FRANCOISE C.*

15/02/2008


Mélancolie bucolique

Une tige de nénuphar sectionnée par un rongeur: quelle misère!
Le monde agricole ne sait plus à quel ordre se fier. Depuis tous les matins du monde, ceux qui m'ont précédés ont su que le respect des cycles des saisons, l'adaptation des cultures à la qualité des sols et aux besoins des habitants des environs permettraient une agriculture raisonnée et une campagne fertile et généreuse.
Puis les enjeux sont devenus complexes. Les paysans ont tendu l'oreille à des voix tentatrices: elles leur promettaient un travail moins dur, une meilleure rentabilité, la possibilité de périodes de loisirs. Elles évoquaient aussi sans doute la nécessité de la modernisation, de l'endettement pour plus de performance, pour accepter bientôt la mainmise des sociétés céréalières, camouflées en caricatures de coopératives ou pire s'affichant en multinationales. Mais le désir de progrès, comment apprendre à le nourrir en respectant l'authenticité de nos régions de polycultures, le quadrillage de nos campagnes avec leurs haies vives, leurs ruisseaux à l'eau si transparente qu'on y suit la trace des gardons, qu'on y dérange les grenouilles ou les poules d'eau conduisant leurs poussins à leur leçon de nage de plus en plus éloignée du nid de leurs parents?
A Pécoste, à côté du moulin, il raisonne; il espérait préserver une vie intelligente et accepter un modernisme de bon aloi. Oui au tracteur, au ramassage du lait, à la modernisation de la maison. Il ne serait pas dit que son petit fils à naître n'aurait pas une baignoire et que les amis du moulin ne pourraient pas surveiller les veaux qui têtent dans l'étable préservée. Il faudrait voir qu'on ne puisse bientôt plus cacher les cèpes têtes noires à l'entour des souches du petit bois avant que la bande rieuse ne s'égaie sous les chênes. Le temps avait beau s'accélérer, il aurait été malheureux qu'il ne prenne pas les après-midis nécessaires à la taille des haies pour que les mûres soient cueillies sans crainte de pesticides et deviennent tartes ou confitures. Qui aurait pu l'empêcher d'attendre le prof pour aller choisir avec lui les derniers outils nécessaires et rouler la gitane maïs en plastronnant devant les collègues sur la qualité de ses relations? Comment l'empêcher de déboucher le vin blanc inbuvable auquel seules les femmes réussissaient à échapper ou l'aider à ramasser au lieu de faire la sieste les haricots tarbais grimpant le long des quelques pieds de maïs plantés à cet usage?
Les fleurs de nénuphar dérivent, séparées de leurs racines, les champs de maïs ont remplacé les blés si importants pour la couleur de l'amitié et les rires des amis ne résonnent plus sur les étangs. Mais on s'attend toujours à deviner la silhouette de Guy dans les brouillards du souvenir et son petit fils conduit le tracteur à sa place avec sagesse et détermination, gitane papier maïs à jamais éteinte.


Françoise fin janvier 2008.




Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 15/02/2008 à 08:20