La relève : Julie GUISTINATI KUZMIC, petite fille de Dobrivoje et arrière arrière petite fille du ministre Serbe (Yougoslave) KUZMIC
MES SOUVENIRS D'ADOLESCENT
De Dobrivoje KUZMIC, Toba pour les intimes
Un soleil radieux éclairait les rues de Belgrade. Les blessures causées à la ville deux mois et demi plus tôt, dimanche, jours de Pâques Orthodoxe, par l'aviation allemande, paraissaient plus béantes, plus monstrueuses encore.
Ici, rue Terazije, cela était pire qu'ailleurs. Les hôtels Kasina, Moskva et Bristol (Casino, Moscou), cinéma Beograd et palais Albania, miraculeusement intacts, seuls se dressant vers le ciel, soulignaient d'avantage l'étendu des ruines. Et de la sauvagerie des bombardements aériens.
Animée jadis le jour et la nuit, la rue de Terazije était comme morte. Quelques passants la traversaient rapidement et s'éloignaient le visage grave, l'air inquiet. Et des soldats allemands, appareils photos en bandoulière photographiant les ruines.
En quittant cet endroit je m'étais dirigé, par la rue de Branko, en pente douce, vers le pont sur la Save. C'était une de mes promenades préférées depuis l'age de mes dix ans. Habituellement je m'arrêtais au milieu du pont et je regardais la Save s'écouler et se marier un peu plus loin avec le Danube.
Là, je me suis arrêté sur le premier pilier, dit pilier d'encrage. Le pont, naguère fierté des belgradois, n'existait plus. Face à l'avance des hordes hitlériennes il fut dynamité deux mois plus tôt. J'observais la rive gauche, lieu de mes baignades, inaccessible. Maintenant de l'autre coté, c'était l'étranger... Un autre pays.
Et tandis que je m'abandonnais à mes rêveries d'adolescent une femme surgie par l'escalier qui permettait aux piétons de monter sur le pont. Elle paraissait inquiète et regardait dans toutes les directions. Nous étions seuls. Puis elle se décida et se dirigea d'un pas ferme vers moi.
-Mon fils, l'Allemagne a attaqué cette nuit l'Union Soviétique. La Russie est en guerre de notre coté.
Elle me pris dans ses bras et, m'embrassa violemment sur les deux joues et partit d'un pas plus léger, m'a-t-il paru. Elle avait partagé son lourd fardeau avec quelqu'un.
Il n'y avait aucune importance que ce quelqu'un soit un adolescent de 14 ans et deux mois.
Elle n'était plus seule à savoir…
C'était le deuxième jour de l'été 1941, 22 juin précisément.
Deux ans et trois mois plus tard je me trouvais à moins de cent mètres de cet endroit. Au beau milieu d'une matinée nous entendîmes malgré le bruit des machines, un chant puissant. Au début des paroles incompréhensibles, C'était dissonant, discordant. Plusieurs groupes, pas entraînés à chanter ensemble, sans répétitions chantèrent à des étages différents le même chant. A force de l'entendre nous avons fini par en reconstituer les paroles:
« Avanti o popolo alla riscossa
Bandiera rossa, bandiera rossa,
Avanti o popolo, alla riscossa,
Bandiera rossa trionfera….. »
Ceci dura trois jours et trois nuits sans interruption. Au matin du quatrième jour les chants se déplacèrent vers la rue et disparurent avec le bruit du dernier camion qui les amenait vers l'inconnu.
Nous n'avons jamais su avec certitude qui était ces chanteurs. Mais nous supposions que c'était une unité de l'armée italienne, stationnée à Belgrade que fêtait la sortie de l'Italie de la guerre.
C'était au mois de septembre 1943.
Je n'ai pas la moindre idée du sort que la vie a réservé à l'inconnue du pont sur la Save. Le sort des chanteurs italiens m'est aussi resté totalement inconnu. Néanmoins j'ai souvent pensé à elle et aux chanteurs inconnus
C'étaient mes messagers de la libération à venir.
Et pour nous, belgradois, la libération vint en Octobre 1944. Le 19 Octobre à 18 heures c'était fini, plus un seul Allemand ne résistait.
Le lendemain, 20 Octobre 1944 nous étions plus d'un million deux cents milles dans les rues à fêter LA LIBERATION. Ce n'était pas mal pour une ville de deux cent trente milles habitants à l'époque.
T. KUZMIC
Bandira rossa
http://www.chambre-claire.com/PAROLES/Bandira-Rossa.htm
De Dobrivoje KUZMIC, Toba pour les intimes
Un soleil radieux éclairait les rues de Belgrade. Les blessures causées à la ville deux mois et demi plus tôt, dimanche, jours de Pâques Orthodoxe, par l'aviation allemande, paraissaient plus béantes, plus monstrueuses encore.
Ici, rue Terazije, cela était pire qu'ailleurs. Les hôtels Kasina, Moskva et Bristol (Casino, Moscou), cinéma Beograd et palais Albania, miraculeusement intacts, seuls se dressant vers le ciel, soulignaient d'avantage l'étendu des ruines. Et de la sauvagerie des bombardements aériens.
Animée jadis le jour et la nuit, la rue de Terazije était comme morte. Quelques passants la traversaient rapidement et s'éloignaient le visage grave, l'air inquiet. Et des soldats allemands, appareils photos en bandoulière photographiant les ruines.
En quittant cet endroit je m'étais dirigé, par la rue de Branko, en pente douce, vers le pont sur la Save. C'était une de mes promenades préférées depuis l'age de mes dix ans. Habituellement je m'arrêtais au milieu du pont et je regardais la Save s'écouler et se marier un peu plus loin avec le Danube.
Là, je me suis arrêté sur le premier pilier, dit pilier d'encrage. Le pont, naguère fierté des belgradois, n'existait plus. Face à l'avance des hordes hitlériennes il fut dynamité deux mois plus tôt. J'observais la rive gauche, lieu de mes baignades, inaccessible. Maintenant de l'autre coté, c'était l'étranger... Un autre pays.
Et tandis que je m'abandonnais à mes rêveries d'adolescent une femme surgie par l'escalier qui permettait aux piétons de monter sur le pont. Elle paraissait inquiète et regardait dans toutes les directions. Nous étions seuls. Puis elle se décida et se dirigea d'un pas ferme vers moi.
-Mon fils, l'Allemagne a attaqué cette nuit l'Union Soviétique. La Russie est en guerre de notre coté.
Elle me pris dans ses bras et, m'embrassa violemment sur les deux joues et partit d'un pas plus léger, m'a-t-il paru. Elle avait partagé son lourd fardeau avec quelqu'un.
Il n'y avait aucune importance que ce quelqu'un soit un adolescent de 14 ans et deux mois.
Elle n'était plus seule à savoir…
C'était le deuxième jour de l'été 1941, 22 juin précisément.
Deux ans et trois mois plus tard je me trouvais à moins de cent mètres de cet endroit. Au beau milieu d'une matinée nous entendîmes malgré le bruit des machines, un chant puissant. Au début des paroles incompréhensibles, C'était dissonant, discordant. Plusieurs groupes, pas entraînés à chanter ensemble, sans répétitions chantèrent à des étages différents le même chant. A force de l'entendre nous avons fini par en reconstituer les paroles:
« Avanti o popolo alla riscossa
Bandiera rossa, bandiera rossa,
Avanti o popolo, alla riscossa,
Bandiera rossa trionfera….. »
Ceci dura trois jours et trois nuits sans interruption. Au matin du quatrième jour les chants se déplacèrent vers la rue et disparurent avec le bruit du dernier camion qui les amenait vers l'inconnu.
Nous n'avons jamais su avec certitude qui était ces chanteurs. Mais nous supposions que c'était une unité de l'armée italienne, stationnée à Belgrade que fêtait la sortie de l'Italie de la guerre.
C'était au mois de septembre 1943.
Je n'ai pas la moindre idée du sort que la vie a réservé à l'inconnue du pont sur la Save. Le sort des chanteurs italiens m'est aussi resté totalement inconnu. Néanmoins j'ai souvent pensé à elle et aux chanteurs inconnus
C'étaient mes messagers de la libération à venir.
Et pour nous, belgradois, la libération vint en Octobre 1944. Le 19 Octobre à 18 heures c'était fini, plus un seul Allemand ne résistait.
Le lendemain, 20 Octobre 1944 nous étions plus d'un million deux cents milles dans les rues à fêter LA LIBERATION. Ce n'était pas mal pour une ville de deux cent trente milles habitants à l'époque.
T. KUZMIC
Bandira rossa
http://www.chambre-claire.com/PAROLES/Bandira-Rossa.htm