FRANCOISE C.*

08/03/2008

Mots à insérer :

LISTE : libellule, livre; intranquillité, intransigeant; susceptible, silence; téméraire, tardif; escadrille, espoir; sortie, souffle;
JOKERS : vers, déjà, jouer





Premier amour

Il est revenu des Hauts d'Hydra sans encombre malgré le marasme effrayant des derniers mois de la guerre d' Algérie. L'intranquillité du moment n'affecte pas réellement leur bonheur. Se blottir dans ses bras, s'accorder à son souffle, plonger dans le vert de ses yeux en un silence plus chargé de messages que n'importe quel mot; cet espoir téméraire, d'aucun penserait insensé va se concrétiser.
Ils sont jeunes, ils sont fous. Elle, est interne à l'Ecole Normale de Mont de Marsan; établissement au règlement très strict; tout écart à ce qui est autorisé est susceptible d'attirer bien des ennuis. Pire, l'équipe directoriale est intransigeante sur tout ce qui concerne les relations amoureuses, considérées hors cadre ou hors sujet pour la centaine d'adolescentes de l'école. Sans doute leur jeunesse est-elle trop loin ou leurs émotions de jeunes filles très refoulées.
Le jeudi, les sorties sont autorisées de quatorze à dix-sept heures. Tant pis, il arrivera d'Auvillar vers treize heures. D'Auvillar, à deux cent quarante kilomètres, en scooter, a-t-il précisé dans une de ses lettres: l'adresse à l'encre bleu pâle insolite s'est jouée des barrières si difficiles à contourner et chaque missive lui a été distribuée. il la demandera au parloir. Elle ne peut se résoudre à dire non même si elle sait ce qu'elle risque, même si toutes les convenances qui régissent les rencontres du parloir lui semblent intenables: se contenter d'un salut, d'un baiser esquissé, échanger des banalités sans se toucher sous le regard de quelques parents venus eux aussi en visite. A cette heure, elle sera à la bibliothèque dont elle est responsable, reclassant livres et revues. Elle le verra donc arriver et, peut-être, réussira-t-elle à le faire entrer sans encombre. Les amoureux ont de la chance; il arrive à l'heure dite, elle le voit pousser la grille du portail, avancer de cette allure nonchalante qui cache si bien sa détermination. Elle ouvre la porte, les larmes l'enveloppent d'un halo de lumière douce.
« Bonjour, cousine », murmure-t-il pour les spectateurs de la scène.
« Bonjour... entre ».
Les voilà assis sur deux des chaises de paille, jouant le jeu d'une rencontre familiale.
Enfin quatorze heures. Il sort le premier, il l'attendra au coin de la ruelle. Inspection de tenue, de coiffure, rien ne semble clocher, elle peut sortir avec ses amies habituelles. Qu'il est difficile de ne pas se précipiter!
Un sourire semi narquois vers les copines qui ne peuvent s'empêcher de le dévisager, pas plus de casque obligatoire que de téléphone portable ces années-là.
Elle le guide vers un coin de forêt délicieux. Depuis, les militaires ont annexé cette zone pour un camp d'entraînement. mais ce jour là, au bord du ruisseau si clair que le sable blond n'est troublé d'aucune brindille, ils peuvent s'allonger sur un tapis de mousse. Les rais de lumière, égayées de roses de Noël tardives et de violettes précoces, jouent avec les branches de pin et semble éclairer la scène comme au théâtre. Ils peuvent enfin échanger petits mots rituels, discussions plus sérieuses, caresses. Elle peut se noyer à sa guise dans le vert de ses prunelles. Ce qu'ils suivent des yeux, ce n'est pas la trace si bruyante qu'elle en est menaçante de l'escadrille de la base mais un couple de libellules aux ailes bleues en route pour leurs noces printanières.
« Et nous, quand nous marierons-nous? » demande-t-il le nez si bien collé au sien qu'ils en loucheraient s'ils ne fermaient souverainement les yeux.
Françoise, Capbreton, 11 février 2008





Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 08/03/2008 à 14:06