FRANCOISE C.*


En ouvrant votre imaginaire en toute liberté, comme le fait un acteur, vous pouvez changer de vie, de sexe, d’époque, de lieu, de caractère et oser ce que jamais vous n’oseriez dans le monde réel.
Vous êtes et vous faites…
Vous êtes et il vous arrive…
Vous fûtes et êtes devenu(e)…
Bref, imaginez…




Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

La servante a laissé les doubles rideaux ouverts sur le petit jardin. Une branche de cerisier bat doucement à la vitre de la fenêtre. Je voudrais que la peau de mon cou et de ma poitrine soit du rose si doux de ces fleurs à peine écloses.
Il ne saurait être être plausible de se prélasser ni de perdre trop de temps aux soins de la toilette. Olympe m'attend pour rédiger les premiers articles de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Cet été 1973 s'annonce bien exaltant et bien cruel à la fois.
je suis obligée d'avoir une pensée reconnaissante pour mon défunt mari Denys. Avant de partir guerroyer les Anglais, il m'avait fait don de ce bel hôtel particulier et la cassette qui alimente mes dépenses d'entretien et de vie quotidienne est aux mains d'un bien honnête homme de loi. Le frère archiprêtre de Denys a tout fait pour mettre la main sur ce qu'il considère comme une part inaliénable de sa fortune, de la fortune des Fustel de Coulanges, mais le roi est mort et les privilèges nobiliaires avec lui. Denys, ami de Saint Just et d' André Chénier, un trio auquel j'aimais me joindre pour des joutes oratoires nourries des idées audacieuses de notre siècle; il était pour l'égalité des sexes bien avant que quelques précurseurs la défende aux côtés de mon amie Olympe de Gouges, de notre petit cercle secret.
Je peux sonner Toinette pour qu'elle m'aide à me vêtir. Aujourd'hui, je veux ma dernière robe vert amande au décolleté qui affleure mes tétons, gorge soutenue par le large ruban au vert plus soutenu tressé de pêche de vigne écrasée. Elle ramassera mes cheveux dans un serre tête de ce même ruban.
Me voilà prête, je peux relire les premiers articles; il y en aura dix-sept a décrété Olympe, je ne sais quel sortilège elle associe à ce chiffre.
j'ai peur de ce qui peut nous arriver. Ne dit-on pas que Condorcet lui-même a failli être arrêté? Charlotte Corday vient d'assassiner Marat, les femmes ne savent pas encore que la violence devra être différente, que nous devons dès à présent réfléchir à un autre rapport de force.
Pourtant quel panache quand Olympe nous a lu son article 10: « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales. La femme a le droit de monter sur l'échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la tribune; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l'ordre public établi par la Loi. » sa détermination et sa fougue ont repoussé mes réticences peureuses et enflammé mon exaltation citoyenne. Oui, nous vaincrons aux côtés des hommes et ils nous reconnaîtrons à notre juste place.
...Toinette!....sans frapper!....mais que tu es pâle et essoufflée!...
...Olympe!....mes sels, mon éventail!....je ne dois pas fléchir!
Olympe arrêtée, rien ne pourra arrêter l'échafaud pour elle. Seule, je dois penser à moi, à nos idées.
Prendre conseil de Saint Just et de Condorcet? Faut-il fuir? Partir en mon château de Coulanges? Que seront nos idées si nous ne sommes plus là pour les défendre? Est-ce bien mon idéal ou ma peur panique qui me conseille ainsi la fuite. La terreur, qu'y faire quand rien ne peut l'enrayer?


Fançoise, Capbreton, janvier 2008






Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 29/01/2008 à 08:00