FRANCOISE C.*

10/12/2007

Mot à insérer.
CONTES : courage, caprice, ombre, origine, nature, nourrice, tendresse, température, errance, être, soudain, souvenir.
JOKER : noir, déjà, bon.



Un conte à dormir debout


Il était une fois Bayamie, une jeune fille de la région des fleurs dans un pays que vous pouvez situer où bon vous semble. Ses parents étaient heureux et fiers de leur fille, assez émancipée mais présente chaque fois qu'ils avaient besoin d'elle. Pour son adolescence, ils lui avaient aménagé une chambre indépendante, claire, spacieuse, avec un vaste lit au mitan moelleux. Mais brusquement, à l'âge où les filles deviennent femmes, elle leur compliqua la vie d'une façon inattendue. Tant qu'ils commencèrent à se dessécher tels fagots de sarments oubliés au bout d'un rang de vigne. Oh!, elle ne se risqua pas à faire des caprices, elle continua toutes ses activités avec la même efficacité et elle s'efforçait de rester la fille enjouée et déterminée qu'elle avait toujours su être. Mais elle se mit à ne pouvoir dormir que debout. Dès que le sommeil la gagnait, elle se raidissait tel tronçons de bois, que dis-je de bois, tel tiges d'acier trempé. La première fois, avec d'infinies précautions, ils l'allongèrent sur son lit mais, tel un ressort, son corps se redressa, se mit à osciller après avoir failli les renverser. Qu'arriverait-il s'il retombait lourdement, l'acier peut être si cassant s'il contient la moindre paille? Ils lui confectionnèrent une sorte de hamac tendu oblique avec une des extrémités au ras du sol et l'aidèrent à s'installer. Elle réussit à s'endormir ainsi soutenue debout, pas eux. Ils firent confectionner en osier souple une large gouttière en fer à cheval, une autre en forme de lettre S aux larges coudes, mais rien ne pouvait l'aider à se ployer et le sommeil n'apportait aucune détente à son pauvre corps raidi. Près du hamac, ils installèrent dans l'angle de la chambre à coucher, une sorte de couffin dressé, aux poignées décentrées vers le haut afin qu'elle puisse y soutenir ses bras et soulager ses jambes. S'ils souffraient d'insomnie chronique, elle arrivait à se reposer mais jusqu'à quand? quelle origine à ce mal étrange? cette rigidité dès l'endormisse ment n'allait-elle pas gagner tout au long de la journée? comment pourrait-elle trouver un mari? que cachait ce symptôme jamais rencontré à ce jour?
Ils entendirent parler de la sorcière Babaïaga que les femmes allaient consulter dès qu'elles ne pouvaient trouver de mari, avoir d'enfant ou pour ramener au bercail quelque époux trop volage.
Dans un balluchon Bayamie roula son hamac , plus facile à transporter que le couffin, prit un minimum de vêtements et un pot de la gelée royale dont sa mère avait le secret et partit à la recherche du logis de Babaïaga. Tout ce qu'on savait, c'est qu'elle habitait en haut, après les falaises derrière les gorges au fond desquelles mugissait les premiers kilomètres du grand fleuve. Elle ajouta à son balluchon une longue corde tressée solide et, allez savoir pourquoi un assortiment de graines réservées à ses tourterelles. Ses parents lui firent toutes sortes de recommandations, son père aurait bien voulu l'accompagner mais elle fût intraitable; c'est à elle que ce maléfice était advenu, c'était à elle seule de trouver solution. Elle marchait d'un pas décidé, avec courage, attentive à la nature qui l'entourait, au jour naissant, à la lumière dans laquelle se découpait l'ombre des haies bordant les prairies. Tout à coup, elle suspendit son pas. Elle avait failli écraser un escargot à la coquille jaune nacrée qui avançait péniblement sur le sentier, une longue traînée blanchâtre dans son sillage. « Où vas-tu, ce matin, petit escargot, j'ai failli t'écraser.... » L'escargot répondit qu'il devait se rendre au fond du champ voisin où une importante réunion se tenait sur les pesticides qui donnent des ulcérations à leurs pieds, sur la façon de les repérer pour les éviter et sur les herbes à sucer pour tenter de se soigner: « vois ce long dépôt derrière moi, je fatigue et n'arriverai pas assez tôt ». Bayamie le saisit délicatement par la coquille, le posa sur son épaule pour l'amener à son rendez-vous. En chemin, elle lui raconta son expédition et sa perplexité au sujet de Babayaga. L'escargot lui répondit: « tu n'as pas hésité à perdre du temps pour moi alors que la plupart des humains m'auraient écrasé ou poussé violemment dans le fossé. Quand tu m'auras déposé au bout du champ, reviens vers la longue traînée que j'ai laissée, prends délicatement son extrémité et soulève la sur toute sa longueur. Elle se transformera en une ceinture souple d'argent. Babayaga ne donne rien sans échange, je sais qu'elle rêve d'une ceinture pour son habit de gala du prochain congrès de sorcières ». Bayamie toute heureuse déposa l'escargot,ils se souhaitèrent réussite et elle décolla ce qui devint en effet une belle ceinture argentée qu'elle aurait bien gardée pour elle. Arrivée sur la rive ouest de la gorge, elle se demanda comment elle pourrait franchir le précipice. Elle n'avait pas souvenir du moindre gué ou d'une quelconque passerelle. Dans le profond, l'eau tourbillonnait entraînant tout comme fétu de paille. Elle pensa très fort à son père si ingénieux pour confectionner hamac et couffin, à sa mère si inventive pour l'aider à préparer son bagage. Déjà, une idée lui vint. A une extrémité de sa longue corde, elle fit un noeud de lasso, repéra une souche haute sur la rive opposée. La souche était en partie couchée avec des racines tourmentées qui ressemblaient à des doigts déformés par quelque souffrance. Le jour était plus clair, la souche paraissait solide. Bayamie lança le noeud coulant en pensant si fort qu'elle devait réussir comme ses parents que la corde s'arrima à la souche. Elle dut alors traverser suspendue dans le vide, à la seule force de ses bras, doigts endoloris par le frottement du chanvre, mais bientôt, elle fut sur l'autre rive. Où se diriger maintenant? Elle commença une errance bien solitaire. Toute la montagne semblait immobile, les feuilles des arbres n'étaient agitées d'aucun souffle et pour les rares oiseaux qui planaient ou voletaient d'arbre en arbre, pas le moindre bruit, pas le moindre chant; le grondement du torrent lui-même s'affaiblissait et en venait à lui manquer. Puis elle traversa plusieurs tunnels naturels taillée dans la roche. Quelques roches pleuraient des larmes serrées , d'autres fois espacées . Elle en était bouleversée et complètement troublée. Qu'est-ce que cela disait d'elle?
Quelques oiseaux en haut d'un bouquet de chênes se tenaient immobiles, pattes raidies, plumes ébouriffées, oeil semblant fixer quelque lointain. Elle sortit son paquet de graines et les éparpilla sur le sol avec un sifflement doux en direction des oiseaux. Ils voletèrent jusqu'aux graines, craintifs d'abord puis de plus en plus assurés, n'hésitant plus bientôt à picorer entre ses pieds. Me voilà transformée en nourrice d'oiseaux pensait-elle mais comment trouver ma route, comment faire, comment arriver jusqu'à Babayaga? Et alors, comme s'ils avaient entendu ses pensées, les oiseaux se disposèrent en vol triangulaire et lui firent comprendre qu'il n'y avait qu'à les suivre. Escalader la falaise ne fut pas chose facile, se frayer un chemin dans les fougères non plus mais les oiseaux traçaient une direction dont ils semblaient assurés. Dès qu'il fit noir,elle commença à se raidir. Ils se posèrent sur un immense châtaignier au pied duquel elle cala son hamac et elle put dormir un peu. La journée du lendemain fut aussi pénible mais les oiseaux semblaient savoir où ils allaient. Enfin, elle arriva à l'entrée de la grotte de Babayaga. Celle ci la reçut avec une grande méfiance mais accepta de l'écouter: ce n'était pas ordinaire qu'un plaignant arrive jusqu'à elle conduit par un vol d'oiseaux aussi prévenants. Elle écouta son histoire, hocha la tête d'un air entendu et passa l'index de sa main gauche autour du visage de la petite, de sa poitrine et de son ventre jusqu'à la racine des cuisses. « J'ai bien l'élixir qui te guérirait mais que peux- tu me donner en échange? » Alors Bayamie sortit la ceinture de son balluchon et la tendit à la sorcière. Celle- ci la prit dans ses mains d'un air médusé, l'enroula autour de sa taille et se tournant vers Bayamie lui dit: je vais te donner cette fiole au verre opaque, tu la mérites bien mais écoute moi , ne l'ouvre que lorsque tu seras revenue dans ta maison, n'essaie pas de savoir d'avance la couleur du liquide sinon le pouvoir de la potion disparaîtra dès son ouverture. Sois patiente, reviens vers les tiens puis enferme toi dans ta chambre et bois en trois fois en secouant l'oreiller entre chaque lampée. Ne t'inquiète pas de la couleur du liquide qui s'écoulera de toi. ton corps se transformera tel que ce doit être pour que tu retrouves sommeil et vie normale.
Bayamie eut bien du mal à obéir surtout à la tombée des deux nuits de retour mais elle voulait rassurer ses parents et guérir, surtout pour elle, pour vivre en femme libre de choisir son destin. Et bon, elle attendit d'être revenue. Le chemin fut aussi difficile; les oiseaux la laissèrent continuer seule après la falaise et elle ne revit pas l'escargot. Mais ses parents virent la petite bouteille dans sa main et quand elle leur dit: « laissez moi, je dois rester seule mais ensuite ce sera la fin de nos soucis », ils surent qu'ils devaient faire confiance à leur Bayamie: elle avait su trouver le chemin de Babayaga, elle avait rapporté ce qui était nécessaire et demain dans la région des fleurs la vie reprendrait son cours.

Françoise, Capbreton décembre 2007







Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 10/12/2007 à 20:46