PASCALE *****

C’est l’hiver : imaginez que vous êtes un animal domestique ou sauvage, une fleur, un arbre…





La température descend d’heure en heure. Tout là-haut dans le ciel, les nuages semblent se rétracter sur eux-mêmes. Du blanc cotonneux qui les illuminait jusqu'alors il ne reste que de fines lanières. Puis leur coeur vire au gris sombre. Parfois même au noir intense. Enfin, les gouttes d'eau ne résistent plus, gelant sur place avant de se laisser tomber, étoiles légères livrées aux caprices du vent. Il neige…
Ce matin-là, je l'avais pressenti bien avant les autres. Cela faisait des jours et des jours que je préparais ma future retraite. Aucun doute : l’hiver serait long et rigoureux. D'ailleurs je n'avais pour m’en convaincre qu'à regarder les hommes couper énergiquement des tonnes et des tonnes de bûches.
Alors moi aussi je creusais mon trou. Et au rythme de leur han han, moi je faisais crisser la terre entre mes dents. Parfois, au moyen de mes deux pattes molles, je repoussais les petites buttes ainsi formées. Et petit à petit je construisais un confortable abri. J'avais accumulé pas mal de réserves pour affronter les premiers frimas, et cette graisse associée au poids de ma propre maison rendait ma démarche pataude et hésitante. Mais je mettais du coeur à l'ouvrage. Il faut dire qu'il en allait de ma survie. De ma Vie même, si jamais quelqu'âme malfaisante venait à me « découvrir » ces prochains mois. Pour m'entraîner, j’obligeais déjà mon coeur à ralentir son rythme. C'est que bientôt, j’hibernerai et que la seule façon de me réveiller au printemps, c’était d'abord de mettre en sommeil. Corps et âme. Alors, pour le moment, j’avais encore besoin de tous mes esprits. Mais mon coeur pouvait bien déjà apprivoiser sa future solitude.
Ce qui est bien avec l’hibernation, cela, il faut le savoir, c'est que lorsque je me réveille, je ne me souviens de rien ! Je n'ai pas perdu plus d'1/5 de mon poids, et d’ailleurs lorsque je dévore les bonnes salades de Thomas, le jardinier voisin, je me demande toujours comment je peux être aussi gourmande parfois et jeûner d’autres fois aussi longtemps ! Les mystères et miracles de la nature sans aucun doute.
Mais voyons un peu... Le ciel se couvre, l'air est vif, presque piquant.

- « ça sent la neige » crie Thomas tout en filtrant une dernière fois ce purin d’ortie qu'il n’ira plus vendre désormais au village voisin.(!)


En effet, me dis-je. Ça sent la neige. Inutile de courir cependant. Il faut partir à point…
C'est que, moi, Philomène, tortue de jardin, je marche aussi vite que me le permettent mes courtes pattes, et même si je le voulais, je ne pourrais jamais dépasser le 5 m à l’heure. Enfin, quand je suis en forme... À quoi bon se presser d'ailleurs : carapace oscillante sur le dos, je vais et suis mon bonhomme de chemin. Il est tout tracé. Je m'installe dans mon petit coin. Ma petite butte. Mes paupières sont déjà lourdes. Lourdes comme du plomb. Et je crois que... Je crois que...

- maman. Maman. Il neige ! Elle est où Philomène ? Elle va avoir froid...
- mais non mon chéri. Philomène hiberne. Viens, rentrons, je vais t’expliquer...

J’ouvre une demi paupière, un demi-oeil, une demi-dernière fois. J'entrevois la femme et l'enfant. Et je plonge dans un autre monde... Je songe... Je suis une tortue? Un être humain ? Une tortue ? Un être...

Pascale jeu du 11 décembre 2006.




Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 13/12/2006 à 19:08