Pont de Mostar
Démolir les murs et construire des ponts...
La reconstruction du pont de Mostar, c'est reconstruire un pont entre les communautés... Reconstruire la paix !
Article sur la reconstruction du pont de Mostar par http://www.paixbalkans.org/
Un témoignage sur Mostar (juillet 2004)
Nous sommes allés en Bosnie à Mostar. Nous avons rencontré deux français de la SFOR dans leur jeep, ils nous ont dit que tout était calme, que çà se passait bien, et que la SFOR devait partir en septembre.
Dans le quartier historique complètement reconstruit, nous avons parlé avec la fille de l'office du tourisme tout neuf (c'était le 17 juillet, une semaine avant l'inauguration du pont), elle nous a raconté un peu comment elle vivait pendant la guerre en disant qu' elle ne savait pas qui de son voisin était croate catholique ou musulman, ou serbe. Sa maison a été détruite et reconstruite, elle a vécu dans les caves et évitait de sortir à cause des snippers. Elle en avait encore la gorge nouée. Elle, elle souhaite que la SFOR ne parte pas encore, car elle a peur que "çà" revienne, s'ils sont laissés entre eux. Nous, on n'a rien senti, mais il y a encore des haines entre les deux côtés du pont qui mettront longtemps à se guérir. Nous, on est passé des deux côtés du pont, mais eux ne le font pas encore. On a parlé aussi du côté musulman avec des bosniaques qui nous ont fait visiter leur mosquée, reconstruite elle aussi. Tout le vieux quartier a été reconstruit avec des fonds Unesco et européens. Mais ailleurs, il y a encore beaucoup de ruines.
Dans la vallée, beaucoup de maisons neuves de croates bosniaques réfugiés aux USA et qui reviennent.
Une guerre pour rien, puisque les accords de Dayton ont remis les frontières là où elles étaient au départ.
En Croatie, on ne voit plus grand chose, à part les toits tous neufs de Dubrovnik, et les photos. Il y a aussi les grands hôtels de l'époque Tito qui n'ont pas été repris et sont laissés pour certains à l'abandon, quelques traces de balles sur les murs. On a du mal à croire en voyant ce pays magnifique et les gens vivre comme nous, qu'ils ont vécu cette horreur. A Dubrovnik, il y a une salle qui retrace les moments de la guerre, il y a eu 200 morts, tous des jeunes de 19,20 ans qui se sont battus pour défendre la ville. J'en avais les larmes aux yeux d'être là où çà s'est passé.
Brigitte Beaumanoir.
samedi 24 juillet 2004, 10h00
La Bosnie inaugure le Vieux Pont de Mostar onze ans après sa destruction
La Bosnie a inauguré vendredi soir le Vieux Pont de Mostar, détruit par l'artillerie croate en 1993 et reconstruit à l'identique, un symbole visant à faire revivre un passé de vie harmonieuse entre les différentes ethnies de ce pays ravagé par la guerre (1992-1995).Les cérémonies qui ont débuté avec l'hymne national bosniaque se sont achevées vers minuit (22H00 GMT) par un spectacle pyrotechnique.
A la fin des cérémonies, les dirigeants étrangers y participant -- dont les présidents d'Albanie, de Bulgarie, de Croatie et de Serbie-Monténégro et les ministres des Affaires étrangères français, italien et néerlandais -- ont franchi le pont suivis par des habitants de Mostar.
Des milliers de personnes étaient massés dans les ruelles menant au Vieux Pont (Stari Most).
Des responsables de l'Union européenne (UE) et de l'Onu ont appelé les communautés de Bosnie à la réconciliation.
"Certains s'opposent encore à la réconciliation. Pourtant, notre présence ici symbolise la réconciliation", a indiqué dans un communiqué, Jacques Paul Klein, le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU Kofi Annan.
Le membre musulman de la présidence tripartite de Bosnie, Sulejman Tihic, a affirmé que cet événement contribue a "renforcer les bases d'une Bosnie multi-ethnique, multi-confessionnelle et multi-culturelle, où se rencontrent les civilisations de l'Est et de l'Ouest".
Héritage de la tradition byzantine, le Vieux Pont fut construit en 1566 par Mimar Hajrudin, un élève du fameux architecte Sinan, père de l'architecture ottomane classique.
Le pont, une arche en dos d'âne, avait une ouverture de 27 mètres, 4 mètres de largeur et 30 mètres de longueur. Sa hauteur était de 20 mètres par rapport au niveau de la rivière. Flanqué par deux tours fortifiées, la Halebija, sur la rive droite, et la Tara, sur la rive gauche, le pont avait une seule arche voûtée. Il était composé de 456 blocs de pierre calcaire.
Les 1.088 pierres utilisées ont été taillées à la main selon les techniques utilisées à l'époque de son construction initiale.
Au début de la guerre de Bosnie, les forces croates et musulmanes ont combattu ensemble l'armée serbe de Bosnie, mais en 1993 un conflit long de 11 mois a éclaté entre les anciens alliés. Les belligérants se sont ensuite réconciliés sous la pression de la communauté internationale.
Mostar est toujours divisé entre les communautés croate et musulmane qui peuplent les deux rives de la Neretva, enjambée par le Vieux Pont. La plupart des Serbes y habitant ont fui la ville pendant la conflit.
L'élégant pont en marbre blanc est un symbole depuis son achèvement en 1566. "C'est un pont qui son âme propre", souligne Sulejman Kupusovic, en charge des cérémonies de réouverture.
Après avoir survécu à de nombreux conflits au fil des siècles, il est tombé dans la rivière en 1993 victime des tirs des chars bosno-croates. Longtemps un symbole de la rencontre entre l'orient et l'occident, et de l'islam et du christianisme, il est soudain devenu celui de la guerre en Bosnie, qui a fait 260.000 morts et 1,8 million de personnes déplacées.
« Lorsqu’un pont est brisé, il en reste le plus souvent, d’un côté ou de l’autre, une sorte de moignon. Il nous semblait d’abord qu’il s’était écroulé tout entier sans rien laisser, en emportant avec lui une partie du rocher, des tours de pierre qui le surplombaient, des mottes de la terre d’Herzégovine. Nous vîmes plus tard des deux côtés qui le soutenaient de vraies cicatrices, vives et saignantes », écrit Predrag Matvejevitch (1), écrivain né à Mostar en 1932 (d’un père russo-ukrainien et d’une mère croate) qui ne cesse de revendiquer son « impureté ethnique ».
Stari Most est classé sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Les travaux de reconstruction se sont élevés à environ 12 millions d'euros.
Quatre mois seulement après l’effondrement du pont, alors que la Bosnie-Herzégovine était en pleine guerre, l’UNESCO a lancé, le 10 mars 1994, un premier appel pour sa reconstruction et a envoyé en juin une mission qui a proposé des mesures d’urgence.
L’Accord de Dayton, signé en décembre 1995, qui propose un cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine, a créé une Commission pour la préservation des monuments nationaux et confié au Directeur général de l’UNESCO la responsabilité de nommer deux de ses cinq membres, dont le président.
Le 13 juillet 1998, l’UNESCO, la Banque Mondiale et les autorités municipales ont lancé un appel conjoint pour la reconstruction du Vieux pont, auquel ont répondu cinq pays donateurs (Croatie, France, Italie, Pays-Bas, Turquie), ainsi que la Banque de développement du Conseil de l’Europe.(2)
Alors que la Banque mondiale avait la responsabilité de la partie financière du projet et que la ville de Mostar avait celle de sa gestion et de la distribution des fonds, le rôle principal de l’UNESCO a été d’assurer une coordination scientifique et technique.
A cette fin, elle a nommé en octobre 1998 un Comité international d’experts (3) pour la reconstruction du Vieux pont et la réhabilitation de la vieille ville de Mostar avec mission de veiller à la qualité et à l’organisation des travaux.
Le Vieux pont a été reconstruit avec des matériaux locaux – pierres du type « ténélija » et « bretcha » que l’on trouve dans les carrières voisines – et selon des méthodes traditionnelles, avec des outils tels que des voussoirs, des crampons et des tenons. Après deux ans de recherches scientifiques et archéologiques, les travaux de reconstruction ont commencé le 7 juin 2001, en présence des présidents de Bosnie-Herzégovine et d’Italie. Le 14 avril 2003, la première pierre de l’arche a été posée, en présence de nombreux habitants de Mostar. La reconstruction a été achevée en avril cette année.
Les travaux n'ont vraiment commencé qu'en juin 2002, après que les ouvriers eurent retiré du fond de la Neretva les débris provenant de la destruction de l'ouvrage.
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1. Predrag Matvejević : « Ce pont entre Orient et Occident », in Stari Most / Le Vieux Pont de Mostar, par Gilles Péqueux et Yvon Le Corre, Gallimard & Partenaires, 2002.
2. Le projet, d’un coût total de 15,4 millions de dollars, a été financé par un crédit de la Banque Mondiale (4 millions de dollars), et des dons de l’Italie, les Pays-Bas, la Croatie et la Turquie. L’Union Européenne et le gouvernement de France ont fourni des services techniques. La ville de Mostar a octroyé pour sa part 2 millions de dollars.
3. Membres du Comité :
Prof. Leon Pressouyre, Président (France)
Mounir Bouchenaki (UNESCO)
Azedine Beschaoush (Tunisie)
Laurent Levi-Strauss (UNESCO)
Prof. Cevat Erder (Turquie)
Prof. Zlatko Langof (Bosnie-Herzégovine)
Prof. Milan Gojkovic (décédé, Serbie et Monténégro)
Prof. Radovan Ivancevic (décédé, Croatie)
Ferhat Mulabegovic (Bosnie-Herzégovine)
Machiel Kiel (Pays-Bas)
Prof. Girlu Necipoglu (Turquie)
Prof. Giorgio Macchi (Italie)
Prof. Eddy de Witte (Belgique)
Prof. Gabi Dolff-Bonekamper (Allemagne)
Prof. Mihailo Muravljov (Bosnie-Herzégovine)
Sources : http://www.starimost.ba/index.html
Rencontre avec Gilles Péqueux, ingénieur responsable de la reconstruction du pont de Mostar
RÉDIGÉ PAR CYRIL HAULAND GROENNEBERG
samedi 1er mars 2003
A l'occasion de la « Journée du Courrier des Balkans », le CdB recevait le premier mars dernier M. Gilles Péqueux, ingénieur en charge de la définition, la coordination, et la supervision des études pour la reconstruction du Pont de Mostar. Le CdB tient ici à remercier Cyril Hauland Groenneberg pour la retranscription de cette rencontre.
Introduction de Boris NAJMAN, Vice-Président de l'Association Sarajevo
Un petit mot pour dire qu'on a tous en tête des images de la destruction du Pont de Mostar pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine. Ce pont a été détruit deux fois. Je me souviens qu'il y avait des planches et des pneus pour le protéger. Je pense qu'il faut réfléchir sur la volonté délibérée de la destruction du Pont. Car le Pont de Mostar, dans sa destruction, est emblématique de cette volonté de destruction. J'ai découvert ce pont à 20 ans, au temps où la ville de Mostar était une ville avec une humanité particulière. Je me souviens que la première chose que l'on voyait, c'était ce pont qui brillait comme la ville. Il donnait l'impression d'être un pont en porcelaine tellement il brillait. C'était comme un miracle, un enchantement de voir la tenue architecturale de ce pont, offrant une vision très légère. Ce pont était aussi un lieu de rencontres, de jeux, d'histoires d'amour… Je ne vous en dis pas plus et laisse la parole à Gilles PEQUEUX.
Intervention de Gilles PEQUEUX, Ingénieur en charge de la définition, la coordination, et la supervision des études pour la reconstruction du Pont de Mostar
Je suis arrivé en Bosnie-Herzégovine en 1994, avec l'Union européenne. Je suis ingénieur de formation. En 1994, on avait fait le pari de faire travailler des gens de Mostar Ouest et Mostar Est. En plus des six ou sept ponts de Mostar détruits avec le vieux Pont (Stari Most), j'ai participé à la reconstruction de ponts sur la Drave. J'ai été chef de projet pour le pont de Mitrovica, et dernièrement sur le pont de Novi Sad. Du fait de mon expérience antérieure, les autorités de Mostar m'ont fait confiance pour mener à bien le projet, qui a commencé à se finaliser à partir d'août 1998.
Concernant l'exposé proprement dit, je ne vais pas entrer dans les détails techniques de la construction du pont. Je voudrais simplement commencer par dire qu'autant à Dubrovnik, la destruction de la ville a été vécue comme une véritable agression, autant à Mostar, la destruction du Pont et d'une bonne partie de la ville a été vécue comme un véritable cauchemar. La destruction du Pont de Mostar a été vécue comme tellement insupportable que les habitants n'ont pas voulu le voir. Aussi, quand on commence un projet comme ça, il faut s'imaginer que les gens voient toujours le pont tel qu'il était. Le problème, c'est que le deuil de la destruction n'a pas été fait. Ce qui est un peu terrible dans ce projet, c'est le rapport avec une population un peu dépassée et une communauté internationale qui va mettre la pression pour reconstruire le Pont afin d'accélérer la réconciliation.
Le danger à court ou moyen terme est que l'on risque de se retrouver avec un greffon qui ne prendra peut-être pas. La première question à se poser, c'est pourquoi on reconstruit le Pont de Mostar et comment. D'abord pourquoi on reconstruit le Pont. On fait d'abord sur le site du Pont une archéologie du bâti, puisqu'il n'existe plus de traces de ce Pont, ou quasiment plus. Mais imaginons-nous et transportons-nous l'espace d'un instant en l'an 2 500, et que l'on voit ce Pont construit en 2003, ou plutôt reconstruit à l'identique de ce qu'il était 150 à 200 ans après la chute de l'Empire ottoman dans cette partie de l'Europe. La question posée sera de savoir pourquoi ce Pont a-t-il été détruit et reconstruit à l'identique, alors que l'Empire qui l'a construit a disparu. Mais aujourd'hui, un autre problème qui se pose est que tout le monde doit retrouver « son » Pont avec ses qualités et ses défauts. Sachant que les pierres assemblées pour la reconstruction du Pont ne remplaceront pas le deuil du Pont détruit. Ce sera en quelque sorte un « nouveau vieux Pont » reconstruit avec les mêmes techniques de construction. Ce pont sera avant tout celui des « Mostari », c'est-à-dire celui des habitants ayant connu le vieux Pont de leur vivant.
Le projet se situe plus dans l'acte de reconstruction lui-même, et la façon de le mener : le Pont reconstruit ne sera ni une copie, ni une imitation, mais un état d'esprit que l'on a essayé de retrouver avec l'archéologie du bâti. L'idée est d'arriver à retrouver l'état d'esprit d'Iroudin, Turc qui est arrivé avec deux ou trois autres turcs et une trentaine de personnes de la région. Ce qu'il faut noter, c'est qu'en Orient, on a une façon différente de tailler la pierre par rapport à l'occident (entendu jusqu'à Venise pour l'Europe de ce point de vue-là). Le côté émouvant de cet ouvrage construit au XVI° siècle est qu'il est plus proche d'une sculpture collective qu'un ouvrage d'art classique. Je dis sculpture collective, car la beauté de l'ouvrage réside dans le fait qu'il est un ensemble d'erreurs corrigées avec un mélange de savoirs faire orientaux et occidentaux. Mostar, c'est en quelque sorte là où l'Orient et l'Occident se sont tendu la main. Et je pense que l'ouvrage sera réussi si on arrive à remettre les gens à travailler ensemble avec un état d'esprit commun. Personnellement, je suis assez pessimiste sur ce point. Et c'est une des raisons pour laquelle je suis en désaccord avec l'avancement du projet.
Débat avec l'assistance
Intervention dans la salle : Il est important de préciser que vous avez ouvert des écoles de taille de pierre.
Gilles PEQUEUX : Oui, c'est vrai que pour moi, il était important que cet acte de reconstruction soit une ré-appropriation. Il n'était pas question de faire revenir des gens d'Italie, d'Allemagne, ou de France pour construire le pont et s'en aller après la construction. J'ai donc ouvert une école de taille de la pierre avec deux sessions de six mois pour une quinzaine de personnes. Ils nous ont impressionnés, parce qu'ils ont déployé une énergie fantastique. On a volontairement travaillé sur l'histoire des techniques à partir d'une étude des monuments religieux. Le problème est que la Bosnie-Herzégovine est un pays qui tend à être considéré par les autres pays comme un marché international où il faut savoir se positionner. On reproche souvent à ce pays de pas avoir su utiliser l'argent qu'on lui avait généreusement octroyé. Moi, je reproche à la communauté internationale d'avoir distribué de l'argent sans s'être intéressé véritablement à ce pays.
Question : Pourquoi pensez-vous que la reconstruction du Pont est vouée à l'échec ?
Gilles PEQUEUX : Pour moi, ça risque d'être un échec parce que le Pont de Mostar est plus un projet politique qu'un projet de reconstruction. On n'a jamais reconstruit un tel pont, cela ne s'est jamais fait. Et le problème est que la seule chose qui intéresse la communauté internationale, c'est l'inauguration du Pont. Mais, comme quand on veut faire un enfant, il faut neuf mois pour le concevoir, et pas six mois, sinon c'est raté : pour le Pont, c'est pareil. Aujourd'hui, l'entreprise qui est maître d'ouvrage, c'est-à-dire qui construit le Pont est turque, le maître d'œuvre est croate, avec un peu de Bosniaques. Notons que côté croate, il y a un peu la volonté de racheter la « faute » d'avoir détruit le Pont. Aujourd'hui, on a un peu oublié la technicité de l'ouvrage.
Question : Le problème n'est-il pas que la population est écartée de la réalisation du projet ?
Gilles PEQUEUX : Je suis de ceux qui pensent que les grands ouvrages naissent des grandes puissances. Le Pont de Mostar est né du rayonnement de l'Empire ottoman. Pour ce positionnement de la population, vous avez tout à fait raison. On a besoin d'avoir un retour sur le projet. Les autorités mostaroises sont un peu victimes des pressions de la Banque Mondiale. Car la « communauté internationale » se pose deux questions pour elle fondamentale : 1) l'aide coûte cher. 2) À partir de là, comment on fait pour partir au plus vite pour ne pas payer trop. La stratégie, c'est donc on reconstruit le Pont dans les plus brefs délais, et on s'en va. Or, la reconstruction, c'est un moment historique, au sens où c'est quelque chose qui prend du temps.
Boris NAJMAN : La reconstruction n'a pas eu pour objet de considérer les victimes comme premiers destinataires de la reconstruction.
Question : À quelle phase de la reconstruction en est-on ?
Gilles PEQUEUX : Le contrat du chantier a été signé en septembre 2002. Pour ma part, j'ai fini mon contrat à fin février 2003 avec toute la mise en œuvre du projet commencé depuis août 1998. Aujourd'hui, les fondations sont faites, et les premiers éléments de l'arche seront posés au mois de mars 2003. Le projet devrait être finalisé d'ici à la fin de l'année. Les autorités politiques de Mostar suivent les consignes données par la Banque Mondiale.
Question : Où en est le projet de l'école des tailleurs de pierre ?
Gilles PEQUEUX : Le projet est très avancé à ce niveau-là, et je pense que les autorités n'ont pas souhaité plus que cela que je reste, peut-être parce qu'ils ont eu peur que cela ralentisse le projet. L'ambassadeur de France a pris bonne note que les autorités de Mostar ne souhaitent pas que la France continue à s'investir dans ce projet. C'est dommage, car Mostar aurait pu être inscrit comme patrimoine mondial de l'humanité par l'U.N.E.S.C.O. dont le siège est à Paris. Les tailleurs de pierre de Mostar connaissent bien le travail de la pierre et maîtrisent sa technique, mais les autorités de Mostar et la Banque Mondiale ont décidé que les tailleurs de pierre turcs étaient moins chers. Je tiens à remercier quand même l'ambassadeur de France de m'avoir soutenu jusqu'à la fin.
Question : que pensez-vous de la reconstruction de Mostar dans son ensemble ?
Gilles PEQUEUX : Vous savez peut-être que l'U.N.E.S.C.O. a publié un plan de reconstruction de la « Stari grad » (vieille ville). Maintenant, vous savez ce qu'est la situation économique et sociale de la ville de Mostar. Il y a beaucoup de constructions illégales. Je pense que s'il reste une chance de préserver la ville de l'anarchie de la reconstruction, ce serait l'inscription de la ville au patrimoine mondial de l'U.N.E.S.C.O.. Et au niveau de la reconstruction du Pont, le rôle de l'U.N.E.S.C.O. aurait dû être de dire quels sont les choix du projet qui font que l'on reste proche de l'état d'esprit de la construction originale, c'est-à-dire en fait l'absence de normalisation. Il faut savoir dire quelquefois : « Je ne sais pas et je laisse faire les tailleurs de pierre » en leur faisant confiance, comme ça c'est fait à l'époque de construction du Pont original. Tout en se posant d'autres questions plus pertinentes comme : « est-ce que je fais du mortier avec des techniques traditionnelles ou avec des techniques modernes » ?
Reporter 23 janvier 2002 (Traduit par Jasna Tatar) Bosnie :
Reconstruction du pont de Mostar
« Nous allons bientôt avoir les transports publics communs », dit Tomic, le maire de Mostar. Il énumère les démarches entreprises pour normaliser la vie dans sa ville où même le climat marque les différences : mardi dernier, une partie de ville était couverte de neige tandis que dans l'autre, il pleuvait !
Par Mirza Cubro
Les tours à ses deux extrémités seront également rebâties, ainsi qu'une partie de la vieille ville. Les bâtiments Napredak, Vladikin Dvor et Vakufski Dvor figurent également sur la liste des restaurations qui devront être effectuées avant la fin de l'année prochaine. Le projet de réhabilitation, qui coûte environ 15,5 millions de Dollars, est financé par la banque mondiale et plusieurs gouvernements européens. Le directeur de l'unité de reconstruction du vieux pont, Rusmir Cisic, déclare que l'assainissement du monument, ainsi que celui de plusieurs bâtiments de la vieille ville, est terminé. Reste à choisir la firme qui reconstruira l'arc du vieux pont. Avant la fin 2003, l'ouvrage assurera la communication entre les deux parties de la ville ou même la neige ne tombe plus en même temps. Cisic nous renseigne sur la nature et la durée du chantier : « Le contrat avec l'exécuteur des travaux sera signé fin mars. A ce moment-là, on montera l’ échafaudage et on passera à la reconstruction de l'arc. Le niveau de la Neretva conditionne la date précise du commencement des travaux. Le pont sera identique à celui bâti par Mimar Hajrudin. La technologie utilisée sera moderne, mais les matériaux seront les mêmes. Nous emploierons la même pierre 'tenelija' que celle utilisée jadis par Hajrudin. Nous avons déjà fait tailler 1088 blocs. » Le nouveau pont sera donc bâti avec la même pierre que l'ancien ouvrage détruit lors de la dernière guerre. La reconstruction est contrôlée par les experts de la protection du patrimoine culturel et historique de l'Unesco. L'adjoint de Cisic, Tihomir Rozic, précise que les travaux ne se limitent pas à la reconstruction des objets détruits pendant la guerre : « Les représentants de tous les peuples de Bosnie-Herzégovine participent au chantier. La fin de la reconstruction symbolisera la renaissance des liens entre ces populations. » Rozic pense que toute la Bosnie-Herzégovine devrait s'inspirer de l'exemple de Mostar : « Si tout le monde dans ce pays faisait comme nous, nos problèmes seraient moins nombreux. » Cependant, six ans après la guerre, Mostar demeure une ville divisée.
Les citoyens de la partie Est n'ont pas droit de se faire soigner dans la partie Ouest. Le réseau téléphonique n'est pas unifié. Le maire, Neven Tomic, nous explique le particularisme de Mostar : « La ville fait partie de la Hercegovacko-Neretvanska Zupanija ( département d'Herzégovine et de Neretva ) et de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Pour que Mostar puisse fonctionner comme une ville normale, toutes les instances du pouvoir devraient prendre part à la mise en place d'une législation et d'une structure qui le permette. » Tomic ajoute que la police municipale sera multiethnique. Sa création est en cours. Nombre de problèmes seront ainsi résolus, et cela au bénéfice de tous les citoyens. Il y a quelques jours, des citoyens de Mostar ont dû parcourir 10 à 12 kilomètres pour immatriculer leur voiture ou pour obtenir une carte d'identité. Tomic énumère les démarches entreprises pour normaliser la vie dans la ville où même le climat marque les différences : mardi dernier, une partie de ville était couverte de neige tandis que dans l'autre, il pleuvait ( ! ) : « Je pense que la formation de la police municipale sera terminée au printemps. Nous nous occupons également de l'eau.
La ville a toujours été desservie par une seule entreprise. Nous allons bientôt avoir les transports publics communs. » Le maire adjoint de la ville, Hamdija Jahic, s'amuse des caprices de la météo : « Cette fois, c'était une division Nord-Sud et non pas Est-Ouest. Ce n'est donc pas de notre faute ! » Il poursuit en expliquant à notre journal que le budget municipal a été adopté : « Nous avons réservé environ 2,6 millions de Marks pour que des citoyens de Mostar puissent retourner dans les maisons qu'ils occupaient avant guerre. Si le budget est bouclé de façon satisfaisante, je crois que nous pourrions donner plus de moyens encore pour les retours. » Tomic et Jahic déclarent avoir une excellente coopération. Ils signent ensemble toutes les décisions importantes, y compris celles qui concernent les dépenses budgétaires. Pour eux, la reconstruction du vieux pont symbolise le resserrement des liens entre les habitants de Mostar et le pays tout entier. Tomic déclare : « Les pyramides de Kheops sont les monuments les plus photographiés. Le vieux pont de Mostar occupait la deuxième place. Ceci suffit à expliquer l'importance économique de sa reconstruction. Je suis sûr que le pont et la vieille ville redeviendront des attractions touristiques. » Nos interlocuteurs révèlent que les citoyens de Mostar sont impatients de voir resurgir le pont. Ils étaient sceptiques au début des travaux. Aujourd'hui, ils viennent dans les bureaux de l'unité de reconstruction pour demander la date à laquelle l'ouvrage reliera de nouveau les deux rives de la Neretva. ( Mise en forme : Stéphan Pellet )
En ex-Yougoslavie, la destruction du patrimoine culturel a brisé l’identité commune des citadins, et satisfait un rêve archaïque dans les campagnes.
En 1991, juste après la fin de la guerre froide, les Européens de l’Ouest ont eu un choc en regardant leur petit écran. Ils y ont vu un déluge de bombes s’abattre sur la petite cité de Vukovar, sur les rives du Danube, tandis que des volutes de fumée s’élevaient au-dessus de Dubrovnik, «le joyau de l’Adriatique», inscrit sur la Liste du patrimoine mondial. La ville de Mostar se trouve au Nord-Ouest de Dubrovnik (à approximativement 150 kilomètres). Elle est la plus grande ville de l'Herzégovine et la deuxième du pays (après Sarajevo, la capitale).
Une localité s'est développée sur une petite agglomération antique. Au XVe siècle les archives mentionnent une place forte à l'endroit où l'on passait d'un bord à l'autre de la rivière Neretva par un pont suspendu. Cette fortification fut prise par les Ottomans durant le troisième quart du XVe siècle.
Dès 1475, un premier quartier (mahala) musulman (avec une mosquée et des bains) s’établit au bord de la rivière, au nord du lieu de passage. Le noyau du bourg musulman s'est formé de part et d'autre du pont de pierre construit en 1566 (sous le gouvernement de Karadjoz beg). Ce pont qui donna son nom à la ville (mostar vient du mot serbo-croate most qui signifie "pont") permit le développement du transport et favorisa l'essor du commerce. Quand la Bosnie-Herzégovine passa sous administration austro-hongroise, la ville de Mostar connut une nouvelle époque d'essor économique et urbain.
La ville, exceptionnelle par l'ensemble de ses habitations et monuments réunis dans un urbanisme harmonieux qui s'est développé au long des siècles en fonction des conditions géographiques et économiques, était célèbre pour sa douceur de vivre. Jusqu'à l'époque contemporaine, la ville a conservé son caractère: lieu célèbre de production artisanale et important centre d'échanges commerciaux. Malheureusement, comme partout en Europe, des immeubles souvent hors-échelle ont été construits à Mostar pendant les années 1960. Pourtant, dans l'ensemble, la vieille ville avait conservé son cachet médiéval.
Le vieux pont de Mostar, Stari Most
Le "vieux pont" avait permis le développement de la ville et sa prospérité. C'était la raison d'être de la ville. Malgré des travaux de renforcement parfois incompatibles avec les principes modernes de restauration, cet ouvrage se trouvait en parfait état avant le début des hostilités dans la région.
Le vieux pont de Mostar avait été construit en 1566 par Mimar Hajrudin, un élève du fameux architecte Sinan (père de l'architecture ottomane classique). Le pont était une arche en dos-d'âne qui avait une ouverture de 27 mètres, 4 mètres de largeur et 30 mètres de longueur. La hauteur du pont était de 20 mètres, par rapport au niveau de la rivière en été (niveau maximum). Le pont était flanqué de deux tours fortifiées, la Tour Halebija (rive droite) et la Tour Tara (rive gauche), toutes les deux datant - dans leur état antérieur au conflit armé - du XVIIe siècle. La solidité de cet ouvrage était telle qu'il résista lorsque, pendant la Deuxième Guerre mondiale, des tanks nazis le traversèrent . Avant la destruction de novembre 1993, le principal danger qui guettait le pont était l'érosion due à l'humidité, mais le processus de dégradation était toutefois bien maîtrisé.
Article sur la Save... par Le Monde Diplomatique
DE LA HONGRIE À LA BOSNIE-HERZÉGOVINE
LE MONDE DIPLOMATIQUE | novembre 2002 | Pages 12 et 13
http://www.monde-diplomatique.fr/2002/11/DERENS/17047
Dans les « corridors de développement » de l’Union européenne
Projets réels ou effets d’annonce ?
L’Union européenne a créé plusieurs « corridors de développement », censés favoriser l’essor économique en stimulant les échanges dans le continent, par la réunion des voies terrestres, ferroviaires et fluviales. Plusieurs d’entre eux concernant les Balkans. Toutefois, faute de budget spécifique, ces projets sont largement tributaires d’investissements privés et risquent de ne pas contribuer significativement à réduire les écarts régionaux.
Le corridor Vc, que nous parcourons ici de Vienne (Autriche) au port croate de Ploce, se heurte en outre aux effets durables des guerres de l’ex-Yougoslavie. La Croatie a toujours du mal à tourner la page de la guerre, et la Bosnie-Herzégovine se trouve placée sous quasi-protectorat international depuis 1995. Quant à la liberté de circulation, elle connaîtra un nouveau recul avec l’intégration annoncée de la Hongrie à l’Union, qui dressera de nouvelles frontières avec les Etats des Balkans...
Par Jean-Arnault Dérens
Journaliste, co-rédacteur en chef du Courrier de la Biélorussie.
Le corridor de développement européen Vc, qui doit relier Budapest au port croate de Ploce, en traversant toute la Bosnie-Herzégovine, est un concept : il existe sur les cartes, mais ne se voit pas encore dans le paysage. Il devra pourtant canaliser et amplifier les flux d’échanges entre des régions qui, il y a quelques années, étaient encore en guerre. Mais seuls quelques pionniers à l’optimisme indécrottable croient que ce corridor pourra contribuer à refermer les blessures des conflits. Quant au développement économique, beaucoup préfèrent en sourire.
C’est à Budapest que plusieurs des corridors de développement doivent s’entrecroiser, confirmant le rôle de carrefour de la capitale hongroise. Dans les environs, les lignes de chemin de fer traversent des banlieues pavillonnaires qui dénotent la tranquille prospérité dont jouissent les nouvelles couches moyennes du pays. En avril 2002, la droite nationaliste de M. Viktor Orban a été balayée au profit des socialistes - ces anciens communistes devenus de chauds militants de la libéralisation de l’économie et de l’intégration européenne du pays. Le scandale provoqué, quelques semaines plus tard, par les révélations sur le passé de M. Peter Medgyessy, le nouveau premier ministre, ancien informateur de la police politique, ne sont pas de nature à remettre en cause la solide orientation pro-européenne du pays.
La Hongrie se sait centre-européenne, et veut se tourner sans cesse davantage vers l’ouest du continent. Le Sud ne figure donc pas dans les priorités du pays, sauf pour les migrations estivales. Sur les côtes de la Dalmatie et du Monténégro, les Hongrois représentent des touristes au pouvoir d’achat de plus en plus apprécié, mais les hommes d’affaires de Budapest ne se préoccupent guère des pays anciennement yougoslaves. Même le directeur du port de Ploce, à l’autre extrémité du corridor Vc, reconnaît que le marché hongrois ne dépend en aucun cas de ce port. La Hongrie est enclavée dans les terres, et son économie ne compte guère, pour son développement, que sur les voies de communication terrestre, accessoirement sur le Danube.
« Rien de concret »
Entre la Hongrie et les contrées plus méridionales, l’intérêt est à sens unique. Au printemps 2002, une noria de camions bosniaques met le cap vers la Hongrie pour acquérir des semences agricoles que la Bosnie et la Croatie sont toujours incapables de produire. Depuis le nord de la Bosnie, le voyage vers la Hongrie pourrait ne prendre que quelques heures. Avec le passage des frontières, il faut compter au moins vingt-quatre heures. Les camionneurs bloqués à la frontière croato-hongroise ont entendu parler du corridor Vc, mais doutent fort de sa réalisation : « Pour la Bosnie, il n’y a que des projets, des annonces, mais jamais rien de concret », s’exclame Milos, un chauffeur de Brcko, dans le nord de la Bosnie.
Pour la Bosnie, l’enjeu de ces importations de semences agricoles est vital ; pour la Hongrie, il ne s’agit que d’un marché tout à fait secondaire. L’agriculture bosniaque ne s’est pas remise de la guerre, celle de la Croatie a été sabordée sur l’autel d’une privatisation inéquitable : le marché intérieur a été largement ouvert aux marchandises agricoles provenant des stocks européens, plus compétitives que celles produites localement. Au bout du compte, les produits alimentaires offerts aux consommateurs sont chers, souvent de mauvaise qualité, et l’agriculture croate a été liquidée (1).
Quant aux grands combinats agricoles de la plaine de Slavonie, qui s’étend dès la frontière hongroise passée, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Les plantes transgéniques représentent le seul débouché encore viable. A quelques kilomètres d’Osijek, des centaines d’hectares de céréales sont entourés de barbelés, portant des écriteaux de l’Institut de recherche agronomique de Zagreb.
Restons encore un peu en Hongrie. Ce n’est qu’à Pecs, la grande ville du sud de la Hongrie, que l’on semble s’intéresser un peu au fameux corridor. Au bureau d’information européen, installé dans un coquet palais du centre de la ville, un fonctionnaire brandit des liasses de documents concernant l’adhésion de la Hongrie à l’Union européenne, mais il lui faut effectuer de longues recherches avant de trouver un dossier concernant le corridor. La grande affaire, ici, c’est plutôt l’euro-région qui réunit la préfecture de Pecs, les départements croates de Slavonie et le canton bosniaque de Tuzla. « La région de Pecs possède la même culture que la Slavonie, nous avons très longtemps fait partie de la même communauté historique, l’Empire austro-hongrois, et les deux régions sont caractérisées par le mélange des peuples et des religions. Dans la région de Pecs vivent aussi des Croates, des Serbes, des Ruthènes, des Slovaques, des Ukrainiens, comme en Slavonie », explique ce fonctionnaire, avant d’ajouter avec une moue de regret : « Les liens culturels sont moins forts avec la Bosnie, bien sûr. »
A Osijek, la capitale de la Slavonie croate, l’euro-région compte des militants enthousiastes, comme M. Miljenko Turjaski, responsable de l’Agence pour la démocratie locale, qui fut un opposant résolu au nationalisme du régime croate de Franjo Tudjman. Le projet de l’Agence visait à créer une culture démocratique encore balbutiante et à fournir un contrepoids aux tendances autoritaires du régime. « Nous avons bien sûr des affinités particulièrement fortes avec la Serbie et la Bosnie, parce que nous parlons tous des langues mutuellement intelligibles. Et l’euro-région essaye de redéfinir un espace qui est uni par l’histoire autant que par la géographie », explique-t-il.
Le projet d’euro-région s’est d’abord appuyé sur des pouvoirs locaux, qui échappaient à l’emprise des régimes nationalistes : la ville d’Osijek a toujours été un bastion de l’opposition au régime de Franjo Tudjman, et le canton de Tuzla constitue le fief des sociaux-démocrates bosniaques. Le directeur de la chambre de commerce d’Osijek est, lui aussi, un fervent partisan du projet, mais il reconnaît être plus intéressé par le développement des relations transdanubiennes que par l’intensification des échanges avec la Bosnie. En février 2001, l’Agence pour la démocratie locale a organisé une table ronde sur cet axe transdanubien, qui correspond au corridor de développement VII. La transition démocratique en Yougoslavie a permis la reprise des relations entre la Slavonie et la Voïvodine serbe, mais les échanges fluviaux demeurent encore très limités.
Créateur de l’Agence, M. Damir Juric est maintenant député au Sabor, le Parlement croate, unique élu du Parti régionaliste de Slavonie et de Baranja. Pour lui aussi, le caractère multiethnique de la région constitue l’une de ses principales richesses. Les armées austro-hongroises ont repris la Slavonie aux Turcs au XVIIIe siècle. Dans ces confins, une population mélangée s’est installée, regroupant colons agricoles de toutes origines et colons militaires comme les Serbes, appelés par la cour de Vienne. Les régionalistes croates, particulièrement influents en Istrie - une autre région multiethnique -, opposent clairement le nationalisme, relevant d’un seul groupe ethnonational, au régionalisme, qui réunit autour d’un projet de développement et de démocratisation tous les habitants d’une région.
Cette conception du régionalisme trouve aussi un écho chez les autonomistes de la Voïvodine serbe voisine, et des courants similaires se développent en Transylvanie roumaine. Serait-ce l’apanage des régions multiethniques fortement marquées par l’empreinte historique et culturelle austro-hongroise ? Ou bien est-ce aussi le propre des régions relativement favorisées dans leurs ensembles nationaux, qui essaieraient de trouver des voies spécifiques de développement, quitte à se faire taxer d’égoïsme par les régions moins favorisées ?
La Slavonie n’a pourtant toujours pas refermé la page de la guerre. Juste après la frontière, la petite ville de Beli Manastir a fait partie de la « République serbe de la Slavonie orientale, du Srem et de la Baranja ». L’autorité croate n’a été établie sur cette région qu’après les accords additionnels d’Erdut, en janvier 1998. Marija, une forte dame d’une soixantaine d’années, surveille sa petite-fille qui joue dans un square décoré d’un monument à la gloire de l’Armée rouge, laquelle libéra cette région avant que les partisans de Tito ne puissent y prendre pied. Elle est croate, et n’est revenue dans sa ville qu’en 1999, après huit années d’exil sur la côte. « Là-bas, comme réfugiés, nous recevions un minimum d’aide sociale : ici, il n’y a rien, ni travail ni aide humanitaire. »
Les traces de la guerre sont toujours particulièrement visibles à Vukovar, l’ancienne capitale de la « République serbe de la Slavonie orientale, du Srem et de la Baranja ». Les programmes de reconstruction n’ont véritablement commencé que depuis deux ans, et la ville demeure largement déserte : sur quelque 60 000 habitants avant-guerre, une dizaine de milliers de Serbes y vivraient toujours, tandis que seuls quelques milliers de Croates sont revenus.
Dans les villages de Slavonie, les maisons continuent souvent de porter des panneaux « A vendre », signalant que les Serbes n’ont pas encore fini de quitter la région. M. Turjaski a choisi de vivre dans l’un de ces villages, Tenja, car les prix de l’immobilier y sont particulièrement avantageux. Durant la guerre, ce bourg représentait une position stratégique importante des nationalistes serbes, à partir de laquelle ils pilonnaient la ville d’Osijek. Le plus proche voisin de M. Turjaski est serbe, nullement décidé à quitter sa région natale. En savourant des eaux-de-vie de fruits qu’ils distillent ensemble, les deux voisins rêvent tout haut d’une Slavonie pacifiée.
Rêveur, M. Darko Vargas l’est aussi. Hongrois et longtemps membre du Parti nationaliste croate HDZ, il est devenu maire de la petite commune de Bilje, après la restauration de l’autorité croate, en 1998. Bilje jouxte Osijek, sur l’autre rive de la Drave, qui marque la frontière entre les régions historiques de Slavonie, au sud de la rivière, et de Baranja, au nord. La population de Bilje est majoritairement hongroise, et la commune est surtout connue pour abriter le parc naturel du Kopacki Rid, un vaste ensemble marécageux que M. Vargas voudrait rendre à nouveau attractif pour les touristes.
Pourtant, ici aussi, les traces de l’histoire sont lourdes. Une bonne part du territoire du parc n’a toujours pas été déminée, et, à quelques kilomètres de Bilje, se cache le discret pavillon de chasse de Tikves, qui a abrité plusieurs rencontres entre MM. Milosevic et Tudjman en 1991. Ensuite, ce pavillon aurait servi de maison de repos aux paramilitaires serbes. Le corridor Vc pourrait ramener les touristes étrangers à Bilje, mais, en Croatie, l’écotourisme n’en est qu’à ses balbutiements.
Pour se rendre de Croatie en Bosnie-Herzégovine, plutôt que de passer par le vaste poste de Zupanija, les frontaliers préfèrent utiliser les barges qui traversent la Save, un affluent du Danube qui marque la frontière, et qui permettent d’éviter tout détour. Une de ces barges relie la petite poche croate d’Odjak, enclavée au sein de la Republika Srpska, l’« entité serbe » de Bosnie-Herzégovine, à la Croatie. La petite ville a été dévastée par le conflit, ses habitants croates et musulmans ont été chassés par les forces serbes, avant que les habitants serbes ne s’enfuient à leur tour. Grâce aux donations internationales, la reconstruction de la ville est allée bon train, mais, comme trop souvent en Bosnie, l’activité économique se réduit au néant, hormis quelques trafics transfrontaliers.
Un spectacle de désolation
Bientôt, un nouveau pont devrait être ouvert sur la Save. Le tracé du corridor Vc passe en effet par la petite ville de Samac, en Republika Srpska, qui dispose théoriquement de tous les atouts pour devenir un important noeud de communication. Le maire de la commune fait visiter le port fluvial - « le plus important de Bosnie, mais il a cessé toute activité depuis le début de la guerre ». Seuls quelques dragueurs croates sondent le fond de la rivière à la recherche de sable et de gravier pour la construction.
La gare offre une même image de désolation. « Autrefois, les trains venant de Sarajevo et de Banja Luka se retrouvaient à Samac. Ensuite, ils partaient vers la Croatie puis, peu après la frontière, il y avait une nouvelle bifurcation, vers Belgrade, Zagreb ou Budapest. » Désormais, seul le train de Banja Luka s’arrête deux fois par jour à Samac, devenu terminus des lignes de chemin de fer de la Republika Srpska.
M. le maire tient à montrer le pont, un superbe pont sur la Save, construit grâce à des financements européens. L’ouvrage d’art a été achevé en février 2002, mais il reste toujours fermé. Côté bosniaque, un policier monte nonchalamment la garde. Les autorités croates seraient prêtes à ouvrir cette nouvelle frontière, d’autant que le pont débouche, côté croate, à quelques kilomètres de l’autoroute qui relie Zagreb à Belgrade. Les blocages se trouvent côté bosniaque.
« Les frontières de la Bosnie-Herzégovine sont gardées par la police fédérale, commune aux deux entités du pays, explique, pédagogue, le maire de Samac. En revanche, les douanes sont du ressort de chacune des deux entités, et les taxes douanières constituent une part essentielle de leur budget. Ici, une bande de terre longeant la Save sur une largeur de 200 mètres dépend de la Fédération, qui voudrait donc que les douanes lui appartiennent. Mais ce poste-frontière est censé devenir l’un des plus importants du pays, d’importants terminaux douaniers seront donc construits sur le territoire de la Republika Srpska. Nos autorités veulent bien parler d’un partage de la douane avec la Fédération, mais celle-ci veut garder tout le gâteau pour elle ! »
Samac respire une très relative prospérité. On vient même d’y inaugurer une place piétonne avec un monument aux combattants serbes de la guerre de 1992-1995. Les prix sont sensiblement plus bas en Republika Srpska qu’en Croatie et même qu’en Fédération croato-bosniaque, et des chalands venus des « territoires hostiles » viennent donc faire leurs courses à Samac. Le maire de la commune ne cultive aucune illusion sur le corridor Vc. « La réconciliation par l’économie ? Pour faire des affaires, les gens parviennent toujours à s’entendre, mais l’Europe n’est pas intéressée à faire des investissements significatifs dans notre région. Nous ne sommes qu’une province oubliée de l’Europe... »
Jusqu’à Sarajevo, la route n’est pas belle. On distingue encore les ruines de quelques maisons détruites et incendiées dans un paysage sans charme. La plaine de la Posavina - la région des bords de la Save - cède peu à peu la place à des collines. Zenica, l’ancienne capitale bosniaque de la métallurgie, est une grande ville moderne, qui a vécu une guerre singulière. De toutes les grandes villes bosniaques, elle était la plus éloignée du front, et elle n’a donc pas directement souffert des combats. Zenica s’est fait connaître comme le bastion des moudjahidins, les volontaires étrangers de l’islam venus chercher en Bosnie le terrain d’une nouvelle guerre sainte.
Plusieurs années après la fin de la guerre, ces derniers avaient réussi à maintenir de minuscules « émirats » islamiques dans quelques villages des alentours. Les pressions internationales ont vite convaincu les autorités bosniaques de rompre avec la tolérance qu’elles affichaient sur ce sujet, et les derniers moudjahidins de Zenica sont revenus à plus de discrétion.
10 kilomètres sur 328
Près des bureaux de la communauté islamique locale, un magasin de mode féminine présente en vitrine les nouveaux modèles de voiles et de manteaux, mais les signes extérieurs de l’islam militant se font de plus en plus rares à Zenica, comme dans toute la Bosnie. A l’entrée du marché de la ville, quelques jeunes « barbus » tiennent commerce de cédéroms et de DVD. Ils reconnaissent avoir combattu dans la brigade islamique « régulière » de l’armée bosniaque. Maintenant, ils vendent des copies pirates de programmes informatiques ou de films américains.
Pour M. Muhamed efendi Lugavic, ancien mufti de Tuzla et l’une des grandes figures de l’islam « progressiste » de Bosnie, les radicaux ont renoncé à un peu de visibilité au profit d’une stratégie de long terme. « Ils prennent le contrôle de toutes les structures d’enseignement et de toutes les institutions de la communauté islamique », explique cet homme, démis de toutes ses fonctions en raison de son opposition aux courants rigoristes actuellement dominants dans l’islam bosniaque.
C’est sur le tronçon Zenica-Sarajevo que les travaux les plus visibles du corridor Vc ont commencé. Une autoroute est en train de voir le jour, mais à un rythme bosniaque : fort lent. Les fonds manqueraient déjà pour poursuivre le chantier. Le 15 mars 2002, un séminaire international sur la voie autoroutière internationale du corridor Vc s’est tenu à Sarajevo. Le projet global, allant de Samac à Doboj, Zenica, Sarajevo, Mostar jusqu’à la frontière croate s’étend sur 328 kilomètres. Coût global : la bagatelle de 2 461 280 000 euros. Plus modeste, le pacte de stabilité n’a pour l’instant pris en charge que l’amélioration d’un tronçon de... dix kilomètres au sud-est de Sarajevo, ainsi que la réfection d’un pont reliant la ville de Capljina à l’axe européen E73, pour un montant de 57 millions d’euros.
Aux abords de Sarajevo, cet axe E73, en travaux constants, passe à travers des quartiers en plein développement économique. Un peu plus loin, sur la route qui mène à l’aéroport, un supermarché a ouvert ses portes sous l’enseigne d’Interex- la branche internationale d’Intermarché, qui compte trois magasins dans le pays. L’ouverture de l’Interex de Banja Luka a même été présentée comme « le plus gros investissement étranger en Republika Srpska ». Pourtant, le magasin ne propose guère que les produits importés bas de gamme que l’on trouve dans tout le pays, et les prix restent très élevés pour la plupart des Bosniaques.
Sur Sniper Alley, la grande avenue qui mène vers le centre de Sarajevo, les traces de la guerre ont presque toutes disparu, sauf l’impressionnante carcasse du siège du quotidien Oslobodjenje, pilonné durant des mois. Pour le reste, on ne croise que des HLM refaites à neuf, des panneaux publicitaires, des tramways pimpants souvent frappés du logo « don du peuple du Japon », et une immense mosquée construite selon les standards architecturaux que les islamistes du golfe Persique tentent d’imposer dans les Balkans.
Beaucoup d’habitants de Sarajevo font actuellement un constat dramatique : les années actuelles sont les pires. « Les années de guerre ressemblaient à un cauchemar. Or, on sait que les cauchemars ont toujours un terme. Dans l’immédiat après-guerre, on pensait que le pays était convalescent, or les périodes de convalescence sont toujours délicates. Mais maintenant, nous sommes en train de perdre espoir », expliquent ainsi des jeunes Sarajéviens réunis dans un café à la mode du centre de la ville.
Les divisions politiques et le marasme économique du pays se soldent par une nouvelle saignée démographique. Alors que les réfugiés chassés par la guerre continuent, lentement, à revenir d’exil, beaucoup de Bosniaques - surtout les jeunes - ne songent qu’à refaire leur vie à l’étranger.
A l’échelle de toute la ville, il est difficile de faire le compte de ces mouvements de populations. Sarajevo comptait avant la guerre et compterait toujours actuellement environ 500 000 habitants. Parmi ces habitants, il y avait autrefois 150 000 Serbes, qui ont quitté Sarajevo dans leur grande majorité. « Beaucoup de Serbes sont restés à Sarajevo durant le siège, en secteur bosniaque, participant à la défense de la ville ou à son administration civile, rappelle un journaliste local. Ces gens-là ne sont partis qu’après le retour à la paix : ils ont été licenciés de leur travail, et on leur a expliqué que leurs appartements devaient être attribués à des réfugiés musulmans. »
Quelques jeunes déjà ivres...
Il resterait tout au plus une vingtaine de milliers de Serbes à Sarajevo, selon des statistiques très imprécises. Les habitants croates ou musulmans de Sarajevo ont aussi massivement quitté la ville durant la guerre, et le mouvement d’exil a continué après le retour de la paix, en raison du marasme économique. Parmi les 500 000 habitants actuels, seuls 100 000 à 150 000 seraient de « vieux » Sarajéviens. Les autres ? Des déplacés venus chercher refuge en ville. « L’esprit de Sarajevo a pu survivre à la guerre, mais la paix lui a été fatale », concluent avec amertume quelques-uns de ces « vieux » Sarajéviens.
Au départ de Sarajevo, une « autoroute » s’élance vers Mostar. Sur ce tronçon d’une dizaine de kilomètres, la vitesse reste limitée, et la route reprend vite l’allure d’une paisible nationale, avant même d’arriver à Pasalic, une petite ville bosniaque adossée au massif de l’Igman, théâtre de farouches combats lors du siège de Sarajevo. Vers Mostar, la route décrit d’amples tournants. Dans les campagnes, la végétation printanière achève de dissimuler les ruines des maisons détruites durant la guerre. Entre Tarcin et Konjic, des dizaines de vendeurs de miel et de fruits installent leurs auvents le long de la route. Les voyageurs ne s’arrêtent guère, mais les vendeurs tuent le temps en papotant entre eux ou en jouant aux échecs.
Plus au sud, après Mostar, la Fédération croato-bosniaque n’est plus qu’une illusion. Tendus sur des fils au-dessus de la route flottent toujours les drapeaux de la République croate d’Herceg Bosna, l’entité sécessionniste des Croates de Bosnie, officiellement dissoute. Et la grande ville de Mostar demeure rigoureusement divisée entre secteur est, bosniaque musulman, et secteur ouest, croate. Pour affirmer leur emprise sur la ville, les Croates ont érigé une grande croix sur une colline qui domine la ville, également surplombée par l’immense campanile de la cathédrale. En revanche, les travaux de reconstruction du vieux pont ottoman du XVIe siècle, détruit par l’artillerie croate en novembre 1993, viennent juste de commencer.
Les traces de la guerre frappent également à Pocitelj, une petite ville accrochée à flanc de colline à quelques kilomètres au sud de Mostar. Aux temps heureux où les touristes affluaient en Yougoslavie, la madrasa (école religieuse) Sisman Ibrahim Pacha, surmontée de ses cinq petites coupoles, avait été transformée en restaurant. L’édifice est en cours de restauration, mais toutes les portes sont solidement cadenassées. Seuls quelques jeunes gens des environs, déjà ivres en milieu d’après-midi, se réunissent dans l’unique café de Pocitelj, en contrebas de la porte fortifiée. « Ici, dit l’un, on est en Croatie » - le moindre propos discordant pourrait faire très vite déraper la situation.
La ville de Capljina, à quelques kilomètres à peine de Pocitelj, comptait autrefois nombre d’habitants serbes et musulmans. Les nationalistes croates ont pratiqué une sévère épuration ethnique, et l’on ne note aucun retour de réfugiés musulmans. La gare joue un rôle important dans les échanges entre le port de Ploce et la Bosnie. On accroche ici les trains venant de Croatie à des locomotives bosniaques.
Quelques cheminots discutent dans les bâtiments décrépits. Le chef de gare explique : « Nous dépendons toujours des chemins de fer croates d’Herceg Bosna, mais nous devons désormais être réunis aux chemins de fer de Bosnie-Herzégovine. Entre nous, la coopération se passe bien, même si nous sommes beaucoup plus compétitifs que les Bosniaques, car nous avons su dégraisser nos effectifs. En revanche, nous n’avons aucune relation avec les chemins de fer de la Republika Srpska. » La Bosnie compte ainsi trois compagnies distinctes pour guère plus de 1 000 kilomètres de voies ferrées. Aux abords de Mostar, la situation est ubuesque : les compagnies bosniaque et croato-bosniaque doivent chacune entretenir des tronçons de voies ferrées qui se succèdent tous les quelques kilomètres. « C’est comme ça, la Bosnie, lâche le chef de gare de Capljina. Mais rassurez-vous, il n’y a jamais eu d’accident ! »
La frontière de Metkovic marque le principal point de passage entre la Bosnie et la Croatie. Des deux côtés, les policiers sont pourtant croates, soit de Croatie, soit de Bosnie. On passe généralement sans aucun contrôle policier ni douanier. Les poids lourds traversent la frontière plus à l’ouest, par un petit poste niché dans la montagne. Si le corridor Vc parvenait véritablement à engendrer des flux d’échanges conséquents, ce dispositif douanier devrait être revu, mais les douanes d’Herzégovine, au lieu d’alimenter le budget de la Fédération croato-bosniaque, continuent très largement de nourrir la caisse noire des nationalistes croates d’Herzégovine.
Tout au bout du corridor Vc, le port de Ploce se niche au fond d’une baie. Sur le front de mer, des immeubles collectifs lépreux dissuadent les touristes de s’arrêter. Selon le directeur adjoint, M. Svemir Zekulic, les activités portuaires employaient autrefois 5 000 personnes, contre à peine 2 000 aujourd’hui. Un bateau est en train d’être chargé de solives de bois, un des rares articles que la Bosnie parvient à exporter, principalement en direction de pays arabes. En 1989, le trafic s’élevait à 4 495 000 tonnes ; il stagnait en 2001 à 921 000. Malgré de vastes projets d’extension, aucune hausse sensible du trafic n’est prévue dans les années à venir. M. Svemir Zekulic commence pourtant ses journées en consultant sur Internet la presse de Croatie, de Bosnie et de Serbie, car il est bien convaincu que le développement des échanges régionaux constitue la seule perspective d’avenir pour le port...
Jean-Arnault Dérens.
Les Garibaldiens
La reconstruction du pont de Mostar, c'est reconstruire un pont entre les communautés... Reconstruire la paix !
Article sur la reconstruction du pont de Mostar par http://www.paixbalkans.org/
Un témoignage sur Mostar (juillet 2004)
Nous sommes allés en Bosnie à Mostar. Nous avons rencontré deux français de la SFOR dans leur jeep, ils nous ont dit que tout était calme, que çà se passait bien, et que la SFOR devait partir en septembre.
Dans le quartier historique complètement reconstruit, nous avons parlé avec la fille de l'office du tourisme tout neuf (c'était le 17 juillet, une semaine avant l'inauguration du pont), elle nous a raconté un peu comment elle vivait pendant la guerre en disant qu' elle ne savait pas qui de son voisin était croate catholique ou musulman, ou serbe. Sa maison a été détruite et reconstruite, elle a vécu dans les caves et évitait de sortir à cause des snippers. Elle en avait encore la gorge nouée. Elle, elle souhaite que la SFOR ne parte pas encore, car elle a peur que "çà" revienne, s'ils sont laissés entre eux. Nous, on n'a rien senti, mais il y a encore des haines entre les deux côtés du pont qui mettront longtemps à se guérir. Nous, on est passé des deux côtés du pont, mais eux ne le font pas encore. On a parlé aussi du côté musulman avec des bosniaques qui nous ont fait visiter leur mosquée, reconstruite elle aussi. Tout le vieux quartier a été reconstruit avec des fonds Unesco et européens. Mais ailleurs, il y a encore beaucoup de ruines.
Dans la vallée, beaucoup de maisons neuves de croates bosniaques réfugiés aux USA et qui reviennent.
Une guerre pour rien, puisque les accords de Dayton ont remis les frontières là où elles étaient au départ.
En Croatie, on ne voit plus grand chose, à part les toits tous neufs de Dubrovnik, et les photos. Il y a aussi les grands hôtels de l'époque Tito qui n'ont pas été repris et sont laissés pour certains à l'abandon, quelques traces de balles sur les murs. On a du mal à croire en voyant ce pays magnifique et les gens vivre comme nous, qu'ils ont vécu cette horreur. A Dubrovnik, il y a une salle qui retrace les moments de la guerre, il y a eu 200 morts, tous des jeunes de 19,20 ans qui se sont battus pour défendre la ville. J'en avais les larmes aux yeux d'être là où çà s'est passé.
Brigitte Beaumanoir.
samedi 24 juillet 2004, 10h00
La Bosnie inaugure le Vieux Pont de Mostar onze ans après sa destruction
La Bosnie a inauguré vendredi soir le Vieux Pont de Mostar, détruit par l'artillerie croate en 1993 et reconstruit à l'identique, un symbole visant à faire revivre un passé de vie harmonieuse entre les différentes ethnies de ce pays ravagé par la guerre (1992-1995).Les cérémonies qui ont débuté avec l'hymne national bosniaque se sont achevées vers minuit (22H00 GMT) par un spectacle pyrotechnique.
A la fin des cérémonies, les dirigeants étrangers y participant -- dont les présidents d'Albanie, de Bulgarie, de Croatie et de Serbie-Monténégro et les ministres des Affaires étrangères français, italien et néerlandais -- ont franchi le pont suivis par des habitants de Mostar.
Des milliers de personnes étaient massés dans les ruelles menant au Vieux Pont (Stari Most).
Des responsables de l'Union européenne (UE) et de l'Onu ont appelé les communautés de Bosnie à la réconciliation.
"Certains s'opposent encore à la réconciliation. Pourtant, notre présence ici symbolise la réconciliation", a indiqué dans un communiqué, Jacques Paul Klein, le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU Kofi Annan.
Le membre musulman de la présidence tripartite de Bosnie, Sulejman Tihic, a affirmé que cet événement contribue a "renforcer les bases d'une Bosnie multi-ethnique, multi-confessionnelle et multi-culturelle, où se rencontrent les civilisations de l'Est et de l'Ouest".
Héritage de la tradition byzantine, le Vieux Pont fut construit en 1566 par Mimar Hajrudin, un élève du fameux architecte Sinan, père de l'architecture ottomane classique.
Le pont, une arche en dos d'âne, avait une ouverture de 27 mètres, 4 mètres de largeur et 30 mètres de longueur. Sa hauteur était de 20 mètres par rapport au niveau de la rivière. Flanqué par deux tours fortifiées, la Halebija, sur la rive droite, et la Tara, sur la rive gauche, le pont avait une seule arche voûtée. Il était composé de 456 blocs de pierre calcaire.
Les 1.088 pierres utilisées ont été taillées à la main selon les techniques utilisées à l'époque de son construction initiale.
Au début de la guerre de Bosnie, les forces croates et musulmanes ont combattu ensemble l'armée serbe de Bosnie, mais en 1993 un conflit long de 11 mois a éclaté entre les anciens alliés. Les belligérants se sont ensuite réconciliés sous la pression de la communauté internationale.
Mostar est toujours divisé entre les communautés croate et musulmane qui peuplent les deux rives de la Neretva, enjambée par le Vieux Pont. La plupart des Serbes y habitant ont fui la ville pendant la conflit.
L'élégant pont en marbre blanc est un symbole depuis son achèvement en 1566. "C'est un pont qui son âme propre", souligne Sulejman Kupusovic, en charge des cérémonies de réouverture.
Après avoir survécu à de nombreux conflits au fil des siècles, il est tombé dans la rivière en 1993 victime des tirs des chars bosno-croates. Longtemps un symbole de la rencontre entre l'orient et l'occident, et de l'islam et du christianisme, il est soudain devenu celui de la guerre en Bosnie, qui a fait 260.000 morts et 1,8 million de personnes déplacées.
« Lorsqu’un pont est brisé, il en reste le plus souvent, d’un côté ou de l’autre, une sorte de moignon. Il nous semblait d’abord qu’il s’était écroulé tout entier sans rien laisser, en emportant avec lui une partie du rocher, des tours de pierre qui le surplombaient, des mottes de la terre d’Herzégovine. Nous vîmes plus tard des deux côtés qui le soutenaient de vraies cicatrices, vives et saignantes », écrit Predrag Matvejevitch (1), écrivain né à Mostar en 1932 (d’un père russo-ukrainien et d’une mère croate) qui ne cesse de revendiquer son « impureté ethnique ».
Stari Most est classé sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Les travaux de reconstruction se sont élevés à environ 12 millions d'euros.
Quatre mois seulement après l’effondrement du pont, alors que la Bosnie-Herzégovine était en pleine guerre, l’UNESCO a lancé, le 10 mars 1994, un premier appel pour sa reconstruction et a envoyé en juin une mission qui a proposé des mesures d’urgence.
L’Accord de Dayton, signé en décembre 1995, qui propose un cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine, a créé une Commission pour la préservation des monuments nationaux et confié au Directeur général de l’UNESCO la responsabilité de nommer deux de ses cinq membres, dont le président.
Le 13 juillet 1998, l’UNESCO, la Banque Mondiale et les autorités municipales ont lancé un appel conjoint pour la reconstruction du Vieux pont, auquel ont répondu cinq pays donateurs (Croatie, France, Italie, Pays-Bas, Turquie), ainsi que la Banque de développement du Conseil de l’Europe.(2)
Alors que la Banque mondiale avait la responsabilité de la partie financière du projet et que la ville de Mostar avait celle de sa gestion et de la distribution des fonds, le rôle principal de l’UNESCO a été d’assurer une coordination scientifique et technique.
A cette fin, elle a nommé en octobre 1998 un Comité international d’experts (3) pour la reconstruction du Vieux pont et la réhabilitation de la vieille ville de Mostar avec mission de veiller à la qualité et à l’organisation des travaux.
Le Vieux pont a été reconstruit avec des matériaux locaux – pierres du type « ténélija » et « bretcha » que l’on trouve dans les carrières voisines – et selon des méthodes traditionnelles, avec des outils tels que des voussoirs, des crampons et des tenons. Après deux ans de recherches scientifiques et archéologiques, les travaux de reconstruction ont commencé le 7 juin 2001, en présence des présidents de Bosnie-Herzégovine et d’Italie. Le 14 avril 2003, la première pierre de l’arche a été posée, en présence de nombreux habitants de Mostar. La reconstruction a été achevée en avril cette année.
Les travaux n'ont vraiment commencé qu'en juin 2002, après que les ouvriers eurent retiré du fond de la Neretva les débris provenant de la destruction de l'ouvrage.
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1. Predrag Matvejević : « Ce pont entre Orient et Occident », in Stari Most / Le Vieux Pont de Mostar, par Gilles Péqueux et Yvon Le Corre, Gallimard & Partenaires, 2002.
2. Le projet, d’un coût total de 15,4 millions de dollars, a été financé par un crédit de la Banque Mondiale (4 millions de dollars), et des dons de l’Italie, les Pays-Bas, la Croatie et la Turquie. L’Union Européenne et le gouvernement de France ont fourni des services techniques. La ville de Mostar a octroyé pour sa part 2 millions de dollars.
3. Membres du Comité :
Prof. Leon Pressouyre, Président (France)
Mounir Bouchenaki (UNESCO)
Azedine Beschaoush (Tunisie)
Laurent Levi-Strauss (UNESCO)
Prof. Cevat Erder (Turquie)
Prof. Zlatko Langof (Bosnie-Herzégovine)
Prof. Milan Gojkovic (décédé, Serbie et Monténégro)
Prof. Radovan Ivancevic (décédé, Croatie)
Ferhat Mulabegovic (Bosnie-Herzégovine)
Machiel Kiel (Pays-Bas)
Prof. Girlu Necipoglu (Turquie)
Prof. Giorgio Macchi (Italie)
Prof. Eddy de Witte (Belgique)
Prof. Gabi Dolff-Bonekamper (Allemagne)
Prof. Mihailo Muravljov (Bosnie-Herzégovine)
Sources : http://www.starimost.ba/index.html
Rencontre avec Gilles Péqueux, ingénieur responsable de la reconstruction du pont de Mostar
RÉDIGÉ PAR CYRIL HAULAND GROENNEBERG
samedi 1er mars 2003
A l'occasion de la « Journée du Courrier des Balkans », le CdB recevait le premier mars dernier M. Gilles Péqueux, ingénieur en charge de la définition, la coordination, et la supervision des études pour la reconstruction du Pont de Mostar. Le CdB tient ici à remercier Cyril Hauland Groenneberg pour la retranscription de cette rencontre.
Introduction de Boris NAJMAN, Vice-Président de l'Association Sarajevo
Un petit mot pour dire qu'on a tous en tête des images de la destruction du Pont de Mostar pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine. Ce pont a été détruit deux fois. Je me souviens qu'il y avait des planches et des pneus pour le protéger. Je pense qu'il faut réfléchir sur la volonté délibérée de la destruction du Pont. Car le Pont de Mostar, dans sa destruction, est emblématique de cette volonté de destruction. J'ai découvert ce pont à 20 ans, au temps où la ville de Mostar était une ville avec une humanité particulière. Je me souviens que la première chose que l'on voyait, c'était ce pont qui brillait comme la ville. Il donnait l'impression d'être un pont en porcelaine tellement il brillait. C'était comme un miracle, un enchantement de voir la tenue architecturale de ce pont, offrant une vision très légère. Ce pont était aussi un lieu de rencontres, de jeux, d'histoires d'amour… Je ne vous en dis pas plus et laisse la parole à Gilles PEQUEUX.
Intervention de Gilles PEQUEUX, Ingénieur en charge de la définition, la coordination, et la supervision des études pour la reconstruction du Pont de Mostar
Je suis arrivé en Bosnie-Herzégovine en 1994, avec l'Union européenne. Je suis ingénieur de formation. En 1994, on avait fait le pari de faire travailler des gens de Mostar Ouest et Mostar Est. En plus des six ou sept ponts de Mostar détruits avec le vieux Pont (Stari Most), j'ai participé à la reconstruction de ponts sur la Drave. J'ai été chef de projet pour le pont de Mitrovica, et dernièrement sur le pont de Novi Sad. Du fait de mon expérience antérieure, les autorités de Mostar m'ont fait confiance pour mener à bien le projet, qui a commencé à se finaliser à partir d'août 1998.
Concernant l'exposé proprement dit, je ne vais pas entrer dans les détails techniques de la construction du pont. Je voudrais simplement commencer par dire qu'autant à Dubrovnik, la destruction de la ville a été vécue comme une véritable agression, autant à Mostar, la destruction du Pont et d'une bonne partie de la ville a été vécue comme un véritable cauchemar. La destruction du Pont de Mostar a été vécue comme tellement insupportable que les habitants n'ont pas voulu le voir. Aussi, quand on commence un projet comme ça, il faut s'imaginer que les gens voient toujours le pont tel qu'il était. Le problème, c'est que le deuil de la destruction n'a pas été fait. Ce qui est un peu terrible dans ce projet, c'est le rapport avec une population un peu dépassée et une communauté internationale qui va mettre la pression pour reconstruire le Pont afin d'accélérer la réconciliation.
Le danger à court ou moyen terme est que l'on risque de se retrouver avec un greffon qui ne prendra peut-être pas. La première question à se poser, c'est pourquoi on reconstruit le Pont de Mostar et comment. D'abord pourquoi on reconstruit le Pont. On fait d'abord sur le site du Pont une archéologie du bâti, puisqu'il n'existe plus de traces de ce Pont, ou quasiment plus. Mais imaginons-nous et transportons-nous l'espace d'un instant en l'an 2 500, et que l'on voit ce Pont construit en 2003, ou plutôt reconstruit à l'identique de ce qu'il était 150 à 200 ans après la chute de l'Empire ottoman dans cette partie de l'Europe. La question posée sera de savoir pourquoi ce Pont a-t-il été détruit et reconstruit à l'identique, alors que l'Empire qui l'a construit a disparu. Mais aujourd'hui, un autre problème qui se pose est que tout le monde doit retrouver « son » Pont avec ses qualités et ses défauts. Sachant que les pierres assemblées pour la reconstruction du Pont ne remplaceront pas le deuil du Pont détruit. Ce sera en quelque sorte un « nouveau vieux Pont » reconstruit avec les mêmes techniques de construction. Ce pont sera avant tout celui des « Mostari », c'est-à-dire celui des habitants ayant connu le vieux Pont de leur vivant.
Le projet se situe plus dans l'acte de reconstruction lui-même, et la façon de le mener : le Pont reconstruit ne sera ni une copie, ni une imitation, mais un état d'esprit que l'on a essayé de retrouver avec l'archéologie du bâti. L'idée est d'arriver à retrouver l'état d'esprit d'Iroudin, Turc qui est arrivé avec deux ou trois autres turcs et une trentaine de personnes de la région. Ce qu'il faut noter, c'est qu'en Orient, on a une façon différente de tailler la pierre par rapport à l'occident (entendu jusqu'à Venise pour l'Europe de ce point de vue-là). Le côté émouvant de cet ouvrage construit au XVI° siècle est qu'il est plus proche d'une sculpture collective qu'un ouvrage d'art classique. Je dis sculpture collective, car la beauté de l'ouvrage réside dans le fait qu'il est un ensemble d'erreurs corrigées avec un mélange de savoirs faire orientaux et occidentaux. Mostar, c'est en quelque sorte là où l'Orient et l'Occident se sont tendu la main. Et je pense que l'ouvrage sera réussi si on arrive à remettre les gens à travailler ensemble avec un état d'esprit commun. Personnellement, je suis assez pessimiste sur ce point. Et c'est une des raisons pour laquelle je suis en désaccord avec l'avancement du projet.
Débat avec l'assistance
Intervention dans la salle : Il est important de préciser que vous avez ouvert des écoles de taille de pierre.
Gilles PEQUEUX : Oui, c'est vrai que pour moi, il était important que cet acte de reconstruction soit une ré-appropriation. Il n'était pas question de faire revenir des gens d'Italie, d'Allemagne, ou de France pour construire le pont et s'en aller après la construction. J'ai donc ouvert une école de taille de la pierre avec deux sessions de six mois pour une quinzaine de personnes. Ils nous ont impressionnés, parce qu'ils ont déployé une énergie fantastique. On a volontairement travaillé sur l'histoire des techniques à partir d'une étude des monuments religieux. Le problème est que la Bosnie-Herzégovine est un pays qui tend à être considéré par les autres pays comme un marché international où il faut savoir se positionner. On reproche souvent à ce pays de pas avoir su utiliser l'argent qu'on lui avait généreusement octroyé. Moi, je reproche à la communauté internationale d'avoir distribué de l'argent sans s'être intéressé véritablement à ce pays.
Question : Pourquoi pensez-vous que la reconstruction du Pont est vouée à l'échec ?
Gilles PEQUEUX : Pour moi, ça risque d'être un échec parce que le Pont de Mostar est plus un projet politique qu'un projet de reconstruction. On n'a jamais reconstruit un tel pont, cela ne s'est jamais fait. Et le problème est que la seule chose qui intéresse la communauté internationale, c'est l'inauguration du Pont. Mais, comme quand on veut faire un enfant, il faut neuf mois pour le concevoir, et pas six mois, sinon c'est raté : pour le Pont, c'est pareil. Aujourd'hui, l'entreprise qui est maître d'ouvrage, c'est-à-dire qui construit le Pont est turque, le maître d'œuvre est croate, avec un peu de Bosniaques. Notons que côté croate, il y a un peu la volonté de racheter la « faute » d'avoir détruit le Pont. Aujourd'hui, on a un peu oublié la technicité de l'ouvrage.
Question : Le problème n'est-il pas que la population est écartée de la réalisation du projet ?
Gilles PEQUEUX : Je suis de ceux qui pensent que les grands ouvrages naissent des grandes puissances. Le Pont de Mostar est né du rayonnement de l'Empire ottoman. Pour ce positionnement de la population, vous avez tout à fait raison. On a besoin d'avoir un retour sur le projet. Les autorités mostaroises sont un peu victimes des pressions de la Banque Mondiale. Car la « communauté internationale » se pose deux questions pour elle fondamentale : 1) l'aide coûte cher. 2) À partir de là, comment on fait pour partir au plus vite pour ne pas payer trop. La stratégie, c'est donc on reconstruit le Pont dans les plus brefs délais, et on s'en va. Or, la reconstruction, c'est un moment historique, au sens où c'est quelque chose qui prend du temps.
Boris NAJMAN : La reconstruction n'a pas eu pour objet de considérer les victimes comme premiers destinataires de la reconstruction.
Question : À quelle phase de la reconstruction en est-on ?
Gilles PEQUEUX : Le contrat du chantier a été signé en septembre 2002. Pour ma part, j'ai fini mon contrat à fin février 2003 avec toute la mise en œuvre du projet commencé depuis août 1998. Aujourd'hui, les fondations sont faites, et les premiers éléments de l'arche seront posés au mois de mars 2003. Le projet devrait être finalisé d'ici à la fin de l'année. Les autorités politiques de Mostar suivent les consignes données par la Banque Mondiale.
Question : Où en est le projet de l'école des tailleurs de pierre ?
Gilles PEQUEUX : Le projet est très avancé à ce niveau-là, et je pense que les autorités n'ont pas souhaité plus que cela que je reste, peut-être parce qu'ils ont eu peur que cela ralentisse le projet. L'ambassadeur de France a pris bonne note que les autorités de Mostar ne souhaitent pas que la France continue à s'investir dans ce projet. C'est dommage, car Mostar aurait pu être inscrit comme patrimoine mondial de l'humanité par l'U.N.E.S.C.O. dont le siège est à Paris. Les tailleurs de pierre de Mostar connaissent bien le travail de la pierre et maîtrisent sa technique, mais les autorités de Mostar et la Banque Mondiale ont décidé que les tailleurs de pierre turcs étaient moins chers. Je tiens à remercier quand même l'ambassadeur de France de m'avoir soutenu jusqu'à la fin.
Question : que pensez-vous de la reconstruction de Mostar dans son ensemble ?
Gilles PEQUEUX : Vous savez peut-être que l'U.N.E.S.C.O. a publié un plan de reconstruction de la « Stari grad » (vieille ville). Maintenant, vous savez ce qu'est la situation économique et sociale de la ville de Mostar. Il y a beaucoup de constructions illégales. Je pense que s'il reste une chance de préserver la ville de l'anarchie de la reconstruction, ce serait l'inscription de la ville au patrimoine mondial de l'U.N.E.S.C.O.. Et au niveau de la reconstruction du Pont, le rôle de l'U.N.E.S.C.O. aurait dû être de dire quels sont les choix du projet qui font que l'on reste proche de l'état d'esprit de la construction originale, c'est-à-dire en fait l'absence de normalisation. Il faut savoir dire quelquefois : « Je ne sais pas et je laisse faire les tailleurs de pierre » en leur faisant confiance, comme ça c'est fait à l'époque de construction du Pont original. Tout en se posant d'autres questions plus pertinentes comme : « est-ce que je fais du mortier avec des techniques traditionnelles ou avec des techniques modernes » ?
Reporter 23 janvier 2002 (Traduit par Jasna Tatar) Bosnie :
Reconstruction du pont de Mostar
« Nous allons bientôt avoir les transports publics communs », dit Tomic, le maire de Mostar. Il énumère les démarches entreprises pour normaliser la vie dans sa ville où même le climat marque les différences : mardi dernier, une partie de ville était couverte de neige tandis que dans l'autre, il pleuvait !
Par Mirza Cubro
Les tours à ses deux extrémités seront également rebâties, ainsi qu'une partie de la vieille ville. Les bâtiments Napredak, Vladikin Dvor et Vakufski Dvor figurent également sur la liste des restaurations qui devront être effectuées avant la fin de l'année prochaine. Le projet de réhabilitation, qui coûte environ 15,5 millions de Dollars, est financé par la banque mondiale et plusieurs gouvernements européens. Le directeur de l'unité de reconstruction du vieux pont, Rusmir Cisic, déclare que l'assainissement du monument, ainsi que celui de plusieurs bâtiments de la vieille ville, est terminé. Reste à choisir la firme qui reconstruira l'arc du vieux pont. Avant la fin 2003, l'ouvrage assurera la communication entre les deux parties de la ville ou même la neige ne tombe plus en même temps. Cisic nous renseigne sur la nature et la durée du chantier : « Le contrat avec l'exécuteur des travaux sera signé fin mars. A ce moment-là, on montera l’ échafaudage et on passera à la reconstruction de l'arc. Le niveau de la Neretva conditionne la date précise du commencement des travaux. Le pont sera identique à celui bâti par Mimar Hajrudin. La technologie utilisée sera moderne, mais les matériaux seront les mêmes. Nous emploierons la même pierre 'tenelija' que celle utilisée jadis par Hajrudin. Nous avons déjà fait tailler 1088 blocs. » Le nouveau pont sera donc bâti avec la même pierre que l'ancien ouvrage détruit lors de la dernière guerre. La reconstruction est contrôlée par les experts de la protection du patrimoine culturel et historique de l'Unesco. L'adjoint de Cisic, Tihomir Rozic, précise que les travaux ne se limitent pas à la reconstruction des objets détruits pendant la guerre : « Les représentants de tous les peuples de Bosnie-Herzégovine participent au chantier. La fin de la reconstruction symbolisera la renaissance des liens entre ces populations. » Rozic pense que toute la Bosnie-Herzégovine devrait s'inspirer de l'exemple de Mostar : « Si tout le monde dans ce pays faisait comme nous, nos problèmes seraient moins nombreux. » Cependant, six ans après la guerre, Mostar demeure une ville divisée.
Les citoyens de la partie Est n'ont pas droit de se faire soigner dans la partie Ouest. Le réseau téléphonique n'est pas unifié. Le maire, Neven Tomic, nous explique le particularisme de Mostar : « La ville fait partie de la Hercegovacko-Neretvanska Zupanija ( département d'Herzégovine et de Neretva ) et de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Pour que Mostar puisse fonctionner comme une ville normale, toutes les instances du pouvoir devraient prendre part à la mise en place d'une législation et d'une structure qui le permette. » Tomic ajoute que la police municipale sera multiethnique. Sa création est en cours. Nombre de problèmes seront ainsi résolus, et cela au bénéfice de tous les citoyens. Il y a quelques jours, des citoyens de Mostar ont dû parcourir 10 à 12 kilomètres pour immatriculer leur voiture ou pour obtenir une carte d'identité. Tomic énumère les démarches entreprises pour normaliser la vie dans la ville où même le climat marque les différences : mardi dernier, une partie de ville était couverte de neige tandis que dans l'autre, il pleuvait ( ! ) : « Je pense que la formation de la police municipale sera terminée au printemps. Nous nous occupons également de l'eau.
La ville a toujours été desservie par une seule entreprise. Nous allons bientôt avoir les transports publics communs. » Le maire adjoint de la ville, Hamdija Jahic, s'amuse des caprices de la météo : « Cette fois, c'était une division Nord-Sud et non pas Est-Ouest. Ce n'est donc pas de notre faute ! » Il poursuit en expliquant à notre journal que le budget municipal a été adopté : « Nous avons réservé environ 2,6 millions de Marks pour que des citoyens de Mostar puissent retourner dans les maisons qu'ils occupaient avant guerre. Si le budget est bouclé de façon satisfaisante, je crois que nous pourrions donner plus de moyens encore pour les retours. » Tomic et Jahic déclarent avoir une excellente coopération. Ils signent ensemble toutes les décisions importantes, y compris celles qui concernent les dépenses budgétaires. Pour eux, la reconstruction du vieux pont symbolise le resserrement des liens entre les habitants de Mostar et le pays tout entier. Tomic déclare : « Les pyramides de Kheops sont les monuments les plus photographiés. Le vieux pont de Mostar occupait la deuxième place. Ceci suffit à expliquer l'importance économique de sa reconstruction. Je suis sûr que le pont et la vieille ville redeviendront des attractions touristiques. » Nos interlocuteurs révèlent que les citoyens de Mostar sont impatients de voir resurgir le pont. Ils étaient sceptiques au début des travaux. Aujourd'hui, ils viennent dans les bureaux de l'unité de reconstruction pour demander la date à laquelle l'ouvrage reliera de nouveau les deux rives de la Neretva. ( Mise en forme : Stéphan Pellet )
En ex-Yougoslavie, la destruction du patrimoine culturel a brisé l’identité commune des citadins, et satisfait un rêve archaïque dans les campagnes.
En 1991, juste après la fin de la guerre froide, les Européens de l’Ouest ont eu un choc en regardant leur petit écran. Ils y ont vu un déluge de bombes s’abattre sur la petite cité de Vukovar, sur les rives du Danube, tandis que des volutes de fumée s’élevaient au-dessus de Dubrovnik, «le joyau de l’Adriatique», inscrit sur la Liste du patrimoine mondial. La ville de Mostar se trouve au Nord-Ouest de Dubrovnik (à approximativement 150 kilomètres). Elle est la plus grande ville de l'Herzégovine et la deuxième du pays (après Sarajevo, la capitale).
Une localité s'est développée sur une petite agglomération antique. Au XVe siècle les archives mentionnent une place forte à l'endroit où l'on passait d'un bord à l'autre de la rivière Neretva par un pont suspendu. Cette fortification fut prise par les Ottomans durant le troisième quart du XVe siècle.
Dès 1475, un premier quartier (mahala) musulman (avec une mosquée et des bains) s’établit au bord de la rivière, au nord du lieu de passage. Le noyau du bourg musulman s'est formé de part et d'autre du pont de pierre construit en 1566 (sous le gouvernement de Karadjoz beg). Ce pont qui donna son nom à la ville (mostar vient du mot serbo-croate most qui signifie "pont") permit le développement du transport et favorisa l'essor du commerce. Quand la Bosnie-Herzégovine passa sous administration austro-hongroise, la ville de Mostar connut une nouvelle époque d'essor économique et urbain.
La ville, exceptionnelle par l'ensemble de ses habitations et monuments réunis dans un urbanisme harmonieux qui s'est développé au long des siècles en fonction des conditions géographiques et économiques, était célèbre pour sa douceur de vivre. Jusqu'à l'époque contemporaine, la ville a conservé son caractère: lieu célèbre de production artisanale et important centre d'échanges commerciaux. Malheureusement, comme partout en Europe, des immeubles souvent hors-échelle ont été construits à Mostar pendant les années 1960. Pourtant, dans l'ensemble, la vieille ville avait conservé son cachet médiéval.
Le vieux pont de Mostar, Stari Most
Le "vieux pont" avait permis le développement de la ville et sa prospérité. C'était la raison d'être de la ville. Malgré des travaux de renforcement parfois incompatibles avec les principes modernes de restauration, cet ouvrage se trouvait en parfait état avant le début des hostilités dans la région.
Le vieux pont de Mostar avait été construit en 1566 par Mimar Hajrudin, un élève du fameux architecte Sinan (père de l'architecture ottomane classique). Le pont était une arche en dos-d'âne qui avait une ouverture de 27 mètres, 4 mètres de largeur et 30 mètres de longueur. La hauteur du pont était de 20 mètres, par rapport au niveau de la rivière en été (niveau maximum). Le pont était flanqué de deux tours fortifiées, la Tour Halebija (rive droite) et la Tour Tara (rive gauche), toutes les deux datant - dans leur état antérieur au conflit armé - du XVIIe siècle. La solidité de cet ouvrage était telle qu'il résista lorsque, pendant la Deuxième Guerre mondiale, des tanks nazis le traversèrent . Avant la destruction de novembre 1993, le principal danger qui guettait le pont était l'érosion due à l'humidité, mais le processus de dégradation était toutefois bien maîtrisé.
Article sur la Save... par Le Monde Diplomatique
DE LA HONGRIE À LA BOSNIE-HERZÉGOVINE
LE MONDE DIPLOMATIQUE | novembre 2002 | Pages 12 et 13
http://www.monde-diplomatique.fr/2002/11/DERENS/17047
Dans les « corridors de développement » de l’Union européenne
Projets réels ou effets d’annonce ?
L’Union européenne a créé plusieurs « corridors de développement », censés favoriser l’essor économique en stimulant les échanges dans le continent, par la réunion des voies terrestres, ferroviaires et fluviales. Plusieurs d’entre eux concernant les Balkans. Toutefois, faute de budget spécifique, ces projets sont largement tributaires d’investissements privés et risquent de ne pas contribuer significativement à réduire les écarts régionaux.
Le corridor Vc, que nous parcourons ici de Vienne (Autriche) au port croate de Ploce, se heurte en outre aux effets durables des guerres de l’ex-Yougoslavie. La Croatie a toujours du mal à tourner la page de la guerre, et la Bosnie-Herzégovine se trouve placée sous quasi-protectorat international depuis 1995. Quant à la liberté de circulation, elle connaîtra un nouveau recul avec l’intégration annoncée de la Hongrie à l’Union, qui dressera de nouvelles frontières avec les Etats des Balkans...
Par Jean-Arnault Dérens
Journaliste, co-rédacteur en chef du Courrier de la Biélorussie.
Le corridor de développement européen Vc, qui doit relier Budapest au port croate de Ploce, en traversant toute la Bosnie-Herzégovine, est un concept : il existe sur les cartes, mais ne se voit pas encore dans le paysage. Il devra pourtant canaliser et amplifier les flux d’échanges entre des régions qui, il y a quelques années, étaient encore en guerre. Mais seuls quelques pionniers à l’optimisme indécrottable croient que ce corridor pourra contribuer à refermer les blessures des conflits. Quant au développement économique, beaucoup préfèrent en sourire.
C’est à Budapest que plusieurs des corridors de développement doivent s’entrecroiser, confirmant le rôle de carrefour de la capitale hongroise. Dans les environs, les lignes de chemin de fer traversent des banlieues pavillonnaires qui dénotent la tranquille prospérité dont jouissent les nouvelles couches moyennes du pays. En avril 2002, la droite nationaliste de M. Viktor Orban a été balayée au profit des socialistes - ces anciens communistes devenus de chauds militants de la libéralisation de l’économie et de l’intégration européenne du pays. Le scandale provoqué, quelques semaines plus tard, par les révélations sur le passé de M. Peter Medgyessy, le nouveau premier ministre, ancien informateur de la police politique, ne sont pas de nature à remettre en cause la solide orientation pro-européenne du pays.
La Hongrie se sait centre-européenne, et veut se tourner sans cesse davantage vers l’ouest du continent. Le Sud ne figure donc pas dans les priorités du pays, sauf pour les migrations estivales. Sur les côtes de la Dalmatie et du Monténégro, les Hongrois représentent des touristes au pouvoir d’achat de plus en plus apprécié, mais les hommes d’affaires de Budapest ne se préoccupent guère des pays anciennement yougoslaves. Même le directeur du port de Ploce, à l’autre extrémité du corridor Vc, reconnaît que le marché hongrois ne dépend en aucun cas de ce port. La Hongrie est enclavée dans les terres, et son économie ne compte guère, pour son développement, que sur les voies de communication terrestre, accessoirement sur le Danube.
« Rien de concret »
Entre la Hongrie et les contrées plus méridionales, l’intérêt est à sens unique. Au printemps 2002, une noria de camions bosniaques met le cap vers la Hongrie pour acquérir des semences agricoles que la Bosnie et la Croatie sont toujours incapables de produire. Depuis le nord de la Bosnie, le voyage vers la Hongrie pourrait ne prendre que quelques heures. Avec le passage des frontières, il faut compter au moins vingt-quatre heures. Les camionneurs bloqués à la frontière croato-hongroise ont entendu parler du corridor Vc, mais doutent fort de sa réalisation : « Pour la Bosnie, il n’y a que des projets, des annonces, mais jamais rien de concret », s’exclame Milos, un chauffeur de Brcko, dans le nord de la Bosnie.
Pour la Bosnie, l’enjeu de ces importations de semences agricoles est vital ; pour la Hongrie, il ne s’agit que d’un marché tout à fait secondaire. L’agriculture bosniaque ne s’est pas remise de la guerre, celle de la Croatie a été sabordée sur l’autel d’une privatisation inéquitable : le marché intérieur a été largement ouvert aux marchandises agricoles provenant des stocks européens, plus compétitives que celles produites localement. Au bout du compte, les produits alimentaires offerts aux consommateurs sont chers, souvent de mauvaise qualité, et l’agriculture croate a été liquidée (1).
Quant aux grands combinats agricoles de la plaine de Slavonie, qui s’étend dès la frontière hongroise passée, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Les plantes transgéniques représentent le seul débouché encore viable. A quelques kilomètres d’Osijek, des centaines d’hectares de céréales sont entourés de barbelés, portant des écriteaux de l’Institut de recherche agronomique de Zagreb.
Restons encore un peu en Hongrie. Ce n’est qu’à Pecs, la grande ville du sud de la Hongrie, que l’on semble s’intéresser un peu au fameux corridor. Au bureau d’information européen, installé dans un coquet palais du centre de la ville, un fonctionnaire brandit des liasses de documents concernant l’adhésion de la Hongrie à l’Union européenne, mais il lui faut effectuer de longues recherches avant de trouver un dossier concernant le corridor. La grande affaire, ici, c’est plutôt l’euro-région qui réunit la préfecture de Pecs, les départements croates de Slavonie et le canton bosniaque de Tuzla. « La région de Pecs possède la même culture que la Slavonie, nous avons très longtemps fait partie de la même communauté historique, l’Empire austro-hongrois, et les deux régions sont caractérisées par le mélange des peuples et des religions. Dans la région de Pecs vivent aussi des Croates, des Serbes, des Ruthènes, des Slovaques, des Ukrainiens, comme en Slavonie », explique ce fonctionnaire, avant d’ajouter avec une moue de regret : « Les liens culturels sont moins forts avec la Bosnie, bien sûr. »
A Osijek, la capitale de la Slavonie croate, l’euro-région compte des militants enthousiastes, comme M. Miljenko Turjaski, responsable de l’Agence pour la démocratie locale, qui fut un opposant résolu au nationalisme du régime croate de Franjo Tudjman. Le projet de l’Agence visait à créer une culture démocratique encore balbutiante et à fournir un contrepoids aux tendances autoritaires du régime. « Nous avons bien sûr des affinités particulièrement fortes avec la Serbie et la Bosnie, parce que nous parlons tous des langues mutuellement intelligibles. Et l’euro-région essaye de redéfinir un espace qui est uni par l’histoire autant que par la géographie », explique-t-il.
Le projet d’euro-région s’est d’abord appuyé sur des pouvoirs locaux, qui échappaient à l’emprise des régimes nationalistes : la ville d’Osijek a toujours été un bastion de l’opposition au régime de Franjo Tudjman, et le canton de Tuzla constitue le fief des sociaux-démocrates bosniaques. Le directeur de la chambre de commerce d’Osijek est, lui aussi, un fervent partisan du projet, mais il reconnaît être plus intéressé par le développement des relations transdanubiennes que par l’intensification des échanges avec la Bosnie. En février 2001, l’Agence pour la démocratie locale a organisé une table ronde sur cet axe transdanubien, qui correspond au corridor de développement VII. La transition démocratique en Yougoslavie a permis la reprise des relations entre la Slavonie et la Voïvodine serbe, mais les échanges fluviaux demeurent encore très limités.
Créateur de l’Agence, M. Damir Juric est maintenant député au Sabor, le Parlement croate, unique élu du Parti régionaliste de Slavonie et de Baranja. Pour lui aussi, le caractère multiethnique de la région constitue l’une de ses principales richesses. Les armées austro-hongroises ont repris la Slavonie aux Turcs au XVIIIe siècle. Dans ces confins, une population mélangée s’est installée, regroupant colons agricoles de toutes origines et colons militaires comme les Serbes, appelés par la cour de Vienne. Les régionalistes croates, particulièrement influents en Istrie - une autre région multiethnique -, opposent clairement le nationalisme, relevant d’un seul groupe ethnonational, au régionalisme, qui réunit autour d’un projet de développement et de démocratisation tous les habitants d’une région.
Cette conception du régionalisme trouve aussi un écho chez les autonomistes de la Voïvodine serbe voisine, et des courants similaires se développent en Transylvanie roumaine. Serait-ce l’apanage des régions multiethniques fortement marquées par l’empreinte historique et culturelle austro-hongroise ? Ou bien est-ce aussi le propre des régions relativement favorisées dans leurs ensembles nationaux, qui essaieraient de trouver des voies spécifiques de développement, quitte à se faire taxer d’égoïsme par les régions moins favorisées ?
La Slavonie n’a pourtant toujours pas refermé la page de la guerre. Juste après la frontière, la petite ville de Beli Manastir a fait partie de la « République serbe de la Slavonie orientale, du Srem et de la Baranja ». L’autorité croate n’a été établie sur cette région qu’après les accords additionnels d’Erdut, en janvier 1998. Marija, une forte dame d’une soixantaine d’années, surveille sa petite-fille qui joue dans un square décoré d’un monument à la gloire de l’Armée rouge, laquelle libéra cette région avant que les partisans de Tito ne puissent y prendre pied. Elle est croate, et n’est revenue dans sa ville qu’en 1999, après huit années d’exil sur la côte. « Là-bas, comme réfugiés, nous recevions un minimum d’aide sociale : ici, il n’y a rien, ni travail ni aide humanitaire. »
Les traces de la guerre sont toujours particulièrement visibles à Vukovar, l’ancienne capitale de la « République serbe de la Slavonie orientale, du Srem et de la Baranja ». Les programmes de reconstruction n’ont véritablement commencé que depuis deux ans, et la ville demeure largement déserte : sur quelque 60 000 habitants avant-guerre, une dizaine de milliers de Serbes y vivraient toujours, tandis que seuls quelques milliers de Croates sont revenus.
Dans les villages de Slavonie, les maisons continuent souvent de porter des panneaux « A vendre », signalant que les Serbes n’ont pas encore fini de quitter la région. M. Turjaski a choisi de vivre dans l’un de ces villages, Tenja, car les prix de l’immobilier y sont particulièrement avantageux. Durant la guerre, ce bourg représentait une position stratégique importante des nationalistes serbes, à partir de laquelle ils pilonnaient la ville d’Osijek. Le plus proche voisin de M. Turjaski est serbe, nullement décidé à quitter sa région natale. En savourant des eaux-de-vie de fruits qu’ils distillent ensemble, les deux voisins rêvent tout haut d’une Slavonie pacifiée.
Rêveur, M. Darko Vargas l’est aussi. Hongrois et longtemps membre du Parti nationaliste croate HDZ, il est devenu maire de la petite commune de Bilje, après la restauration de l’autorité croate, en 1998. Bilje jouxte Osijek, sur l’autre rive de la Drave, qui marque la frontière entre les régions historiques de Slavonie, au sud de la rivière, et de Baranja, au nord. La population de Bilje est majoritairement hongroise, et la commune est surtout connue pour abriter le parc naturel du Kopacki Rid, un vaste ensemble marécageux que M. Vargas voudrait rendre à nouveau attractif pour les touristes.
Pourtant, ici aussi, les traces de l’histoire sont lourdes. Une bonne part du territoire du parc n’a toujours pas été déminée, et, à quelques kilomètres de Bilje, se cache le discret pavillon de chasse de Tikves, qui a abrité plusieurs rencontres entre MM. Milosevic et Tudjman en 1991. Ensuite, ce pavillon aurait servi de maison de repos aux paramilitaires serbes. Le corridor Vc pourrait ramener les touristes étrangers à Bilje, mais, en Croatie, l’écotourisme n’en est qu’à ses balbutiements.
Pour se rendre de Croatie en Bosnie-Herzégovine, plutôt que de passer par le vaste poste de Zupanija, les frontaliers préfèrent utiliser les barges qui traversent la Save, un affluent du Danube qui marque la frontière, et qui permettent d’éviter tout détour. Une de ces barges relie la petite poche croate d’Odjak, enclavée au sein de la Republika Srpska, l’« entité serbe » de Bosnie-Herzégovine, à la Croatie. La petite ville a été dévastée par le conflit, ses habitants croates et musulmans ont été chassés par les forces serbes, avant que les habitants serbes ne s’enfuient à leur tour. Grâce aux donations internationales, la reconstruction de la ville est allée bon train, mais, comme trop souvent en Bosnie, l’activité économique se réduit au néant, hormis quelques trafics transfrontaliers.
Un spectacle de désolation
Bientôt, un nouveau pont devrait être ouvert sur la Save. Le tracé du corridor Vc passe en effet par la petite ville de Samac, en Republika Srpska, qui dispose théoriquement de tous les atouts pour devenir un important noeud de communication. Le maire de la commune fait visiter le port fluvial - « le plus important de Bosnie, mais il a cessé toute activité depuis le début de la guerre ». Seuls quelques dragueurs croates sondent le fond de la rivière à la recherche de sable et de gravier pour la construction.
La gare offre une même image de désolation. « Autrefois, les trains venant de Sarajevo et de Banja Luka se retrouvaient à Samac. Ensuite, ils partaient vers la Croatie puis, peu après la frontière, il y avait une nouvelle bifurcation, vers Belgrade, Zagreb ou Budapest. » Désormais, seul le train de Banja Luka s’arrête deux fois par jour à Samac, devenu terminus des lignes de chemin de fer de la Republika Srpska.
M. le maire tient à montrer le pont, un superbe pont sur la Save, construit grâce à des financements européens. L’ouvrage d’art a été achevé en février 2002, mais il reste toujours fermé. Côté bosniaque, un policier monte nonchalamment la garde. Les autorités croates seraient prêtes à ouvrir cette nouvelle frontière, d’autant que le pont débouche, côté croate, à quelques kilomètres de l’autoroute qui relie Zagreb à Belgrade. Les blocages se trouvent côté bosniaque.
« Les frontières de la Bosnie-Herzégovine sont gardées par la police fédérale, commune aux deux entités du pays, explique, pédagogue, le maire de Samac. En revanche, les douanes sont du ressort de chacune des deux entités, et les taxes douanières constituent une part essentielle de leur budget. Ici, une bande de terre longeant la Save sur une largeur de 200 mètres dépend de la Fédération, qui voudrait donc que les douanes lui appartiennent. Mais ce poste-frontière est censé devenir l’un des plus importants du pays, d’importants terminaux douaniers seront donc construits sur le territoire de la Republika Srpska. Nos autorités veulent bien parler d’un partage de la douane avec la Fédération, mais celle-ci veut garder tout le gâteau pour elle ! »
Samac respire une très relative prospérité. On vient même d’y inaugurer une place piétonne avec un monument aux combattants serbes de la guerre de 1992-1995. Les prix sont sensiblement plus bas en Republika Srpska qu’en Croatie et même qu’en Fédération croato-bosniaque, et des chalands venus des « territoires hostiles » viennent donc faire leurs courses à Samac. Le maire de la commune ne cultive aucune illusion sur le corridor Vc. « La réconciliation par l’économie ? Pour faire des affaires, les gens parviennent toujours à s’entendre, mais l’Europe n’est pas intéressée à faire des investissements significatifs dans notre région. Nous ne sommes qu’une province oubliée de l’Europe... »
Jusqu’à Sarajevo, la route n’est pas belle. On distingue encore les ruines de quelques maisons détruites et incendiées dans un paysage sans charme. La plaine de la Posavina - la région des bords de la Save - cède peu à peu la place à des collines. Zenica, l’ancienne capitale bosniaque de la métallurgie, est une grande ville moderne, qui a vécu une guerre singulière. De toutes les grandes villes bosniaques, elle était la plus éloignée du front, et elle n’a donc pas directement souffert des combats. Zenica s’est fait connaître comme le bastion des moudjahidins, les volontaires étrangers de l’islam venus chercher en Bosnie le terrain d’une nouvelle guerre sainte.
Plusieurs années après la fin de la guerre, ces derniers avaient réussi à maintenir de minuscules « émirats » islamiques dans quelques villages des alentours. Les pressions internationales ont vite convaincu les autorités bosniaques de rompre avec la tolérance qu’elles affichaient sur ce sujet, et les derniers moudjahidins de Zenica sont revenus à plus de discrétion.
10 kilomètres sur 328
Près des bureaux de la communauté islamique locale, un magasin de mode féminine présente en vitrine les nouveaux modèles de voiles et de manteaux, mais les signes extérieurs de l’islam militant se font de plus en plus rares à Zenica, comme dans toute la Bosnie. A l’entrée du marché de la ville, quelques jeunes « barbus » tiennent commerce de cédéroms et de DVD. Ils reconnaissent avoir combattu dans la brigade islamique « régulière » de l’armée bosniaque. Maintenant, ils vendent des copies pirates de programmes informatiques ou de films américains.
Pour M. Muhamed efendi Lugavic, ancien mufti de Tuzla et l’une des grandes figures de l’islam « progressiste » de Bosnie, les radicaux ont renoncé à un peu de visibilité au profit d’une stratégie de long terme. « Ils prennent le contrôle de toutes les structures d’enseignement et de toutes les institutions de la communauté islamique », explique cet homme, démis de toutes ses fonctions en raison de son opposition aux courants rigoristes actuellement dominants dans l’islam bosniaque.
C’est sur le tronçon Zenica-Sarajevo que les travaux les plus visibles du corridor Vc ont commencé. Une autoroute est en train de voir le jour, mais à un rythme bosniaque : fort lent. Les fonds manqueraient déjà pour poursuivre le chantier. Le 15 mars 2002, un séminaire international sur la voie autoroutière internationale du corridor Vc s’est tenu à Sarajevo. Le projet global, allant de Samac à Doboj, Zenica, Sarajevo, Mostar jusqu’à la frontière croate s’étend sur 328 kilomètres. Coût global : la bagatelle de 2 461 280 000 euros. Plus modeste, le pacte de stabilité n’a pour l’instant pris en charge que l’amélioration d’un tronçon de... dix kilomètres au sud-est de Sarajevo, ainsi que la réfection d’un pont reliant la ville de Capljina à l’axe européen E73, pour un montant de 57 millions d’euros.
Aux abords de Sarajevo, cet axe E73, en travaux constants, passe à travers des quartiers en plein développement économique. Un peu plus loin, sur la route qui mène à l’aéroport, un supermarché a ouvert ses portes sous l’enseigne d’Interex- la branche internationale d’Intermarché, qui compte trois magasins dans le pays. L’ouverture de l’Interex de Banja Luka a même été présentée comme « le plus gros investissement étranger en Republika Srpska ». Pourtant, le magasin ne propose guère que les produits importés bas de gamme que l’on trouve dans tout le pays, et les prix restent très élevés pour la plupart des Bosniaques.
Sur Sniper Alley, la grande avenue qui mène vers le centre de Sarajevo, les traces de la guerre ont presque toutes disparu, sauf l’impressionnante carcasse du siège du quotidien Oslobodjenje, pilonné durant des mois. Pour le reste, on ne croise que des HLM refaites à neuf, des panneaux publicitaires, des tramways pimpants souvent frappés du logo « don du peuple du Japon », et une immense mosquée construite selon les standards architecturaux que les islamistes du golfe Persique tentent d’imposer dans les Balkans.
Beaucoup d’habitants de Sarajevo font actuellement un constat dramatique : les années actuelles sont les pires. « Les années de guerre ressemblaient à un cauchemar. Or, on sait que les cauchemars ont toujours un terme. Dans l’immédiat après-guerre, on pensait que le pays était convalescent, or les périodes de convalescence sont toujours délicates. Mais maintenant, nous sommes en train de perdre espoir », expliquent ainsi des jeunes Sarajéviens réunis dans un café à la mode du centre de la ville.
Les divisions politiques et le marasme économique du pays se soldent par une nouvelle saignée démographique. Alors que les réfugiés chassés par la guerre continuent, lentement, à revenir d’exil, beaucoup de Bosniaques - surtout les jeunes - ne songent qu’à refaire leur vie à l’étranger.
A l’échelle de toute la ville, il est difficile de faire le compte de ces mouvements de populations. Sarajevo comptait avant la guerre et compterait toujours actuellement environ 500 000 habitants. Parmi ces habitants, il y avait autrefois 150 000 Serbes, qui ont quitté Sarajevo dans leur grande majorité. « Beaucoup de Serbes sont restés à Sarajevo durant le siège, en secteur bosniaque, participant à la défense de la ville ou à son administration civile, rappelle un journaliste local. Ces gens-là ne sont partis qu’après le retour à la paix : ils ont été licenciés de leur travail, et on leur a expliqué que leurs appartements devaient être attribués à des réfugiés musulmans. »
Quelques jeunes déjà ivres...
Il resterait tout au plus une vingtaine de milliers de Serbes à Sarajevo, selon des statistiques très imprécises. Les habitants croates ou musulmans de Sarajevo ont aussi massivement quitté la ville durant la guerre, et le mouvement d’exil a continué après le retour de la paix, en raison du marasme économique. Parmi les 500 000 habitants actuels, seuls 100 000 à 150 000 seraient de « vieux » Sarajéviens. Les autres ? Des déplacés venus chercher refuge en ville. « L’esprit de Sarajevo a pu survivre à la guerre, mais la paix lui a été fatale », concluent avec amertume quelques-uns de ces « vieux » Sarajéviens.
Au départ de Sarajevo, une « autoroute » s’élance vers Mostar. Sur ce tronçon d’une dizaine de kilomètres, la vitesse reste limitée, et la route reprend vite l’allure d’une paisible nationale, avant même d’arriver à Pasalic, une petite ville bosniaque adossée au massif de l’Igman, théâtre de farouches combats lors du siège de Sarajevo. Vers Mostar, la route décrit d’amples tournants. Dans les campagnes, la végétation printanière achève de dissimuler les ruines des maisons détruites durant la guerre. Entre Tarcin et Konjic, des dizaines de vendeurs de miel et de fruits installent leurs auvents le long de la route. Les voyageurs ne s’arrêtent guère, mais les vendeurs tuent le temps en papotant entre eux ou en jouant aux échecs.
Plus au sud, après Mostar, la Fédération croato-bosniaque n’est plus qu’une illusion. Tendus sur des fils au-dessus de la route flottent toujours les drapeaux de la République croate d’Herceg Bosna, l’entité sécessionniste des Croates de Bosnie, officiellement dissoute. Et la grande ville de Mostar demeure rigoureusement divisée entre secteur est, bosniaque musulman, et secteur ouest, croate. Pour affirmer leur emprise sur la ville, les Croates ont érigé une grande croix sur une colline qui domine la ville, également surplombée par l’immense campanile de la cathédrale. En revanche, les travaux de reconstruction du vieux pont ottoman du XVIe siècle, détruit par l’artillerie croate en novembre 1993, viennent juste de commencer.
Les traces de la guerre frappent également à Pocitelj, une petite ville accrochée à flanc de colline à quelques kilomètres au sud de Mostar. Aux temps heureux où les touristes affluaient en Yougoslavie, la madrasa (école religieuse) Sisman Ibrahim Pacha, surmontée de ses cinq petites coupoles, avait été transformée en restaurant. L’édifice est en cours de restauration, mais toutes les portes sont solidement cadenassées. Seuls quelques jeunes gens des environs, déjà ivres en milieu d’après-midi, se réunissent dans l’unique café de Pocitelj, en contrebas de la porte fortifiée. « Ici, dit l’un, on est en Croatie » - le moindre propos discordant pourrait faire très vite déraper la situation.
La ville de Capljina, à quelques kilomètres à peine de Pocitelj, comptait autrefois nombre d’habitants serbes et musulmans. Les nationalistes croates ont pratiqué une sévère épuration ethnique, et l’on ne note aucun retour de réfugiés musulmans. La gare joue un rôle important dans les échanges entre le port de Ploce et la Bosnie. On accroche ici les trains venant de Croatie à des locomotives bosniaques.
Quelques cheminots discutent dans les bâtiments décrépits. Le chef de gare explique : « Nous dépendons toujours des chemins de fer croates d’Herceg Bosna, mais nous devons désormais être réunis aux chemins de fer de Bosnie-Herzégovine. Entre nous, la coopération se passe bien, même si nous sommes beaucoup plus compétitifs que les Bosniaques, car nous avons su dégraisser nos effectifs. En revanche, nous n’avons aucune relation avec les chemins de fer de la Republika Srpska. » La Bosnie compte ainsi trois compagnies distinctes pour guère plus de 1 000 kilomètres de voies ferrées. Aux abords de Mostar, la situation est ubuesque : les compagnies bosniaque et croato-bosniaque doivent chacune entretenir des tronçons de voies ferrées qui se succèdent tous les quelques kilomètres. « C’est comme ça, la Bosnie, lâche le chef de gare de Capljina. Mais rassurez-vous, il n’y a jamais eu d’accident ! »
La frontière de Metkovic marque le principal point de passage entre la Bosnie et la Croatie. Des deux côtés, les policiers sont pourtant croates, soit de Croatie, soit de Bosnie. On passe généralement sans aucun contrôle policier ni douanier. Les poids lourds traversent la frontière plus à l’ouest, par un petit poste niché dans la montagne. Si le corridor Vc parvenait véritablement à engendrer des flux d’échanges conséquents, ce dispositif douanier devrait être revu, mais les douanes d’Herzégovine, au lieu d’alimenter le budget de la Fédération croato-bosniaque, continuent très largement de nourrir la caisse noire des nationalistes croates d’Herzégovine.
Tout au bout du corridor Vc, le port de Ploce se niche au fond d’une baie. Sur le front de mer, des immeubles collectifs lépreux dissuadent les touristes de s’arrêter. Selon le directeur adjoint, M. Svemir Zekulic, les activités portuaires employaient autrefois 5 000 personnes, contre à peine 2 000 aujourd’hui. Un bateau est en train d’être chargé de solives de bois, un des rares articles que la Bosnie parvient à exporter, principalement en direction de pays arabes. En 1989, le trafic s’élevait à 4 495 000 tonnes ; il stagnait en 2001 à 921 000. Malgré de vastes projets d’extension, aucune hausse sensible du trafic n’est prévue dans les années à venir. M. Svemir Zekulic commence pourtant ses journées en consultant sur Internet la presse de Croatie, de Bosnie et de Serbie, car il est bien convaincu que le développement des échanges régionaux constitue la seule perspective d’avenir pour le port...
Jean-Arnault Dérens.
Les Garibaldiens