II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus
PHIL-ANALYSE
Mardi 30 Juillet 2024L'utérus artificiel n’est plus une chimère d'Aldous Huxley, pressenti dans son roman "Le meilleur des mondes" paru en 1932. La science progresse et les médecins ont bon espoir de pouvoir sauver grâce à cette technique de nombreux bébés prématurés. Rappelons qu'encore 70 femmes par an décèdent en France des suites d'un accouchement. Ainsi que les accouchements atroces qui se sont déroulés depuis des millénaires. L'utérus artificiel pourrait-il libérer les femmes ?
Au premier abord, l'utérus artificiel paraît instantanément une bonne nouvelle pour la société : sauver des vies, n'est-ce pas l'objectif de la médecine ? Libérer les femmes des contraintes de la maternité n'est-ce pas le prolongement de la révolution de la contraception ? Néanmoins, derrière l'utérus artificiel, se cachent des enjeux sociétaux importants : est-ce que l'utérus artificiel ne va pas indirectement favoriser l'eugénisme ? Peut-il remettre en question les liens de maternité et paternité ? Qu'en sera-t-il de l'amour maternel ? La place des émotions et de l'humain dans la gestation ?
Certains scientifiques pensent qu'en 2100, il existera une totale déconnexion entre le plaisir, la sexualité, l'amour et la reproduction. Ce qui risque de provoquer des sacrés chamboulements dans notre façon d'imaginer la société et notamment la sphère privée. L'utérus artificiel pourrait quant à lui provoquer la déconnexion entre la grossesse et le corps de la mère. Ce qui rapprocherait le statut des femmes à celui des hommes.
Faut-il alors s'inquiéter de la possibilité de grossesses artificielles pour des femmes qui n'auraient aucun problème de fertilité ou de santé ? Autrement dit, la grossesse naturelle participe-t-elle au bien de l'humanité et de la société ?
Certains scientifiques pensent qu'en 2100, il existera une totale déconnexion entre le plaisir, la sexualité, l'amour et la reproduction. Ce qui risque de provoquer des sacrés chamboulements dans notre façon d'imaginer la société et notamment la sphère privée. L'utérus artificiel pourrait quant à lui provoquer la déconnexion entre la grossesse et le corps de la mère. Ce qui rapprocherait le statut des femmes à celui des hommes.
Faut-il alors s'inquiéter de la possibilité de grossesses artificielles pour des femmes qui n'auraient aucun problème de fertilité ou de santé ? Autrement dit, la grossesse naturelle participe-t-elle au bien de l'humanité et de la société ?
Le symbole de l'utérus
Avant de s'interroger sur le rôle de la grossesse dans la société, arrêtons-nous quelques instants sur le symbole de l'utérus dans notre inconscient collectif. Le terme « hystérie », qui a été souvent une façon de discriminer les femmes excessives, voire de les accuser d'être des sorcières, vient du grec, qui signifie matrice, soit utérus. A l'époque de Platon, la théorie était que l'utérus est "un animal qui désire ardemment engendrer des enfants", et que lorsque la femme n'arrive pas à enfanter, la matrice "parcourt tout le corps (...) jetant le corps dans des dangers extrêmes, (...), jusqu'à ce que le désir et l'amour, réunissant l'homme et la femme, fassent naître un fruit et le cueillent comme sur un arbre ». L'hystérie chez Platon pourrait donc se confondre avec la passion. L'utérus n'est donc pas anodin, il apparaît comme une sorte de matrice du désir, avant d'être le réceptacle d'un embryon. N'est-ce pas l'utérus qui rattache la femme à la terre ?
Dans l'ectogénèse, faut-il y voir une dérive transhumaniste ?
Plus scientifiquement, l'utérus artificiel permet l'ectogénèse, une grossesse menée hors du corps de la femme. L'ectogénèse n'est pas obligatoirement associée à une procréation médicalisée. Elle peut prendre le relais d'une fécondation spontanée. La grossesse est la relation qu'entretient le foetus avec la mère, ce qui n'est pas neutre. L'utérus artificiel reviendrait à couper le cordon ombilical entre la mère et l'embryon. Cette technique ne modifierait en rien la sexualité, contrairement à la procréation assistée. Mais permet, en sortant l'embryon de l'utérus de la mère, de libérer les corps des femmes des contraintes de la grossesse. Ce qui revient à modifier indirectement une des fonctions d'un organe du corps et finalement l'usage du corps de la femme. Faut-il y voir une dérive transhumaniste qui cherche à rendre nos corps plus puissants, en le coupant de son déterminisme biologique ? La question étant finalement : est-ce que notre corps d'homo sapiens doit déterminer ce que nous sommes ? Est-ce que la grossesse permet à la femme d'atteindre un autre stade ? Comme le serait par exemple une initiation pour passer à un stade supérieur ?
Avant de s'interroger sur le rôle de la grossesse dans la société, arrêtons-nous quelques instants sur le symbole de l'utérus dans notre inconscient collectif. Le terme « hystérie », qui a été souvent une façon de discriminer les femmes excessives, voire de les accuser d'être des sorcières, vient du grec, qui signifie matrice, soit utérus. A l'époque de Platon, la théorie était que l'utérus est "un animal qui désire ardemment engendrer des enfants", et que lorsque la femme n'arrive pas à enfanter, la matrice "parcourt tout le corps (...) jetant le corps dans des dangers extrêmes, (...), jusqu'à ce que le désir et l'amour, réunissant l'homme et la femme, fassent naître un fruit et le cueillent comme sur un arbre ». L'hystérie chez Platon pourrait donc se confondre avec la passion. L'utérus n'est donc pas anodin, il apparaît comme une sorte de matrice du désir, avant d'être le réceptacle d'un embryon. N'est-ce pas l'utérus qui rattache la femme à la terre ?
Dans l'ectogénèse, faut-il y voir une dérive transhumaniste ?
Plus scientifiquement, l'utérus artificiel permet l'ectogénèse, une grossesse menée hors du corps de la femme. L'ectogénèse n'est pas obligatoirement associée à une procréation médicalisée. Elle peut prendre le relais d'une fécondation spontanée. La grossesse est la relation qu'entretient le foetus avec la mère, ce qui n'est pas neutre. L'utérus artificiel reviendrait à couper le cordon ombilical entre la mère et l'embryon. Cette technique ne modifierait en rien la sexualité, contrairement à la procréation assistée. Mais permet, en sortant l'embryon de l'utérus de la mère, de libérer les corps des femmes des contraintes de la grossesse. Ce qui revient à modifier indirectement une des fonctions d'un organe du corps et finalement l'usage du corps de la femme. Faut-il y voir une dérive transhumaniste qui cherche à rendre nos corps plus puissants, en le coupant de son déterminisme biologique ? La question étant finalement : est-ce que notre corps d'homo sapiens doit déterminer ce que nous sommes ? Est-ce que la grossesse permet à la femme d'atteindre un autre stade ? Comme le serait par exemple une initiation pour passer à un stade supérieur ?
La grossesse rend-elle les femmes vertueuses ?
Si la grossesse (qui porte déjà mal son nom) est associée spontanément à une image de lourdeur et de contraintes, elle a quelques avantages que n'ont pas les pères : les mères qui portent leurs enfants sont au moins sûres que ce sont les leurs. En dehors de cet argument factuel, la grossesse permet aussi de transmettre à son bébé ses goûts culinaires, transmettre ses émotions en temps réel, l'accoutumer à sa voix etc.
Autre point qui peut paraître romantique et naïf, porter un enfant revient à engendrer la vie dans son ventre. Ce qui est absolument magique comme image. Cela revient presque à avoir un corps de déesse. Passé le stade euphorique de cette belle image de la maternité, nous savons aussi que la grossesse est synonyme de prise de poids, nausées, contraintes dans son alimentation, limitation de certaines de ses activités, accroissement de son émotivité, gonflement des jambes, voire obligation de rester alitée. Sans compter le passage obligé de l'accouchement (qui heureusement est moins douloureux grâce à la péridurale) et le corps changé à l'issue de la grossesse, qu'il faut s'empresser de re-muscler. Cela reste néanmoins moins grave que les décès des femmes mortes en couches.
La grossesse permet aux femmes de faire acte d'altruisme, en louant en quelque sorte leur corps à un petit être qui a besoin d'être cocooné. De créer un lien avec ce bébé qu'elles ne connaissent pas encore. Le fait de ne plus porter son bébé peut modifier le lien originel que les femmes ont toujours eu avec la grossesse naturelle. Retenons que l'utérus crée le lien. Cette vie intra-utérine a probablement des incidences importantes sur le bien être psychologique du nouveau né. Sans la grossesse, les femmes pourraient percevoir leur enfant comme un étranger. Dans tous les cas, il faut tenir compte des échanges physiologiques et psychologiques qui sont indispensables entre une mère et son enfant.
Si la grossesse (qui porte déjà mal son nom) est associée spontanément à une image de lourdeur et de contraintes, elle a quelques avantages que n'ont pas les pères : les mères qui portent leurs enfants sont au moins sûres que ce sont les leurs. En dehors de cet argument factuel, la grossesse permet aussi de transmettre à son bébé ses goûts culinaires, transmettre ses émotions en temps réel, l'accoutumer à sa voix etc.
Autre point qui peut paraître romantique et naïf, porter un enfant revient à engendrer la vie dans son ventre. Ce qui est absolument magique comme image. Cela revient presque à avoir un corps de déesse. Passé le stade euphorique de cette belle image de la maternité, nous savons aussi que la grossesse est synonyme de prise de poids, nausées, contraintes dans son alimentation, limitation de certaines de ses activités, accroissement de son émotivité, gonflement des jambes, voire obligation de rester alitée. Sans compter le passage obligé de l'accouchement (qui heureusement est moins douloureux grâce à la péridurale) et le corps changé à l'issue de la grossesse, qu'il faut s'empresser de re-muscler. Cela reste néanmoins moins grave que les décès des femmes mortes en couches.
La grossesse permet aux femmes de faire acte d'altruisme, en louant en quelque sorte leur corps à un petit être qui a besoin d'être cocooné. De créer un lien avec ce bébé qu'elles ne connaissent pas encore. Le fait de ne plus porter son bébé peut modifier le lien originel que les femmes ont toujours eu avec la grossesse naturelle. Retenons que l'utérus crée le lien. Cette vie intra-utérine a probablement des incidences importantes sur le bien être psychologique du nouveau né. Sans la grossesse, les femmes pourraient percevoir leur enfant comme un étranger. Dans tous les cas, il faut tenir compte des échanges physiologiques et psychologiques qui sont indispensables entre une mère et son enfant.
La pénibilité, voire la souffrance, a-t-elle une vertu éthique ?
Echapper à la souffrance d'une grossesse et d'un accouchement ne paraît pas nuire au Bien de la société. Car quelle est l'utilité de la souffrance sur le plan éthique ? Cela paraît contestable. La grossesse, par sa durée de 9 mois, favorise en revanche l'attente et donc la maïeutique. La grossesse est donc la métaphore de la pensée socratique. Peut-on réellement appréhender une naissance sans passer par cette étape ? N'est-il pas nécessaire de travailler, d'attendre pour accoucher de soi-même ? Notons que les femmes ont mis du temps à conquérir certains postes dans la société, comme si les hommes essayaient de s'accaparer un autre type de maïeutique.
La société a encore du mal à admettre que les mères ont le droit de ne pas souffrir quand elles sont enceintes ou accouchent. On parle encore de l'abus de césariennes de confort. Pourquoi les césariennes ne pourraient pas être un choix de la femme, si celle-ci ne supporte pas l'idée de l'accouchement par voie basse ? Il semblerait que l'enfantement dans la douleur reste une idée tenace même dans le corps médical.
Echapper à la souffrance d'une grossesse et d'un accouchement ne paraît pas nuire au Bien de la société. Car quelle est l'utilité de la souffrance sur le plan éthique ? Cela paraît contestable. La grossesse, par sa durée de 9 mois, favorise en revanche l'attente et donc la maïeutique. La grossesse est donc la métaphore de la pensée socratique. Peut-on réellement appréhender une naissance sans passer par cette étape ? N'est-il pas nécessaire de travailler, d'attendre pour accoucher de soi-même ? Notons que les femmes ont mis du temps à conquérir certains postes dans la société, comme si les hommes essayaient de s'accaparer un autre type de maïeutique.
La société a encore du mal à admettre que les mères ont le droit de ne pas souffrir quand elles sont enceintes ou accouchent. On parle encore de l'abus de césariennes de confort. Pourquoi les césariennes ne pourraient pas être un choix de la femme, si celle-ci ne supporte pas l'idée de l'accouchement par voie basse ? Il semblerait que l'enfantement dans la douleur reste une idée tenace même dans le corps médical.
L'utérus artificiel, même débat que sur l'allaitement ?
L'ectogénèse permettrait de libérer le corps de la femme, comme l'a déjà fait la pilule contraceptive, voire l'avortement. La contraception a été une révolution pour la femme, tout comme l'a d'ailleurs été la machine à laver pour les tâches domestiques. Le statut de la femme s'est bien modernisé dans notre pays grâce à ces avancées techniques. Même le congé paternité existe. La société reconnaît déjà l'importance de la place du père dans l'éducation des enfants.
Mais, ce qui reste surprenant est le débat sur l'allaitement. Entre ceux qui prônent que c'est meilleur pour l'enfant et celles qui souhaitent disposer librement de leurs seins, on sent un terrain houleux. Comment être certain de ce qui est bien pour l'enfant ? Jusqu'où faut-il aller dans le bien être dans l'enfant au détriment du bien-être de la mère ? La femme a toujours connu cette aliénation, cette fêlure entre le devoir d'être une bonne mère et son envie d'être une femme libre et épanouie. L'homme semble moins connaître ce paradoxe (cf. article Le paradoxe d’être une femme, https://www.wmaker.net/philobalade/Le-paradoxe-d-etre-une-femme-1ere-partie_a2.html ). Ajoutons aussi que l'utérus artificiel permettrait également aux hommes de pouvoir porter un enfant, ce qui serait totalement révolutionnaire et changerait littéralement notre vision de la maternité. Cela bousculerait le stéréotype d'une société patriarcale. Les hommes et les femmes seraient à égalité dans l'enfantement, ce qui modifierait en profondeur le rôle de l'homme. Allons-nous trop loin ? Etre maître et possesseur de la nature est-ce sans dérive ?
L'utérus artificiel, source d'un bel optimisme
Malgré toutes ces dérives possibles évoquées, l'utérus artificiel peut nous rendre optimiste : permettre aux enfants prématurés de survivre, permettre aux femmes qui ont des problèmes de fertilité de procréer (ou à des couples homosexuels grâce à la procréation médicalisée sans recourir à une mère porteuse), rétablir l'égalité homme / femme. D'ailleurs, les femmes passées un certain âge n'ont plus la possibilité de procréer, alors que les hommes le peuvent, alors que bizarrement ils meurent plus tôt que les femmes... Il semblerait que la nature soit mal faite sur ce plan. Là aussi, l'utérus artificiel pourrait apporter de l'égalité entre l'âge de procréer des hommes et des femmes. Et ainsi de mettre un terme à l'image des femmes "périmées" (et les débats incessants sur les « cougars » mariées à des hommes plus jeunes).
Mais ce sera aussi une modification de notre perception de l’origine du monde.
Avec l'utérus artificiel, l'origine du monde du tableau de Gustave Courbet sera bientôt dépassée. Le corps de la femme ne sera plus un passage obligé pour la naissance d'un bébé. Or dans la symbolique de la genèse du monde, la terre a toujours été associée à la femme, comme le réceptacle, au contraire du ciel créateur. En créant l'utérus artificiel, les scientifiques modifient complètement notre mythologie de la création du monde et de la vie. Ce qui n'est pas anodin. Si l'idée d'accroître le bien-être des mères et des enfants est tout à fait défendable, l'utérus artificiel ne fait-il pas sauter le dernier verrou de la sélection des gènes ? En effet, une fois que l'embryon sera en dehors du ventre de la mère, n'est-il pas plus facile de l'analyser et de le manipuler ? La mère protège naturellement son bébé. Qu'en sera-t-il de l'utérus artificiel ? N'est-ce pas un boulevard pour les tentatives eugénistes ? De la démesure ? Un encadrement sera donc nécessaire pour faire face à la folie humaine de la perfection. Car la perfection c'est la mort de l'être humain… de l’homme et de la femme.
Tags :
utérus artificiel hystérie
Rédigé par Marjorie Rafécas le Mardi 30 Juillet 2024 à 15:23
|
Commentaires (2)
Dernières notes
"socrate au pays de la pub"
Adam Smith
Adèle Van Reeth
Alexandre Lacroix
Aliocha Wald Lasowski
Anne-Laure Buffet
Art
Arthur Rimbaud
Balthasar Thomass
Benoït Heilbrunn
Café-philo
Christian Perronne Covid
Classe moyenne
Christophe Guilluy
Coaching global Spinoza
Daniel Levitin
De la note au cerveau
Freud
Frédéric Vayr
Jean-Christophe Grellety
Jung
LaRevancheDuCerveaudroit
Le nouveau malaise dans la civilisation
Louis Braille
Luc Ferry
Marc Sautet
Marie-France Castarède
marx
Nietzsche
philosophie
schopenhauer
Rubriques
Profil
Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.
Archives
Infos XML