FRANCOISE C.*

09/01/2008


Mots à insérer
PARTAGE : papier pourquoi, ardoise, allumer, rire rose, tressaillir, tempête, agir, accélérer, gage, goûter, être émotion.
JOKERS : quand, et, si.





Mademoiselle Favières


Donner le savoir en partage, c'était sa vie, sa raison d'être...
Le matin, à notre arrivée dans la grande bâtisse de l'école, elle attendait pimpante avec son tablier si particulier: une sur-jupe légèrement froncée qui l' enveloppait parfaitement de la taille à mi-mollets et un bavolet étroit à bretelles croisées dans le dos qui ne protégerait en rien son chemisier à col festonné de la poussière de la craie.
-Allez savoir pourquoi elle ne veut pas un autre modèle s'exclamait ma grand-mère couturière chaque fois que mademoiselle Favières venait commander son tablier d'école, le tissu à carreaux rose et violet sagement plié dans le papier bleu du magasin de la place.
Quelle émotion pour moi quand ma grand-mère annonçait sa venue, en général à l'heure du goûter du jeudi; je guettais le coup de sonnette et bien que ce ne sois avertie, je tressaillais d'un mélange d'appréhension et de joie. Pensez donc, mademoiselle chez moi et demandant quelque chose qu'elle ne savait pas faire! quelle émotion! Inutile de m'expliquer qu'il valait mieux ne pas raconter les essayages, je savais la qualité de ce secret, justement parce qu'il n'avait jamais été énoncé.
Deux fois par jour, il fallait monter le vélo sur le perron de l'école et le ranger dans le grand couloir sombre. J'aimais le poser dans l'encoignure sous l'escalier avant de descendre dans la cour tout au fond du couloir. J'aimais surtout arriver assez tôt pour surprendre la porte de la salle à manger de l'appartement ouverte sur les lourds meubles encaustiqués et l'énorme bouquet de saison au milieu de la table. Je me souviens des dalhias à grosses fleurs roses et mauves comme le tablier, pareils à ceux que ma grand-mère cultivait avec passion dans le coin de jardin dérobé au potager. J'accélérais ensuite pour sortir à la rencontre des camarades jouer aux gages, aux statues ou avec la longue corde à sauter dans laquelle nous pouvions rentrer à deux selon des codes de préséance qu'il s'agissait de respecter.
Les jours de tempête, nous trouvions un grand poële allumé dans un grand débarras au fond à droite; nous y déposions nos imperméables trempés autour d'une grande grille et échangions nos chaussures trempées pour les chaussons tiédis au foyer rougeoyant.
En classe, interrogation de calcul mental; il fallait écrire les résultats sur l'ardoise et la lever à la demande. Quelle joie d'être la plus rapide puis de s'appliquer aux pleins et aux déliés pour les devoirs écrits à l'encre violette, à deux carreaux de la marge, séparés d'un double trait de sept carreaux de large espacés de trois carreaux. Quel casse-tête quand elle s'obstinait devant une faute ou une erreur: cherche pourquoi tu as écrit de cette façon, cherche pourquoi tu as pensé à ce raisonnement, à cette opération...Le plus souvent une réponse, et quelque fois, je pouvais dire dans un souffle: je le sais mais je ne veux pas le dire...Son rire alors, doux comme une approbation, une connivence au plus intime de ce qui se partage au delà des mots; plus tard, un métier où aider les enfants à comprendre pour eux-mêmes ce qu'il y a d'essentiel dans cette relation perturbée à l'écrit, merci Mademoiselle Favières.


Françoise, Capbreton, décembre 2007






Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 09/01/2008 à 19:07

FRANCOISE C.*

16/12/2007
Bonne arrivée

Grave, ému, il attend l'arrivée de l'avion. Pas de tapis rouge, ces ignorants ne savent pas que ses petits enfants arrivent en France pour la première fois. Il affiche un flegme souverain, va lentement jusqu'aux larges baies de la piste, s'assoit sur un siège une minute à peine, se relève comme si le rouge écarlate du coussin brûlait, se plante devant le tableau des arrivées. Il fixe le moniteur dont les chiffres restent trop immobiles puis défilent à toute allure comme si l'écran trop sensible s'affolait ou si les chiffres tourbillonnaient plein d'une ivresse plus mécanique que vineuse avant de bloquer dans un hoquet puis de disparaître dans un nuage de poudre blanche scintillante annulant toute information.
Du calme....L'hôtesse annonce que l'avion se pose. Il se précipite pour se munir de deux caddies porte bagages et se pince le pouce avec une violence qui lui coupe le souffle. Les premiers voyageurs arrivent, déboussolés par l'heure tardive.
Bientôt la silhouette de sa fille se découpe dans l'embrasure de la première porte, trop loin encore puis plus proche jusqu'à ce que leurs regards puisent se saisir, s'accrocher, ne plus se quitter. L'un par l'autre, tout autre présence annulée. La voilà qui déjà décroche son regard pour envelopper ses petits et les amener jusqu'à lui, pour lui. Les vêtements différents ne l'aident pas à reconnaître Cyril de Gyl. Est-ce un piège? chacun arbore un petit drapeau à feuille d'érable de même couleur qu'il enfilera dans une boutonnière de la veste de papy. Ils sont dans ses bras; quatre serrés si fort qu'aucun ne voit les larmes étoiler les yeux des autres. Ils s'écartent enfin avec un rire heureux.
Il est temps de s'approcher du tapis roulant pour l'enlèvement des valises. Cyril raconte par le menu le voyage, le panorama au travers du hublot, Gyl est tout près de l'escarmouche avec un jeune garçon de son âge qui a un bagage semblable au sien. Mais la bonne humeur l'emporte et la joie de la rencontre.
Ils repartiront! Cette idée le traverse soudain comme une douleur fulgurante. Il sera temps après l'été de caresser pensivement la cicatrice du pinçon, les petits l'encombrent de leurs bagages et avec une belle énergie il les entraîne vers la sortie et leur foyer de l'été.
Françoise, Capbreton novembre 2007





Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 16/12/2007 à 21:56

FRANCOISE C.*

10/12/2007

Mot à insérer.
CONTES : courage, caprice, ombre, origine, nature, nourrice, tendresse, température, errance, être, soudain, souvenir.
JOKER : noir, déjà, bon.



Un conte à dormir debout


Il était une fois Bayamie, une jeune fille de la région des fleurs dans un pays que vous pouvez situer où bon vous semble. Ses parents étaient heureux et fiers de leur fille, assez émancipée mais présente chaque fois qu'ils avaient besoin d'elle. Pour son adolescence, ils lui avaient aménagé une chambre indépendante, claire, spacieuse, avec un vaste lit au mitan moelleux. Mais brusquement, à l'âge où les filles deviennent femmes, elle leur compliqua la vie d'une façon inattendue. Tant qu'ils commencèrent à se dessécher tels fagots de sarments oubliés au bout d'un rang de vigne. Oh!, elle ne se risqua pas à faire des caprices, elle continua toutes ses activités avec la même efficacité et elle s'efforçait de rester la fille enjouée et déterminée qu'elle avait toujours su être. Mais elle se mit à ne pouvoir dormir que debout. Dès que le sommeil la gagnait, elle se raidissait tel tronçons de bois, que dis-je de bois, tel tiges d'acier trempé. La première fois, avec d'infinies précautions, ils l'allongèrent sur son lit mais, tel un ressort, son corps se redressa, se mit à osciller après avoir failli les renverser. Qu'arriverait-il s'il retombait lourdement, l'acier peut être si cassant s'il contient la moindre paille? Ils lui confectionnèrent une sorte de hamac tendu oblique avec une des extrémités au ras du sol et l'aidèrent à s'installer. Elle réussit à s'endormir ainsi soutenue debout, pas eux. Ils firent confectionner en osier souple une large gouttière en fer à cheval, une autre en forme de lettre S aux larges coudes, mais rien ne pouvait l'aider à se ployer et le sommeil n'apportait aucune détente à son pauvre corps raidi. Près du hamac, ils installèrent dans l'angle de la chambre à coucher, une sorte de couffin dressé, aux poignées décentrées vers le haut afin qu'elle puisse y soutenir ses bras et soulager ses jambes. S'ils souffraient d'insomnie chronique, elle arrivait à se reposer mais jusqu'à quand? quelle origine à ce mal étrange? cette rigidité dès l'endormisse ment n'allait-elle pas gagner tout au long de la journée? comment pourrait-elle trouver un mari? que cachait ce symptôme jamais rencontré à ce jour?
Ils entendirent parler de la sorcière Babaïaga que les femmes allaient consulter dès qu'elles ne pouvaient trouver de mari, avoir d'enfant ou pour ramener au bercail quelque époux trop volage.
Dans un balluchon Bayamie roula son hamac , plus facile à transporter que le couffin, prit un minimum de vêtements et un pot de la gelée royale dont sa mère avait le secret et partit à la recherche du logis de Babaïaga. Tout ce qu'on savait, c'est qu'elle habitait en haut, après les falaises derrière les gorges au fond desquelles mugissait les premiers kilomètres du grand fleuve. Elle ajouta à son balluchon une longue corde tressée solide et, allez savoir pourquoi un assortiment de graines réservées à ses tourterelles. Ses parents lui firent toutes sortes de recommandations, son père aurait bien voulu l'accompagner mais elle fût intraitable; c'est à elle que ce maléfice était advenu, c'était à elle seule de trouver solution. Elle marchait d'un pas décidé, avec courage, attentive à la nature qui l'entourait, au jour naissant, à la lumière dans laquelle se découpait l'ombre des haies bordant les prairies. Tout à coup, elle suspendit son pas. Elle avait failli écraser un escargot à la coquille jaune nacrée qui avançait péniblement sur le sentier, une longue traînée blanchâtre dans son sillage. « Où vas-tu, ce matin, petit escargot, j'ai failli t'écraser.... » L'escargot répondit qu'il devait se rendre au fond du champ voisin où une importante réunion se tenait sur les pesticides qui donnent des ulcérations à leurs pieds, sur la façon de les repérer pour les éviter et sur les herbes à sucer pour tenter de se soigner: « vois ce long dépôt derrière moi, je fatigue et n'arriverai pas assez tôt ». Bayamie le saisit délicatement par la coquille, le posa sur son épaule pour l'amener à son rendez-vous. En chemin, elle lui raconta son expédition et sa perplexité au sujet de Babayaga. L'escargot lui répondit: « tu n'as pas hésité à perdre du temps pour moi alors que la plupart des humains m'auraient écrasé ou poussé violemment dans le fossé. Quand tu m'auras déposé au bout du champ, reviens vers la longue traînée que j'ai laissée, prends délicatement son extrémité et soulève la sur toute sa longueur. Elle se transformera en une ceinture souple d'argent. Babayaga ne donne rien sans échange, je sais qu'elle rêve d'une ceinture pour son habit de gala du prochain congrès de sorcières ». Bayamie toute heureuse déposa l'escargot,ils se souhaitèrent réussite et elle décolla ce qui devint en effet une belle ceinture argentée qu'elle aurait bien gardée pour elle. Arrivée sur la rive ouest de la gorge, elle se demanda comment elle pourrait franchir le précipice. Elle n'avait pas souvenir du moindre gué ou d'une quelconque passerelle. Dans le profond, l'eau tourbillonnait entraînant tout comme fétu de paille. Elle pensa très fort à son père si ingénieux pour confectionner hamac et couffin, à sa mère si inventive pour l'aider à préparer son bagage. Déjà, une idée lui vint. A une extrémité de sa longue corde, elle fit un noeud de lasso, repéra une souche haute sur la rive opposée. La souche était en partie couchée avec des racines tourmentées qui ressemblaient à des doigts déformés par quelque souffrance. Le jour était plus clair, la souche paraissait solide. Bayamie lança le noeud coulant en pensant si fort qu'elle devait réussir comme ses parents que la corde s'arrima à la souche. Elle dut alors traverser suspendue dans le vide, à la seule force de ses bras, doigts endoloris par le frottement du chanvre, mais bientôt, elle fut sur l'autre rive. Où se diriger maintenant? Elle commença une errance bien solitaire. Toute la montagne semblait immobile, les feuilles des arbres n'étaient agitées d'aucun souffle et pour les rares oiseaux qui planaient ou voletaient d'arbre en arbre, pas le moindre bruit, pas le moindre chant; le grondement du torrent lui-même s'affaiblissait et en venait à lui manquer. Puis elle traversa plusieurs tunnels naturels taillée dans la roche. Quelques roches pleuraient des larmes serrées , d'autres fois espacées . Elle en était bouleversée et complètement troublée. Qu'est-ce que cela disait d'elle?
Quelques oiseaux en haut d'un bouquet de chênes se tenaient immobiles, pattes raidies, plumes ébouriffées, oeil semblant fixer quelque lointain. Elle sortit son paquet de graines et les éparpilla sur le sol avec un sifflement doux en direction des oiseaux. Ils voletèrent jusqu'aux graines, craintifs d'abord puis de plus en plus assurés, n'hésitant plus bientôt à picorer entre ses pieds. Me voilà transformée en nourrice d'oiseaux pensait-elle mais comment trouver ma route, comment faire, comment arriver jusqu'à Babayaga? Et alors, comme s'ils avaient entendu ses pensées, les oiseaux se disposèrent en vol triangulaire et lui firent comprendre qu'il n'y avait qu'à les suivre. Escalader la falaise ne fut pas chose facile, se frayer un chemin dans les fougères non plus mais les oiseaux traçaient une direction dont ils semblaient assurés. Dès qu'il fit noir,elle commença à se raidir. Ils se posèrent sur un immense châtaignier au pied duquel elle cala son hamac et elle put dormir un peu. La journée du lendemain fut aussi pénible mais les oiseaux semblaient savoir où ils allaient. Enfin, elle arriva à l'entrée de la grotte de Babayaga. Celle ci la reçut avec une grande méfiance mais accepta de l'écouter: ce n'était pas ordinaire qu'un plaignant arrive jusqu'à elle conduit par un vol d'oiseaux aussi prévenants. Elle écouta son histoire, hocha la tête d'un air entendu et passa l'index de sa main gauche autour du visage de la petite, de sa poitrine et de son ventre jusqu'à la racine des cuisses. « J'ai bien l'élixir qui te guérirait mais que peux- tu me donner en échange? » Alors Bayamie sortit la ceinture de son balluchon et la tendit à la sorcière. Celle- ci la prit dans ses mains d'un air médusé, l'enroula autour de sa taille et se tournant vers Bayamie lui dit: je vais te donner cette fiole au verre opaque, tu la mérites bien mais écoute moi , ne l'ouvre que lorsque tu seras revenue dans ta maison, n'essaie pas de savoir d'avance la couleur du liquide sinon le pouvoir de la potion disparaîtra dès son ouverture. Sois patiente, reviens vers les tiens puis enferme toi dans ta chambre et bois en trois fois en secouant l'oreiller entre chaque lampée. Ne t'inquiète pas de la couleur du liquide qui s'écoulera de toi. ton corps se transformera tel que ce doit être pour que tu retrouves sommeil et vie normale.
Bayamie eut bien du mal à obéir surtout à la tombée des deux nuits de retour mais elle voulait rassurer ses parents et guérir, surtout pour elle, pour vivre en femme libre de choisir son destin. Et bon, elle attendit d'être revenue. Le chemin fut aussi difficile; les oiseaux la laissèrent continuer seule après la falaise et elle ne revit pas l'escargot. Mais ses parents virent la petite bouteille dans sa main et quand elle leur dit: « laissez moi, je dois rester seule mais ensuite ce sera la fin de nos soucis », ils surent qu'ils devaient faire confiance à leur Bayamie: elle avait su trouver le chemin de Babayaga, elle avait rapporté ce qui était nécessaire et demain dans la région des fleurs la vie reprendrait son cours.

Françoise, Capbreton décembre 2007







Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 10/12/2007 à 20:46

FRANCOISE C.*

Proposition d'écriture

« Pendant 9 mois, ma mère m'a aimée dans son ventre, mon père m'a aimé dans sa tête....Vous allez m'adorer... »


Faire part

Je sais que le travail de Virginie et de Jérôme leur a imposé de choisir une annonce du site de naissance de leur groupe, mais non, je n'aime pas les mots de cette annonce et je vais la rectifier pour toi, mon tout petit.
Ta mère ne t'a pas aimé que dans son ventre. Elle t'a aimé avec tout son être, sa chair, tous sens en éveil, intelligence et émotions à ton service dès les premiers instants. Que dis-je, voilà que j'écris comme l'ordinateur: les premiers instants, pendant neuf mois...Non, ta mère t'a préparé longtemps avant. Dès qu'elle a été sûre de son amour pour Jérôme, elle a passionnément désiré l'enfant à venir. Et quand elle a été enceinte, elle le lui a annoncé bien avant le résultat du test de grossesse. Le jour même, le goût des aliments est devenu plus prononcé, l'air qui l'entourait plus léger, porteur, la pointe de ses seins s'est durcie d'une auréole brune et son ventre....chut, ça, c'est son secret de mère, de femme.
Bien avant déjà, elle avait préparé ta venue. Petite fille, elle revendiquait ta naissance et avec la même fougue te faisait garçon puis fille, brun aux yeux verts puis blonde aux yeux de porcelaine, sportif ou rêveur, véhément ou solitaire, toujours, intelligent et attentif aux autres. Depuis neuf mois,tout cela se précipite et cèle une évidence.
Ton père ne t'a pas aimé que dans sa tête. Il était prêt bien avant Virginie, un enfant à elle, à eux, libre de grandir à sa guise dans une famille attentive. La lumière de ses yeux a changé, son regard s'est affermi et adouci à la fois, attentif à votre bien être, soutenant la courbure du ventre de son épouse, toujours aussi amoureux, plus peut-être, un père reste un mari et l'objet du désir de sa femme, à entretenir et à confirmer.
Il suffit de les entendre parler de l'accouchement, de tes cris revendicateurs, de ton sommeil déjà tranquille et du sourire qu'ils savent avoir vu ensemble, ...mais si...., sur ton visage apaisé.
Nous ne t'adorerons pas, l'adoration n'est pas de nos pratiques, mais nous t'aimerons autant qu'il nous sera possible, que dis-je, nous t'aimons, petit enfant.

Françoise, Capbreton, novembre 2007





Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 29/11/2007 à 23:38

FRANCOISE C.*


Proposition : avec un objet, pour moi un carnet (premier temps) puis le calendrier de ma voisine (au top de l'animatrice) ...




Travail suspendu

Il cherche une phrase dont il a besoin pour préparer sa prochaine intervention...Zeigarnik, un psychologue et cette phrase qui sera une courte préface à ce qu'il veut leur communiquer. Zeigarnik, un inconnu pour lui; il aurait aimé chercher sa nationalité et son obédience mais il n'a pas eu le temps. Où? Dans cette boîte... où il fourre tout ce qui l'a intéressé et qui risque de lui servir?
Des post-it de toutes les couleurs et de toutes les formes avec des citations, un bloc sténo dans lequel il avait imaginé classer méthodiquement les écrits à utiliser, ceux qu'il aime, ceux qu'il déteste aussi, pour y répondre....un jour.....peut-être, le vieux carnet rouge à spirale dans lequel, de seize à dix-huit ans, il a calligraphié les poèmes qu'il aimait le plus, qui devaient être couchés sur le papier d'une écriture parfaite....Et ce petit carnet jaune et bleu à spirale. Cent pages, quatre-vingts grammes. Carrefour.
Il a été si longtemps dans la poche arrière de ses pantalons. C'était une des premières choses qu'il vérifiait en achetant un nouveau pantalon: y avait-il une poche arrière et son carnet y rentrait-il? Quelles que soient les qualités de celui qu'il essayait, si la poche était trop courte, trop étroite ou munie d'un bouton rendant l'échancrure trop basse, il y renonçait. Il a perdu le petit stylo noir, court et mince qui se glissait parfaitement au milieu des spirales.
Il se souvenait parfaitement du jour où il l'avait acheté. Il devait aller à la librairie Mollat copier les titres des ouvrages nécessaires à ses ateliers de l'année, il voulait un carnet maniable, bon marché et avec du bleu...oui, les choses qui lui appartiennent ont souvent du bleu. Cette première liste établie, il l'avait glissé dans la poche arrière de son jean...A sa place, tout naturellement. Et depuis, combien de listes! des références de livres surtout mais aussi des sorties, des expos, des numéros de téléphone qui n'étaient pas toujours accompagnés du nom de leurs propriétaires, des petits textes copiés dans des bouquins, chez lui, chez des amis souvent, chez Mollat quelques fois, accroupi sur une marche quelconque....quelques rappels de choses à prévoir...et oubliées souvent...le coeur de sa vie sur sa fesse droite. Un jour, il fut plein. Le suivant est vert, plus de bleu ce jour là au supermarché.
La dernière phrase: « tous les dragons de votre vie ne sont sans doute que des princesses qui appellent au secours »Reiner Maria Rilke et pas de mention du titre, quelle erreur!
Exactement la même dimension, coincé dans le couvercle de la boîte, un calendrier 2008. Il ne se souvient pas de l'avoir déposé là à son retour de Lyon. Bien sûr, il y a déjà coché le dates et les lieux de ses interventions de l'année à venir. Pas le petit format habituel, pour une fois le caviste offrait un grand calendrier à la mesure exacte de ses classeurs. Guignol et son ami hirsute, plus banalement quelques vues de la ville et ce mur peint en trompe l'oeil qu'il avait fini par dénicher tout seul. La première photo lui plaît. Il n'aime pas la plaisanterie que lui lance la marotte aux cheveux de crin; Guignol est raide et ses cheveux sont peints comme il se doit pour un pantin de marionnette mais la lumière qui reflète dans ses yeux les rend joyeux,vivants et le sourire à demi narquois semble l'accueillir, lui, le passant ordinaire.
Il revient à son vieux carnet; ce n'est pas dans celui-ci qu'il peut trouver la phrase qu'il cherche mais peut-être en trouvera-il une autre, tout aussi efficace. Il le feuillette,sourit à des citations qui restent d'actualité, en coche quelques unes devenues saugrenues ou bien vieillottes, décorne les coins de pages et le range à sa place.
Peut-être est-il nécessaire de fouiller dans le classeur jaune fourre- tout du tiroir gauche du grand bureau? Il soupire d'incertitude mais il n'a pas le choix. Il se baisse et se relève en riant: il est salutaire de pouvoir de temps en temps se moquer de soi-même; sensible à son mouvement de bascule avant, le petit carnet imprime sa marque à la hauteur de la poche arrière droite.


Françoise, Capbreton, novembre 2007






Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 25/11/2007 à 18:33

FRANCOISE C.*

19/11/2007

Mots à insérer

JOURNEE : journal, jalousie, or, ouverture, unique, uniforme, rêve, raillerie, nuit, naturel, ébahie, élégant, étoile, euh.

JOKER : rire, facile, pur.




Médecin de campagne


Il est trop tôt pour le journal. Quand le téléphone a sonné pour la troisième fois en cette nuit de garde, un rêve l'agitait, si semblable à la scène de la semaine dernière que le temps se contracta et bascula plusieurs fois de l'imaginaire à la réalité en une spirale qui lui donna le tournis. Il y était question de jalousie. Martine les avait surpris, Nini et lui, et persiflait: « Tu n'es pas très élégant! cette fille dans votre lit de garde, portes ouvertes, je me suis arrêtée; qu'avait-il pu se passer? pas de voiture, la veilleuse tremblotante du fond du couloir visible de la route; quel appel avait pu te mobiliser ainsi, laissant le cabinet ouvert à tous vents? » Et sur un ton de raillerie mordante: « La voiture planquée, et vous, vous... n'importe qui aurait pu arriver à ma place! »
Vlan! elle flambe la porte pour la fermer avec le plus de violence possible.
Driiing! Ebahi, il ne sait plus ce qui le sonne.
La sonnerie insiste.
Il décroche en enfilant son unique pantoufle et tandis que son pied tâtonne à la recherche de l'autre.
-euh! Docteur Martin, j'écoute...
-.......
-oui, vous avez donc bien donné l'unique prise...
-........
-non, l'effet aurait du se faire sentir en une demi-journée....si, si vous avez fait ce matin tout ce que vous aviez à faire, or, les symptômes persistent, vous les décrivez très bien...l'attitude du petit, son inquiétude, la vôtre....j'arrive.
Les étoiles brillent encore dans le ciel apuré par la petite gelée de la nuit. Il fait si clair dans le douillet de la véranda. Toutes les ouvertures mettent le jardin à portée de main; derrière, les premiers contreforts des Corbières se détachent sombres et encore indifférenciés dans cette aube bleutée, si présents qu'il pourrait s'y croire immergé. Pourtant, rien d'uniforme dans ce décor qui organise sa vie. Jamais, il ne pourrait aller vivre ailleurs.
Il vérifie le contenu de sa trousse de médicaments, le répertoire des adresses des médecins hospitaliers ou spécialistes et divers secours d'urgence. Il n'oublie pas la liste des visites de la journée: celle, incontournable à James dont l'appareil respiratoire complexe doit être vérifié deux fois par jour, mamie Julienne et ses plaies variqueuses qui ne cicatrisent pas, le bébé des Camlat, en couveuse: il faut préparer son arrivée chez lui, la petite Isabelle et son taux d'insuline, chez Bétous, les résultats de Roger et la mise en place de soins plus lourds...un ami qui va mourir, une épouse aux aguets.... inquiétude camouflée sous les protocoles à expliquer.
Puisque la tournée le permet,il prendra son petit déjeuner à Terre Blanche avec Eric et Gisèle et commandera le « Vieux Parc » à amener à Dax, le mois prochain. Chez eux,un moment de détente et de rire...plus facile de repartir, énergie ressourcée.
Il met le contact, laisse chauffer la voiture et revient dans la véranda. du café réchauffé, c'est tout ce qu'il a le temps d'avaler; pur arabica peut-être, le café de micro-ondes ne vaut jamais grand chose. Il ne peut s'empêcher de sourire au souvenir de Nini lui préparant un vrai petit noir serré après leur nuit digne des époques estudiantines. Et comment apaiser Martine quand nul remord ne l'habite?
Il n'est pas temps de penser à cela; la première visite pourrait bien être difficile et la journée déjà chargée réclame toute son attention. Il ferme la porte du cabinet, enclenche la marche arrière et se concentre déjà sur les complications de la grave bronchiolite de son premier petit patient.


Françoise, Capbreton novembre 2007

Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 19/11/2007 à 18:22

FRANCOISE C.*

Se laisser aller à ses souvenirs devant deux petits tas d'épices distribués en deux temps (d'abord herbes de Provence puis Curry)


Senteurs blues

Origan, ouragan...Quel ouragan? Laisse, le voilà déjà cyclone et moi, pétrifiée dans le calme absolu de son oeil. Je crois ne plus pouvoir bouger pourtant les éclats verts dansent dans le tourbillon de la nuée, bronze, kaki mais aussi plus blancs ou presque bruns.
Je ne bouge plus mais mon odorat s'ouvre , s'aiguise,semble s'élever jusqu'aux éclats dansants, et revenir en piqué pour emplir totalement mon nez, descendre jusqu'au fond de ma gorge, remonter, envahir mon palais, agacer mes dents et presque brasiller jusqu'à mes yeux. Immobile et pourtant emportée.
Emportée par le souvenir de tes yeux, par les éclats changeants du vert de tes prunelles. Quelque autre les disait noisette mais confondre un fruit sec et la gamme subtile d'une épice, quelle pauvreté du regard, quel affadissement de la sensation. Tant mieux, la palette infinie de l'iris de tes yeux, plus sombres dans la colère, si clairs dans le soleil et la joie partagée, amande quand le désir les voile, pistache quand le le plaisir les rend éclatants, ne sera qu'à moi, à nous.
Safran, Azafràn, sur la route de Séville, les champs de crocus. Les ouvriers agricoles s'échinent sous un soleil si violent que la plaine entière semble mauve. Et toi, d'ordinaire si proche de tous les opprimés, prêt à brandir quelque bannière noire, ce n'est pas la jeune femme au fichu noir qui t'attire au détour du champ. Pourtant la sueur a marqué de sale son visage émacié. Comment réussit-elle à rester aussi immobile et à mimer appel et offre dans une même attitude qui nous invite, non, plutôt nous contraint à nous approcher d'elle? Tu dévores des yeux la poudre de ce jaune éteint tirant sur un brique sans rouge qui n'appartient qu'à elle. Elle forme une petite pyramide sur le jupon rapiécé. Cette poudre, tu la veux. La jeune femme prend soin de ne laisser échapper aucune parcelle de la précieuse poussière, elle sait la valeur inestimable de son butin. Tu acceptes sans sourciller le prix à payer pour les quelques grammes de safran.
Nous ne le ramènerons à personne. Le soir, tu verseras doucement la poussière jaune sous mon nombril et elle égarera ton visage pour ce moment de notre histoire dont je ne dirai rien.

Françoise, Jeu du 12 novembre 2007.

Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 18/11/2007 à 15:19

FRANCOISE C.*

12/11/2007


Mots à insérer :

ECRIRE: écarquiller,écoute- couleur, cadre- rien, route- indécent, innocent- retour, roulotte- euphorbe, exclusion (ou mot de la famille)
jokers: ligne- fin- si






Écrire


Écarquiller les yeux sur le monde environnant, les couleurs. Les sons, oui aussi... les odeurs, le toucher. Rien n'est innocent pour oser les mots, écouter leur sonorité, accepter ce qu'ils disent de nous.
Et puis retour en soi, au plus secret, au plus méconnu de nous-mêmes.
Voilà le premier mot écrit, puis un autre, une idée... Pas tout à fait la même, elle a déjà bougé. En route pour un texte, aucun thème indécent. Mais se poser un cadre, savoir ce qu'on veut dire et à qui l'adresser: dira-t-on l'importance de ce premier lecteur imaginaire et symbolique qui oblige à changer la voiture en roulotte, vous transforme en poète, en tribun, en jardinier spécialiste d'euphorbe.
Écrire tant de lignes qu'on se croit inspiré et puis, soudain, ce mot qui n'est jamais le juste, qui déforme votre expression ou exclu ce qu'il y a à dire, là, sur le bout de la langue. Qui serait lumineux mais qu'on n'écrira plus.

Françoise, Capbreton, novembre 2007







Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 12/11/2007 à 18:42

FRANCOISE C.*

Choisir une photo :
Pourquoi cette photo, quelles sont les émotions, odeurs, souvenirs liés à cette photo.


Jeu du 22 octobre 2007...
Au moulin

Des bouteilles, des assiettes et des verres rustiques, un cadre somptueux, un groupe d'amis que la vie a éloignés les uns des autres, que la mort a frappés. Comment chacun a-t-il puisé dans ces moments la force de rebondir? Dans la solitude, les réponses se tissent.
Savez-vous qu'un grand-père meunier vous donne des exigences de respect de la vie agricole, de nourrit ures saines, d'amour de l'eau, de la nature, du partage? Savez-vous que la rencontre de deux chroniqueurs taurins de renom vous permet d'aimer le spectacle de la corrida que les non-initiés traiteront de violente? Savez-vous que les hiérarchies sociales ne représentent plus rien quand il s'agit de vivre ensemble une semaine, de partager tâches ménagères, élaboration des menus, et tenue des fourneaux, puis départ joyeux pour la fête, farandoles, chants et comptoirs de bar en tous genres; et que dire de la douceur des levers de soleil sur les étangs, des lentes promenades en barque ou des joutes en canoë qui basculent à l'eau jeunes et moins jeunes? Savez-vous que le ciel étoilé de Renung, loin des lumières de la ville est constellé de millions d'étoiles que jamais ailleurs on ne soupçonne ni à Capbreton, Hendaye ou Carcassonne, ni à Agen, Tarbes ou Paris?
Ce jour là, Françoise est à la cuisine. La patouille est restée au fond du placard. Aujourd'hui, l'ensemble des amis offre le repas aux propriétaires du moulin. Jean est allé choisir les foies de canard avec Guy, le voisin, chez sa fille Nadine. Guy tâte leur fermeté, la gauloise maïs au coin des lèvres. Jean rit mais c'est lui qui découpera les tranches, assez épaisses, les salera, les poivrera. Françoise attendra qu'il ai le dos tourné pour frotter les tranches d'un des plats d'armagnac et les couvrira vite d'un torchon. Malgré le Ricard et la gauloise, il garde un nez redoutable.
Melons à la tranche luisante, odorants, cueillis mûrs à Lectoure par ceux d'Agen, accompagnés du jambon entamé pour l'occasion. Chacun, chacune est venu humer la graisse d'un blanc brillant, la chair souple du jambon conservé sous la cendre. Quelqu'un chipe la toute petite tranche du coup de couteau dérapé mais ne fera aucun commentaire.
La table est mise sous la terrasse, le grand saule traîne ses branches et bloque les canoës. Les places à table ne sont pas immuables: tourner le dos à l'étang est un crève-coeur mais demain, les convives changeront de place sur les bancs. Les assiettes ont été mises au chaud, on ne plaisante pas avec le service sous prétexte qu'il fait beau et que la terrasse est le meilleur endroit.
- Vous mangerez dès que l'assiette sera posée devant vous, on n'attend pas. répète Françoise depuis des années. Elle n'a pas enlevé le tablier qui drape la tenue festive.
- Je n'ai pas perdu la main, assure-t-elle en rendant à Jean-Pierre son regard satisfait. Mais l'an dernier, les cèpes du petit bois complétaient bien le plat!
Jean savoure, concentré sur son assiette. Remarquez comme il est attentif à ce qui s'échange, là, tout à côté de lui. Son regard est fixé sur son assiette, pourtant, ce qu'il voit, c'est son ami et son épouse tout à côté de lui. Il sait qu'elle va poser sa main droite sur son épaule à lui en un geste possessif et tranquille et que le sourire plein de gaieté adressé à Jean- Pierre se voilera, pour lui, de douceur et de connivence.
La paille du canotier s'est craquelée, les cheveux bruns ont blanchis et Jean ne mangera plus jamais dans l'assiette blanche mais la surface de l'étang reflète les grands arbres et le ciel d'un bleu estival ; ils donnent une idée d'immuable.

Françoise, Capbreton, octobre 2007






Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 12/11/2007 à 18:41

FRANCOISE C.*

4 éléments à inclure dans un texte :
- lieu : un train,
- objet : une télécommande
- une personne : une femme prénommée Maria
- un moment ; c’est le début du printemps.



Campement


Comme elle aime être réveillée par un cahot plus brutal qui heurte le balancement rythmique de la roulotte. Enfouie sous les couvertures aux couleurs délavées, elle tend l'oreille. Tout le monde somnole encore. Seul papé est sorti, si proche pourtant, son ombre dédoublée par le cadre rigide qui tend la lourde bâche. C'est toujours lui qui harnache les deux chevaux et les attelle. Sans faire le moindre bruit, semble-t-il, ou alors des bruits si familiers qu'ils se fondent avec ceux qui enveloppent chaque nuit les craquements autour du campement, quand ils sont loin de toute agitation citadine. Elle écoute et elle a envie de sourire: rien à entendre? si, bien sûr; les respirations de chacun qu'elle saurait reconnaître entre mille à leurs petits chuintements si personnalisés, quelques soupirs innocents qui crèvent dans le sommeil de sa petite soeur comme une bulle. Là, tout près, de l'autre côté de la bâche qui ne laisse passer aucune couleur, à peine une douceur blanchâtre adoucie qui incite au réveil , elle devine l'asphalte de la route au bruit caractéristique du cercle de fer des roues.
Aujourd'hui, ils se rendent à la foire de Valence. Ils y séjourneront deux semaines comme tous les ans en novembre. Le retour dans l'école qui les a accueillis l'an dernier la remplit d'appréhension et de joie mélangées. Elle garde soigneusement dans un coffre les cahiers de l'an passé. Peut-être retrouvera-t-elle la petite fille aux tresses blondes qui avait accepté qu'elle s'assoie à côté d'elle? Elle a lu tout ce qu'elle a trouvé malgré les regards désapprobateurs de sa grand-mère. Pourquoi ce refus sans nuance des gadjo par les plus anciens? Elle vivra toujours dans une roulotte, épousera un des siens, reprendra le travail d'étamage puisqu'il n'y a pas de garçon dans sa famille. Mais ça non, ne pas exclure le commerce, parler, échanger, accepter les différences, partager le plaisir d'apprendre, échanger quelques herbes aromatiques et les recettes qui les font embaumer de la même façon au travers d'une fenêtre de cuisine ou d'une porte de roulotte.... Grand-mère est excessive, il faut vivre avec son temps. Elle le sait bien d'ailleurs; elle a accepté de peindre le couvercle du coffre à livres et cahiers. Elle était très embarrassée de n'avoir qu'un reste de vert plutôt doux et ce jaune pâle qui en semble une nuance atténuée. Elle a peint une euphorbe polychrome aux pétales si délicats, au feuillage si précis qu'il est bien certain qu'elle participait sans rien en dire à la mise à l'abri des trésors de la jeune fille. Comme elle était savante sur ces fleurs de jardin qu'elle ne posséderait jamais dans sa vie itinérante. Où avait-elle appris leurs noms? Impossible de le lui faire dire!
En fin de journée, les voilà arrivés. Les adultes installent le campement à l'emplacement réservé. Ici, il n'est pas loin du village. Lundi, elle partira avec les enfants du quartier, s'ils l'acceptent ou elle les suivra de loin avec un air d'assurance tranquille qu'elle espère garder quoi qu'il arrive. Sa mère sera déjà passée à l'école avec tous les papiers qu'elle ne sait pas lire mais qu'elle met un point d' honneur à présenter sans l'aide de sa fille, parfaitement complets, d'une présentation irréprochable.
Ce soir, c'est jour de fête, manèges en tous genres et feu d'artifice. Elle choisit une jupe longue fendue sur le côté et une blouse fleurie qui met en valeur ses épaules et sa gorge naissante; ni provocante, ni indécente - les parents et les cousins ne plaisantent pas - . Elle part rejoindre ses deux amies de la roulotte voisine et les voilà sur la place du village. Elles écarquillent les yeux devant le manège dernier cri qu'elles n'avaient jamais vu, même dans les catalogues les plus récents de la profession mais leur bourse est bien plate et la file d'attente bien longue.
Demain peut-être, arrivera-t-elle à convaincre une villageoise qu'elle lit les lignes de la main et qu'elle peut lui prédire un avenir heureux pour une pincée de piécettes. Ainsi le manège sera pour elle aussi.
L'heure du retour est fixée de trop de bonne heure pour toutes les jeunes filles du monde, mais il n'est question ni de discuter ni de désobéir. Elles ne restent pas longtemps devant l'estrade de l'orchestre aux éclats prometteurs, personne n'ose les inviter et elles ont vite épuisé le plaisir de danser ensemble dans un angle de la piste. Lundi, elle ira à l'école comme tous les jeunes qui tourbillonnent autour d'eux. Elle pourra croire qu'elle est comme eux, puis dans quinze jours, au moment du départ, malgré la nostalgie d'une vraie scolarité, elle repartira vers d'autres découvertes, pas eux.

Capbreton, novembre 2007, Françoise C.





Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 12/11/2007 à 18:40