Madame R. a 91 ans, elle est complètement impotente et elle est démente. Sa démence se manifeste par des hurlements permanents, cris, insultes et borborygmes d'une intensité sonore insupportable. On pourrait argüer du fait que lorsqu'elle dort, au moins, on ne l'entend plus. C'est vrai. Mais la franchise m'oblige à dire qu'elle ne dort quasiment plus depuis plusieurs mois. Il faut reconnaître que son activité physique se réduit à gigoter dans son lit pour calmer les douleurs que l'immobilité engendre forcément : douleurs articulaires, escarres, souffrance psychique..comment savoir ? Ce que tout le monde sait, à la maison de retraite qui l'héberge, c'est que ses cris mettent à cran le personnel, les visiteurs, et ses proches voisins de chambre.
Aussi, quand le compatissant médecin fait sa tournée hebdomadaire ce mardi, bien qu'il soit impuissant à aider cette pauvre chose douloureuse dans son lit de torture, il pénètre dans la chambre pour poser sa main bienveillante sur le bras de la dame, lui passer un peu de la chaleur humaine qu'il distribue sans compter. La dame hurle de plus belle dès qu'elle sent le contact.
Aussi, quand le compatissant médecin fait sa tournée hebdomadaire ce mardi, bien qu'il soit impuissant à aider cette pauvre chose douloureuse dans son lit de torture, il pénètre dans la chambre pour poser sa main bienveillante sur le bras de la dame, lui passer un peu de la chaleur humaine qu'il distribue sans compter. La dame hurle de plus belle dès qu'elle sent le contact.
- Avez-vous mal ? demande-t-il ? - Qu'est-ce que tu crois, blanc bec ? - Où avez-vous mal, Madame ? - Elle m'a jetée par terre, tu vois pas ma tronche ?
Madame R. n'a jamais eu un langage châtié, mais le médecin ne s'en formalise pas. Bien qu'elle soit folle à lier, elle n'a pas l'habitude de se plaindre. Crier lui suffit. Alors, il la regarde mieux, et il voit un hématome naissant sur sa tempe. Il écarte le drap pour l'ausculter, elle lui repousse brutalement le bras quand il touche sa hanche. L'examen révèlera un autre hématome sur la hanche et une mobilité très douloureuse de la jambe.
Cherchant l'infirmière, il lui demande depuis quand sa patiente se plaint ainsi. Elle ne sait pas : cette femme se plaint tout le temps, n'est-ce pas ? Tout de même, ces marques sont récentes ! Alertée, l'infirmière retourne voir la patiente et la trouve effectivement changée.
Toute l'équipe est convoquée pour information. Personne ne sait comment une personne impotente a pu sauter les barrières pour se fracturer le col du fémur, et surtout, remonter ensuite dans son lit ! Le coup sur la tempe fait dire par une aide-soignante que quelqu'un l'a frappée, et toutes les pensées se tournent vers un pauvre innocent qui habite la chambre voisine, un attardé mental comme en accueillent souvent les maisons de retraite. Interrogé avec délicatesse par le médecin qui comprendrait bien un passage à l'acte dû à l'exaspération que tous ressentent ici, le pauvre bougre se balance d'une jambe sur l'autre et nie.
Cherchant l'infirmière, il lui demande depuis quand sa patiente se plaint ainsi. Elle ne sait pas : cette femme se plaint tout le temps, n'est-ce pas ? Tout de même, ces marques sont récentes ! Alertée, l'infirmière retourne voir la patiente et la trouve effectivement changée.
Toute l'équipe est convoquée pour information. Personne ne sait comment une personne impotente a pu sauter les barrières pour se fracturer le col du fémur, et surtout, remonter ensuite dans son lit ! Le coup sur la tempe fait dire par une aide-soignante que quelqu'un l'a frappée, et toutes les pensées se tournent vers un pauvre innocent qui habite la chambre voisine, un attardé mental comme en accueillent souvent les maisons de retraite. Interrogé avec délicatesse par le médecin qui comprendrait bien un passage à l'acte dû à l'exaspération que tous ressentent ici, le pauvre bougre se balance d'une jambe sur l'autre et nie.
Ce n'est donc personne ...
Je suis l'infirmière de service ce jour-là. Ce dont je peux témoigner, c'est que les aides-soignantes ont une charge de travail incompatible avec la douceur et la gentillesse qu'on devrait témoigner aux vieillards dépendants. Je les ai vues faire seules des toilettes lourdes qui leur cassent le dos et le moral. Leur demandant pourquoi elles ne s'y mettaient pas à deux, elles m'ont toutes répondu qu'il y en avait trop et qu'elles devaient se les partager pour les finir en temps voulu. J'ai bien essayé d'argumenter que les faire toutes à deux irait plus vite et serait moins dur pour toute monde, mais je me suis heurtée aux murs de rencoeur habituels entre les différentes couches de la hiérarchie.
La consigne du médecin, en accord avec toute l'équipe, c'est de fermer à clé la chambre de Madame R.en dehors des heures de soin, gardant à l'esprit qu'un "voisin" exaspéré pourrait de nouveau frapper.
A mon avis, c'est une malheureuse aide-soignante qui a lâché par mégarde la pauvre mamie en lui changeant son lit, et que terrorisée par ce qu'elle avait fait et par la peur de se faire renvoyer, elle n'a jamais pu en parler.
La consigne du médecin, en accord avec toute l'équipe, c'est de fermer à clé la chambre de Madame R.en dehors des heures de soin, gardant à l'esprit qu'un "voisin" exaspéré pourrait de nouveau frapper.
A mon avis, c'est une malheureuse aide-soignante qui a lâché par mégarde la pauvre mamie en lui changeant son lit, et que terrorisée par ce qu'elle avait fait et par la peur de se faire renvoyer, elle n'a jamais pu en parler.