II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus
En 1996, Jean-Christophe Grellety ("voir son blog") m'a donné l'opportunité d'écrire un article sur Schopenhauer dans le magazine qu'il avait créé "Socrate&co", qui était pour l'époque un pari exceptionnel pour insuffler un nouveau souffle dans l'ère de la pensée unique… Malheureusement, faute d'avoir voulu rester indépendant, le magazine a disparu.
La rediffusion de cet article est donc un petit clin d'œil à ce magazine… Il avait été rédigé suite à la lecture du livre "les femmes ? De leur émancipation" (Marc Sautet, 1998, Editions JC Lattès, pour en savoir plus sur Marc Sautet "http://www.philos.org/marc.html", que je vous recommande.
"Connaître, c'est s'éclater vers, par là soi, vers ce qui n'est pas soi…"… Certes, mais notre for intérieur est parfois bien plus rusé que notre raison…
Schopenhauer, dans "les femmes ? De leur émancipation", est loin de s'arracher de son intimité pour connaître ce singe bizarre, qu'est la femme. Ecrire en toute impunité est une suprême liberté… Mais, cette liberté devrait-elle s'arrêter au moment où la pensée est capable de justifier le mal comme le mâle ?
On ne sait pas si Schopenhauer s'engage à démontrer l'infériorité de la femme ou s'il subit simplement la haine qu'il éprouve envers l'humanité. Il est obnubilé par une vision maligne de la femme. Dénigrant le culte de la beauté, il cherche à réduire la femme à un vulgaire animal dont le charme serait l'outil parfait de la torture.
En bref, sa finalité est de briser l'image du deuxième sexe. Cependant, la fin peut-elle justifier les moyens ?
La haine ne devrait pas en principe tuer la raison. Et pourtant, cher Arthur, votre philosophie ressemble parfois à de la subjectivité rationalisée.
Mettre du soi dans ses écrits, c'est se trahir. Et Schopenhauer excelle dans ce domaine, à sa grande perte peut-être… En fait, les défauts qu'il reproche aux femmes sont en fait les siens : manque de logique, compassion avec son propre malheur. Paradoxalement, ses arguments se retournent contre lui. Le mal semble être un éternel retour… Nous avons donc un effet boomerang, Schopenhauer est dévoilé.
Tout d'abord, Monsieur Schopenhauer, de quelle femme parlez-vous ? Avez-vous considéré la femmes in concreto ou in abstracto ?
Schopenhauer a une cible : sa mère, cette femme qui l'exaspère. La philosophie devient alors le siège de la rancune. La "dame en Europe" n'est en fait qu'inspirée du portrait hypocrite et égoïste de sa mère. Ainsi lorsqu'il oppose "l'homme intelligent et prudent" à la femme "arrogante", il ne fait que reproduire le couple disparate qu'étaient son père, un commerçant dépressif et sa mère, une femme frivole, dépensière, voleuse d'héritage. Cette irruption de détails autobiographiques vient troubler l'objectivité. S'agit-il alors d'œuvres philosophiques ou autobiographiques ?
Mais, vous n'avez pas encore vu à quel point Schopenhauer peut être acerbe. Continuons donc à parcourir ses pensées. Il prive la femme de sa liberté en soutenant qu'elle est déterminée par sa nature. Selon lui, tous les défauts des femmes sont innés et toutes ses qualités inventées par la société. Mais n'aurait-il pas lui-même été déterminé par la nature ? Par ses gênes ? Atteint d'une sorte de symptômes dépressifs ? Ses oncles furent internés dans un hôpital psychiatrique et son père, rappelons-le, s'est suicidé. La mélancolie, le pessimisme, la dépression, seraient-ils héréditaires ?
Il se permet de juger aussi du QI des femmes, comme si d'ailleurs l'intellect pouvait servir de rempart à la bêtise humaine… Mais, amusons-nous nous-aussi à juger son sens de la logique, car ses arguments sont parfois de véritables calembredaines…
Voici l'énoncé posé par Schopenhauer… A vos stylos !
"l'homme peut sans peine engendrer en une années plus de 100 enfants, s'il a sa disposition un nombre égal de femmes, tandis qu'une femme, même avec un pareil nombre d'hommes ne pourrait toujours mettre au monde qu'un enfant dans l'année".
Cela pourrait ressembler de loin à un problème d'algèbre… Mais, c'est plutôt un argumentaire malhonnête. En effet, il part de l'hypothèse de 100 femmes. On en déduit corrélativement un nombre égal de 100 hommes. Si un seul d'entre eux féconde 100 femmes, alors les 99 restants sont alors inutiles… Dès lors la puissance des hommes reste subordonnée aux capacités des femmes. Les femmes rendent donc l'homme impuissant…
Pour Schopenhauer, l'homme est par définition un être rationnel et intelligent. Acceptons alors négligemment un tel principe. Deux contradictions surviennent encore :
- Première contradiction : "elles excitent constamment ce qu'il y a de moins noble en nous ; elles sont faites pour commercer avec notre faiblesse, notre folie, mais avec notre raison". Pourquoi l'homme si rationnel, n'arrive-t-il pas à maîtriser ses pulsions ? D'ailleurs, ne serait-ce pas quelques peu idéaliste, cartésien de dissocier le corps de la raison ? Il ose en plus énoncer qu'il "faut aux femmes sans cesse un tuteur". Mais, c'est l'homme l'incapable ! C'est lui qui n'a aucun pouvoir sur ses désirs. C'est donc lui qui a besoin d'être protégé par un tuteur contre lui-même. Schopenhauer, oserait-il imputer la faute aux femmes lorsqu'elles sont violées ?
- Seconde contradiction… "L'homme rationnel est victime de son éducation". Remarquons la mauvaise foi de Schopenhauer. Lorsque la femme dissimule, c'est inné, purement biologique. Elle est assimilable à une "sépia". Par contre, lorsque les hommes dissimulent, attention, NUANCE : c'est l'œuvre de l'éducation. Oui, mais voilà, l'homme a le privilège de pouvoir choisir entre sa véritable nature et son éducation. Et pourtant il se conduit en vrai lâche. "La femme a besoin d'un maître", et l'homme est esclave de son surmoi. Nous voilà, donc bien partis, à moins que la dialectique hégélienne vienne à notre secours…
Pour un maître du désespoir, Schopenhauer ne s'est pourtant pas totalement libéré de ses illusions, telles que la polygamie, le mythe de Don Juan, Iseult, la femme fidèle… Selon lui, l'homme a besoin de changement, or nous savons aujourd'hui que seule la femmes est sujette aux variations hormonales…
Pour Arthur, la femme doit satisfaire le désir primaire de l'homme. Elle est ainsi réduite à un produit de consommation. "Le génie de l'espèce est un industriel qui ne veut que produire".
On en revient alors au mythe de Rome, fusionné avec la pensée de Hobbes : la femme est une louve pour l'homme. Elle ne cherche que la perpétuation de l'espèce à travers sa coquetterie.
En fait, Schopenhauer hait la femme, le foyer de l'existence, parce qu'il hait la vie. "L'ascète sauve de la vie des générations entières; les femmes ne l'ont pas voulu; c'est pourquoi je les hais".
L'odeur de pessimisme qui s'en dégage est assez proche de la conception fataliste de la chrétienté du moyen âge : la vie est une souffrance et la mort sa délivrance. Il fait indirectement référence au péché originel.
Il reproche à la femme de susciter l'amour. "L'amour, c'est le mal". La femme n'est pourtant pas l'unique responsable de la reproduction de l'espèce.
Schopenhauer est donc aveuglé par ses sentiments de misanthrope invétéré. Mais pourquoi n'a-t-il pas nommé comme Flaubert, ses écrits torturés de désillusion "Mémoires d'un fou"…
A sa décharge, il a quand même reconnu qu'il existait "quelques individualités, et quelques exceptions", qui se démarquaient de la femme en général. Mais, fidèle à lui-même, il rajoutera que ceci ne changerait rien… Et bien, le temps, l'évolution, lui donneront tort.
"Deviens ce que tu es" ou "Connais-toi toi-même", ne l'ont décidément par marqué. Pourtant, mieux vaut encore suicider ses aspérités de caractère, que d'enterrer les autres dans un cercueil.
Et même si les femmes étaient comparables aux fleurs du mal, comme disait Baudelaire " La sensibilité de chacun, c'est son génie". Ne méprisons donc aucune sensibilité…
Pour cela, Arthur, nous respectons ta sensibilité et tes mauvaises pensées… et ce, sans rancune!
Schopenhauer, dans "les femmes ? De leur émancipation", est loin de s'arracher de son intimité pour connaître ce singe bizarre, qu'est la femme. Ecrire en toute impunité est une suprême liberté… Mais, cette liberté devrait-elle s'arrêter au moment où la pensée est capable de justifier le mal comme le mâle ?
On ne sait pas si Schopenhauer s'engage à démontrer l'infériorité de la femme ou s'il subit simplement la haine qu'il éprouve envers l'humanité. Il est obnubilé par une vision maligne de la femme. Dénigrant le culte de la beauté, il cherche à réduire la femme à un vulgaire animal dont le charme serait l'outil parfait de la torture.
En bref, sa finalité est de briser l'image du deuxième sexe. Cependant, la fin peut-elle justifier les moyens ?
La haine ne devrait pas en principe tuer la raison. Et pourtant, cher Arthur, votre philosophie ressemble parfois à de la subjectivité rationalisée.
Mettre du soi dans ses écrits, c'est se trahir. Et Schopenhauer excelle dans ce domaine, à sa grande perte peut-être… En fait, les défauts qu'il reproche aux femmes sont en fait les siens : manque de logique, compassion avec son propre malheur. Paradoxalement, ses arguments se retournent contre lui. Le mal semble être un éternel retour… Nous avons donc un effet boomerang, Schopenhauer est dévoilé.
Tout d'abord, Monsieur Schopenhauer, de quelle femme parlez-vous ? Avez-vous considéré la femmes in concreto ou in abstracto ?
Schopenhauer a une cible : sa mère, cette femme qui l'exaspère. La philosophie devient alors le siège de la rancune. La "dame en Europe" n'est en fait qu'inspirée du portrait hypocrite et égoïste de sa mère. Ainsi lorsqu'il oppose "l'homme intelligent et prudent" à la femme "arrogante", il ne fait que reproduire le couple disparate qu'étaient son père, un commerçant dépressif et sa mère, une femme frivole, dépensière, voleuse d'héritage. Cette irruption de détails autobiographiques vient troubler l'objectivité. S'agit-il alors d'œuvres philosophiques ou autobiographiques ?
Mais, vous n'avez pas encore vu à quel point Schopenhauer peut être acerbe. Continuons donc à parcourir ses pensées. Il prive la femme de sa liberté en soutenant qu'elle est déterminée par sa nature. Selon lui, tous les défauts des femmes sont innés et toutes ses qualités inventées par la société. Mais n'aurait-il pas lui-même été déterminé par la nature ? Par ses gênes ? Atteint d'une sorte de symptômes dépressifs ? Ses oncles furent internés dans un hôpital psychiatrique et son père, rappelons-le, s'est suicidé. La mélancolie, le pessimisme, la dépression, seraient-ils héréditaires ?
Il se permet de juger aussi du QI des femmes, comme si d'ailleurs l'intellect pouvait servir de rempart à la bêtise humaine… Mais, amusons-nous nous-aussi à juger son sens de la logique, car ses arguments sont parfois de véritables calembredaines…
Voici l'énoncé posé par Schopenhauer… A vos stylos !
"l'homme peut sans peine engendrer en une années plus de 100 enfants, s'il a sa disposition un nombre égal de femmes, tandis qu'une femme, même avec un pareil nombre d'hommes ne pourrait toujours mettre au monde qu'un enfant dans l'année".
Cela pourrait ressembler de loin à un problème d'algèbre… Mais, c'est plutôt un argumentaire malhonnête. En effet, il part de l'hypothèse de 100 femmes. On en déduit corrélativement un nombre égal de 100 hommes. Si un seul d'entre eux féconde 100 femmes, alors les 99 restants sont alors inutiles… Dès lors la puissance des hommes reste subordonnée aux capacités des femmes. Les femmes rendent donc l'homme impuissant…
Pour Schopenhauer, l'homme est par définition un être rationnel et intelligent. Acceptons alors négligemment un tel principe. Deux contradictions surviennent encore :
- Première contradiction : "elles excitent constamment ce qu'il y a de moins noble en nous ; elles sont faites pour commercer avec notre faiblesse, notre folie, mais avec notre raison". Pourquoi l'homme si rationnel, n'arrive-t-il pas à maîtriser ses pulsions ? D'ailleurs, ne serait-ce pas quelques peu idéaliste, cartésien de dissocier le corps de la raison ? Il ose en plus énoncer qu'il "faut aux femmes sans cesse un tuteur". Mais, c'est l'homme l'incapable ! C'est lui qui n'a aucun pouvoir sur ses désirs. C'est donc lui qui a besoin d'être protégé par un tuteur contre lui-même. Schopenhauer, oserait-il imputer la faute aux femmes lorsqu'elles sont violées ?
- Seconde contradiction… "L'homme rationnel est victime de son éducation". Remarquons la mauvaise foi de Schopenhauer. Lorsque la femme dissimule, c'est inné, purement biologique. Elle est assimilable à une "sépia". Par contre, lorsque les hommes dissimulent, attention, NUANCE : c'est l'œuvre de l'éducation. Oui, mais voilà, l'homme a le privilège de pouvoir choisir entre sa véritable nature et son éducation. Et pourtant il se conduit en vrai lâche. "La femme a besoin d'un maître", et l'homme est esclave de son surmoi. Nous voilà, donc bien partis, à moins que la dialectique hégélienne vienne à notre secours…
Pour un maître du désespoir, Schopenhauer ne s'est pourtant pas totalement libéré de ses illusions, telles que la polygamie, le mythe de Don Juan, Iseult, la femme fidèle… Selon lui, l'homme a besoin de changement, or nous savons aujourd'hui que seule la femmes est sujette aux variations hormonales…
Pour Arthur, la femme doit satisfaire le désir primaire de l'homme. Elle est ainsi réduite à un produit de consommation. "Le génie de l'espèce est un industriel qui ne veut que produire".
On en revient alors au mythe de Rome, fusionné avec la pensée de Hobbes : la femme est une louve pour l'homme. Elle ne cherche que la perpétuation de l'espèce à travers sa coquetterie.
En fait, Schopenhauer hait la femme, le foyer de l'existence, parce qu'il hait la vie. "L'ascète sauve de la vie des générations entières; les femmes ne l'ont pas voulu; c'est pourquoi je les hais".
L'odeur de pessimisme qui s'en dégage est assez proche de la conception fataliste de la chrétienté du moyen âge : la vie est une souffrance et la mort sa délivrance. Il fait indirectement référence au péché originel.
Il reproche à la femme de susciter l'amour. "L'amour, c'est le mal". La femme n'est pourtant pas l'unique responsable de la reproduction de l'espèce.
Schopenhauer est donc aveuglé par ses sentiments de misanthrope invétéré. Mais pourquoi n'a-t-il pas nommé comme Flaubert, ses écrits torturés de désillusion "Mémoires d'un fou"…
A sa décharge, il a quand même reconnu qu'il existait "quelques individualités, et quelques exceptions", qui se démarquaient de la femme en général. Mais, fidèle à lui-même, il rajoutera que ceci ne changerait rien… Et bien, le temps, l'évolution, lui donneront tort.
"Deviens ce que tu es" ou "Connais-toi toi-même", ne l'ont décidément par marqué. Pourtant, mieux vaut encore suicider ses aspérités de caractère, que d'enterrer les autres dans un cercueil.
Et même si les femmes étaient comparables aux fleurs du mal, comme disait Baudelaire " La sensibilité de chacun, c'est son génie". Ne méprisons donc aucune sensibilité…
Pour cela, Arthur, nous respectons ta sensibilité et tes mauvaises pensées… et ce, sans rancune!
Rédigé par Marjorie Rafécas le Samedi 3 Mars 2007 à 16:21
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Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.
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