Documents à l'appui, il déroule le fil de sa vie. De ses existences successives, plutôt, qui l'ont amené à combattre, de 1936 à 1945, les fascistes italiens, les franquistes, le régime de Vichy, les nazis...
De l'histoire ancienne? Oui, si ce n'est que cette histoire bouge encore. On célèbre actuellement le 70e anniversaire de la défaite des républicains lors de la guerre civile d'Espagne (1936-1939). Et Vincent Tonelli, Italien de naissance, citoyen français, vient de demander également la nationalité espagnole (voir l'encadré ci-dessous).
Une loi pour "réparer"
Entrée en vigueur le 28 décembre 2008 en Espagne, la loi sur la "mémoire historique" suscite la polémique entre gauche et droite. Elle reconnaît l'"injustice" engendrée par "la guerre civile et la dictature" et permet aux personnes contraintes de fuir la répression franquiste entre juillet 1936 et 1955 d'obtenir la nationalité espagnole. Ce qui offre ainsi la possibilité aux petits-enfants des exilés républicains de "récupérer" la nationalité d'origine de leur famille. Cette disposition, ouverte jusqu'à la fin de 2010, pourrait concerner près de 500 000 personnes dans le monde, notamment en Amérique latine.L'épopée de Vincent Tonelli, c'est celle des personnages de Hemingway et de Malraux, des héros anonymes de la guerre civile, immortalisés par le photographe Robert Capa. Pourtant, l'ancien combattant ne verse pas dans le romantisme: "C'était une guerre terrible. Je me battais pour un idéal de liberté, mais, quand on m'a mis une arme dans les mains, j'ai compris qu'il faudrait tuer..."
Il montre sa carte militaire des Brigades internationales. Estampillée "Republica española", elle porte le numéro 7050 et renferme des renseignements succincts. Nationalité: italienne. Profession : maçon. Domicile: France. Parti politique: antifasciste. Un raccourci de son incroyable destin.
Vincenzo Tonelli est né le 13 juillet 1916 à Castelnuovo, un petit village du Frioul, dans le nord-est de l'Italie. Il est encore enfant quand son père part travailler en France, afin de nourrir la famille.
Jeune antifasciste venu d'Italie
Quand il a 13 ans, son instituteur - responsable local du parti fasciste - le gifle pour une broutille. Vincenzo, qui a refusé de s'inscrire aux jeunesses mussoliniennes, ne mettra plus les pieds à l'école. Le garçon rejoint son père à Paris, s'échine sur les chantiers puis file seul vers Toulouse, en quête d'un autre boulot. Devenu maçon, il se lie d'amitié avec un autre jeune immigré italien, Armelino Giulani.
Eté 1936. La guerre civile éclate en Espagne. Armelino annonce qu'il part se battre. Vincenzo l'accompagne. Il a 20 ans. Les voici bientôt à Albacete, à 300 kilomètres au sud-est de Madrid, où se regroupent les Brigades internationales. Parmi ces volontaires, originaires d'une cinquantaine de pays, on dénombre 9 000 Français, 5 000 Allemands, 3 000 Italiens...
"La guerre d'Espagne est une répétition générale de la Seconde Guerre mondiale, rappelle Jean-François Berdah, historien à l'université de Toulouse-le Mirail. Mais, pour les interbrigadistes allemands et italiens, c'est une occasion de poursuivre le combat contre le nazisme et le fascisme." Comme ses compatriotes, Tonelli est affecté au bataillon Garibaldi, intégré à la XIIe brigade.
Les descendants de l'exil
Quel est le point commun entre Raymond Domenech, sélectionneur de l'équipe de France de football, Manuel Valls, député socialiste de l'Essonne, ou Guy Novès, entraîneur de l'équipe toulousaine de rugby? Ils sont fils ou petit-fils de républicains espagnols exilés en France, à la fin de la guerre civile. En février 1939, lors de la Retirada (repli), près de 500 000 personnes franchissent les Pyrénées, fuyant les représailles franquistes. Malgré les persécutions du régime de Vichy et de l'occupant nazi, 150 000 exilés environ ont fait souche en France. Les autres se sont dispersés à travers le monde.Nommé sergent, équipé d'une mitrailleuse soviétique, Vincenzo Tonelli est sur le front de l'Ebre à l'été 1938. Durant cette bataille terrifiante, qui fait des dizaines de milliers de morts, les Brigades internationales tirent leurs dernières cartouches. Le camp républicain, pourtant affaibli, leur demande se rentrer chez eux.
"Etranger indésirable" pour le régime de Vichy
Le vieux combattant a conservé un certificat daté du 28 octobre 1938. Ce jour-là, il a défilé avec tous les volontaires étrangers, dans les rues de Barcelone, pour une cérémonie d'adieux, sous les vivats de la population.
Revenu à Toulouse sans trop d'encombres, le brigadiste reprend son travail. Début 1942, il intègre un groupe de résistants. Il rencontre aussi Lucie, sa future femme, qui vit toujours à son côté. Le 28 septembre de la même année, Vincenzo Tonelli est interné au camp disciplinaire du Vernet (Ariège), réservé aux "étrangers indésirables": juifs allemands et d'Europe de l'Est, républicains espagnols... Du Vernet, plusieurs convois partiront vers les camps nazis.
Tonelli, lui, a le "privilège" d'être remis aux autorités italiennes. Il parvient à s'échapper d'une caserne, retrouve sa famille - "Je ne les avais pas vus depuis treize ans", dit-il - et termine la guerre dans un groupe de partisans italiens faisant le coup de feu contre l'armée allemande.
Vincenzo est revenu en France en 1945. Ses actions de résistance lui ont valu d'obtenir la nationalité française. Devenu Vincent Tonelli, il a achevé sa carrière de maçon, à Toulouse, à la fin des années 1960. Il est retourné plusieurs fois en Espagne, "après la mort de Franco" (1975), et devrait donc obtenir la nationalité espagnole. "Il est trop tard pour que j'aille m'installer là-bas, plaisante le vieil homme, à la solide carrure. Mais ce serait un honneur d'obtenir cette reconnaissance. J'y ai laissé un peu de ma jeunesse."