FRANCOISE C.*

11/03/2008

Mots à insérer

Evasion, élégant, escargot, victoire, voyage, amour, anticipation, soie, suave, incorrect, inouï, oser, oriflamme, neige, nul
Jokers
Puisque, ou, gris.



Marin par défaut

Rien d’élégant dans la longue silhouette dégingandée. Une allure qui semble nonchalante puis non, plutôt chaloupée, accentuée par un regard d’un toupet inouï qui laisse chaque femme dévisagée plus que dévêtue, nue jusqu’au fond de l’âme.
Il revient d’un de ses voyages à l’autre bout du monde. Il ne travaille que sur des cargos qui partent vers l’extrême orient. Soie, porcelaine mais aussi amours faciles et une collection de cartes postales dignes d’images d’Epinal : pêchers sur les pentes du Kilimandjaro au moment où les neiges couronnent encore le mont sacré, pagodes décorées ou manifestations militaires avec oriflammes claquant au vent. Une évasion bénéfique a-t-il pensé longtemps quand sa vie bascula brusquement au moment où sa compagne osa l’abandonner. Elle ne supportait plus la violence physique et verbale qui alternait avec une tendresse accaparante et exclusive, un comportement incorrect que nul n’arrivait à lui faire modifier. Mais on n’échappe ni aux facettes de sa personnalité ni à son histoire par la fuite fut-elle vers les contrées les plus lointaines.
Regrets, fureur, souffrance sans un mot à quiconque, jamais. Après un stage de six mois, il partit mécanicien sur un cargo commercial. Six mois de navigation, six mois à terre jusqu’à ce qu’il renonce et s’ancre là puisqu’il y est né.
Il revient les bras chargés de cadeaux de pacotille qu’il ne sait à qui offrir, de quelques objets de plus grande valeur qu’il offre à sa sœur. Elle a accepté qu’il aménage une aile de la maison familiale pour avoir un lieu à lui entre deux voyages. Quelques rares amis y sont invités ainsi que sa sœur, son frère et leurs conjoints. Il cuisine pour eux les mets raffinés qu’il a appris à confectionner là-bas. Au delà de la cuisine, les épices les plus violents ou les plus suaves parfument le jardin et la rue. Les gens du village mêlent à son égard une bonne dose d’incompréhension, une forme d’admiration et un reste de ressentiment violent. Il ignore superbement leurs sentiments, distribuant poignées de main, quelques rares accolades et ce sourire à peine esquissé qu s’adresse à chacun, à chacune tout en les maintenant à distance.
Une exception le jour de la fête du pont : c’est lui qui fait griller toute la journée les escargots petits gris ramassés par tout le village les mois précédents. Il prépare la sauce du pays à la tomate poivrée et un accompagnement exotique dont il refuse de donner la recette : un goût pimenté qui emplit le palais, tapisse l’intérieur des joues et diffuse par les fosses nasales jusqu’au bord des narines. Il évoque avec chaque convive les souvenirs d’enfance et semble vraiment de retour au pays. Imperturbable, il cuisine et boit les canettes de bière qu’il a préparée à portée de main dans un petit frigo spécial.
Au moment où le dernier service du souper s’achève, il mélange whisky et reste de bière jusqu’à ce qu’il s’effondre sur son coin de table. Son frère et son beau-frère le ramèneront à la maison et le coucheront sous le regard désapprobateur du village : elle a bien fait de partir, la Marie, le Georges, il changera jamais !
Françoise, mars2008






Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 11/03/2008 à 07:53