et stylisé.
Aujourd'hui, à moins que le tableau soit réaliste et représente typiquement telle ou telle région du monde (Inde, Afrique ou Europe...), il est impossible de dire quelle en est l'origine. Et encore, rien n'empêche un peintre indien de représenter des scènes européennes et vice versa.
Dans le domaine de l'art abstrait, de l'art moderne, de l'art digital, nul ne saurait déterminer l'origine géographique des oeuvres. Aujourd'hui, le peintre vit dans une communauté globale.
L'art de la miniature
L'Art de la miniature n'a pas été introduit en Inde au XVIème par les premiers moghols, ses racines sont bien plus profondes. Des peintures de petites dimensions ornaient déjà les pages austères des manuscrits canoniques jaïns et bouddhiques au XIème siècle. Elles s'inspiraient de fresques des temples et des monastères de l'époque. Elles furent exécutées sur des supports végétaux : feuilles de palme, écorce de bouleau ou papier, après son introduction au XIVème siècle. Les manuscrits avaient un format longitudinal. Ils étaient lus horizontalement et percés dans la partie médiane par un ou deux trous, où passait une cordelette. Le tout était inséré entre deux plaques de bois ou de métal.
Jusqu'au XIIème siècle, les Hindous considéraient la tradition orale comme seule valable pour la transmission des textes sacrés. Lorsqu'ils utilisèrent l'écriture, ce fut pour des textes à vocation utilitaire (accords entre souverains, traités de médecine...). Par contre, les Bouddhistes et les Jaïns, consignaient déjà par écrit.
Aucun manuscrit indien, antérieur au XIIème siècle comportant des images colorées ne nous est parvenu, bien qu'il soit probable que les manuscrits aient été agrémentés de peintures.
Les premières images de cette époque avaient un caractère essentiellement magique. Elles étaient destinées à protéger le manuscrit et n'illustraient jamais le récit. Le déferlement des envahisseurs musulmans turcs, l'effondrement des royaumes hindous et bouddhiques du Nord de l'Inde, firent prendre conscience du danger de voir leur tradition disparaître faute d'être consignée par écrit.
Les premières miniatures illustrant effectivement un texte proviennent d'un Kalpasutra jaïn daté de 1288 (texte sacré)
L'art de la miniature en Inde connait son essor sous le règne d'Humâyûn. Alors qu'il se trouve exilé en Perse par Sher Shâh Sûrî, le fils de Bâbur découvre et se passionne pour cette forme de peinture pratiquée dans la région. Il attache à sa personne deux jeunes maîtres dans cet art qui l'accompagne lorsqu'il retrouve son trône en 1555.
À la mort d'Humâyûn, son fils Akbar lui succède et favorise la création d'un atelier impérial mis sous la direction des deux maîtres persans et dans lequel se retrouvent des artistes de tout le sous-continent indien et où les non musulmans sont probablement très majoritaires. Akbar suit très assidument la progression des travaux dans son atelier et y fait mettre en ouvre ses orientations et préférences. La tendance au syncrétisme de l'empereur moghol allié au grand nombre d'artisans hindous expliquent dès cette époque les nombreuses représentations de yogis ou d'épisodes du Mahâbhârata ou du Râmâyana. Akbar fera aussi illustrer les mémoires de son grand-père Bâbur, le Babur Nama. L'empereur et les dignitaires de la cour se feront portraiturer, entamant une longue tradition de portraits dans les cours indiennes.
Avec l'arrivée des Européens, en particulier les jésuites invités à la cour pour exposer leur théologie, l'art de la miniature va évoluer encore. Les bibles illustrées et de gravures de peintres occidentaux vont influer tant sur la forme, les artistes de la Renaissance ont codifié la perspective et la transmette en Orient ainsi que le souci de la ressemblance dans le portrait, que dans les sujets, on voit ainsi apparaître nombre de miniatures représentant des épisodes de la Bible ou de la Légende dorée.
Le souci de la précision dans la représentation culminera dans le portrait commandé par Jahangir d'un de ses courtisans, le Portrait d'Inaqat khan mourant, immortalisant son agonie après une vie de débauche et conservé à la Bodleian Library d'Oxford. Cependant dernier rempart, l'enfermement des femmes dans le harem, interdit une représentation fidèle des femmes dont les traits sont toujours stéréotypés.
Jahangir remanie aussi l'atelier impérial et débauche ceux qu'il considère comme des artistes de second ordre qui se répandront dans le pays et seront à l'origine de certaines écoles régionales. Durant son siècle va aussi se développer un forte tendance aux sujets floraux et animaliers. Shah Jahan hérite d'un art achevé où la représentation humaine s'habille de vérité psychologique, mais sous son règne, la miniature tendra plutôt vers la joliesse.
Aurangzeb, bigot aux croyances proches du wahabisme, fait détruire nombre de temples hindouistes et dissout l'atelier impérial. Les maîtres débauchés, comme du temps de Jahangir, vont se mettre au service de râjas ou nababs locaux ou ouvrir des ateliers travaillant à la commande. La maniature perdant son statut d'art aristocratique, se perpétue en copiant les formes traditionnelles et ne fait plus preuve d'inventivité, tout en produisant cependant des œuvres de qualité.
Le début du XVIème siècle voit l'apparition de miniatures illustrant les thèmes courtois et des épopées mythologiques hindoues :
Bhagavata Purana (vie de Krishna, philosophie de la bhakti),
Gita Govinda (poème sur Râdhâ-Krishna)...
On commença même à collectionner, en Europe, les miniatures indiennes dès la première moitié du XVIIe siècle et Rembrandt, grand collectionneur en général et de miniatures mogholes en particulier, en reproduisit plusieurs.
Mais l'effondrement du pouvoir centralisé moghol et l'emprise grandissante de l'Angleterre eurent pour conséquence de créer un besoin nouveau d'images destinées à satisfaire les exigences culturelles des nouveaux maîtres du pays.
Des programmes de recherches furent entrepris sur la faune, la flore et les coutumes de l'Inde nécessitant le recrutement de nombreux illustrateurs : admirables planches botaniques et zoologiques exécutées pour Sir Elijah Impey par Zayn al-Din de Patna, superbes portraits révélés par l'album de Fraser (administrateur britannique).
La photographie fut introduite très tôt en Inde après sa découverte. Les portraitistes perdirent ainsi leur clientèle. La photographie fournit un moyen plus pratique de consigner les informations sur le pays, offre des nouveaux moyens de reproduction graphique. Le mécénat se tourna vers ces nouvelles techniques.
C'est ainsi qu'à la fin du XIXème siècle s'éteint l'art de la miniature
(lire l'article très intéressant de l'Humanité, paru en 2003 et intitulé l'Inde Moghole racontée en miniatures,à découvrir au lien suivant : http://www.humanite.presse.fr/popup_print.php3?id_article=217386)
Styles et classification
On distingue deux courants stylistiques principaux :
Les Écoles Mogholes.
Avec ce style, la miniature se veut réaliste. Ses thèmes favoris sont les épopées impériales, les scènes de cour, les contes, les récits religieux et les traités scientifiques.
Les Écoles Rajpoutes La miniature se caractérise par l'expression d'idéaux, qu'ils soient de nature religieuse ou profane où l'efficacité du « message » prime sur le réalisme. Ses thèmes de prédilection sont l'illustration de récits mythologiques, la poésie romantique, l'évocation lyrique d'états d'âme amoureux.
Les artistes signaient rarement leurs œuvres, d'où la difficulté de classification. Celle qui s'est imposée est celle d'un système par écoles établi d'après le lieu où furent retrouvées les miniatures, notamment. On trouve par exemple, les Écoles pahari (Haut-PUNJAB) ou les Écoles de Bundi et de Kotah (RAJASTHAN). Toutefois cette classification ne tient pas compte de la mobilité des peintres. De nombreux artistes se déplaçaient pour satisfaire les commandes. Lorsqu'ils avaient une certaine célébrité, leur talent était sollicité par des commanditaires princiers d'États voisins. Des collections se déplacent au gré des alliances matrimoniales princières.
Les miniatures étaient souvent conservées dans le Zenana pour le délassement des dames du harem, mais aussi pour les mettre à l'abri, marquant ainsi leur caractère précieux.
Les peintres
Parmi les peintres qui exerçaient leur art dans les grands ateliers impériaux, certains vécurent dans l'intimité du monarque (Jahangir, Akbar, Aurangzeb). Lors de la disparition de l'empire moghol, de nombreux peintres de tradition moghole trouvèrent refuge auprès des monarques hindous dans les principauté du Haut-Penjab. Ils transformèrent le style et furent à l'origine d'une des périodes les plus fécondes.
Le style dit de Kangra se répandit dans tous les États, s'exprimant avec la délicatesse, le raffinement et la finesse caractéristique de l'art moghol, dans les thèmes puisés dans la littérature hindoue, alliant le naturalisme moghol à l'expression des idéaux rajpoutes.
D'autres artistes trouvèrent refuge dans des États provinciaux, devenus détenteurs de la tradition culturelle islamique comme Lucknow, Murshidabad, Hyderabad... Ils enrichissent de leur talent la tradition existante et créèrent des ateliers indépendants de la cour, travaillant pour des commanditaires les plus divers : les nouveaux maîtres du pays, les Anglais de la Compagnie des Indes.
L'atelier de Bikaner (-principauté hindoue- Rajasthan) était constitué d'artistes en majorité musulmans. Ils peignaient volontiers des thèmes hindous et obéissaient à la coutume d'offrir au prince, à l'occasion des fêtes traditionnelles, une image du dieu Krishna