FRANCOISE C.*

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Jeu du 22 octobre 2007...
Au moulin

Des bouteilles, des assiettes et des verres rustiques, un cadre somptueux, un groupe d'amis que la vie a éloignés les uns des autres, que la mort a frappés. Comment chacun a-t-il puisé dans ces moments la force de rebondir? Dans la solitude, les réponses se tissent.
Savez-vous qu'un grand-père meunier vous donne des exigences de respect de la vie agricole, de nourrit ures saines, d'amour de l'eau, de la nature, du partage? Savez-vous que la rencontre de deux chroniqueurs taurins de renom vous permet d'aimer le spectacle de la corrida que les non-initiés traiteront de violente? Savez-vous que les hiérarchies sociales ne représentent plus rien quand il s'agit de vivre ensemble une semaine, de partager tâches ménagères, élaboration des menus, et tenue des fourneaux, puis départ joyeux pour la fête, farandoles, chants et comptoirs de bar en tous genres; et que dire de la douceur des levers de soleil sur les étangs, des lentes promenades en barque ou des joutes en canoë qui basculent à l'eau jeunes et moins jeunes? Savez-vous que le ciel étoilé de Renung, loin des lumières de la ville est constellé de millions d'étoiles que jamais ailleurs on ne soupçonne ni à Capbreton, Hendaye ou Carcassonne, ni à Agen, Tarbes ou Paris?
Ce jour là, Françoise est à la cuisine. La patouille est restée au fond du placard. Aujourd'hui, l'ensemble des amis offre le repas aux propriétaires du moulin. Jean est allé choisir les foies de canard avec Guy, le voisin, chez sa fille Nadine. Guy tâte leur fermeté, la gauloise maïs au coin des lèvres. Jean rit mais c'est lui qui découpera les tranches, assez épaisses, les salera, les poivrera. Françoise attendra qu'il ai le dos tourné pour frotter les tranches d'un des plats d'armagnac et les couvrira vite d'un torchon. Malgré le Ricard et la gauloise, il garde un nez redoutable.
Melons à la tranche luisante, odorants, cueillis mûrs à Lectoure par ceux d'Agen, accompagnés du jambon entamé pour l'occasion. Chacun, chacune est venu humer la graisse d'un blanc brillant, la chair souple du jambon conservé sous la cendre. Quelqu'un chipe la toute petite tranche du coup de couteau dérapé mais ne fera aucun commentaire.
La table est mise sous la terrasse, le grand saule traîne ses branches et bloque les canoës. Les places à table ne sont pas immuables: tourner le dos à l'étang est un crève-coeur mais demain, les convives changeront de place sur les bancs. Les assiettes ont été mises au chaud, on ne plaisante pas avec le service sous prétexte qu'il fait beau et que la terrasse est le meilleur endroit.
- Vous mangerez dès que l'assiette sera posée devant vous, on n'attend pas. répète Françoise depuis des années. Elle n'a pas enlevé le tablier qui drape la tenue festive.
- Je n'ai pas perdu la main, assure-t-elle en rendant à Jean-Pierre son regard satisfait. Mais l'an dernier, les cèpes du petit bois complétaient bien le plat!
Jean savoure, concentré sur son assiette. Remarquez comme il est attentif à ce qui s'échange, là, tout à côté de lui. Son regard est fixé sur son assiette, pourtant, ce qu'il voit, c'est son ami et son épouse tout à côté de lui. Il sait qu'elle va poser sa main droite sur son épaule à lui en un geste possessif et tranquille et que le sourire plein de gaieté adressé à Jean- Pierre se voilera, pour lui, de douceur et de connivence.
La paille du canotier s'est craquelée, les cheveux bruns ont blanchis et Jean ne mangera plus jamais dans l'assiette blanche mais la surface de l'étang reflète les grands arbres et le ciel d'un bleu estival ; ils donnent une idée d'immuable.

Françoise, Capbreton, octobre 2007






Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 12/11/2007 à 18:41