CHRISTIANE J.*****

30/01/2007

COLLINE, caillou, couleur, odeur, oser, libre, lune, lampion, laurier, iris, inouï, nature, naissance, essayer, espace.
Jokers : beau, mer, rose.


COLLINE...

Charlotte, 10 ans, une fois de plus se fait rappeler à l’ordre par la maîtresse :
« vous êtes encore dans la lune ! ».

Non elle n’est pas dans la lune, Charlotte étouffe dans cet espace rétréci que constitue l’internat du pensionnat La Croix, un incoercible besoin de liberté la submerge.

Elle connaît bien cette sensation forte qui monte en elle et ses pensées échafaudent le projet d’une fugue.

Elle n’en est pas à son coup d’essai. Sa stratégie est au point, elle l’a déjà expérimentée : dans son uniforme couleur bleu marine complété par le béret sur lequel est accroché l’insigne du pensionnat, rien ne la distingue des autres élèves, externes, elles. A 16 h 30, son cartable à la main, elle se fond dans le rang qui attend l’ouverture de la porte de sortie. En tête, une surveillante fait le chemin jusqu’au bout de l’impasse et le groupe se disperse pour rejoindre son domicile.

Une autre ruse lui a déjà bien réussi : dissimulée derrière la statue de la Ste Vierge entourée de rosiers elle attend, prête à bondir ; la cloche de l’entrée tinte, de sa loge, la sœur tourière actionne l’ouverture et là elle se glisse dans la porte entre-ouverte, le cœur battant mais la tête haute et l’air le plus naturel possible pour ne pas éveiller l’attention du visiteur.

Dehors, Charlotte hâte le pas puis se met à courir avec allégresse, libre, elle est libre, peu lui importe les conséquences, elle exulte.

L’itinéraire pour rejoindre le domicile de sa mère lui est familier.

Elle traverse la place Reggio, rejoint le canal dont elle aime l’odeur, hop, un petit caillou lancé du pont pour faire un rond dans l’eau verte, puis elle longe le quai Carnot qui débouche sur la place Exelmans et elle entreprend la montée vers la Ville-Haute. C’est sa colline, son fief dont les remparts peuplés d’iris sauvages surplombent la ville et parmi les toits d’ardoise grise elle devine le pensionnat.

Si la porte du logement est close, elle n’éprouve pas d’inquiétude, elle rejoint sans se presser sa mère qui travaille en 3 x 8 dans un standard de téléphonie, et c’est donc là qu’elle doit forcément la trouver.


Evidemment elle se fait réprimander, sa mère alerte aussitôt le pensionnat, avec un peu de chance elle n’y retournera que le lendemain matin. Elle pense à ses camarades de dortoir, à la loupiote qui brille faiblement dans la cellule de la surveillante.


Ramenée devant la Mère Supérieure, la tête baissée et l’air contrit, elle promet de ne pas recommencer. Pendant quelque temps tout le monde l’a à l’œil, puis l’attention se relâche et Charlotte sait qu’elle pourra à nouveau oser défier le règlement.


Plusieurs décennies ont passé depuis cette époque qui n’a pas été couronnée de lauriers.


Charlotte n’a aucun souvenir des remontrances et des punitions qui lui ont probablement été infligées. Mais elle a gardé intact ce sentiment de jubilation inouïe éprouvé lorsqu’elle s’échappait pour fuir cet univers clos qui faisait naître en elle une irrésistible soif d’évasion.

Christiane J. pour le 29 janvier 2007.






Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 30/01/2007 à 19:57