Étrange et dramatique destin que celui du peuplement européen de l'Algérie sous domination française entre 1830 et 1962. Un peuplement par vagues ayant concerné des centaines de milliers de personnes originaires de France métropolitaine, d'Espagne, d'Italie, de Malte et des Baléares dans leur grand majorité mais provenant aussi d'horizons plus éloignés.
Un peuple méditerranéen métissé qui sera sur le tard appelé « pieds-noirs » (dico) et dont ne reste pas même une communauté résiduelle dans l'Algérie d'aujourd'hui. Une population disparue dans un décor qui lui a souvent survécu, à l'état plus ou moins ruiné dans les campagnes ou maintenant plus ou moins délabré dans les villes. Sans oublier la pathétique présence de cimetières à l'abandon, disloqués, éventrés, rejoignant un néant définitif sauf en quelques sites.
La disparition d'un peuple de sa terre d'origine, sa transportation, son exil ou sa destruction font partie des tragiques récurrences de l'Histoire. Le « rapatriement » des Européens d'Algérie appartient à cette liste. Il n'a pas été le plus sanglant mais certainement l'un des plus complets et définitifs de ceux survenus après la Seconde Guerre mondiale. Encore faut-il comprendre les raisons qui l'ont rendu si radical.
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« Par le glaive et la charrue »
Aux lendemains de la prise d'Alger faite sous le drapeau blanc de Charles X, le gouvernement du roi Louis-Philippe, qui vient d'y installer le drapeau tricolore, est hésitant sur le devenir de la conquête. Les économistes libéraux y voient un gouffre financier mais les « colonistes », les Chambres de commerce de Lyon et de Marseille, les chefs militaires (dont le maréchal Soult, ministre de la Guerre), qui avaient connu les gloires de l'Empire, et maints organes de presse n'ont nulle envie comme l'écrit le littérateur Arthur Ponroy de rendre « aux barbares et aux corsaires tout un coté du lac français ».
Pendant des années, il n'y a pas de projet politique précis sur ce qui, avant d'être dénommé « Algérie » en 1837, est alors nommé « possessions françaises dans le nord de l'Afrique ». Alexis de Tocqueville imagine d'y voir des Français s'installer pacifiquement aux côtés des Arabes et établir « avec eux un lien durable et à former enfin des deux races un seul peuple ». Il croit que cette union sera facilitée par un déclin de la foi musulmane favorisé par l'évolution économique à venir. Pour l'heure, en ces premiers temps de la présence française, ce sont surtout des négociants, des cabaretiers et des civils habitués à suivre les armées en campagne qui gagnent Alger et Oran.
En février 1841, le général Bugeaud nommé gouverneur général proclame son soutien aux « colonisateurs » auxquels il promet ses « conseils d'agronome » et ses « secours militaires » car « il faut que les Arabes soient soumis, que le drapeau de la France, soit seul debout sur cette terre d’Afrique » et que « partout où il y a des bonnes eaux et des terres fertiles, c’est là qu’il faut placer les colons, sans s’informer à qui appartiennent les terres, il faut le leur distribuer en toute propriété ».
En attendant les colons civils, Bugeaud, féru d'histoire romaine comme nombre de ses officiers, rêve de la devise Ense et aratro (« Par le glaive et la charrue »). En 1837, il avait déjà créé dans la région d'Oran une colonie de 55 hectares à base de concessions accordées à des militaires. En fait, ces derniers les avaient affermées à des jardiniers essentiellement espagnols. Pour l'officier et historien Corneille Trumelet qui sert en Algérie de 1851 à 1875, ces soldats étaient plus adeptes de cours « d'absinthologie appliquée » que de traités d'agriculture.
Pendant toute la monarchie de Juillet, l'arrivée de nouveaux migrants est encouragée par une politique d'expropriations pour cause d'utilité publique suivie de concessions de terres. Fin 1845, la population européenne est estimée à près de 100 000 habitants dont on déplore que la provenance ne soit pas exclusivement française mais venant « indistinctement de tous les pays riverains de la Méditerranée ».
On s'inquiète aussi de faire venir des femmes nécessaires à « la constitution de la famille et de la moralisation des individus » comme le précise un rapport du ministère de la Guerre. Mais pour conquérir les terres nécessaires à la venue d'agriculteurs, il faut achever la conquête. Et l'on sait combien elle s'est faite violente vers l'Est avec la prise de Constantine en 1838, vers l'Ouest face à Abd el Khader, jusqu'en 1847, au sud avec la prise des oasis de Bou Saâda, Laghouat et Touggourt au milieu du siècle sans oublier la conquête de la Kabylie plus ou moins achevée en 1858.
Partout, il s'agit de conquérir par la force et d'inspirer la terreur. Comme l'écrit le lieutenant-colonel de Montagnac, il s'agit « d'anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens ». Une œuvre à laquelle il s'emploie avec ferveur comme il le mentionne dans une lettre à sa sœur du 2 mai 1843 : « Nous battons la campagne, nous tuons, nous brûlons, nous coupons, nous taillons, pour le mieux dans le meilleur des mondes. »
Ceux qui condamnent ces pratiques, tout particulièrement les « enfumades » de 1845 de tribus entières réfugiées dans des grottes sont traités par Bugeaud d'adeptes d'un « dévergondage d'humanité antipatriotique ».
Les confiscations de terres, la pratique du « refoulement » préludent à l'installation de nouveaux colons non sans qu'éclatent sporadiquement des révoltes comme en 1860 dans le Hodna mais aussi dans les Aurès et le Sud Oranais.
Quittant l'Algérie en 1841, le général Duvivier, qui participa à la prise d'Alger en 1830 et à celle de Constantine en 1838, anticipe sur un avenir de vengeance :
« Ces hommes, à la foi si vive, défendent ce que les hommes possèdent de plus vénérable : leur religion, leur nationalité, leur indépendance de l'étranger, et les tombeaux de leurs pères ; leur cœur est déchiré par la haine et par la vengeance au souvenir ineffaçable de la mort de leurs parents, de la destruction de leurs douars et de leurs troupeaux, de l'enlèvement de leurs femmes et de leurs filles. »
Ce même officier supérieur en une forme de fulgurance sur l'avenir considère que la soumission absolue de l'Algérie n'est possible qu'en maintenant sur place « six cent mille hommes constamment renouvelés ». Ce qui sera presque le chiffre des effectifs nécessaires au « maintien de l'ordre » un siècle plus tard…
Un premier peuplement
Au premier janvier 1847, l'Algérie compte un peu plus de 47 000 français et 62 000 étrangers dont plus de la moitié sont des Espagnols majoritairement établis en Oranie. Les Maltais qui sont près de 9 000 à la même date s'implantent dans la région de Bône et le Constantinois où s'installent également des Italiens. Une partie seulement de ces immigrants deviennent colons ruraux mais peu parviennent à une forme d'aisance. Seuls quelques grands domaines employant ouvriers et métayers s'avèrent de bon rapport, au prix de gros investissements.
Une nouvelle page s'ouvre à partir de 1850 avec l’extension de la viticulture. Elle est stimulée par la loi du 11 janvier 1851 qui accorde l’entrée en franchise des produits agricoles de l’Algérie sur le territoire métropolitain. Des vignerons originaires du Languedoc s’installent en nombre et la Banque de l’Algérie soutient les investissements mais face à la reconstitution rapide du vignoble français, la crise atteint une production mal maîtrisée.
La plantation d'oliveraies est également stimulée ainsi que la culture du tabac passant de 3 planteurs en 1844 à 1 680 en 1853. Dès 1838, Juan Bastos né à Malaga en 1817 fonde à Oran une première manufacture de cigarettes qui porte son nom et dont la production se diffuse des deux côtés de la Méditerranée. Au point que l'armée en devient cliente pour ses troupes d'Afrique du Nord et que, par glissement de sens et de comparaison entre les paquets de cigarettes et ceux de cartouches, la « bastos » ne devienne un terme d'argot pour désigner la balle de fusil.
Toutes les villes connaissent une rapide croissance. Oran atteint près de 28 000 habitants dont une communauté juive de près de 5 000 personnes dont le monde de vie se rapproche, année, après année, de celui des nouveaux arrivants. Constantine, par contre, demeure une ville où les Européens sont très minoritaires, représentant en 1847, à peine deux mille habitants pour 19 000 « indigènes musulmans » selon la nomenclature du temps. À Alger, la population passe de 21 000 habitants en 1842 à 43 000 quatre ans plus tard.
Napoléon III et le « royaume arabe »
Parvenu au pouvoir en 1851, informé par les rapports et les notes, Napoléon III n'ignore rien de la brutalité de la colonisation. En 1860, il donne pour directives au maréchal Pélissier nommé gouverneur de « rassurer » les Arabes en leur concédant des terres, en préservant celles qu'ils possèdent et en les attirant dans « les plaines fertiles ».
Le 22 avril 1863, un Sénatus-consulte est promulgué qui précise dans son article Ier que « La France reconnaît aux tribus arabes la propriété des territoires dont elles ont la jouissance permanente et traditionnelle. » Cette même année, Napoléon III rappelle que l'Algérie est « un royaume arabe » dans lequel « Les indigènes ont comme les colons un droit égal à ma protection, et je suis aussi bien l’empereur des Arabes que l’empereur des Français »
Après un premier voyage en Algérie interrompu après deux jours en septembre 1860 car l'impératrice doit se rendre à Madrid au chevet de sa sœur ainée mourante, l'empereur y revient du 1er mai au 7 juin 1865 pour le plus long voyage jamais réalisé par un chef d'État français en Algérie.
Dès son retour à Paris, dans une lettre du 20 juin, il rappelle au gouverneur général Mac-Mahon la triple vocation de l’Algérie qui doit être « un royaume arabe, une colonie européenne, un camp français ». Le 14 juillet 1865, un décret est promulgué ouvrant la citoyenneté française aux musulmans d’Algérie mais qui doivent pour cela, renoncer à leur statut coranique, ce qui est inenvisageable pour la quasi-totalité d'entre eux.
Sensible à la situation de la colonie, Napoléon III tente aussi de faire parvenir des secours dans les années 1865-1868 à un pays affrontant une série de calamités : invasions de sauterelles, récoltes désastreuses, choléra et tremblements de terre. Ces maux avaient été récurrents sous la période ottomane mais il est incontestable que la situation coloniale n’aide pas à les résoudre. La confiscation de terres, la désorganisation de l’économie traditionnelle, l’introduction de la fiscalité en numéraire jouent leur rôle dans la faible résistance des populations à la disette puis à la famine.
Le Second Empire est aussi la période où l'Église catholique s'implante solidement afin de rassembler les fidèles venus des divers horizons méditerranéens tout en comprenant rapidement que les rêves d'évangélisation des populations musulmanes relèvent de l'utopie.
La basilique Notre-Dame d'Afrique est édifiée de 1858 à 1865 à l'heure du dogme de l'Immaculée Conception proclamé par Pie IX en 1854. Au-dessus du chœur, la mère du Christ est invoquée par une invocation lisible de loin : « Notre-Dame d'Afrique, priez pour nous et pour les Musulmans ».
À Oran, s'est construit le sanctuaire de Notre-Dame de Santa-Cruz afin de remercier la Vierge d'avoir mis fin à une épidémie de choléra en 1850. Saint Augustin est honoré par une basilique à Bône dont la première pierre est posée en 1881.
Partout se dressent des églises et des lieux de culte où l'on se rend en procession, au moins une fois l'an, parfois en prolongement de cérémonies issues et adaptées du terroir d'origine d'au-delà de la mer.
IIIe République : une colonie de peuplement
À la fin des années 1860, alors que l'armée et le ministère de la Guerre dominent le gouvernement de l'Algérie depuis près de quarante ans, les 200 000 Européens essentiellement présents dans les villes et dans quelques zones agricoles écoutent les récriminations des opposants au Second Empire, disposés à secouer cette tutelle en uniforme.
Par tradition et en mémoire des émeutes réprimées par des soldats souvent commandée par des officiers issus de l'armée d'Afrique, les républicains souhaitent un changement profond de la conduite des affaires algériennes. Il en est de même chez ceux qui veulent laisser le champ libre aux échanges économiques et à l'extension de la colonisation, y compris par de nouvelles mesures foncières.
Après le soulèvement en Kabylie de 1871, le nouveau gouverneur général, l'amiral de Gueydon adopte des mesures de répression tant individuelles que collectives. Les tribus révoltées subissent des confiscations de près de 500 000 hectares de terre et doivent payer de lourds dommages de guerre.
Plus lucide que d'autres, le général Lapasset redoute les conséquences de ces mesures, véritable « abîme créé entre colons et indigènes » et juge qu'il sera un jour ou l'autre « comblé par des cadavres. Pour moi, le pays est complètement perdu ; il nous échappera un jour ou l'autre. »
La IIIe République naissante marque un nouveau moment pour la colonisation européenne de l'Algérie. Tout d'abord, les décrets du 24 octobre 1870 pris à l'initiative d'Isaac Jacob Aldophe Crémieux, ministre de la Justice du gouvernement de Défense nationale, font des Juifs d'Algérie des citoyens français à part entière et ajoute ainsi près de 35 000 personnes soit plus de 13% à la population européenne du pays. Ainsi se trouve réalisé un souhait doublé d'une promesse faits au grand rabbin d'Oran par Napoléon III en 1865 : « J'espère que bientôt les Israélites d'Algérie seront citoyens ».
Avec le régime républicain, la domination politique des colons devient totale. Ils obtiennent une représentation renforcée à la Chambre des députés (six députés alors qu'ils n'en avaient que quatre depuis 1848). Ils ont l'exclusive gestion des municipalités dites de plein exercice et des trois départements. Ils savent être en accord avec le gouverneur de Gueydon qui, sans illusion, écrit dans une lettre au ministre de l'Intérieur du 6 janvier 1872 : « Il ne faut pas se le dissimuler : ce que veulent les politiciens et avec eux la grande majorité des colons, c'est la souveraineté des élus de la population française et l'écrasement, j'ose dire le servage de la population indigène. »
En métropole se construit l'image d'une France « trans-méditerranéenne » avec une mer qui la traverse « comme la Seine traverse Paris ». Une Algérie définitivement « française » ouverte aux immigrants et tout particulièrement aux Alsaciens-Lorrains demeurés fidèles à la mère-patrie. Une loi du 21 juin 1871 prévoit de leur accorder gratuitement 100 000 hectares mais à peine 1 500 d’entre eux tentent l’aventure.
Deux ans plus tard, le député d’Alger, Auguste Warnier est à l'initiative d'une loi favorisant la propriété individuelle en lieu et place de la propriété collective traditionnelle en milieu agricole musulman. En réalité, la délivrance de titres suite à des procédures coûteuses facilite des processus d'expropriation massive au profit de spéculateurs sans scrupule.
En juin 1881, la promulgation du code de l’indigénat enserre la majorité musulmane dans une surveillance absolue. Deviennent répréhensibles les réunions sans autorisation, les propos offensants ou les actes irrespectueux vis-à-vis d'un représentant ou d'un agent de l'autorité. Sont également punissables la dissimulation fiscale, les refus de services de patrouille ou de garde de nuit, les travaux exigés sur réquisition.
Tout un ensemble d'infractions qui sont punies d'amendes ou de jours de prison sans oublier, bien évidemment, l'assujettissement au code pénal français en cas de délits plus graves. De plus, un code forestier extrêmement rigoureux par crainte des incendies entrave l'économie pastorale traditionnelle et le nomadisme.
Cette même année 1881, Maupassant parcourant l'Algérie ressent le double pays qu'il a sous les yeux :
« Dès les premiers pas, on est saisi, gêné par la sensation du progrès mal appliqué à ce pays (…) C'est nous qui avons l'air de barbares au milieu de ces barbares, brutes il est vrai mais qui sont chez eux, et à qui les siècles ont appris des coutumes dont nous n'avons pas encore compris le sens (…) Nos mœurs imposées, nos maisons parisiennes, nos usages choquent sur ce sol comme des fautes grossières, de sagesse et de compréhension. Tout ce que nous faisons semble un contresens, un défi à ce pays, non pas tant à ses habitants premiers qu'à la terre elle-même. »
Deux ans plus tôt, en 1879, le journaliste Paul Bourde qui participe à une visite parlementaire avait témoigné du racisme ordinaire :
« Si un indigène ne se range pas assez vite sur le passage d’une voiture, on le cingle d’une coup de fouet accompagné de quelque mot railleur ; on dérange d’un air d’autorité les ouvriers qui travaillent pour les faire examiner par un ami ; on goûte aux fruits des étalages ; on en cueille dans les jardins en passant ; on ne résiste guère à l’envie de faire une mauvaise plaisanterie si l’occasion s’en présente. »
Quelques années plus tard, Jules Ferry déplore à son tour, après une mission en Algérie, que les colons ne comprennent que la « compression » vis-à-vis du « peuple conquis » considéré comme « incorrigible et non éducable ». Et en conclusion, il regrette qu'il soit difficile « de faire entendre au colon européen qu'il existe d'autres droits que les siens en pays arabe et que l'indigène n'est pas une race taillable et corvéable à merci ».
Pour tous ceux qui glorifient l'Algérie française, tout cela a peu d'importance. Ce qui compte, ce sont les réussites de développement agricole, la viticulture, l'arboriculture, l'agrumiculture. On cite la « Clémentine » née à Misserghine en Oranie par hybridation entre le mandarinier et l'orange douce, on célèbre la création de l’École pratique d’agriculture de Rouiba, près d'Alger, devenant en 1905, l’École d’agriculture algérienne alors que se met en place d’autres initiatives locales comme l’école d’agriculture de Philippeville en 1900.
On exalte, à la veille de la première guerre mondiale, les 150 000 hectares de vignobles et la multiplication de caves coopératives tout comme on s'enorgueillit des sept millions d'oliviers recensés en 1914.
L'Algérie voit aussi se développer le tourisme et devient une destination à la mode. Ce n’est pas un hasard si Alphonse Daudet y séjourne de décembre à février 1862 pour y soigner ses bronches tout comme, vingt ans plus tard, Karl Marx, venu soigner une bronchite chronique à la pension Victoria de février à mai 1882. Il y souligne le panorama « enchanteur » et la végétation « merveilleux mélange européo-africain ».
La mode est aussi celle des oasis telle Biskra. Dès la fin des années 1870, l'Hôtel du Sahara y accueille 5 à 600 clients par an, essentiellement des Hollandais, Anglais et Allemands. De nombreux hôtels s’y sont construits ainsi qu’un casino dont les publicités vantent les « salons de conversation et de jeu » et « les danses indigènes ».
Pour les hivernants sont également organisées des courses de chevaux, des fantasias et des parties de chasse. Au début du XXe siècle, les touristes anglais sont d’autant plus friands du site que le romancier Robert Hichens en a fait le décor de son best-seller The garden of Allah (1904).
En 1910, est publié le mensuel L’Algérie illustrée touristique et pittoresque. L’année suivante, un guide sur le thermalisme mentionne 33 villes d’eau en Algérie. À Paris, les élus d’Algérie exercent un réel pouvoir d’influence sur les décisions économiques et politiques. Il en est ainsi de l’importance de conforter la population européenne par rapport aux « indigènes musulmans ».
Dès les débuts de la IIIe République, les parlementaires algériens, en s’appuyant sur un projet de l’École de droit d’Alger de 1884, visent à l’intégration des nouveaux immigrants. En 1887, une loi précise que leur naturalisation peut intervenir « après trois ans de résidence en Algérie ». Loi conforme aux veux du Gouverneur général Louis Tirman : « Puisque nous n’avons plus l’espérance d’augmenter la population française au moyen de la colonisation officielle, il faut chercher le modèle dans la naturalisation des étrangers. »
Il est vrai qu'il faut tenir compte de l'importante fécondité des femmes d'origine espagnole, italienne et maltaise. En 1884, ces familles méditerranéennes comptent au moins de six à sept enfants alors que celles venues de France n'en comptent que de quatre à cinq avant que la natalité ne baisse après 1890.
En 1896, on compte ainsi 318 000 français dont 50 000 étrangers récemment naturalisés et plus de 200 000 nouvellement arrivés et en voie de l'être. Cette fin du XIXe siècle marque le moment où l’accroissement démographique annuel de la population européenne l’emporte sur le chiffre des nouveaux immigrants arrivés dans l’année. Le rêve ancien de faire de l'Algérie, une colonie de peuplement semble en voie de se réaliser.
Parallèlement à cette croissance de la population européenne, augmente aussi la population musulmane. Avec la fin de la guerre, des grandes épidémies, des mauvaises récoltes et des diverses calamités des années 1860, elle atteint 3 800 000 habitants en 1886 et approchera les cinq millions à la veille de la Première Guerre mondiale.
Les découvertes de Louis Pasteur, d'Alphonse Laveran sur les maladies tropicales et de Robert Koch sur la tuberculose font reculer les maladies infectieuses. La mortalité infantile diminue mais en une évolution lente comme s'en souvenait Hocine Aït Ahmed dans ses Mémoires d'un combattant parus en 1983 et décrivant une situation du début du XXe siècle :
« La mortalité infantile était très élevée par chez nous, y compris dans ma propre famille. Si la colonisation avait amélioré la situation sanitaire, c'était de façon toute relative. Les grandes vaccinations avaient fait régresser le taux de mortalité infantile. On ne mourait plus de variole, mais on mourait de sous-alimentation, de malnutrition, on mourait encore du paludisme. »
Cette amélioration de la situation sanitaire de la population musulmane, célébrée parfois par certains comme un aspect « positif » de la colonisation, est en réalité lente et progressive. Ainsi dans les années 1920, la mortalité infantile demeure trois fois plus importante, de 0 à 2 ans, dans la population indigène comparativement à la population européenne.
Un rapport de révision de la classe 1926 de l'arrondissement de Mostaganem révèle chez les adultes musulmans une sous-alimentation considérée comme « permanente depuis leur plus jeune âge ». Encore en 1930, pour le département d'Alger, sur 28 502 conscrits musulmans examinés, seuls 9 017 ont été considérés comme aptes.
Cependant, le poids démographique de cette population musulmane essentiellement répartie dans des campagnes souvent de faible implantation coloniale ou bientôt régulée (ainsi en Kabylie) par l'immigration vers la France métropolitaine concerne encore peu la bande côtière du nord où les villes conservent une majorité de population européenne.
En décembre 1900, signe du développement en cours, une loi créé un budget spécial pour l’Algérie, géré par des « délégations financières » entièrement aux mains des Européens avec un pouvoir prééminent des grands propriétaires fonciers. Leur fortune et leur assise territoriale leur assurent les suffrages d’un électorat captif. Au total, sur près de neuf millions d'hectares de terres cultivables, près de deux millions cinq cent mille ont été confisqués au profit de la colonisation.
Partout, dans de nouvelles agglomérations, s'affirme et s'édifie un décor rappelant villes et villages du sud de la métropole. Visitant la Kabylie en 1874, Émile Erckmann et Alexandre Chatrian décrivent ces implantations européennes :
« L'Arba est un grand et beau village européen (…) ses maisons sont bien alignées, bien bâties, couvertes de tuiles et blanchies à la chaux. Le village à son église, sa gendarmerie, son grand moulin sur l'oued Djemma, une belle place carrée plantée d'arbres, une grande fontaine en croix ; et dehors, à l'endroit où nous étions campés, un marché de grain et de bétail, où viennent deux fois par semaine tous les marchands des environs. Un peu plus loin, nous entrâmes à l'auberge du Colon économe, qui forme le coin de deux ruelles et présent une assez belle apparence. »
Parfois l'agglomération comporte aussi une caserne, un tribunal, une prison, un bordel et une gare avec en périphérie un quartier indigène. Tout un ensemble urbain qui permet au journaliste et écrivain Alexis Danan, né à Guelma en 1890, de définir dans ses mémoires (L'épée du scandale, 1961) sa terre d'origine comme une France « pour rire ».