"La vérité est pareille à l'eau, qui prend la forme du vase qui la contient" (Ibn Khaldoun) /// «La vérité est le point d’équilibre de deux contradictions » (proverbe chinois). /// La vérité se cache au mitan du fleuve de l'info médiatique (JM).

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CONTRIBUTION

 

60 ans d’indépendance : nécessité d’un devoir d’inventaire avec la France

 

 

 

 

PUBLIÉ 26-06-2022

 

 

Par le professeur émérite Chems Eddine Chitour

École polytechnique, Alger

 

 

«(...) Lorsqu'on voit ce que l'occupation allemande a fait comme ravage en quatre ans dans l'esprit français, on peut deviner ce que l'occupation française a pu faire en cent trente ans.»

Jean Daniel

Le temps qui reste, éditions Plon, 1973

 

 

 

Résumé

 

L’année 2022 marque les 60 ans de l’indépendance de l’Algérie. Soixante ans d’indépendance, un bail ! L’Algérie est devenue libre. Elle a des défis dictés par la marche du monde. Bien que 90% de la population soient nés après 1962, l’Algérie vit toujours avec son passé. L’invasion française un matin de juillet 1830 est un gigantesque tsunami psychologique dont les répliques se font sentir en chacun de nous. Les douleurs et la rage sont d’autant plus vives que nous n’avons pas fait le tour d’un deuil toujours recommencé parce que tous les jours, nous découvrons des facettes toujours macabres de l’ «œuvre positive» de la France. Je ne pourrai pas décrire 132 ans de rapine, de vol, de viol, d’incendie de déni de la dignité humaine.

Il est connu que les souvenirs douloureux se transmettent génétiquement de génération en génération. Ce devoir d’inventaire que nous devons faire par respect à la mémoire des 6 millions de victimes de la colonisation. Ce n’est pas pour nous un fonds de commerce, mais oublier est une trahison. Je décrirai les crimes contre l’humanité les plus criards, sans oublier que 132 ans de déni de la dignité humaine méritent, à notre sens, mille Nuremberg !

 

Quelques rappels sur l’histoire de la vénérable nation algérienne

 

Une mauvaise querelle a été récemment faite à notre pays pour annoncer urbi et orbi que l’Algérie est une création de la France. Pour situer objectivement l’histoire de l’Algérie, c’est à Adrar que la météorite la plus ancienne, 4,6 milliards d’années a été decouverte. L’Algérie est considérée comme le second berceau de l’humanité. Il y a 2,4 millions d’années, du côté de Sétif, les premiers hommes vivaient. Plus tard, et pratiquement dans toutes les régions du pays, on trouve les traces de l’homme de Tifernine, il y a 1,7 million d’années, pour arriver, bien plus tard, aux hommes préhistoriques de Mechta Affalou. Des royaumes virent le jour. Quand Massinissa battait monnaie deux siècles avant J.-C. et disposait d’une armée, la Gaule n’était qu’un assemblage de tribus sauvages qui se faisaient constamment la guerre. L’Algérie avait l’empire romain comme voisin auquel elle a donné des empereurs, des généraux et des gouverneurs. Elle offre 4 papes à la chrétienté et Saint Augustin un Père de l’Eglise. Le premier roman, L’âne d’or, a été écrit en Algérie au IIe siècle par Apulée de Madaure, A l’époque d’Apulée, l’Europe était encore à la tradition orale. Il a fallu attendre le IXe siècle pour que le mot France apparaisse et après 1870 pour que le mythe fondateur de Jeanne d’Arc appelé en renfort pour remonter le moral du peuple de France vaincu par l’Allemagne.

Pour l'histoire, l'Algérie a signé avec la France, depuis la première attaque contre ses côtes en 1299, plus d'une cinquantaine de traités. Le premier traité de paix a été signé entre la Régence d’Alger et le Royaume de France, le 24 septembre 1689, soit cent ans avant la Révolution de 1789. La Régence d’Alger a été la première puissance à reconnaître l’indépendance des États-Unis d’Amérique.

Dans le même ordre, pour apporter un démenti à celles et ceux qui croient au mensonge éhonté sur ce qu’était l’Algérie, quel meilleur défenseur de la morale en histoire que le Docteur Mohamed Lamine Debaghine, député de l’Assemblée nationale française qui, le 20 août 1947, dénonce la violation de souveraineté dont la France se serait rendue coupable : «N’oubliez pas, Mesdames et Messieurs, l’Algérie est une nation. Elle a été une nation et a été souveraine. Seule l’agression de 1830 lui a fait perdre sa souveraineté. On a trop tendance à l’oublier. De plus, les traités conclus entre l’État algérien et des nations telles que l’Angleterre, les États-Unis et la France elle-même prouvent que l’Algérie était considérée comme une nation souveraine. D’autre part, l’Algérie était à ce point considérée comme un État souverain par la France elle-même, en 1793, pendant la guerre que celle-ci soutenait contre l’Europe entière, aussi bien pendant la Révolution, jugea que seule la nation algérienne, qui était à cette époque souveraine, pouvait la ravitailler en blé, en chanvre pour les cordages de ses navires, en chevaux et même lui prêter gracieusement de l’argent.»

Le docteur Debaghine ajoute que l’Algérie veut être indépendante : «ce serait une très grande erreur de croire (...) que le désir d'indépendance du peuple algérien provient uniquement du fait que la colonisation n'ait pas réussi au sens matériel du mot. Quand bien même la France aurait réalisé des merveilles (…) Cela signifierait, par exemple, que si la colonisation s'était traduite, dans le domaine matériel, par une amélioration du standing de vie de la population musulmane, cela nous aurait peut-être amenés à concevoir de bonne grâce la perte de notre personnalité, de notre souveraineté et de notre culture. Il n'en est rien.»(1)

 

Les causes indignes de la conquête

 

L’idée d’invasion a germé d’abord dans la tête de Napoléon qui ne voulait pas payer la dette et qui envoya l’espion Boutin en repérage d’un lieu de débarquement. La «cause» serait l’offense au consul Deval. Peut-on alléguer l’intérêt économique d’une conquête d’Alger, exposé en 1827 dans le rapport du ministre de la Guerre, comte de Clermont-Tonnerre, le même Clermont Tonnerre invoque aussi le motif religieux. Dès 1827, dans un rapport célèbre, il avait transmis au roi un plan détaillé d’envahissement de l´Algérie. Il écrivait notamment : «La providence a permis que Votre Majesté fût brutalement provoquée, dans la personne de son consul, par le plus déloyal des ennemis du nom chrétien. Ce n’est peut-être pas sans des vues particulières qu’elle appelle ainsi le fils de Saint Louis à venger à la fois la religion, l’humanité et ses propres injures (…) Alger doit périr si l’Europe veut être en paix. C’est pour tous ces motifs que je supplie Votre Majesté... de prendre une détermination par suite de laquelle vous vengerez la chrétienté en même temps que vos injures.»(2)

 

Comment l’invasion sanguinaire a eu lieu : la fin d’un monde

 

Un peuple paisible fut pris de court, il connu l’enfer de l’invasion et des colonnes infernales. Le roi chargea le duc de Bourmont d’envahir l’Algérie qui s’est illustrée auparavant par la trahison de Napoléon. Il s’illustra, outre sa politique sanguinaire, par le parjure, il promettait ne rien attenter aux biens, coutumes et religion des Algériens. Le 29 décembre 1830, le général Thomas Bugeaud, qui vient d’être nommé gouverneur de cette colonie, arrive en Algérie. La véritable conquête débute avec massacres, déportations massives des populations, rapt des femmes et des enfants utilisés comme otages, vol des récoltes et du bétail, destruction des vergers. C’est le sinistre colonel de Montagnac qui déclare en 1843 : «Qui veut la fin veut les moyens. Selon moi, toutes les populations qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées, tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe ; l’herbe ne doit plus pousser là où l’armée française a mis le pied.» Mostefa Lacheraf parle des officiers français qui n´hésitent pas à couper les oreilles et les têtes des Arabes lors de razzias et qui, parallèlement, sont de parfaits hommes du monde quand il s’agit d’aller au bal du duc d´Orléans.

Pendant plus de 70 ans jusqu’aux évènements de Marguerite au tournant du XXe siècle, le peuple algérien a défendu sa terre en face d’une armée de soudards dirigés par le sinistre Bugeaud (le bouchou qui faisait peur à nos enfants). Le journaliste Jean Michel Apathie résume en quelques phrases les méfaits du général Bugeaud honoré, symbole du génocide et de la spoliation subis par le peuple algérien à partir de 1830. Pour lui, la colonisation algérienne ne ressemble à aucune autre colonisation. «Nous devons des excuses. La colonisation algérienne ne ressemble à aucune autre colonisation.» Jean Michel Apathie explique que la presse européenne à l’époque avait dénoncé ce qui se déroulait en Algérie. «L’armée est livrée à elle-même sur le terrain, à partir de là va commencer la conquête de l’Algérie tellement violente qu’en 1845, il y a une campagne de presse européenne pour la dénoncer. » «Le Maréchal Thomas Bugeaud s’est comporté comme un boucher. On a volé les terres aux Algériens, on a empêché la scolarisation de cinq générations d’Algériens, on a condamné à l’ignorance et l’analphabétisme et on a lancé du napalm sur les villages algériens.» Thomas Bugeaud, général «enfumeur» de femmes, d’enfants et de vieillards, lors de la conquête de l’Algérie». Jean-Michel Apathie fustige les prétendus « bienfaits de la colonisation» et rappelle les spoliations, les famines, la « clochardisation» de l’Algérie rurale, et le fait que seul un enfant arabe sur dix était scolarisé.

Il s’attarde aussi sur les massacres de Sétif, en 1945, et de Philippeville, en 1955, et le fait que les Arabes n’étaient pas considérés comme des citoyens à part entière. Ce qui lui vaut d’être qualifiés de «woke» et d’«islamo-collabo » sur les réseaux sociaux.(3)

 

Alexis de Tocqueville «démocrate» et colonialiste acharné

 

Suite aux exactions de l’armée en 1847, Alexis de Tocqueville, à la tête d’une commission parlementaire, écrit : «Partout, nous avons mis la main sur les revenus, ceux des fondations pieuses, ayant pour objet de pourvoir aux besoins de charité ou de l’instruction publique, en les détournant en partie de leurs anciens usages. Nous avons réduit les établissements charitables, laissé tomber les écoles et dispersé les séminaires. Autour de nous, les lumières se sont éteintes, le recrutement des hommes de religion et des hommes de loi a cessé. C’est-à-dire que nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu’elle n’était avant de nous connaître.»(4)

Dans un autre discours, le même Tocqueville montrait sa vraie nature. «La domination paisible et la colonisation rapide de l’Algérie sont assurément les deux plus grands intérêts que la France ait aujourd’hui dans le monde. «J’ai souvent entendu (...) des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, et des enfants. Ce sont là, d’après moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre. (...) On ne détruira la puissance d’Abd El-Kader qu’en rendant la position des tribus tellement insupportable qu’elles l’abandonnent. Attirer dans ce pays de nombreux colons, tel est l’un de ses objectifs majeurs, et pour y parvenir, il faut exproprier, expulser les habitants, déplacer des villages entiers afin d’octroyer aux Français les terres les plus riches.»(4)

 

Ce qui s’est passé lors de la prise de la Brèche à Constantine, en 1837

 

Alexandre Dumas raconte d’une façon détaillée ce qui s’est passé : «(…) Les soldats coururent, croyant arriver à une pente praticable, en courant sur l'escarpement du Rummel, ils se rejetèrent en arrière en poussant un cri de terreur. Ils venaient en effet d'apercevoir un terrible spectacle.(…) une muraille de rochers verticaux dont le pied s'appuyait à un massif de pierres aiguës et tranchantes. Là, sur ces aiguilles, sur ces pics, sur ces lames de granit, gisaient brisés, sanglants, mutilés, trois ou quatre cents corps d'hommes, de femmes et d'enfants. Au premier aspect et à la manière dont ils étaient étendus pêle-mêle les uns sur les autres, on eût pu les prendre pour un amas d'habits et de haillons ensanglantés. Mais, en se penchant sur l'abîme, on apercevait comme une dernière ondulation, comme un souffle suprême agitant ces masses flasques et informes. Puis, en forçant le regard de s'arrêter sur ce hideux tableau, on arrivait à distinguer des têtes soulevées, des bras mouvants, des jambes crispées frissonnant dans les dernières convulsions de l'agonie. Premiers et derniers s'étaient rejoints et s'étaient écrasés sur ces mêmes roches.»(5)

Cela s’est passé un 18 juin 1845, les enfumades de la tribu des Ouled Riah

On peut voir encore aujourd’hui d’immenses grottes pouvant contenir des centaines de personnes. Elles servaient de refuge aux tribus des environs et une espèce de code d’honneur établi faisait qu’elles y étaient en totale sécurité. Ainsi, aucun conquérant ne viola ce code, jusqu’à la conquête de l’Afrique du Nord par les Français, dont l’armée d’occupation appliqua de nouvelles méthodes : les enfumades. Il faut savoir qu’entre 1844 et 1845, trois tribus subiront ce sort, sous les ordres de trois colonels français, Cavaignac, Pélissier, Saint-Arnaud. Le 18 juin 1845 reste une sinistre et mémorable date dans notre histoire. Une tribu entière, réfugiée dans la grotte dite Ghar El Frachich, est enfumée sous les ordres du colonel Pelissier. Elle sera entièrement décimée. Le nombre des victimes est encore sujet à discussion et oscille entre 500 et 1200 âmes . (...) La flamme s’élevait au haut du Kantara, élevé de 60 varas environ (la vara a un mètre de longueur). Rien ne pourrait donner une idée de l’horrible spectacle que présentait la caverne.»(6) Tous les cadavres étaient nus, dans des positions qui indiquaient les convulsions qu’ils avaient dû éprouver avant d’expirer, et le sang leur sortait par la bouche ; mais ce qui causait le plus d’horreur, c’était de voir des enfants à la mamelle gisant au milieu des débris de moutons.

Personne n’a pu savoir ce qui s’est passé dans la grotte, et si les Arabes, étouffés par la fumée, se sont résignés à la mort avec ce stoïcisme dont ils se font gloire. Le nombre des cadavres s’élevait de 800 à 1000. (…) Le témoignage d’un sous-officier est encore plus éloquent : «Voir, au milieu de la nuit, à la faveur de la lune, un corps de troupes occupé à entretenir un feu infernal, entendre les sourds gémissements des hommes, des enfants et des animaux. Le matin, quand on chercha à dégager l’entrée des cavernes, un horrible spectacle frappa les yeux des assaillants. J’ai visité les trois grottes ; voici ce que j’ai vu : A l’entrée gisaient des bœufs, des ânes, des moutons ; parmi ces animaux, et entassés sous eux, se trouvaient des femmes et des enfants. J’ai vu un homme mort, le genou à terre, la main sur la corne d’un bœuf ; devant lui était une femme tenant un enfant dans ses bras. Cet homme avait été asphyxié, ainsi que la femme, l’enfant et le bœuf, au moment où l’Arabe cherchait à préserver sa famille de la fureur de cet animal.»(6)(7)

 

Les évènements du 8 Mai 1945

 

Un siècle après ces crimes sans nom, le 8 mai 1945, des Algériens sortent célébrer la victoire. Un drapeau algérien est arraché ; un coup de feu ! Ce sera le début de la curée sur ordre du général de Gaulle qui donne les pleins pouvoirs aux colons et à l’armée avec sa tête le général Duval, le boucher du Constantinois. Kateb Yacine, alors lycéen à Sétif, écrit : «J’avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l’impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l’ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme. Je témoigne que la manifestation du 8 Mai était pacifique. À Guelma, ma mère a perdu la mémoire.» Selon l’armée américaine, cet énorme massacre par l’armée française, la police et les miliciens aurait fait 45 000 morts.»(8)

 

Guerre des grottes : l’autre crime impuni

 

Nous sommes un siècle plus tard. Les méthodes des pères fondateurs de l’ignominie reprennent du grade pendant la guerre d’Algérie. L’armée française a parqué 2,5 millions d’Algériens dans des centres de détention, les coupant de leur terre, ceci pour affamer les combattants On ne cessera jamais de le dire : les formes de torture adoptées par l’administration coloniale française contre les Algériens représentent une «tache noire», motif de déshonneur sur le front de ce pays, et doivent être classées à la tête des «crimes contre l’humanité». «La guerre des grottes» s’est déroulée dans les réseaux souterrains de zones montagneuses d’Algérie. A partir de 1956, l’armée française a mené en Algérie «une guerre souterraine» en utilisant des gaz toxiques dans ces grottes transformées notamment en des lieux de combats, d’infirmerie pour les moudjahidine, mais aussi des refuges pour la population. Pour l’historien Gilles Manceron aussi, cette «guerre des grottes» ravive le souvenir de ce que l’on avait appelé, dans les années 1840, «les enfumades».

Pour Bugeaud, «si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, enfumez-les à outrance comme des renards». Ainsi, ces unités de la «guerre des grottes» renouaient avec cette tradition, «mais si beaucoup de gens sont morts, on ne sait pas leur nombre», des unités spécialisées sont constituées pour pratiquer ce qui a été appelé «la guerre des grottes», c’est-à-dire l’asphyxie des personnes réfugiées dans des grottes qui étaient nombreuses dans plusieurs régions montagneuses de l’Algérie où la guérilla se développait. Et souvent, à la fin, après leurs opérations, ils dynamitaient la sortie, pour que ça ne resserve à nouveau, et ce n’était pas possible — ou extrêmement dangereux – d’y pénétrer pour extirper des cadavres».(9)(10)

 

Quand l’armée française «pacifiait» au napalm

 

Parler de l’usage du napalm par la France durant la guerre d’indépendance, c’est revenir sur un déni d’État. À l’instar d’autres armes chimiques, ce produit a été utilisé en dépit des conventions de Genève dont Paris était signataire. Les autorités françaises le répéteront sans trembler : «Napalm rigoureusement proscrit et jamais employé opération militaire en Algérie.» Un caporal avait adressé une lettre au journal le Monde pour dévoiler la réalité cachée derrière une dépêche officielle parlant de «rebelles mis hors de combat avec l’aide de l’aviation» : «Ayant participé à l’encerclement et à la réduction de la ferme où [les «rebelles»] étaient retranchés, je puis vous indiquer qu’ils ont en réalité été brûlés vifs, avec une dizaine de civils dont deux femmes et une fillette d’une dizaine d’années par trois bombes au napalm lancées par des appareils de l’aéronavale, non loin de Sétif, le 14 août 1959.» On opte pour un langage codé : «bidons spéciaux». Les comptes-rendus d’opérations mentionnent aussi les effets de ces «bombing par bidons spéciaux» la «réduction du nid de résistance» ayant échoué face au «feu violent et précis des rebelles, il y avait un hôpital, enfin une infirmerie, où ils cachaient les blessés. Je les voyais, ils essayaient de s’évader… Une odeur horrible. Ils se roulaient par terre et leurs chairs restaient sur les pierres. Il y avait une femme qui a été happée par le napalm (…)» Un matin d’avril 1959, sa section est envoyée au rapport : «Vingt-et-un corps sont dénombrés, une dizaine d’autres sont retrouvés brûlés par le napalm.» (…) Avec l’approfondissement systématique de la guerre, et en particulier le «plan Challe» à partir de 1959, le napalm a pu être utilisé à un stade qui n’avait plus rien d’expérimental.(11)

 

Les expérimentations nucléaires et chimiques au Sahara

 

De 1960 à 1966, la France s’est livrée dans le Sahara algérien à des expérimentations nucléaires. Les expérimentations de l’arme nucléaire au Sahara eurent lieu entre 1960 et 1966. La France a procédé dans le Sahara algérien à 17 essais nucléaires.

Quatre explosions atmosphériques ont été réalisées au sud de la palmeraie de Reggane en 1960 et 1961. Treize autres expériences ont été effectuées en tunnels entre 1962 et 1966. D’autres expérimentations explosives dispersèrent en surface sur de grandes étendues de petites quantités de plutonium. La population locale résidant autour du site de Reggane a été évaluée à 40 000 personnes tandis que dans un rayon de 200 km autour d’In Eker, on décomptait environ 5 200 sédentaires et 2 730 nomades. Le 13 février 1960, la France faisait exploser sa première bombe atomique à Reggane, violant ainsi le moratoire concernant les essais nucléaires. L’enthousiasme du général transparaissait dans son message de félicitations pour la première bombe Gerboise bleue de Reggane : «Hourra pour la France ! Depuis ce matin, elle est plus forte et plus fière…» Le 1er mai 1962, l’essai Béryl a provoqué un énorme panache radioactif qui a contaminé des pâturages à de très grandes distances. La roche fondue radioactive a provoqué une coulée de 300 mètres sur 30 mètres de hauteur qui, 40 ans plus tard, reste encore hautement radioactive.»(13)

Une autre tache au visage de la patrie qui s’intronise des droits de l’Homme. De 1958 à 1978, la base de «B2 Namous», dans l’ouest du Sahara algérien, a servi de terrain d’essai d’armes chimiques, notamment du gaz sarin. Ce polygone de plusieurs milliers de kilomètres carrés a été le terrain des armes chimiques nouvelles et des gaz toxiques et même des missiles. En Algérie, selon John Hart, directeur du projet sécurité biologique et chimique du Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), le gaz sarin a fait l’objet d’«essais sur le terrain» au mépris des engagements internationaux de la France. Il s’agit donc bien d’essais et non d’utilisation contre des combattants ou des populations. Quelques témoignages confirment cette accusation : «J’étais chef de pièce dans l’artillerie, de février 1958 à avril 1960, en Algérie. J’ai été appelé à la base secrète de Beni Ounif. Chaque matin, les officiers nous donnaient l’ordre de tirer à 6 ou 8 kilomètres, au canon, durant deux heures. Nous avons expérimenté le gaz sarin.» Les cibles étaient des caisses dans lesquelles avaient été enfermés de petits animaux (rongeurs). Nous allions dans le désert 48 heures plus tard, équipés de masques à gaz, les techniciens ont les animaux morts. Preuve de la dangerosité du site : à l’occasion d’un voyage du président Hollande en Algérie (décembre 2012), un accord secret, visant à la décontamination du site, avait été conclu.(13)

 

L’œuvre positive de la vénérable nation algérienne pour la France

 

Tout au long de ces 132 ans, l’œuvre coloniale ne fut pas positive. A titre individuel, des instituteurs, des médecins, des Européens admirables tentèrent d’alléger les souffrances des Algériens, mais ils furent en petit nombre. Les rares Algériens instruits furent, selon la belle expression de Jean El Mouhoub Amrouche, des voleurs de feu. Moins d’un millier d’Algériens formés en 132 ans, cela explique les errements de l’Algérie après 1962. Cette acculturation hémiplégique nous a amenés à déifier des auteurs oints de l’aura du siècle des Lumières alors que d’une façon ou d’une autre, les écrivains et poètes français ont adoubé, voire béni l’aventure coloniale française. Le grand Victor Hugo et ses beaux poèmes comme A ceux qui sont morts pour la patrie n’a aucun remord, comme témoin des exactions, de les dénoncer. Au contraire, il conseille à la France : «ce qui manque à la France en Algérie, c'est un peu de barbarie. Les Turcs allaient plus vite, plus sûrement et plus loin ; ils savaient mieux couper des têtes»… Le Zola de J’accuse ne frémit pas des cils sur les crimes dont il a connaissance en Algérie. C’est dire si nous tombons de haut quand on découvre les faces sombres de ces écrivains !!

Les Algériens ont toujours été embarqués dans des guerres qui ne les concernaient pas en combattant pour la France qui guerroyait de par le monde. Pour l’histoire, des Algériens furent recrutés, à leur corps défendant, dans les troupes françaises et envoyés lors de la guerre du Levant en 1865... Ensuite, ce fut la guerre de Crimée, la guerre de 1870. Lors de la Première Guerre mondiale, à Verdun et au Chemin des dames, des milliers d’Algériens y laissèrent leur vie. Lors de la Seconde Guerre mondiale, les troupes coloniales libèrent Toulon et Marseille le 15 août 1944. Il y eut 140 000 soldats algériens. Il y eut 14 000 morts et 42 000 blessés . Après 1945, les «trente glorieuses» réussirent aussi grâce à l’apport des Algériens, «les tirailleurs bétons», qui, après avoir versé leur sang pour la France, aidèrent massivement pour sa reconstruction dans le bâtiment, les autoroutes et les entreprises. Enfin, on ne peut passer sous silence l’apport culturel de l’Algérie. L’Algérie eut aussi sa part, souvent dans le rayonnement de la France, à la fois pour défendre ses frontières, développer son économie et participer par l’enseignement du français au rayonnement culturel de la France. Les Algériens ont fait fructifier le «butin de guerre» avec l’immigration choisie. Ce sont chaque année des milliers de diplômés qui sont aspirés notamment dans les disciplines technologiques.»(14)

Comble de l’ignominie, la présence française se termine comme elle a commencé, par la destruction de la culture. Ainsi, l'incendie de la bibliothèque universitaire de la Faculté d'Alger le 7 juin 1962 était «l'un des crimes culturels les plus odieux» du colonialisme en Algérie. L’incendie perpétré par l’OAS en juin 1962 a causé des pertes estimées par une étude sérieuse à 250 000 monographies, thèses ou périodiques, soit environ 40 % du total de 1960. Ce ne sera pas le seul méfait. Lors de la prise de Constantine, 9 000 manuscrits de bibliothèque de Hadj Ahmed ont été brûlés et chaque soudard voulait son «Coran».(15)

 

Conclusion

 

Il est bon alors de se rappeler de la nécessité d’un devoir d’inventaire à la fois des aspects matériels «positifs» de la colonisation et du livre noir de la colonisation dans sa dimension la plus inhumaine. Nous ne pouvons regarder vers l’avenir que quand on aura sorti les cadavres des placards des archives qui sont le cœur de la tragédie algérienne stockée dans les musées de France et de Navarre ainsi que les centres de recherches où il faut un siècle pour qu’à dose homéopathique, le colonisateur lâche des morceaux épars de la responsabilité de la France jouant la montre et misant sur l’apaisement dû au temps qui fera son œuvre d’oubli. Non, il n’y aura pas d’apaisement et toutes les « histoires» sans épaisseur de l’historien Stora n’y feront rien car si lui a le droit de consulter et de prendre ce qu’il veut pour ne pas choquer, ceux qui sont censés écrire cette histoire à deux mains, eux, n’ont pas accès aux archives et surtout rien de sérieux n’est fait pour contribuer à l’apaisement. Un «apaisement des mémoires» requiert que la mémoire soit d’abord retrouvée, alors que les faits historiques qui la sous-tendent sont confisqués dans les archives. Le travail à effectuer concernant plus largement le récit national pour nous réconcilier avec nous-mêmes, assumer toute notre histoire avec ses heurs et ses malheurs. L’invasion abjecte des colonnes infernales françaises n’est qu’un épisode d’une histoire trois fois millénaire. C’est sûr de nous-mêmes que nous pourrons aller exiger la vérité et la justice s’agissant de l’invasion un matin de juillet 1830.

 

 



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