La Retirada par le journal Le Patriote de la FNDIRP présidée par Robert Créange



La Retirada par le journal Le Patriote de la FNDIRP présidée par Robert Créange
 

En février 1939 quelque 500 000 Républicains espagnols battaient en retraite et refluaient vers la France. La mémoire de cette Retirada reste fortement ancrée dans les régions françaises où ils trouvèrent refuge, comme à Castelnau d'Estrétefonds, une commune périurbaine de Toulouse de 6 000 habitants.
Du 31 janvier au 6 février une série de manifestations y ont marqué le 70e anniversaire de la Retirada et nous avons demandé à Patrice Castel, conseiller délégué à la Culture, enseignant... et ancien lauréat du Concours national de la Résistance et de la Déportation, de nous parler de ce travail de mémoire de l'exil.
Mémoire, histoire et permanence de l'exil des Républicains espagnols dans le Midi toulousain
Il y a 70 ans, la « Retirada »

 « J 'ai vu toute une armée obligée de  vivre dans ses propres excréments, sans autres latrines ni égout que la mer. À tout moment nous avons rencontré des hommes disciplinés et résignés dont le récit fait plus de mal que n'importe quelle plainte qu'ils auraient pu nous faire ! » (Jean-Maurice Hermann, « Dans les camps d'internement des Républicains espagnols du Roussillon », Le Midi Socialiste, février 1939).
Février 1939 : 500 000 combattants républicains espagnols, hommes, femmes, enfants et blessés battaient en retraite la mort dans l'âme et refluaient vers la France... C'était la Retirada. Ils venaient de perdre les dernières batailles de la guerre civile (en particulier celle de Barcelone), face aux troupes franquistes, soutenues activement par Mussolini et Hitler. Ces combattants de la liberté furent pour la moitié d'entre eux parqués dans les camps de « concentration », comme on les qualifiait à l'époque, « les camps du mépris » si bien analysés par René Grando : Argelès, Saint-Cyprien, Le Barcarès, Collioure, Agde, Le Vernet d'Ariège, Gurs, Septfonds, Bram... Ils furent édifiés à la hâte, sans moyens, par les autorités françaises qui ne firent rien pour les accueillir dignement et avec l'humanité et la fraternité qu'ils étaient en droit d'attendre. C'était aussi le temps du déchaînement de la presse propagandiste d'extrême droite qui attisait la xénophobie. Les « rouges » espagnols furent alors présentés comme des « pillards », « tueurs de curés » ou « déterreurs de carmélites ». Pourtant, l'opinion publique ne fut pas dupe et la solidarité s'organisa : les élus et partis politiques de gauche, les syndicats, la Croix-Rouge, les Quakers, la Cimade, les francs-maçons et autres intellectuels et dignitaires religieux se mobilisèrent pour atténuer les souffrances des Républicains espagnols, en faisant pression sur le gouvernement Daladier qui afficha, la plupart du temps, une attitude méfiante et autoritaire à leur égard. Par la suite, le régime de Vichy durcit considérablement le système d'internement et n'hésita pas à livrer cette population concentrationnaire aux appétits meurtriers des franquistes et des nazis.
Février 2009 : soixante-dix ans après les faits, la mairie de Castelnau d'Estrétefonds a souhaité rendre un hommage appuyé aux Républicains espagnols en tentant d'effectuer un travail de mémoire de l'exil. À ce titre, l'exposition « Républicains espagnols en Midi-Pyrénées. Exil - histoire et mémoire » (1), une pièce de théâtre, une table de livres (préparée par la Librairie toulousaine « La Renaissance ») dédicacés par leurs auteurs (René Grando, Progreso Marin, Enrique Tapia, Gabriel Sandoval), trois projections de films, suivies de débats, et une soirée conviviale animée par l'école de musique de Castelnau d'Estrétefonds et le musicien engagé Vicente Pradal ont permis de rappeler, comme Lucie Aubrac, et au regard de ce combat internationaliste contre le fascisme, que « le verbe résister se conjugue au présent ! »
Une urgence mémorielle

Quand j'ai proposé, il y a quelques mois, au maire de notre commune de travailler sur le thème de la Retirada, je souhaitais marquer symboliquement le soixante-dixième et triste anniversaire de ces événements. Pour autant, je n'imaginais pas à quel point la frénésie mémorielle serait intense cette année. En guise d'explication, dans sa préface de l'ouvrage de Progreso Marin, Exilés espagnols, la mémoire à vif, le journaliste Patrick Pépin évoque une « urgence mémorielle » due à la disparition rapide et inéluctable des derniers acteurs et témoins (qui ont tous passé le cap des 85 ans), pour ne pas oublier le sens de leur engagement. Au-delà, c'est à un travail de « réappropriation » de la mémoire du camp républicain espagnol, une mémoire, longtemps occultée, tant en Espagne qu'en France, que l'on doit la multitude des manifestations organisées cette année dans notre région, mais également un peu partout, de part et d'autre des Pyrénées.
Personnellement, après avoir organisé cette semaine de manifestations à Castelnau d'Estrétefonds, je me sens grandi, vivifié, enrichi par les témoignages individuels de ceux, comme Francisco Folch (vétéran de la bataille de l'Ebre), Andres Jimenez (engagé dans la Légion étrangère et qui a participé à la bataille de Monte Cassino), Enrique Tapia ou José Martinez (passant, tout jeunes, « la frontera, tras los Pirineos ») qui font figure de grands témoins, d'exemples. Leur discours suscite émotion, compassion et même révolte, tant l'intensité dramatique de l'accueil qui leur fut fait par les autorités françaises, au mois de février 1939, est forte. Il renvoie également à la nécessité de replacer la Retirada dans le temps long, dans un cadre chronologique plus large si l'on souhaite comprendre les faits qui la préfigurent et la dépassent (de la création de la Seconde République espagnole, le 14 avril 1931, à nos jours, en passant par l'épisode de la tentative de « Reconquista de España »).
Mais ce travail de mémoire ne doit pas prendre le pas sur le devoir d'histoire qui s'impose aujourd'hui, car de nombreuses pages de l'histoire des Républicains espagnols restent encore à écrire, avec le sérieux, le détachement et j'ose dire la froideur de l'analyse critique nécessaires, après des décennies de déni dans notre pays mais surtout de négationnisme, sous la chape de plomb franquiste. À ce titre, l'historiographie de la guerre d'Espagne et des Républicains espagnols a été considérablement enrichie ces dernières années par les travaux de chercheurs incontournables (Geneviève Dreyfus-Armand, Jean-Pierre Amalric, Bartolomé Bennassar, Jean-François Berdah, Rémi Cazals, José Cubero, François Godicheau, Denis Peschanski, Elérika Leroy, Pierre Laborie, Claude Delpla... sans oublier José Jornet avec sa superbe exposition « Républicains espagnols en Midi-Pyrénées » et tant d'autres, cinéastes, journalistes ou écrivains comme Neus Viala, René Grando, Jean-Paul Roig, Progreso Marin, qui ont à c¦ur de combler ces vides de l'histoire et d'éclairer des zones d'ombre, dont les plus sombres et lugubres sont sans doute celles des fosses communes, ouvertes depuis peu.
L'histoire retiendra aussi l'engagement trop méconnu des francs-maçons toulousains, tel Silvio Tretin, qui alerta très tôt, de façon prémonitoire, ses Frères quant aux risques du fascisme européen, dont la guerre d'Espagne a démontré les connivences (Allemands, Italiens et Portugais s'impliquant massivement derrière Franco) et aida activement, depuis sa librairie de la rue du Languedoc, le camp républicain pendant la guerre d'Espagne, lors de la Retirada, puis au sein de la Résistance.
Pour évoquer la mémoire (une « mémoire à vif », pour reprendre Progreso Marin, tant les plaies occasionnées pendant cette guerre d'Espagne fratricide et lors de la Retirada, sont encore douloureuses) des Républicains espagnols en exil, dont beaucoup ont fait deux guerres pour la liberté, il faudrait écouter, visionner et lire des milliers de témoignages d'anonymes ou de militants plus illustres qui constituent autant de fragments d'une épopée collective. Tel celui de Marcelino Lopez, déporté à Mauthausen et Gusen, où il a porté le matricule n° 43116 et le triangle bleu frappé du « S » de Spanien. Comme nombre de ses camarades d'infortune, Franco l'avait déchu de sa nationalité espagnole et abandonné aux appétits meurtriers des nazis. Ou José Artime, interné dans les camps de Septfonds et du Vernet d'Ariège, non sans avoir été arrêté et torturé pour sa participation à la Résistance.
Trois longues années d'internement de septembre 1941 à juin 1944 aboutiront à son départ à bord du « Train fantôme » qui arriva à Dachau au mois d'août 1944.
Toulouse, capitale de l'Espagne républicaine


Mais que firent les Toulousains ? Avaient-ils perçu la gravité de la situation et anticipé ces événements ? Beaucoup s'impliquèrent personnellement et activement aux côtés des Républicains espagnols. Il en fut ainsi de François Verdier, comme l'a souligné Guillaume Agillo dans la biographie qu'il lui a consacré (2), pour qui l'aide à l'Espagne républicaine s'imposa naturellement. En 1938, il collecta et expédia du matériel aux Républicains en lutte, alors que le gouvernement français promouvait la criminelle non-intervention. François Verdier faisait aussi partie de ceux qui, avec la complicité de Pierre Cot, alors ministre de l'Air, et de son chef de cabinet, Jean Moulin, armaient et faisaient décoller des avions de « tourisme » des aérodromes de Montaudran et Francazal, vers les lignes républicaines.
Peut-on parler d'une permanence de l'exil des Républicains espagnols dans le Midi toulousain ?
Il y a pour le moins un constat à faire : en février 1939, après la rage et l'humiliation de la défaite, 500 000 Républicains espagnols ont découvert l'humiliation de l'exil. Après la neige, le froid sur les sentiers et routes des Pyrénées, mais aussi les camps, c'est ici à Toulouse la « Roja », capitale de l'Espagne républicaine en exil que ceux qui allaient devenir « los de Toulouse » ont décidé de poursuivre le combat anti-franquiste, mais d'abord anti-nazi au sein de la Résistance ou des FFL (30 000 hommes au total, dont ceux de la célèbre « Nueve » de la 2e Division blindée). Le 17 septembre 1944, ils étaient 3 000 à défiler à Toulouse devant les yeux réprobateurs de De Gaulle, alors qu'ils venaient, par exemple, de libérer le département de l'Ariège.
Au-delà des luttes idéologiques intestines entre anarchistes, communistes et socialistes, qui ont survécu à la guerre d'Espagne, il faut retenir qu'en 1950, un Toulousain sur dix était espagnol, l'exil dessinant alors une nouvelle géographie de la ville. Toulouse est alors devenue, sur fond de guerre froide, une base arrière de la République espagnole en exil. C'est dans la ville rose que, de réunions en congrès, s'est largement dessiné le visage de la nouvelle Espagne. Avec la mort de Franco en 1975 et l'accès au pouvoir de Felipe Gonzalez en 1982 (juste dix ans après le congrès du PSOE qui l'avait intronisé à Toulouse) est venu le temps des exilés volontaires, ceux qui ont décidé de rester ici. Aujourd'hui, est venu le temps de la mémoire et de l'histoire sous l'angle de la « réappropriation », qui n'est que justice, mais qui n'est pas obtenue sans mal, tant la dictature franquiste a exacerbé les oppositions et passions au sein de la population espagnole. Le juge Garzón a connu les pires difficultés pour obtenir les poursuites à l'encontre des criminels franquistes. Les fosses communes s'ouvrent aussi, mais constituent autant de plaies béantes...
On ne peut évoquer la Retirada sans faire allusion à l'apport politique et culturel des Républicains espagnols et de leurs descendants au Midi toulousain. À ce titre, la ville de Toulouse ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui sans « los de Toulouse », celles et ceux, anarchistes, communistes, socialistes, républicains plus modérés et tout simplement militants antifascistes qui ont surmonté l'épisode tragique de la Retirada pour forger une identité, une conscience collective d'exilés, d'abord pour la « Reconquista de España », puis pour la défense des universaux républicains de liberté, d'égalité et de fraternité.
À Castelnau d'Estrétefonds et dans le Midi toulousain, nous sommes encore nombreux à avoir « l'Espagne au c¦ur ». Cette semaine de manifestations a été émouvante, a consolidé la fibre militante et a permis d'évoquer l'esprit de résistance (¡ No pasaran !), tellement important aujourd'hui, les valeurs universelles de liberté et de justice. À ce titre, nous nous sommes donné rendez-vous en 2011, pour célébrer le 80e anniversaire de la Deuxième République espagnole.
 
Patrice Castel
(1) Cette exposition, réalisée par le Conseil régional de Midi-Pyrénées, a une portée pédagogique, mais avant tout symbolique, car elle souligne l'intérêt de la dimension intergénérationnelle dans la transmission qui peut s'opérer. Ainsi, nous avons accueilli 60 élèves de CM2 et 60 autres du lycée agricole d'Ondes, accompagnés de leurs enseignants. Ces jeunes se sont fait passeurs de mémoire et apprentis-historiens. Ils participent, de cette manière, à la permanence et à la perpétuation d'une conscience individuelle et collective de l'exil des Républicains espagnols, avec ses particularismes, pour l'intégrer dans une dimension universelle de l'exil.
(2) Agullo Guillaume, « Forain » François Verdier. Éditions Loubatières, Coll. Petits précis Histoire, Toulouse. 2004, 112 pages.

Vendredi 15 Mai 2009
philippe guistinati

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