Effets de crise économique : Le capitalisme sort de sa réserve
Vingt huit Etats (la quasi-majorité absolue) votent la « non-intervention ». C’est un complot généralisé d’Etats « démocratiques » contre les travailleurs avant que ceux-ci ne s’érigent en une force consciente d’exister par elle-même et pour elle-même. La peur qu’un pouvoir ouvrier en Espagne puisse engendrer des idées révolutionnaires partout où la politique est au service des financiers et de l’exploitation de l’homme par l’homme, partout où les guerres et massacres détruisent et provoquent des génocides et des écocides, par cupidité et profit. Partout…
Le fascisme est pour le capitalisme un moyen de retrouver ses marques. Pour les travailleurs, c’est la lutte des classes qui est le seul moyen de contrer l’hégémonie des libéraux qui vivent du profit exponentiel du travail salarié et de la spéculation financière.
Le marxisme, par sa critique économique et sociale, est la pierre d’achoppement des crises du système capitaliste et de la politique qui se soumet à la toute puissante économie des grands monopoles. Le monde de la haute finance procède alors à une restructuration tous azimuts des marchés, faisant fi de l’intérêt des travailleurs. C’est d’abord une stratégie perverse qui vise en premier lieu ces mêmes travailleurs en les précarisant : fermetures inopinées d’entreprises, licenciements en masse. Préparant une refonte des acquis sociaux économiques par un compte à rebours qui nous ramène à la case départ. Les luttes de références n’ont plus aucune légitimité. Pour nous signifier ceci : que l’offre n’est plus ce qu’elle était. Par contre, une bonne saignée dans les droits et les acquis sociaux économiques est nécessaire pour relancer leur économie « libérale ».
L’aide des volontaires à l’Espagne Républicaine était par essence révolutionnaire et contre la guerre. Leur engagement avait pour première motivation d’empêcher la guerre.
« En Espagne (…) rappelons qu’à près de 80% ils étaient déjà militants ou adhérents soit d’un syndicat soit d’un parti politique. On peut tenter une globalisation des motivations de l’engagement à l’aide d’une notion unifiante, intégrant tant les considérations politiques que celles plus personnelles identifiées. Cette notion de solidarité convient parfaitement à notre propos, d’après sa définition académique : « le fait d’être solidaire. Relation entre personnes ayant conscience d’une communauté d’intérêts qui entraîne, pour les uns l’obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance. »La solidarité se distingue nettement de la charité : la notion de communauté d’intérêts est fondamentale ; il n’y a pas extériorité de celui qui donne par rapport à celui qui reçoit. Or la communauté d’intérêts ici peut se lire à deux niveaux. Le niveau existentiel : les volontaires sont pour l’essentiel des ouvriers qui veulent porter assistance à des ouvriers. En France comme en Espagne, le fascisme représente un réel danger. Une victoire de celui-ci outre-Pyrénées risquerait d’en entraîner une autre en France, contre le Front Populaire. Car les conquêtes du Front Populaire qui marquent une étape fondamentale de l’intégration de la classe ouvrière à la nation, deviennent un motif supplémentaire de patriotisme. (…) non seulement dans la lutte contre le fascisme mais aussi dans l’offensive contre le capitalisme, bref dans la révolution (…). » (extrait du livre « L’espoir guidait leurs pas » les volontaires français dans les brigades internationales 1936-1939 de Remi Skoutelski. Grasset. Il y a dans cet ouvrage 16 témoignages de François Mazou).
En France, la tentation fasciste est apparue à plusieurs reprises de son histoire mais elle n’a plus dans le temps présent d’audience suffisante même avec les couches hésitantes. Cependant, cela reste une alternative du capitalisme pour détruire toute force capables de porter un préjudice à son hégémonie et aux lois « de la démocratie bourgeoise » qui s’appuient sur le parlementarisme pour camoufler ou légaliser ses actes.
Le Royaume Unis et les forces de l’axe fasciste.
(…) Le Foreign Office oeuvrera pour éviter de participer aux conflits quels que soient les participants et les intérêts des belligérants. Dans cette optique, la légitimité républicaine espagnole n’aura à leurs yeux aucune priorité. C’est une banque anglaise qui financera les achats franquistes, notamment aux Etats-Unis.Des analystes financiers britanniques prédisent dés septembre 36 la victoire des franquistes. Elle serait bénéfique : respect des capitaux, développement du commerce sur une base d’entreprises privées et non de principes soviétiques ; l’Empire britannique reste le plus grand marché pour les exportations espagnoles. Aide aux insurgés, massive et constante, de pays membres du Comité de non-intervention. (extrait d’un article de Raymond San Geroteo. Bulletin de l’amicale des anciens guérilleros espagnols en France N°110)
« La neutralité » relayée par un obscurantisme « British » lié au monde des affaires, solidarité et l’union fasciste fut sans faille. Rien ne fit défaut en matière d’armement. Par exemple : à Hambourg, un quai spécial était réservé pour le chargement, le « quai Franco ». En mars 1937 les forces nationalistes totalisent un soutien de 80 000 Maures, 70 000 Italiens, 50 000 Allemands, et 20 000 Portugais. Du côté républicain, 40 000 volontaires étrangers. Cette disproportion n’empêcha pas quelques succès mémorables : les Maures furent décimés au Jarama (lors de la défense de Madrid) et les Italiens furent écrasés à Guadalajara, (par des Italiens anti-fascistes de la brigade Garibaldi). Les chiffres cités plus haut restèrent cependant les mêmes jusqu’à la fin de la guerre civile.
Par la « non-intervention », les responsabilités de l’Angleterre et de la République française sont à mettre sur le compte d’une décision qui participe au scénario le plus sordide de l’histoire du 20eme siècle. La « non-intervention » a piégé la raison et offert une légitimité au crime et ouvert un boulevard à la 2eme guerre mondiale.
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L’engagement pour l’Espagne décembre 1936
En 1936, à Brive la Gaillarde, le service militaire tire à sa fin. François fait alors l’objet d’une suspicion. Son journal de bord sur lequel il consigne des notes suscite des curiosités de la part des autorités militaires. Profitant un jour de son absence, un officier perquisitionne son paquetage à la recherche d’objets ou pour le moins d’écrits compromettants : il était, comme on s’en serait douté, suspecté d’activités procommunistes. Quelle ne fut pas la surprise de l’enquêteur qui trouva bien autre chose, une prose merveilleusement bien écrite...
François franchit donc une dernière fois la porte de la caserne avec la tête qui bouillonnait de fierté. Un officier de réserve en effet lui avait remis une lettre de recommandation pour un emploi de pigiste au journal de gauche parisien « Vendredi ». François est séduit par l’appréciation de « sa prose ». Mais l’heure est trop grave pour remettre en question le projet qui a mûri dans sa tête depuis plus de trois mois et son excitation est à présent à son comble. Il ne pense plus qu’à ça. D’ailleurs son frère Jean n’y est-il pas déjà parti depuis juillet ? Il aura tout son temps pour penser au métier quand la guerre aura pris fin, mais pour l’instant l’urgence est à l’engagement. Journaliste ? Révolutionnaire ? Brigadiste ? François avoue qu’il a très envie de faire le coup de feu. Mais c’est surtout l’envie d’être avec eux pour participer aux combats. Son choix se porte alors sur la colonne internationale dirigée par le général Kléber. Un souvenir refit surface et vint à nouveau émoustiller son esprit campé sur la certitude du bon choix qu’est son départ. Il ne pouvait pas manquer ça. L’Espagne agressée n’était-elle pas le seul rempart contre l’extrême droite en Europe ? Hitler, quant à lui, détestait les démocrates, les communistes, les juifs, les francs-maçons… Il était urgent que les antifascistes lui fassent savoir ce qu’ils pensaient de lui.
Dans le train qui le ramène à Oloron, François a un petit coup de blues avec un retour sur quelques images du passé. Il revoit un ami de son père venu lui rendre visite. On doit être en 1924, dans la maison familiale, rue Palassou, quelque temps avant le décès de son père. Le jeune François a 10 ans. Ce personnage, éminent ami de son père, lui dit tout de go : « François, plus tard tu seras écrivain ». Louis Barthou l’Oloronais avait lu une ses rédactions. Cet homme qui avait été l’artisan et le promoteur d’une politique qui fut la grande idée des dernières années de sa vie - la reconstitution des alliances contre le péril allemand - était Louis Barthou. Voilà ce qu’en pense Denis Peschanski dans un livre monument sur l’internement de 1938-1946 « la France des camps » chez Gallimard :
« … on peut rappeler que la politique très novatrice de Louis Barthou au quai d’Orsay était fondée sur une alliance de revers avec l’Union Soviétique, des accords privilégiés avec des pays d’Europe centrale et orientale pour renforcer un cordon sanitaire autour de l’Allemagne nazie et, géopolitique oblige, des négociations avec l’Italie mussolinienne pour l’écarter de l’alliance avec Hitler. Cette stratégie d’endiguement à l’Est et au Sud devait déboucher sur le traité franco-soviétique et le front de Stresa en 1935. »
Malheureusement personne ne saura la reprendre après sa mort. (Louis Barthou fut tué par inadvertance lors de l’assassinat du Roi Alexandre de Yougoslavie en octobre 1934). Il était alors ministre des affaires extérieures.
Cet encouragement, François l’avait enfoui dans sa mémoire immédiate, prêt pour être disponible et pour s’enorgueillir. Mais rapidement il se ressaisissait, il l’a souvent entendu ce compliment. Mais son heure n’était jamais en concordance avec les conseils ou autres prédictions et encore moins s’il était question d’amis, François a toujours fait ce qu’il avait, lui, décidé de faire. Pour lui comme pour les autres.
OLORON
Fin octobre 1936, libéré du service militaire, je retrouvais ma bonne ville d’Oloron, ma rue Palassou, Maman, Bonne Maman, tante Anna, les trois dames ainsi que les dénommaient le voisinage et ma sœur Marcelle...« On était si heureuses à l’idée de te revoir qu’on a décidé de te faire un peu d’honneur ».
« Maintenant que tu as terminé ton service militaire, sans avoir à accomplir de temps supplémentaire, car tu devais être mal noté au régiment en raison de tes passions révolutionnaires et bien, maintenant, tu es l’homme de cette maison. »
« Alors que tu étais soldat à Brive, souvent nous nous disions que les voisines, ne voyant que nos jupes entrer et sortir d’ici, finiraient par nous appeler…les trois pègues (*) de la rue Palassou … il faut un homme dans une maison » « Tu le sais, Jean est parti. Il a abandonné Jeannette et ses enfants Monique et Jean Claude. » « Personne ne peut comprendre sa décision d’aller au devant de la mort. Dans un pays étranger ! Alors que son devoir est de faire vivre sa famille ! »
« En attendant, Jean comme bien d’autres, est allé donner un coup de main. Ils reviendront alors, ayant eu le mérite d’avoir participé, directement, à protéger la France du fascisme. Mais je ne fis surtout pas allusion à mon projet, solidement ancré, celui d’aller rejoindre la « Colonne Internationale ». Fin nez ans toutes les situations.
Bonne-maman me proposa alors :
« Demain c’est vendredi. Dis, p’tit bonhomme, oh ! pardon – dis, tu veux bien m’aider à faire le marché ? »
Je comprenais le fond de leurs pensées ainsi que les conséquences dramatiques provoquées par ce départ. Mais avec sincérité, je développais un flot d’affirmations rassurantes » (F.Mazou « Arrêt sur images »)
Les démocraties européennes traînaient les pieds. La « non-intervention » était déjà effective, signée par 28 états le 28 août 1936.
« Je n’avais pas dit à ma mère que je partais : ma mère, elle le savait ! André Moine (dirigeant du PCF dans les Basses Pyrénées) m’attendait en voiture, il devait venir me chercher au lever du jour. Quand je me suis levé, ma mère était en bas dans la cuisine. Elle me dit : Je sais que tu pars. Tu vas enlever ce pardessus, celui- là est plus chaud ». Elle savait que ça ne servirait à rien de chercher à la convaincre. (Oloron 1936 - extrait de « L’espoir guidait leurs pas » Rémi Skoutelsky)
ALBACETE
« Le train qui nous amène est rempli de français avec un moral de vainqueur un coup de main pour aller plus vite pour gagner la guerre. Décembre 1936. Arrivé à Albacete, après un discours de bienvenue s’organisent les brigades ; nous avons besoin de ce discours et de son enthousiasme. La famille antifasciste était là, vous pensez si je voulais revenir ? Non ! j’ai rencontré là des Américains, des Roumains, des Italiens, des Cubains, les équipements sont distribués. »
François est assez fier de sa tenue ; il la trouve bien taillée. Il ne cache pas son enthousiasme.
« Une tenue, un uniforme d’une modernité exceptionnelle très bien coupé dans du drap kaki, un blouson à poches plaqués, des brodequins, tout est neuf, qu’est ce que vous voulez de plus et on mange Espagnol. » (interview de François par David Grosclaude de Radio Pays)
« L’instruction militaire est très succincte nous étions à l’instruction et nous n’avions pas d’armes. Rien, aucune ; nous apprenons la discipline à marcher au pas, faire des exercices de jour et de nuit, avancer en rampant mais sans armes » (François Mazou film sur Arte).
« Comment on formait les futurs tankistes ? Les chars se trouvaient prés de La Casa del Campo, une quinzaine de tanks avec un instructeur russe et un interprète : on regarde la mise en route, la marche avant, arrière, les chenilles, le canon, on charge comme ça, on tire comme ça ; hasta la vista » (Diego Thomas / Arte.) et ils partent parfaire leur apprentissage, à pied d’œuvre. Les troupes Franquistes menacent déjà de rentrer dans la capitale.
Il est important de souligner que près de 200 volontaires partiront des Pyrénées et qu’il n’est pas inutile de dire que tous ne sont pas revenus. Les pertes s’élèveront pour l’ensemble des Brigades Internationales à 40 % des effectifs.
« Marty était le chef. » « - vous allez recevoir des armes de l’URSS, et vous allez former la 15ème Brigade. La 15ème c’est la plus internationale de toutes les Brigades : le Bataillon Américain, l’Anglais, le 6 Février, le Dimitrof, le bataillon Balkanique, dans lequel il se parlait 16 langues, 6 unités commandées par le commandant Fort. Quant a la discipline, elle s’est faite spontanément. Quand nous avons reçu les armes, nous n’avons plus le temps de faire de la formation, l’ennemi a déclenché une très forte offensive » (interview de François par David Grosclaude de Radio Pays)
L’or de la république contre des armes
Lors de l’avance des franquistes sur Madrid, la République fit transférer les trois quarts de ses réserves d’or en URSS sur un compte afin de récupérer des devises pour l’achat d’armement : 425 tonnes d’or fin. L’URSS a fourni des armes (sans lesquelles la riposte aurait été vaine), mais jamais en quantité suffisante au regard de l’armement octroyé aux putschistes par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste.
Avant de rejoindre les zones de combat à Madrid, les combattants de la liberté défilent dans une impressionnante parade militaire. À ce moment précis, le jeune François sait vraiment pourquoi il est là et il ne le regrette pas. Les Madrilènes sont surpris. Dans un premier temps, ils pensent que ce sont les troupes de Franco qui rentrent en vainqueurs ; ils entonnent alors l’Internationale. François est à Madrid là où bat le cœur du monde. Bat aussi très fort son cœur. « Nous avancions comme si la chaleur de l’enthousiasme nous aspirait. »
Quand la population se rend compte de sa méprise, c’est dans un déchaînement de joie que la foule des premiers curieux acclame ces nouveaux soldats venus pour faire triompher la liberté. François sait qu’il n’est pas là pour du tourisme politique ni pour une promenade de solidarité dont certains s’étaient persuadés pour faciliter l’adhésion de leurs proches. L’idée de gagner la paix dans un temps éclair, et peut être même de tuer dans l’œuf l’hydre fasciste qui s’agite déjà en Europe, était dans beaucoup de têtes.
Le premier bataillon qui défile en direction de la Gran Via pour rejoindre le Pont des Français au moment où l’ennemi s’y était déployé, on les appelait les « russes ». Ils étaient dans des uniformes - et quels uniformes ! - avec les armes qui vont bien et assurément de l’entrain. Tous avaient de la guerre l’expérience de 14/18.
« Oui ! Des discours à notre arrivée n’ont pas manqué, nous en avions besoin de ces discours et de l’enthousiasme qu’ils nous procuraient. La famille antifasciste était là. J’ai rencontré des Américains, des Roumains, des Italiens… » (interview de François par David Grosclaude de Radio Pays)
La « non-intervention » devient alors la préfiguration d’une bien curieuse préméditation qui donnera corps à la 2ème guerre mondiale et à un déferlement d’avalanches et de haines de violences et d’atrocités qui furent jugées à Nuremberg comme crimes contre l’humanité, pour lesquelles il ne pourra jamais y avoir de prescription. Ce qui me fait dire que les crimes contre l’humanité ont leurs « origines » aussi dans cette résignation de la raison qui fut le commencement d’un ressentiment démesuré qui, par anti-communisme, fera la part belle aux fascistes en privant l’Europe d’une première victoire contre le fascisme en Espagne, et qui sait peut-être... ainsi que des fractions importantes des classes moyennes et de la haute bourgeoisie anglaise qui se déclaraient ouvertement en faveur des nationalistes, une neutralité d’une incroyable hypocrisie qui servit de cache sexe aux faux culs spéculateurs, détracteurs et boycotteurs de la République espagnole ; une stratégie élaborée dans le but de sanctionner l’esprit des Républicains jugé trop... N’avaient-ils pas prédit la fin du capitalisme ?
Luis Lera
(*) En occitan, la pega, c’est la poix, la colle. Dans le parler régional, cela donne la pègue. De quelqu’un qui est collant, on dira : c’est un pègue ! http://www.renedomergue.com/44.htm
http://www.legrandsoir.info/article8583.html