FRANCOISE C.*

14/01/2008

Imaginez que le pied du magnétoscope soit en réalité un poteau de bois mangé par le temps. Imaginez que le petit siège qui lui fait face soit un autre poteau plus petit, plus vermoulu encore.
De l’un à l’autre, part un fil sur lequel reposent ou parfois pendouillent des tas d’objets, de souvenirs dont la provenance vous échappe(ou pas).
Laissez-vous emporter par votre imagination et en ce début d’année, encore plus que d’ordinaire, vous avez tous les droits


jeu du jour

Iyukak

Un derrick abandonné là-haut dans le grand espace blanc.
la tribu innuit a surveillé le départ de la dernière équipe technique. Les petits objets usuels ont été répartis sous la responsabilité du chef de village. La structure dressée et le long filin oblique qui l'arrime à la banquise restera en place: trop lourd, trop dense, trop utile si elle peut devenir un repère de balisage.
Pour le moment, ils ne savent que faire de l'igloo stylisé aux fenêtres verdâtres. Son ascenseur extérieur qui a tant fasciné les adolescents du village est définitivement en panne. Les sages de la tribu ont espéré que « les Elf » comme ils les appellent, leur offrirait le groupe électrogène et que l'igloo des blancs pourrait servir d'école, de bibliothèque, d'abri en cas de gros ouragan....Innégociable, tout ce qui pouvait leur servir pour aller polluer ailleurs, piller ailleurs, mépriser les autochtones ailleurs, ils l'ont amené.
Repère en rentrant des si longues expéditions ont imaginé les chasseurs mais voyez comme la mère d'Apoutziak a su tirer profit du filin. Il est tiré au dessus de son igloo et à ce titre, tous ont trouvé naturel de lui en laisser l'usage. Sur la partie la plus haute, elle a réussi à faire coulisser le drapeau de leur région. Dès que les grands froids s'éloigneront, il dégèlera et claquera fièrement au vent de leur territoire.
Sous la partie centrale, Iyukak a bâti un large monticule de neige tassée avec l'aide de son époux et de ses frères. Elle a préparé les emplacements où elle séchera les peaux de phoque, de renne que ramèneront les hommes de sa famille. Il n'y aura plus qu'à les travailler pour équiper petits et grands de vêtements chauds à capuche, bottes et bonnets rebrodés. Peut-être le père d'Apoutsiak tirera-t-il le gros ours blanc qui a failli le dévorer l'année dernière? Elle voit déjà le tapis moelleux qui embellirait le centre de l'igloo et comme il serait bon de s' y rencogner en écoutant les histoires légendaires des ancêtres célèbres.
Ce dont elle est la plus fière, c'est du crochet jaune avec son long croc qui descend assez bas pour qu'elle y accroche son petit dernier quand elle s'active autour de l'igloo. Complètement emmailloté, il est à l'abri de tous les prédateurs; elle peut lui sourire, lui faire de petits signes et, de temps en temps, venir déposer un baiser sur son bout du nez, si froid que ses propres yeux lui piquent quand elle l'embrasse. Elle aime aussi la longue guirlande jaune qui servait de limite de chantier. Elle ne sait pas encore à quoi elles l'emploieront avec ses compagnes, mais, le moment venu, la solution s'imposera.
Ce qui la tracasse, c'est comment utiliser la terrasse de l'igloo stylisé. Bien sûr, elle est battue à quatre vents mais comme l'horizon doit être vaste de là-haut, comme le soleil de minuit doit élargir son halo et comme elle serait fière d'être la première à fouler la neige immaculée de ce qui ressemble à une montagne poussée là, tout près, à portée d'escalade.
Regardez là devant son igloo, les poings sur les hanches, yeux plissés et sourire édenté. Les prédateurs passent mais l'avenir lui appartient.
Françoise, Capbreton, janvier 2008





Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 14/01/2008 à 19:22