ARELACOR






C'est par ces mots que Phryné, l'héroïne du roman de Christophe Bouquerel, La première femme nue,

(éditions Actes Sud) presse Praxitèle de revenir chez lui.






C'est là, dans le petit sanctuaire d'Artémis Brauronia, devant la statue de la déesse, "l'immémorable maîtresse des ours et

des bêtes sauvages" où Praxitèle l'a conduite, puis au pied du Parthénon où, sur l'une des métopes de la façade, le

sculpteur lui montre une représentation différente d'Artémis en train de décocher une flèche à un ennemi, que

Phryné prend cette décision.

Praxitèle rêve d'une Artémis moins majestueuse, moins rigide que celle de Phidias. Il veut montrer "le moment

où la jeune déesse n'est pas encore une Olympienne, où elle parcourt encore les forêts en sauvageonne, où elle

s'apprête seulement à saisir la flèche du carquois pour se défendre de loin du premier homme qu'elle croise.

Il me parle aussi de la position qu'il recherche depuis des jours en ne faisant que la pressentir, de cet

équilibre entre les forces de tension, de ce double mouvement de la course et de l'arc brandi qu'il voudrait

donner à ce corps féminin... Alors il me confie son rêve le plus audacieux : créer une sculpture qui non

seulement serait capable de représenter le mouvement dans l'immobilité, dans l'instant de suspension rêveuse

... mais qui romprait, de plus, de manière si radicale avec le modèle classique de la frontalité qu'elle pourrait

être vue sur toutes les faces... et inviterait [le spectateur] lui aussi à se mettre en mouvement".



Phryné se reconnaît aussi dans cette déesse "qui décoche des flèches, tue ceux qui veulent l'empêcher d'aller où elle va

seule et qui ne sait ni où elle va ni celui qu'elle s'apprête à tuer, tant elle est prise dans le vertige de sa course.



"Je comprends l'idée, je me prête à ta rêverie parce que je la partage, à toi de la concrétiser maintenant, .... sers toi

de moi".








Dans la même fièvre nous inventons le geste ... de son bras droit levé, elle casse le poignet en arrière vers le

carquois, d'où ses doigts vont extraire une flèche dans le début gracieux du geste de la mort. La tête d'Artémis

Phrynè je la tourne aussi vers le côté droit, complètement ouvert, d'où vient l'homme ou le fauve qui prétend

m'arrêter... Mes yeux se font perçants mais mon visage reste impassible. Ou presque. Je laisse s'esquisser

sur mes lèvres une ombre de sourire cruel.




Mais soudain... "non, non, ça ne va pas !"

La métamorphose
La métamorphose


Mes doigts... relèvent ma tunique très haut au-dessus de mes genoux, ils la serrent sur mes hanches d'une

deuxième ceinture en plus de celle que je porte sous les seins et qu'ils inventent à partir d'un des rubans de

mes cheveux... Mes doigts ne s'arrêtent pas là. Ils défont ma chevelure... rassemblent mes cheveux en un chignon

tiré vers l'arrière de ma tête ! Je me dis encore : "Il faudra un diadème sur le devant de la tête, car cette jeune fille

est une déesse, mais ce sera son seul bijou !"

Phryné Artémis revisitée
Phryné Artémis revisitée


"Voilà, j'ai fini ! Libre ! Légère, comme dans l'enfance, et d'un dépouillement divin ! Pauvre comme une déesse qui n'a

besoin de rien posséder".


Ces quelques lignes sont tirées -avec son autorisation- du splendide ouvrage de Christophe Bouquerel

"La première femme nue" (p. 270 sqq.), ouvrage publié aux Editions Actes Sud. Je l'en remercie.

Bernard Bouisset Lundi 8 Juin 2015