FRANCOISE C.*

09/01/2008


Mots à insérer
PARTAGE : papier pourquoi, ardoise, allumer, rire rose, tressaillir, tempête, agir, accélérer, gage, goûter, être émotion.
JOKERS : quand, et, si.





Mademoiselle Favières


Donner le savoir en partage, c'était sa vie, sa raison d'être...
Le matin, à notre arrivée dans la grande bâtisse de l'école, elle attendait pimpante avec son tablier si particulier: une sur-jupe légèrement froncée qui l' enveloppait parfaitement de la taille à mi-mollets et un bavolet étroit à bretelles croisées dans le dos qui ne protégerait en rien son chemisier à col festonné de la poussière de la craie.
-Allez savoir pourquoi elle ne veut pas un autre modèle s'exclamait ma grand-mère couturière chaque fois que mademoiselle Favières venait commander son tablier d'école, le tissu à carreaux rose et violet sagement plié dans le papier bleu du magasin de la place.
Quelle émotion pour moi quand ma grand-mère annonçait sa venue, en général à l'heure du goûter du jeudi; je guettais le coup de sonnette et bien que ce ne sois avertie, je tressaillais d'un mélange d'appréhension et de joie. Pensez donc, mademoiselle chez moi et demandant quelque chose qu'elle ne savait pas faire! quelle émotion! Inutile de m'expliquer qu'il valait mieux ne pas raconter les essayages, je savais la qualité de ce secret, justement parce qu'il n'avait jamais été énoncé.
Deux fois par jour, il fallait monter le vélo sur le perron de l'école et le ranger dans le grand couloir sombre. J'aimais le poser dans l'encoignure sous l'escalier avant de descendre dans la cour tout au fond du couloir. J'aimais surtout arriver assez tôt pour surprendre la porte de la salle à manger de l'appartement ouverte sur les lourds meubles encaustiqués et l'énorme bouquet de saison au milieu de la table. Je me souviens des dalhias à grosses fleurs roses et mauves comme le tablier, pareils à ceux que ma grand-mère cultivait avec passion dans le coin de jardin dérobé au potager. J'accélérais ensuite pour sortir à la rencontre des camarades jouer aux gages, aux statues ou avec la longue corde à sauter dans laquelle nous pouvions rentrer à deux selon des codes de préséance qu'il s'agissait de respecter.
Les jours de tempête, nous trouvions un grand poële allumé dans un grand débarras au fond à droite; nous y déposions nos imperméables trempés autour d'une grande grille et échangions nos chaussures trempées pour les chaussons tiédis au foyer rougeoyant.
En classe, interrogation de calcul mental; il fallait écrire les résultats sur l'ardoise et la lever à la demande. Quelle joie d'être la plus rapide puis de s'appliquer aux pleins et aux déliés pour les devoirs écrits à l'encre violette, à deux carreaux de la marge, séparés d'un double trait de sept carreaux de large espacés de trois carreaux. Quel casse-tête quand elle s'obstinait devant une faute ou une erreur: cherche pourquoi tu as écrit de cette façon, cherche pourquoi tu as pensé à ce raisonnement, à cette opération...Le plus souvent une réponse, et quelque fois, je pouvais dire dans un souffle: je le sais mais je ne veux pas le dire...Son rire alors, doux comme une approbation, une connivence au plus intime de ce qui se partage au delà des mots; plus tard, un métier où aider les enfants à comprendre pour eux-mêmes ce qu'il y a d'essentiel dans cette relation perturbée à l'écrit, merci Mademoiselle Favières.


Françoise, Capbreton, décembre 2007






Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 09/01/2008 à 19:07