PASCALE *****

imaginez...




J’avais beau ne mesurer qu’un demi-millimètre de diamètre, grand dieu, j’avais une âme !
Une main rugueuse s’empara de tout mon être et avec une délicatesse surprenante me déposa dans le berceau qu’elle venait de creuser à même le sol.
Quelques arrosages plus tard, je prenais racine et m’apprêtait à croître en m’élançant vers le ciel.
D’abord timide, je sortais mes petites fanes de terre, perçant la couche craquelée du dessus, jetant un œil au dehors à la recherche de quelque intrus. Puis, certaine qu’aucune menace ne pesait sur moi, limace ou vermisseau, j’osais étendre mes tiges, déployer mes racines et me nourrissant à même le sol, dodue et ventripotente, j’entamais une vie, que je croyais paisible, dans le giron terrestre.
A côté de moi d’autres graines se tortillaient en chœur et de cette même lignée, nous naquîmes, quelques semaines plus tard, jeunes et jolies carottes, innocentes et naïves.
A peine sorties de terre, parfois avec douceur, parfois très brutalement, nous secouions toutes nos chevelures frisées puis allions nous prélasser, enfin le pensions-nous, allongées, serrées les unes contre les autres, dans de jolis paniers d’osiers tressés à l’ancienne. Ou serrées comme des sardines, nous reposions dans des petits cageots de bois clair.
Parfois, lorsque le temps était à l’orage, l’habit boueux, nos prenions toutes un bain rapide et glacé, misère, avant de rejoindre paniers ou cageots.
En réalité c’était souvent le cauchemar. Nous étions séparées sans aucune pitié. Les grosses avec les grosses. Les moyennes avec les moyennes, les petites avec le petites. Certaines, trop chétives étaient carrément mises à l’écart, aux oubliettes, au compost direct même…
Evidemment, aucun humain n’entendait nos pleurs, nos cris, nos déchirements…
Pourtant…
Lorsque le tri sélectif était achevé nos partions toutes dans des directions différentes. Certaines le savaient qui gémissaient sans fin depuis leur naissance. : vouées à la décapitation en rondelles, elles claquaient des dents, frémissaient de toutes leurs fanes…
« Les carottes sont cuites » riaient les poireaux que même le sol gelé n’atteignait pas dans leur dignité. A peine étaient-ils un peu plus chétifs que d’ordinaire.
« Mangez des carottes, ça rend aimable » répondait les oiseaux perchés sur l’épouvantail qui en avait vu d’autre…
Les carottes, elles, ne trouvaient pas drôles les réparties. Serrées les unes contre les autres, tremblantes, elles attendaient el signal du départ, incapable d’esquisser le moindre geste de révolte. A quoi bon d’abord ? Leur sort était tout tracé. C’était la marmite, le frigo, le congélateur, la boîte en ferraille… ah, si seulement elles avaient pu naître fleur, rose tenez ou œillet même dinde… une seule petite coupure rapide à la base de leur tige et hop, tant de soins et d’amour ensuite.
Non, elles c’était la rondelle, la râpe ou pire encore, la purée…
Une seule personne au monde connaît le cri de la carotte que l’on tranche et torture. Mais elle n’est même pas là aujourd’hui pour l’entendre et vous le dire.
C’est idiot n’est-ce pas, je suis bien d’accord avec vous : un légume, ça ne crie pas, ça n’a pas d’âme, ça ne peut pas souffrir. Pourtant ça vit puisque ça pousse ou grandit. Etrange monde que celui de nos jardins potagers…
Le soleil qui caresse de ses rayons les framboisiers me parait soudain moins aimable, moins innocent : aurait-il quelque idée malicieuse en tête, se pourrait-il qu’il ne nous gorge de soleil que pour mieux nous abandonner ensuite et nous livrer à la vindicte populaire ?
Appuyée sur ma bêche, le dos en compote, je m’interroge encore : les betteraves rouges seraient-elles meilleures si elles étaient bleues ??

Encore un mystère à éclaircir…

Pascale jeu du 28 janvier 2008.




Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 07/02/2008 à 07:46