II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus
Cet été, grâce au livre Voyage au centre de Paris d'Alexandre Lacroix (Directeur de la rédaction de Philosophie magazine), j'ai découvert un Paris sinueux et cérébral, débordant de mystères et de rencontres improbables : les artistes expérimentaux du 9 rue Gît-le-Coeur de Mme Rachou, l'Inconnue de la Seine, jusqu'aux "champs d'énergie cosmiques" d'occultistes imprudents... Ambiance mystérieuse qui se marie bien avec ce 1er novembre revêtu de ses belles couleurs d'automne. Un climat érudit et de suspense qui nous fait oublier instantanément le gris routinier et sans saveur du métro-boulot-dodo parisien, pour mieux renouer avec les histoires extraordinaires de notre capitale.
Paris est-elle (il) une capitale masculine ou féminine ? On dit bien la ville lumière, Ernest Hemingway l'a comparée à une fête. Comme le suggère Alexandre Lacroix, Paris est plus proche des capitales féminines "comme les vieilles courtisanes, Rome ou Athènes". "Des beautés fanées qui refusent de cesser de plaire", à la différence des villes masculines comme "Londres et New York, qui ont quelque chose de direct, d'énergique et vulgaire".
Mais sa féminité trébuche parfois, voire souvent. Comme la fine poussière blanche du jardin du Luxembourg qui nous renvoie à une sécheresse minérale, dépourvue de toute rondeur féminine. Elle est également à certains endroits éventrée par les grands boulevards tracés par Haussmann. "Les hommes du XIXème siècle ne doutaient pas un instant que la totalité fût à leur merci". C'était le siècle du positivisme et de l'esprit du système. Hegel écrivait le développement de l'Esprit depuis les origines du monde. Marx, Darwin, Comte, Malthus, Balzac... "Les intellectuels de ce temps-là étaient confiants dans leur pouvoir de regrouper en un récit unique. En architecture, le boulevard Sébastopol représentait l'exact équivalent de l'esprit de système, qui se marie si bien avec la cuisine bourgeoise." "Entre le baron Haussmann, Hippolyte Taine et Hegel, la distance n'est pas bien grande : tous ces hommes ont rêvé de tenir les siècles précédents dans leur poing, quitte à les réduire en bouillie. Un aveuglement qui fit leur grandeur. C'étaient des grossistes du Concept, de la Prose, de l'Urbanisme..." Les parisiens de souche sont devenus aux yeux du préfet les étrangers qu'il fallait chasser. Au XXème siècle, ce bel optimisme a fait naufrage. Dieu est mort. Le chemin est devenu le but. Les femmes rivalisent de talent avec les hommes. Mais l'Haussmannien bourgeois est toujours là, élégant, presqu'inaccessible à cause du prix de l'immobilier au m2 qui ne cesse de flamber.
Mais, en dehors de cet esprit totalitaire du baron Haussmann, on rit quand l'auteur évoque les hantises sexuelles que nous ont léguées de nombreux artistes contemporains : "des fragments de libido, des obsessions érotiques qui se trouvent intégrés au tissu urbain et dont l'exposition assumée produit un effet d'inquiétante étrangeté, comme si on assistait à une psychanalyse". C'est par exemple l'effet que fait la bouche de Métro place Colette d'Othoniel ou le centre Beaubourg avec la fontaine de Niki de Saint Phalle. "Tu crois t'engager dans une bouche de métro, et c'est dans la crasse soufrée et nauséabonde d'un anus retourné en parure de vieille princesse décadente que tu t'enfonces sans le savoir". "La fontaine de Niki, ce sont les séquelles d'un inceste."
Ce livre peut parfois s'apparenter à une psychanalyse de Paris, avec l'interprétation de ses symboles et de ses névroses. D'ailleurs, l'auteur en profite également pour réaliser sa propre introspection sur l'amour. Dans sa flânerie, il s'adresse sans cesse à sa chère et tendre. Il partage avec André Breton cette idée que "l'on ne tombe pas amoureux, que cela n'a rien d'une chute et que l'opération par laquelle l'amour germe dans nos cœurs relève bien davantage du jeu de piste ou de la chasse au trésor." "On suit des signaux énigmatiques dans la nuit qui nous font dériver de notre trajectoire ordinaire et nous guident à travers les territoires de l'imaginaire et du fantasme, oui pour moi l'amour a toujours ressemblé à une dérive psychogéographique". D'ailleurs, lorsqu'il descend dans les souterrains infernaux de la libido (une sorte de bar glauque et un peu libertin), il comprend que "l'amour est d'une force supérieure à la sexualité, quoi qu'en disent les insensés". L'amour est comparable aux "formes extérieures de la ville, ses surfaces claires, les façades, les vitres avec la clarté des réverbères, (...) une civilisation, un univers de symboles maîtrisés, une victoire de la vie et non un abandon au néant."
Néanmoins, dans sa nervosité universelle, Paris, comme toutes les capitales, propose à la fois l'amour et le néant. A nous de choisir le chemin le plus agréable et instructif.
Un livre à parcourir à travers un itinéraire riche, mais cloisonné entre les 1er et 6ème arrondissements, composé de plus de 40 chapitres passionnants.
Voyage au centre de Paris, Alexandre Lacroix, version poche J'ai lu, 2014 (382 pages, 8€).
Mais sa féminité trébuche parfois, voire souvent. Comme la fine poussière blanche du jardin du Luxembourg qui nous renvoie à une sécheresse minérale, dépourvue de toute rondeur féminine. Elle est également à certains endroits éventrée par les grands boulevards tracés par Haussmann. "Les hommes du XIXème siècle ne doutaient pas un instant que la totalité fût à leur merci". C'était le siècle du positivisme et de l'esprit du système. Hegel écrivait le développement de l'Esprit depuis les origines du monde. Marx, Darwin, Comte, Malthus, Balzac... "Les intellectuels de ce temps-là étaient confiants dans leur pouvoir de regrouper en un récit unique. En architecture, le boulevard Sébastopol représentait l'exact équivalent de l'esprit de système, qui se marie si bien avec la cuisine bourgeoise." "Entre le baron Haussmann, Hippolyte Taine et Hegel, la distance n'est pas bien grande : tous ces hommes ont rêvé de tenir les siècles précédents dans leur poing, quitte à les réduire en bouillie. Un aveuglement qui fit leur grandeur. C'étaient des grossistes du Concept, de la Prose, de l'Urbanisme..." Les parisiens de souche sont devenus aux yeux du préfet les étrangers qu'il fallait chasser. Au XXème siècle, ce bel optimisme a fait naufrage. Dieu est mort. Le chemin est devenu le but. Les femmes rivalisent de talent avec les hommes. Mais l'Haussmannien bourgeois est toujours là, élégant, presqu'inaccessible à cause du prix de l'immobilier au m2 qui ne cesse de flamber.
Mais, en dehors de cet esprit totalitaire du baron Haussmann, on rit quand l'auteur évoque les hantises sexuelles que nous ont léguées de nombreux artistes contemporains : "des fragments de libido, des obsessions érotiques qui se trouvent intégrés au tissu urbain et dont l'exposition assumée produit un effet d'inquiétante étrangeté, comme si on assistait à une psychanalyse". C'est par exemple l'effet que fait la bouche de Métro place Colette d'Othoniel ou le centre Beaubourg avec la fontaine de Niki de Saint Phalle. "Tu crois t'engager dans une bouche de métro, et c'est dans la crasse soufrée et nauséabonde d'un anus retourné en parure de vieille princesse décadente que tu t'enfonces sans le savoir". "La fontaine de Niki, ce sont les séquelles d'un inceste."
Ce livre peut parfois s'apparenter à une psychanalyse de Paris, avec l'interprétation de ses symboles et de ses névroses. D'ailleurs, l'auteur en profite également pour réaliser sa propre introspection sur l'amour. Dans sa flânerie, il s'adresse sans cesse à sa chère et tendre. Il partage avec André Breton cette idée que "l'on ne tombe pas amoureux, que cela n'a rien d'une chute et que l'opération par laquelle l'amour germe dans nos cœurs relève bien davantage du jeu de piste ou de la chasse au trésor." "On suit des signaux énigmatiques dans la nuit qui nous font dériver de notre trajectoire ordinaire et nous guident à travers les territoires de l'imaginaire et du fantasme, oui pour moi l'amour a toujours ressemblé à une dérive psychogéographique". D'ailleurs, lorsqu'il descend dans les souterrains infernaux de la libido (une sorte de bar glauque et un peu libertin), il comprend que "l'amour est d'une force supérieure à la sexualité, quoi qu'en disent les insensés". L'amour est comparable aux "formes extérieures de la ville, ses surfaces claires, les façades, les vitres avec la clarté des réverbères, (...) une civilisation, un univers de symboles maîtrisés, une victoire de la vie et non un abandon au néant."
Néanmoins, dans sa nervosité universelle, Paris, comme toutes les capitales, propose à la fois l'amour et le néant. A nous de choisir le chemin le plus agréable et instructif.
Un livre à parcourir à travers un itinéraire riche, mais cloisonné entre les 1er et 6ème arrondissements, composé de plus de 40 chapitres passionnants.
Voyage au centre de Paris, Alexandre Lacroix, version poche J'ai lu, 2014 (382 pages, 8€).
Rédigé par Marjorie Rafécas le Mardi 1 Novembre 2016 à 23:37
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Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.
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