FRANCOISE C.*

Se laisser aller à ses souvenirs devant deux petits tas d'épices distribués en deux temps (d'abord herbes de Provence puis Curry)


Senteurs blues

Origan, ouragan...Quel ouragan? Laisse, le voilà déjà cyclone et moi, pétrifiée dans le calme absolu de son oeil. Je crois ne plus pouvoir bouger pourtant les éclats verts dansent dans le tourbillon de la nuée, bronze, kaki mais aussi plus blancs ou presque bruns.
Je ne bouge plus mais mon odorat s'ouvre , s'aiguise,semble s'élever jusqu'aux éclats dansants, et revenir en piqué pour emplir totalement mon nez, descendre jusqu'au fond de ma gorge, remonter, envahir mon palais, agacer mes dents et presque brasiller jusqu'à mes yeux. Immobile et pourtant emportée.
Emportée par le souvenir de tes yeux, par les éclats changeants du vert de tes prunelles. Quelque autre les disait noisette mais confondre un fruit sec et la gamme subtile d'une épice, quelle pauvreté du regard, quel affadissement de la sensation. Tant mieux, la palette infinie de l'iris de tes yeux, plus sombres dans la colère, si clairs dans le soleil et la joie partagée, amande quand le désir les voile, pistache quand le le plaisir les rend éclatants, ne sera qu'à moi, à nous.
Safran, Azafràn, sur la route de Séville, les champs de crocus. Les ouvriers agricoles s'échinent sous un soleil si violent que la plaine entière semble mauve. Et toi, d'ordinaire si proche de tous les opprimés, prêt à brandir quelque bannière noire, ce n'est pas la jeune femme au fichu noir qui t'attire au détour du champ. Pourtant la sueur a marqué de sale son visage émacié. Comment réussit-elle à rester aussi immobile et à mimer appel et offre dans une même attitude qui nous invite, non, plutôt nous contraint à nous approcher d'elle? Tu dévores des yeux la poudre de ce jaune éteint tirant sur un brique sans rouge qui n'appartient qu'à elle. Elle forme une petite pyramide sur le jupon rapiécé. Cette poudre, tu la veux. La jeune femme prend soin de ne laisser échapper aucune parcelle de la précieuse poussière, elle sait la valeur inestimable de son butin. Tu acceptes sans sourciller le prix à payer pour les quelques grammes de safran.
Nous ne le ramènerons à personne. Le soir, tu verseras doucement la poussière jaune sous mon nombril et elle égarera ton visage pour ce moment de notre histoire dont je ne dirai rien.

Françoise, Jeu du 12 novembre 2007.

Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 18/11/2007 à 15:19