CHANTAL

08/11/2006


Mots à insérer :

CAGES : cascade, casser, acrobate, amical, géant, gare, ennemi, enlever, souvenir, sonore
JOKERS : joie, brillant, rose, solitude







GARE AUX SOUVENIRS


Où « Comment le temps peut vous transformer un éden en enfer exotique »

Il est 6 heures du matin sous le soleil des tropiques et déjà celui-ci brille généreusement, gratifiant les Antilles d’une douce chaleur.
Alice ne tient plus en place dans sa petite chambre d’hôtel : elle a déjà passé plusieurs fois en revue son équipement de randonneuse, que dis-je, d’aventurière, et se remémore avec bonheur cette ballade faite quelques années plus tôt avec son petit mari. Le souvenir en est resté intact et aujourd’hui elle va donc retrouver ce monde merveilleusement coloré et sauvage de la forêt tropicale avec, cette fois son amie Marie qui a gagné ce voyage au cours d’un loto de village. Alors bien sûr les conditions ne seront pas aussi idylliques mais la beauté du site suffira à les combler de joie.
Alice le sait et a longuement parlé à Marie de cette émotion toute particulière que l’on ressent dès l’entrée dans la forêt : elle avait eu, elle s’en rappelle, le sentiment de pénétrer le monde de Robinson Crusoé, tant cet espace gigantesque lui avait paru « hors des hommes et hors du temps ». Elle se souvenait qu’avec son mari et sans rencontrer âme qui vive, ils avaient d’abord marché longuement sur des sentes caillouteuses, étroites et pentues puis s’étaient enfoncés dans une forêt à nulle autre pareille. C’était « Alice au pays des merveilles » : elle ne savait plus ou regarder tant tout était beau, c’était « Lilliput » au pays des ficus géants, des fougères arborescentes, des flamboyants en fleur et de toutes ces essences, à qui les plus belles et les plus odorantes, le tout dans un concert de pépiements, de sifflements d’oiseaux et d’animaux de toutes espèces qui la ravissait avec malgré tout de temps en temps quelques petits frissons.
Quand son mari avait commencé à fabriquer une passerelle de fortune pour prolonger un chemin éboulé alors là Alice ne s’était plus sentie d’aise : c’était tout simplement Daktari. Le milieu n’était pas vraiment hostile elle le savait, mais la seule chute au sol d’une branche cassée, la mettait en transe : de suite lui revenaient en mémoire ses jeux d’enfant avec ses frères où son imagination de petite squaw allait bon train face au danger imminent de grands prédateurs ou d’ennemis surgissant des profondeurs de la forêt.
C’est alors que son Tarzan de mari l’avait rappelée à l’ordre et à un peu plus de vigilance : ils allaient devoir jouer les acrobates dans une gorge rocheuse très glissante. Ca n’était pas tout à fait l’Annapurna, mais enfin…. ! Et puis la fraîcheur des lieux, le murmure de l’eau et enfin cette découverte de la chute fracassante d’une cascade au beau milieu d’un cirque, juste perforé par l’azur du ciel, tout y était pour la ravir encore. Cette fois-ci elle ne savait plus si elle était « Jeanne » ou « Alice » mais en tout cas elle était aux anges d’avoir été enlevée par un prince qui lui faisait vivre de telles aventures. Elle en était rose de plaisir et eût bien du mal à se laisser convaincre de reprendre le chemin du retour.
Et c’est donc encore imprégnée de ce bonheur qu’elle va tente de rouvrir la porte de cette grande cage luxuriante pour partager avec son amie ces moments intenses, hors du temps, de la pollution et de la folie des hommes.
Comme convenu à 6h30, voilà nos deux amies qui se retrouvent dans le hall de l’hôtel, sourire aux lèvres, sac à dos bien arrimé, carte d’état major en main, chaussures de marche aux pieds, l’œil enjoué mais néanmoins déterminé à ne laisser passer aucune curiosité.
Pour rallier le dernier village situé au pied de ce morne fantastique il leur faudra dans un premier temps se faire transporter : nos deux Tarzanes bien que bonnes marcheuses hésitent tout de même à parcourir à pied les 30 kms qui les séparent de cet « Eldorado » .Il leur faut garder des forces pour leur pérégrination dans la foret. Elles optent donc toutes « guillerettes » pour le stop (un petit retour à leur tendre jeunesse n’est pas pour leur déplaire).
D’un petit signe amical, la standardiste de l’hôtel leur souhaite une bonne journée et les voilà qui d’un bon pas s’engagent sur la place de la Savane, à cette heure encore déserte. Enfin… pas tout à fait. Un groupe de junkies, bien « allumés » les interpelle et fixe leur regard de façon plus qu’insistante sur le paquetage de ces dames, à grand renfort de commentaires, en créole, sur ce qui pourrait bien faire leur affaire. « L’aventure c’est l’aventure » mais celle-là elles ne l’avaient pas prévue. Demi-tour toute, accélération du pas sans toutefois vouloir donner l’impression de fuir, elles rejoignent dans la panique la 1ère rue à l’angle de la place. Elles abordent alors au plus vite un Papy gominé, à l’air débonnaire qui, après avoir compris le pourquoi de leur détresse, explique à nos pauvres « doudous » que cette place est maintenant un véritable coupe-gorge pour touristes depuis que… < les Américains, ces salauds ont débarqué sur l’île avec leurs paquebots et leurs dollars > Et voilà notre Papy remonté, grâce à quelques ti-punch visiblement éclusés, qui part dans un délire contre le drapeau étoilé et ses effets diaboliques sur l’avenir de son île.
Après cet intermède, quelque peu inquiétant, nos deux doudous remercient ce piéton bienveillant et partent en quête du meilleur itinéraire pour gagner en stop et au plus vite le morne de la falaise, joyau tant convoité.
Il est maintenant 7 heures et la ville est toujours ensommeillée, juste un peu malmenée par le cri des éboueurs qui les interpellent à grand renfort de rires et de commentaires…
7h30 – Toujours personne pour les prendre en charge.
8h – ça commence à être longuet, elles s’impatientent, deviennent fébriles…
8h15 - enfin le premier automobiliste s’arrête et d’un coup de klaxon tonitruant, accompagné d’un petit dérapage contrôlé, leur fait comprendre qu’il les invite à prendre place dans sa BMW rutilante. Petit moment d’hésitation. Elles ont à peine le temps de fermer les portières que la voiture vrombit et que le conducteur, pied au plancher, leur fait état de ses qualités de pilote de rallye sur un circuit parisien bien connu. Elles pourraient bien rallier très vite leur point de chute, à condition d’y arriver en vie… ! C’est alors tout aussi vite qu’elles implorent, blêmes et complètement effrayées, l’arrêt au prochain village.
Et c’est pour se remettre de leurs émotions avant de repartir qu’elles décident de s’accorder un petit bain bien mérité sur cette plage au bord de laquelle Fangio les a laissées. Elles vont pouvoir jouer les sirènes des Caraïbes dans cette eau d’un bleu inégalé où une quantité de poissons multicolores doit cohabiter… Elles plongent tour à tour et au royaume de la découverte la surprise est de mise : à y regarder de plus près, les fonds marins du lieu ont pour locataires : Saupiquet, William Saurin ainsi que quelques anonymes dont Elf ou Total pourraient revendiquer la paternité !!!
Nos deux aventurières ressortent donc en hâte, littéralement écoeurées de ce bain de déchets et c’est complètement décontenancé qu’elles repartent vers le but de leur périple.
Je vous passe les détails tant elles ont du mal à rallier ce petit paradis, voyant défiler, chargés à bloc d’Américains fraîchement débarqués, une cohorte de taxis, qui visiblement prend la même direction qu’elles. Pour Robinson Crusoé , faudra probablement repasser …
Et c’est sous un soleil accablant qu’elles arrivent enfin : seulement voilà ... rançon du tourisme et du progrès oblige, depuis le dernier passage d’Alice, tout a été clôturé, balisé et ne subsiste qu’une seule et unique entrée pour pénétrer ce territoire tant convoité. Entrée qui plus est, chèrement monnayée mais en échange de quoi vous sont alloués les services d’un guide avec, s’il vous plait, location de sandales plastiques antiglissades et de gants antidérapants. Prière de prendre sa place dans la queue, Messieurs, Mesdames, Ladies and Gentlemen !!!
Ne manque plus que le MC DO à la sortie mais sûrement que le petit marchand de glaces et de coca du parking va y pourvoir très bientôt …
D’abord dépitées puis finalement amusées nos deux amies se disent alors que cette aventure ne sera pas la leur mais qu’il se trouvera sûrement d’autres opportunités pour profiter au mieux de cette île et de ses curiosités. Et c’est à l’abri de la foule et du bruit qu’elles vont y réfléchir sans chercher à retrouver de vieux souvenirs.

Chantal pour le 06 novembre 2006.




Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 08/11/2006 à 23:39