Vincent TONELLI
VINCENZO TONELLI
Avec la XIIe Brigade Internationale il a été de toutes les grandes batailles de la République.
Sa fierté, surtout : avoir mis en déroute les troupes de Mussolini à Guadalajara.
Louis DESTREM
Paru dans le hors série de « La Dépêche du Midi » sur la Guerre d'Espagne - novembre 1996.
Sous-titres, photos et mise en page : Charles Farreny
Lien : "Les Brigades internationales" sur le site
« J'ai été de la Brigade Garibaldi »
Sa carte des Brigades Internationales - n° 7050 - résume... Date de naissance : 13-7-1916. Lieu de naissance : Castenuevo. Nationalité : italienne. Profession : maçon. Domicile : France. Parti politique : antifasciste.
Maçon, parce qu'à Toulouse on n'embauchait pas de manoeuvre et qu'il a demandé d'essayer.
« J'y vais »
Un peu auparavant, le patron d'un restaurant italien à Toulouse - dans la rue Bonrepos d'alors - lui avait dit : « Tu me paieras quand tu travailleras ». Dans le bâtiment, il se fait un copain, Armelino Zuliani. « On était tout le temps ensemble. On fréquentait un peu les Jeunesses communistes ». Il y a des réunions au « Bar des Chemins de Fer » - au bout des allées Jean-Jaurès - et à la Bourse du Travail. Ils entendent dire que l'Espagne a besoin de combattants. Des démocrates italiens viennent leur expliquer. Vincenzo ? Armelino ? Lequel parlera le premier ? En tout cas, Vincenzo va voir son patron : « J'y vais ». Et le patron : « Il en faudrait beaucoup des jeunes comme toi ». Ils boivent l'apéritif.
C'est un autobus qui les amène à Perpignan. Ils sont peut-être trente. Il y a aussi Armelino. « A Perpignan, on nous a fait dormir dans un garage. D'autres groupes se joignent à nous. Le lendemain nous nous retrouvons au pied des Pyrénées ». C'est la marche, de nuit. Arrivent à Figueras. Sont conduits jusqu'à Albacete. On est en octobre 1936...
Mort sans avoir tiré un coup de fusil
Ils entrent dans une caserne. Une caserne qui avait été celle de la Guardia Civil. « On devinait des traces de combats récents ». Des dortoirs, des lits superposés en bois. « Et moi, l'antimilitariste, je me retrouve là à apprendre à faire la guerre ». Il apprend tout : le maniement des armes, les corvées... Pour manger, ils vont aux arènes. « Comme j'étais parmi les plus jeunes, on m'a mis de garde à l'état-major ». Il voit passer Luigi Longo, André Marty... Celui-là il se moquait un peu de nous, du genre : vous verrez, vous rentrerez bientôt à Paris ».
En novembre, c'est vers Madrid qu'ils roulent. Vers une forteresse qui domine la ville, Cerro de los Angeles. Premier accrochage. « C'est là que j'ai laissé mon camarade. Armelino est mort sans avoir tiré un coup de fusil ». Là, ils sont encore le Bataillon Garibaldi, celui qui aura le numéro 3 dans la Brigade. Ils sont quelques 500. « Nous avions encore des tenues disparates ». Seulement, pour tous, le foulard rouge noué. Vincenzo est à la mitrailleuse, une Maxim, une russe.
Ils restent autour de Madrid : Casa de Campo, le Pont des Français... « Il pleuvait... Il pleuvait... Je me suis dit que si je sortais de là, je ne mourrai jamais ».
« Nous avons passé la nuit à déloger les Maures »
A la Cité Universitaire, c'est face aux Maures qu'ils sont. « Il n'y avait pas de front. Nous avancions et les Maures se planquaient dans les arbres. Et puis, nous les avions dans le dos. Eux, à un étage d'un bâtiment et nous, à un autre étage : ça se passait au corps à corps ».
Il parle de ce soir-là où ils ont voulu souffler un peu dans une maison à moitié détruite. « Quelqu'un entend parler arabe. Il y avait déjà des Maures. Nous avons passé la nuit à les déloger ».
Pour le repos, c'est la Puerta del Sol, à deux pas de la ligne de feu. Les belles madrilènes passent en calèche. Et, lorsqu'ils défilent, les fleurs qu'on leur jette, les baisers qu'on leur envoie. Chez eux, il y a Toni qui joue de l'accordéon.
Ils sont, maintenant, la XIIe Brigade, la Brigade Garibaldi. Ils sont environ 3000. « On nous avait adjoint des espagnols. Il y avait de tout monde, ici : des communistes, des socialistes, des républicains... Je me souviens d'un anarchiste qui, après les événements du 1er Mai 1937 à Barcelone, a rejoint le POUM. Il y avait des gars de tous âges. L'ambiance était bonne, même gaie. Pas de différences entre nous : l'ennemi était commun ».
« Rien pour se protéger. Sauf les pierres »
Et ce sont les italiens qui menacent Madrid : 40 000 « chemises noires » commandées par le général Ruatta. « L'état-major républicain hésitait à nous engager là-dedans : des italiens face à des italiens ! Nous, nous avons dit : c'est notre fierté de combattre les fascistes. Nous sauvons, ainsi, l'honneur de l'Italie. Nous sommes partis colmater les brèches ».
C'est une vaste et plate friche, ici, de cailloux et d'argile. C'est Guadalajara. Les ennemis se cherchent. Les « chemises noires » ont des automitrailleuses. Les « foulards rouges » ont leurs fusils et, Vincenzo, sa mitrailleuse. Il pleut, il neige parfois, aussi. La boue colle. « Du rocher : impossible de creuser des trous. Rien pour se protéger. Sauf les pierres ».
Et Vincenzo ajoute : « Mais de savoir que nous affrontions les troupes de Mussolini, ça nous survoltait. Nous nous sommes mis en ligne et nous les avons attendus ». Une première fois, ils repoussent les autres. Et ce sera ainsi durant cinq jours. « Chaque matin, ils bombardaient. Puis ils avançaient. On les repoussait ». Il y a des désertions dans le camp des « chemises noires ». Vincenzo Tonelli se souvient d'un pilote. « Ils l'ont repris plus tard. Ils lui ont coupé le cou. Ils ont mis sa tête dans un sac. Et ils l'ont jetée, depuis un avion, sur nos lignes ».
« Qu'est-ce que vous venez faire ici ? »
Parfois, une patrouille des Garibaldiens ne revient pas. « On les trouvait, tués à coups de couteaux, le foulard rouge enfoncé dans la bouche ».
Et, du côté de la Brigade, on a installé des haut-parleurs qui diffusent, en italien, vers les autres : « Qu'est-ce que vous venez faire, ici, à combattre le peuple espagnol ? » Vincenzo croit : « Ça a eu un grand effet psychologique. Un prisonnier m'a avoué que, lorsqu'il avait entendu cette voix italienne, les bras lui en étaient tombés ».
Au septième jour, Vincenzo devine comme un grondement derrière lui. Des chars, des chars russes... « Alors, nous nous sommes levés et nous sommes passés à l'attaque. Chez eux, ça a été la débandade. Si on avait eu les moyens, on pouvait les pousser jusqu'à la mer... ». La Brigade récupère tout des troupes de Mussolini : des camions, des armes, des toiles de tente, des cigarettes, du savon... Et des prisonniers. « Quatre ou cinq jours après, on en trouvait encore qui se cachaient dans les fourrages ». Mais Vincenzo Tonelli, surtout, veut dire ceci : « Eux, lorsqu'ils étaient blessés, nous les soignions comme les nôtres ».
Les amandes de Pandols
Après Madrid, Vincenzo ira en Aragon, puis en Extremadure, puis sur l'Ebre. Souvent, il retourne à Flix, là où il a passé le fleuve. Où est le monument aux volontaires italiens. Il met son foulard rouge. Il se souvient que vers Gandesa, sur la Sierra de Pandols, les amandes étaient bonnes. Il n'a ramené d'Espagne qu'un duro - 5 pesetas - en argent. Le jour où il s'est marié, il en a fait ses alliances.
Avec la XIIe Brigade Internationale il a été de toutes les grandes batailles de la République.
Sa fierté, surtout : avoir mis en déroute les troupes de Mussolini à Guadalajara.
Louis DESTREM
Paru dans le hors série de « La Dépêche du Midi » sur la Guerre d'Espagne - novembre 1996.
Sous-titres, photos et mise en page : Charles Farreny
Lien : "Les Brigades internationales" sur le site
« J'ai été de la Brigade Garibaldi »
Sa carte des Brigades Internationales - n° 7050 - résume... Date de naissance : 13-7-1916. Lieu de naissance : Castenuevo. Nationalité : italienne. Profession : maçon. Domicile : France. Parti politique : antifasciste.
Maçon, parce qu'à Toulouse on n'embauchait pas de manoeuvre et qu'il a demandé d'essayer.
« J'y vais »
Un peu auparavant, le patron d'un restaurant italien à Toulouse - dans la rue Bonrepos d'alors - lui avait dit : « Tu me paieras quand tu travailleras ». Dans le bâtiment, il se fait un copain, Armelino Zuliani. « On était tout le temps ensemble. On fréquentait un peu les Jeunesses communistes ». Il y a des réunions au « Bar des Chemins de Fer » - au bout des allées Jean-Jaurès - et à la Bourse du Travail. Ils entendent dire que l'Espagne a besoin de combattants. Des démocrates italiens viennent leur expliquer. Vincenzo ? Armelino ? Lequel parlera le premier ? En tout cas, Vincenzo va voir son patron : « J'y vais ». Et le patron : « Il en faudrait beaucoup des jeunes comme toi ». Ils boivent l'apéritif.
C'est un autobus qui les amène à Perpignan. Ils sont peut-être trente. Il y a aussi Armelino. « A Perpignan, on nous a fait dormir dans un garage. D'autres groupes se joignent à nous. Le lendemain nous nous retrouvons au pied des Pyrénées ». C'est la marche, de nuit. Arrivent à Figueras. Sont conduits jusqu'à Albacete. On est en octobre 1936...
Mort sans avoir tiré un coup de fusil
Ils entrent dans une caserne. Une caserne qui avait été celle de la Guardia Civil. « On devinait des traces de combats récents ». Des dortoirs, des lits superposés en bois. « Et moi, l'antimilitariste, je me retrouve là à apprendre à faire la guerre ». Il apprend tout : le maniement des armes, les corvées... Pour manger, ils vont aux arènes. « Comme j'étais parmi les plus jeunes, on m'a mis de garde à l'état-major ». Il voit passer Luigi Longo, André Marty... Celui-là il se moquait un peu de nous, du genre : vous verrez, vous rentrerez bientôt à Paris ».
En novembre, c'est vers Madrid qu'ils roulent. Vers une forteresse qui domine la ville, Cerro de los Angeles. Premier accrochage. « C'est là que j'ai laissé mon camarade. Armelino est mort sans avoir tiré un coup de fusil ». Là, ils sont encore le Bataillon Garibaldi, celui qui aura le numéro 3 dans la Brigade. Ils sont quelques 500. « Nous avions encore des tenues disparates ». Seulement, pour tous, le foulard rouge noué. Vincenzo est à la mitrailleuse, une Maxim, une russe.
Ils restent autour de Madrid : Casa de Campo, le Pont des Français... « Il pleuvait... Il pleuvait... Je me suis dit que si je sortais de là, je ne mourrai jamais ».
« Nous avons passé la nuit à déloger les Maures »
A la Cité Universitaire, c'est face aux Maures qu'ils sont. « Il n'y avait pas de front. Nous avancions et les Maures se planquaient dans les arbres. Et puis, nous les avions dans le dos. Eux, à un étage d'un bâtiment et nous, à un autre étage : ça se passait au corps à corps ».
Il parle de ce soir-là où ils ont voulu souffler un peu dans une maison à moitié détruite. « Quelqu'un entend parler arabe. Il y avait déjà des Maures. Nous avons passé la nuit à les déloger ».
Pour le repos, c'est la Puerta del Sol, à deux pas de la ligne de feu. Les belles madrilènes passent en calèche. Et, lorsqu'ils défilent, les fleurs qu'on leur jette, les baisers qu'on leur envoie. Chez eux, il y a Toni qui joue de l'accordéon.
Ils sont, maintenant, la XIIe Brigade, la Brigade Garibaldi. Ils sont environ 3000. « On nous avait adjoint des espagnols. Il y avait de tout monde, ici : des communistes, des socialistes, des républicains... Je me souviens d'un anarchiste qui, après les événements du 1er Mai 1937 à Barcelone, a rejoint le POUM. Il y avait des gars de tous âges. L'ambiance était bonne, même gaie. Pas de différences entre nous : l'ennemi était commun ».
« Rien pour se protéger. Sauf les pierres »
Et ce sont les italiens qui menacent Madrid : 40 000 « chemises noires » commandées par le général Ruatta. « L'état-major républicain hésitait à nous engager là-dedans : des italiens face à des italiens ! Nous, nous avons dit : c'est notre fierté de combattre les fascistes. Nous sauvons, ainsi, l'honneur de l'Italie. Nous sommes partis colmater les brèches ».
C'est une vaste et plate friche, ici, de cailloux et d'argile. C'est Guadalajara. Les ennemis se cherchent. Les « chemises noires » ont des automitrailleuses. Les « foulards rouges » ont leurs fusils et, Vincenzo, sa mitrailleuse. Il pleut, il neige parfois, aussi. La boue colle. « Du rocher : impossible de creuser des trous. Rien pour se protéger. Sauf les pierres ».
Et Vincenzo ajoute : « Mais de savoir que nous affrontions les troupes de Mussolini, ça nous survoltait. Nous nous sommes mis en ligne et nous les avons attendus ». Une première fois, ils repoussent les autres. Et ce sera ainsi durant cinq jours. « Chaque matin, ils bombardaient. Puis ils avançaient. On les repoussait ». Il y a des désertions dans le camp des « chemises noires ». Vincenzo Tonelli se souvient d'un pilote. « Ils l'ont repris plus tard. Ils lui ont coupé le cou. Ils ont mis sa tête dans un sac. Et ils l'ont jetée, depuis un avion, sur nos lignes ».
« Qu'est-ce que vous venez faire ici ? »
Parfois, une patrouille des Garibaldiens ne revient pas. « On les trouvait, tués à coups de couteaux, le foulard rouge enfoncé dans la bouche ».
Et, du côté de la Brigade, on a installé des haut-parleurs qui diffusent, en italien, vers les autres : « Qu'est-ce que vous venez faire, ici, à combattre le peuple espagnol ? » Vincenzo croit : « Ça a eu un grand effet psychologique. Un prisonnier m'a avoué que, lorsqu'il avait entendu cette voix italienne, les bras lui en étaient tombés ».
Au septième jour, Vincenzo devine comme un grondement derrière lui. Des chars, des chars russes... « Alors, nous nous sommes levés et nous sommes passés à l'attaque. Chez eux, ça a été la débandade. Si on avait eu les moyens, on pouvait les pousser jusqu'à la mer... ». La Brigade récupère tout des troupes de Mussolini : des camions, des armes, des toiles de tente, des cigarettes, du savon... Et des prisonniers. « Quatre ou cinq jours après, on en trouvait encore qui se cachaient dans les fourrages ». Mais Vincenzo Tonelli, surtout, veut dire ceci : « Eux, lorsqu'ils étaient blessés, nous les soignions comme les nôtres ».
Les amandes de Pandols
Après Madrid, Vincenzo ira en Aragon, puis en Extremadure, puis sur l'Ebre. Souvent, il retourne à Flix, là où il a passé le fleuve. Où est le monument aux volontaires italiens. Il met son foulard rouge. Il se souvient que vers Gandesa, sur la Sierra de Pandols, les amandes étaient bonnes. Il n'a ramené d'Espagne qu'un duro - 5 pesetas - en argent. Le jour où il s'est marié, il en a fait ses alliances.