II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus
A qui appartient le bonheur?
Dans le roman de 99frs (Grasset 2000), on apprend qu'il appartient à Nestlé...
Il n'est pas besoin de disserter sur la qualité littéraire de ce livre, ce qui compte c'est l'agitation qu'il suscite :
- Premièrement, on remarque que Platon a plus de succès sur les panneaux publicitaires que sur les bancs du lycée, car le mythe de la caverne n'est plus un mythe... Les concepts philosophiques (qui soulignons-le : ne coûtent rien!) servent aux slogans. Lacoste ne s'est pas gêné : le "deviens ce que tu es" de Nietzsche s'est vu avalé par un crocodile... Voilà une utilisation lucrative de la philosophie!!!
- Deuxièmement, le marketing en littérature fonctionne. Les titres de Beigbeder ne sont pas des titres ronflants, ils sont comme des slogans qui viennent intercepter le lecteur distrait. Faire d'un titre un slogan, la méthode de Beigbeder n'a pas failli. C'est intéressant...
Mais pour certains, la méthode "Beigbederienne" qui consiste à descendre le monde de la pub afin de gagner des millions, est culotté et a comme un côté de plumitif... En attendant, personne n'avait pensé à proposer une lecture à 99 frs, ou un amour qui dure 3 ans. Or, le public semble apprécier les chiffres multiples de trois!
On lui reproche de jouer au cynique mondain qui n'assume pas ses aigreurs. Mais serait-ce l'un des premiers écrivains qui écrit un livre pour "porter plainte?" (pour reprendre une expression dans "l'Amour dure trois ans") Seulement voilà, lorsque cette plainte permet de gagner quelques millions, la tirelire vire en délire puisque le livre n'est pas "authentifié" par la vie de l'écrivain. Cependant, depuis quand doit on vivre comme on écrit?
Pourtant, pour des personnes comme Marc Laimé qui a écrit "comment être millionnaire sans se fatiguer : l'affaire F. Beigbeder" (http://www.uzine.net), il semblerait que la fonction d'écrivain soit incompatible avec la richesse.
F.B aurait gagné des millions grâce à la start up de son frère.... Et alors???
Pourquoi les écrivains (ou autres plumitifs, si votre vision de l'écrivain correspond à un vieil idéal romantique...), devraient-ils demeurer pauvres?
Pourquoi cette idéologie fataliste, cette image de l'écrivain épuisé, parasite incompris etc... etc...??
Cela rappelle finalement une critique dédiée envers un autre écrivain (auquel on refuse d'ailleurs le titre de philosophe) : Voltaire, le spéculateur. Apparemment, on ne peut pas être dénonciateur et spéculateur. Non, être un "Zola Trader", c'est pas crédible... L'écrivain devrait être un HERO... Combien de fois n'a-t-on pas critiqué la philosophie de Sartre au motif que l'auteur n'était qu'un lâche... Ne confondons pas l'auteur et son oeuvre. Même si Beigbeder n'est pas au goût de l'Académie française, prenons ces livres comme des cafés bien serrés, qui nous secouent un peu. On a besoin de caféine littéraire, la littérature ne rime pas toujours avec des mots hautement soporifiques... Certes ce n'est pas des scénarios extraordinaires, certes les personnages sont prévisibles, certes le style est un peu facile, mais on aime bien!!! Parfois, le lecteur a juste besoin que l'on critique sa routine et qu'on l'aide à mépriser ce qui est méprisable...
Plus qu'une critique de l'argent, 99 frs dénonce le bonheur factice que véhicule la pub. La fabrication d'un bonheur industriel est un leurre. D'ailleurs, plus on est malheureux, plus on consomme, c'est l'instinct de survie compulsif! La publicité utilise des clichés qui nous séduisent, mais ce ne sont que les ombres, les plagiats d'un bonheur inconscient (voilà où l'on retrouve le mythe de la caverne...). La pub n'est pas que platonicienne, elle est aussi donjuanesque : elle prône le changement pour mieux déployer la force du consumérisme. Les gens qui ne changent pas, soit les nostalgiques, sont des ringards! Bien sûr, la nostalgie fait partie des clichés publicitaires : la confiture de l'enfance, ou le chocolat de Grand Mère, mais cela ressemble plus à la fable du corbeau et du renard, qu'à la véritable réminiscence de l'enfance... Bien sûr la pub peut beaucoup nous en apprendre sur nous, et servir de thérapie du désir... Mais pour cela, il ne faut pas être dupe.
Par conséquent, 99frs est un livre qui fait sourire. Seul reproche : il est clair qu'il est bourré de clichés faciles : des patrons bêtes et méchants, des femmes à problème un peu chosifiées, des Etats Unis drogués de vieux riches... Quant à la critique selon laquelle F.Beigbeder aurait imité le style de Bret Easton Ellis, personnellement je ne trouve pas. Bien sûr il y a du cynisme... Mais F.Beigbeder a plus un style de "publicitaire" empoigné de slogans, avec des phrases qui font l'effet d'onomatopée, des flashs de mots qui se renvoient la balle.
En tout cas, deux remarques qui restent à la lecture de ses livres :
- Notre société n'a pas intérêt à ce que l'on soit seul car "je suis seul donc je pense". Et plus on réfléchit, moins on consomme...
- Le concept du "prince charmant" est indétronable : la quête de l'absolu, même si ce concept n'a pas été créé par la pub, elle l'exploite sans vergogne...
Maintenant, à nous de voir quelle est la frontière entre le bonheur conceptuel et le bonheur consommable....
Quelques citations amusantes
"Pourquoi courons-nous après la beauté? Parce que ce monde est laid à mourir"
"Tout le monde a la même bouche" Cette phrase n'a à première vue aucune pertinence, mais vu sous l'angle de la chirurgie esthétique, il est clair que le consumérisme a comme un goût de clonage... Que le conventionnel dérive sur nos corps, et nous voilà très proches de remettre en cause la combinaison aléatoire des gênes, cette combinaison qui nous permet pourtant d'être unique...
Rire c'est comme "du mécanique plaqué sur du vivant" (Bergson) Les larmes c'est l'inverse : "du vivant plaqué sur du mécanique", "un robot qui tombe en panne, un dandy gagné par le naturel".
C'est vrai que l'artifice s'achève là où commencent les larmes...
"Ce qui est étonnant, ce n'est pas que notre vie soit une pièce de théâtre, c'est qu'elle comporte si peu de personnages"
Cette réalité contraste étonnamment avec le monde donjuanesque dans lequel la télé voudrait nous faire vivre. On ne vit pas dans un monde peuplé de gens, mais que de quelques noms...
(article publié en 2002)
l[]l
- Premièrement, on remarque que Platon a plus de succès sur les panneaux publicitaires que sur les bancs du lycée, car le mythe de la caverne n'est plus un mythe... Les concepts philosophiques (qui soulignons-le : ne coûtent rien!) servent aux slogans. Lacoste ne s'est pas gêné : le "deviens ce que tu es" de Nietzsche s'est vu avalé par un crocodile... Voilà une utilisation lucrative de la philosophie!!!
- Deuxièmement, le marketing en littérature fonctionne. Les titres de Beigbeder ne sont pas des titres ronflants, ils sont comme des slogans qui viennent intercepter le lecteur distrait. Faire d'un titre un slogan, la méthode de Beigbeder n'a pas failli. C'est intéressant...
Mais pour certains, la méthode "Beigbederienne" qui consiste à descendre le monde de la pub afin de gagner des millions, est culotté et a comme un côté de plumitif... En attendant, personne n'avait pensé à proposer une lecture à 99 frs, ou un amour qui dure 3 ans. Or, le public semble apprécier les chiffres multiples de trois!
On lui reproche de jouer au cynique mondain qui n'assume pas ses aigreurs. Mais serait-ce l'un des premiers écrivains qui écrit un livre pour "porter plainte?" (pour reprendre une expression dans "l'Amour dure trois ans") Seulement voilà, lorsque cette plainte permet de gagner quelques millions, la tirelire vire en délire puisque le livre n'est pas "authentifié" par la vie de l'écrivain. Cependant, depuis quand doit on vivre comme on écrit?
Pourtant, pour des personnes comme Marc Laimé qui a écrit "comment être millionnaire sans se fatiguer : l'affaire F. Beigbeder" (http://www.uzine.net), il semblerait que la fonction d'écrivain soit incompatible avec la richesse.
F.B aurait gagné des millions grâce à la start up de son frère.... Et alors???
Pourquoi les écrivains (ou autres plumitifs, si votre vision de l'écrivain correspond à un vieil idéal romantique...), devraient-ils demeurer pauvres?
Pourquoi cette idéologie fataliste, cette image de l'écrivain épuisé, parasite incompris etc... etc...??
Cela rappelle finalement une critique dédiée envers un autre écrivain (auquel on refuse d'ailleurs le titre de philosophe) : Voltaire, le spéculateur. Apparemment, on ne peut pas être dénonciateur et spéculateur. Non, être un "Zola Trader", c'est pas crédible... L'écrivain devrait être un HERO... Combien de fois n'a-t-on pas critiqué la philosophie de Sartre au motif que l'auteur n'était qu'un lâche... Ne confondons pas l'auteur et son oeuvre. Même si Beigbeder n'est pas au goût de l'Académie française, prenons ces livres comme des cafés bien serrés, qui nous secouent un peu. On a besoin de caféine littéraire, la littérature ne rime pas toujours avec des mots hautement soporifiques... Certes ce n'est pas des scénarios extraordinaires, certes les personnages sont prévisibles, certes le style est un peu facile, mais on aime bien!!! Parfois, le lecteur a juste besoin que l'on critique sa routine et qu'on l'aide à mépriser ce qui est méprisable...
Plus qu'une critique de l'argent, 99 frs dénonce le bonheur factice que véhicule la pub. La fabrication d'un bonheur industriel est un leurre. D'ailleurs, plus on est malheureux, plus on consomme, c'est l'instinct de survie compulsif! La publicité utilise des clichés qui nous séduisent, mais ce ne sont que les ombres, les plagiats d'un bonheur inconscient (voilà où l'on retrouve le mythe de la caverne...). La pub n'est pas que platonicienne, elle est aussi donjuanesque : elle prône le changement pour mieux déployer la force du consumérisme. Les gens qui ne changent pas, soit les nostalgiques, sont des ringards! Bien sûr, la nostalgie fait partie des clichés publicitaires : la confiture de l'enfance, ou le chocolat de Grand Mère, mais cela ressemble plus à la fable du corbeau et du renard, qu'à la véritable réminiscence de l'enfance... Bien sûr la pub peut beaucoup nous en apprendre sur nous, et servir de thérapie du désir... Mais pour cela, il ne faut pas être dupe.
Par conséquent, 99frs est un livre qui fait sourire. Seul reproche : il est clair qu'il est bourré de clichés faciles : des patrons bêtes et méchants, des femmes à problème un peu chosifiées, des Etats Unis drogués de vieux riches... Quant à la critique selon laquelle F.Beigbeder aurait imité le style de Bret Easton Ellis, personnellement je ne trouve pas. Bien sûr il y a du cynisme... Mais F.Beigbeder a plus un style de "publicitaire" empoigné de slogans, avec des phrases qui font l'effet d'onomatopée, des flashs de mots qui se renvoient la balle.
En tout cas, deux remarques qui restent à la lecture de ses livres :
- Notre société n'a pas intérêt à ce que l'on soit seul car "je suis seul donc je pense". Et plus on réfléchit, moins on consomme...
- Le concept du "prince charmant" est indétronable : la quête de l'absolu, même si ce concept n'a pas été créé par la pub, elle l'exploite sans vergogne...
Maintenant, à nous de voir quelle est la frontière entre le bonheur conceptuel et le bonheur consommable....
Quelques citations amusantes
"Pourquoi courons-nous après la beauté? Parce que ce monde est laid à mourir"
"Tout le monde a la même bouche" Cette phrase n'a à première vue aucune pertinence, mais vu sous l'angle de la chirurgie esthétique, il est clair que le consumérisme a comme un goût de clonage... Que le conventionnel dérive sur nos corps, et nous voilà très proches de remettre en cause la combinaison aléatoire des gênes, cette combinaison qui nous permet pourtant d'être unique...
Rire c'est comme "du mécanique plaqué sur du vivant" (Bergson) Les larmes c'est l'inverse : "du vivant plaqué sur du mécanique", "un robot qui tombe en panne, un dandy gagné par le naturel".
C'est vrai que l'artifice s'achève là où commencent les larmes...
"Ce qui est étonnant, ce n'est pas que notre vie soit une pièce de théâtre, c'est qu'elle comporte si peu de personnages"
Cette réalité contraste étonnamment avec le monde donjuanesque dans lequel la télé voudrait nous faire vivre. On ne vit pas dans un monde peuplé de gens, mais que de quelques noms...
(article publié en 2002)
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Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.
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