"La vérité est pareille à l'eau, qui prend la forme du vase qui la contient" (Ibn Khaldoun) /// «La vérité est le point d’équilibre de deux contradictions » (proverbe chinois). /// La vérité se cache au mitan du fleuve de l'info médiatique (JM).

E. Kirchner, Colourfull dance, 1930-32, wikiart
Le RN, les Juifs et les autres : si seulement on avait su…


Julia Christ
3 juillet 2024

L’extrême droite, on le sait sans l’ombre d’un doute, est structurellement antisémite. On le sait même tellement bien qu’on en oublie parfois que l’antisémitisme n’est pas structurellement d’extrême droite. Dans ce texte, Julia Christ interroge les effets délétères de ce décalage entre ce qui est su, et ce qui ne veut pas l’être. Car voilà que, sans rien changer à sa matrice idéologique, l’extrême droite a su faire du soupçon qui pesait sur elle une force – celle d’assumer ce qu’elle fait et de contrôler ce qu’elle dit –, aidée en cela par des adversaires qui, plutôt que d’assumer leur responsabilité politique, se réfugient dans des postures enfantines : « on ne savait pas… »
On oublie souvent que les sociétés occidentales au sein desquelles nous vivons se sont construites, en grande partie, sur l’acceptation de l’ignorance. En tout cas, cette résignation face à la sottise fait partie de l’histoire longue de l’Europe, pour peu que l’on accepte qu’elle soit de marque chrétienne. « Mon père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » aurait dit Jésus pendu sur la croix, tout en laissant dans le flou s’il parlait des exécuteurs romains ou de la foule juive qui, selon la légende, aurait assisté au spectacle. Peu importe en l’occurrence. Le point essentiel réside en ce que la religion qui se targue d’être celle du pardon – et se prétend à ce titre tellement plus humaine que l’orthopraxie juive qui exige que tout un chacun sache ce qu’il fait – conditionne le pardon divin à l’ignorance de ceux qui agissent. « Ils ne savent pas ce qu’ils font », donc on peut, voire on doit leur pardonner.
Ce lien spécifique entre pardon et non-savoir s’est maintenu jusqu’aujourd’hui dans notre rapport aux enfants, aux personnes souffrant de certaines pathologies mentales, notamment aux personnes âgées atteintes de démence sénile ou d’Alzheimer. Pour le reste des membres de nos sociétés, il s’est estompé. Si l’ignorance en elle-même est assez mal vue dans nos contrées, elle est tout simplement inacceptable quand elle s’incarne dans l’action. Nous présupposons mutuellement que chacun parmi nous sache ce qu’il fait et que, pour cette raison, nous puissions lui imputer la responsabilité de ses actes. Avec la disparition de la transcendance de nos vies, nous n’avons pas seulement cessé d’admettre que « certaines choses arrivent » – le miracle, comme la simple catastrophe, sont reconductibles à une explication où l’on scrute toute trace de source humaine permettant l’imputation, individuelle ou collective, de responsabilité – mais nous avons également cessé d’accepter que des individus fassent n’importe quoi. On exige de chacun qu’il sache ce qu’il fait, qu’il connaisse l’objet sur lequel porte son action, qu’il ait un but justifiable (affectivement dans des relations intimes, pragmatiquement dans des situations pratiques ordinaires, et rationnellement dans des actions politiques) et qu’il ait réfléchi aux conséquences de ce qu’il fait. Autrement dit, on escompte qu’il prévoie au maximum de ses capacités ce que son action va entraîner comme résultats, y compris non-intentionnels. Au lieu de pardonner, on affirme donc que l’auteur d’un acte incriminé « aurait dû savoir ». Et lorsqu’on est face à des individus dont on concède qu’ils sont dans l’incapacité de savoir ce qu’ils font – qu’ils n’auraient donc pas pu savoir ou ne peuvent savoir – on les relègue en général dans des institutions psychiatriques, substituts modernes à la bienveillance miséricordieuse et pardonnante du Christ.
L’extrême droite assume désormais pleinement son racisme discriminatoire pour autant que celui-ci est converti en mot d’ordre positif : elle appelle cela « la préférence nationale ». Et elle mise désormais sur ce qu’une partie de la société française considère la discrimination comme légitime, du moment que le contenu nauséabond de cette politique d’exclusion est traduit dans un langage qui troque la haine de l’autre pour l’amour du même.
Aussi est-il tout à fait normal que des acteurs politiques, peu importe le camp dont ils relèvent, ne puissent en aucune circonstance prétendre ne pas savoir ce qu’ils font lorsqu’ils profèrent des paroles portant à conséquence – et puisque la parole politique a ceci de particulier qu’elle contient structurellement une promesse de traduction en action, l’interdiction de se réfugier dans l’ignorance concerne à ce titre l’ensemble du discours politique. Ce tabou du non-savoir touche bien évidemment les paroles racistes, sexistes, trans- et homophobes, ou encore antisémites. Là non plus, l’excuse de ne pas savoir ce qu’on fait en les prononçant est irrecevable dans nos sociétés. Lesquelles en attestent d’ailleurs par les sanctions qu’elles réservent généralement à ce genre de propos.
L’extrême droite semble avoir pris acte de cette situation, fâcheuse pour une machine de propagande qui a longtemps reposé sur les ivresses de la parole irresponsable – à ce titre il est tout à fait juste de noter que ce courant s’est modernisé. Car elle assume désormais pleinement son racisme discriminatoire pour autant que celui-ci est converti en mot d’ordre positif : elle appelle cela « la préférence nationale ». Elle affirme ouvertement que la discrimination, sous couvert de « préférence » fondée sur une identité d’origine, est son projet politique – elle sait ce qu’elle fait – et mise sur ce qu’une partie de la société française considère ce projet comme légitime, du moment que le contenu nauséabond de cette politique d’exclusion est traduit dans un langage qui troque la haine de l’autre pour l’amour du même.
Dans le même temps, ce courant politique a officiellement renoncé à tout antisémitisme, alors même que ce dernier est un élément constitutif de son identité. On mesure que ce renoncement n’a pas dû lui être facile, la haine du juif étant essentielle à l’argumentaire nationaliste, sous l’aspect du « même » apparent suspecté d’être toujours autre. Le sacrifice a dû être d’autant plus douloureux que l’antisémitisme est précisément l’un des rares lieux où l’excuse de ne pas savoir ce que l’on fait fonctionne encore parfaitement. Si donc l’extrême-droite parvient à résister à la tentation de se servir de cette excuse parfaitement courante, cela témoigne de sa forte propension à l’autocontrôle : chez elle seule, on n’ose pas dire « on ne savait pas » au sujet de l’antisémitisme.
Car c’est bien ce qu’on voit ailleurs : en témoignent les discussions lassantes sur la question de savoir si l’épithète « nazi sans prépuce » ou la qualification du gouvernement israélien comme « tueur d’enfants » ou encore l’expression dite sincère de « la crainte que les Israéliens en viennent à empoisonner les puits de Gaza » sont antisémites. Ce que les individus mis en cause avancent en général, ce n’est pas une franche dénégation du caractère antisémite de leurs paroles, mais la relance du même questionnement tout empreint d’ingénuité : « Ah bon ? Mais en quoi est-ce antisémite ? ». Ils prétendent ignorer totalement pourquoi tel ou tel énoncé le serait réellement, obligeant ainsi leurs opposants à des explications savantes sur l’antisémitisme, pourtant déjà mille fois réitérées.
 
En effet, ce n’est que si l’énoncé vient de l’extrême-droite, que la démonstration s’avère non nécessaire. Il y a là, si l’on y pense, un trait singulier de l’époque. Nos sociétés semblent collectivement convaincues que l’antisémitisme est une attitude absolument répréhensible, mais aussi qu’il s’agit d’une attitude qui n’existe en fait pas, à moins qu’un individu clairement identifié comme appartenant à l’extrême droite soit à l’origine de l’acte ou de la parole incriminés. En ce cas, et en ce cas seulement, on considère que l’accusation d’antisémitisme est juste sans poser l’éternelle question du pourquoi. On sait bien à quoi s’en tenir, se dit-on alors. Par contre, dans tout autre cas, la charge de la preuve pèse intégralement sur l’accusateur, l’accusé pouvant toujours exploiter les ressources apparemment infinies du « je ne savais pas ».
Nos sociétés semblent collectivement convaincues que l’antisémitisme est une attitude absolument répréhensible, mais aussi qu’il s’agit d’une attitude qui n’existe en fait pas, à moins qu’un individu clairement identifié comme appartenant à l’extrême droite soit à l’origine de l’acte ou de la parole incriminés.
Or, s’il en est ainsi, on doit relever un point : au sein de la société française, la reconnaissance du caractère antisémite d’un acte ou d’une parole n’est pas due à ce qu’on a identifié le contenu de l’action ou de la phrase prononcée comme étant antisémite, mais seulement à ce que l’acteur ou le locuteur a été identifié par avance comme appartenant à une mouvance dont on sait qu’elle est structurellement antisémite. Si bien que le même énoncé, ou légèrement altéré, dans la bouche d’un individu qui n’appartient à aucun mouvement d’extrême droite se trouve examiné à la loupe pour tirer au clair ce qu’il a d’antisémite. Et puisque, dans cette perspective, l’antisémitisme est un attribut de certains individus – et non pas d’actes ou d’énoncés -, il est normal qu’on ne trouve de l’antisémitisme que chez des individus d’extrême droite. Pour toutes les autres personnes, l’offense est due au fait que son auteur ne savait pas que ceci ou cela (caricaturer un juif avec un grand nez, traiter un juif d’efféminé, parler de puits empoisonnés, ou traiter un juif de porc) était antisémite. De là, on déduit en général que l’on n’a pas vraiment affaire à de l’antisémitisme. Bref, dans notre société, tout un chacun (sauf l’extrême droite) semble avoir le droit d’ignorer 2000 ans d’histoire de l’antisémitisme. Il a le droit de n’avoir rien appris – exemption d’autant plus étonnante que l’antisémitisme n’a rien d’un phénomène exotique auquel il faudrait que le regard s’acclimate, mais est un pur produit européen qui fait partie de l’histoire que tous, ici même, doivent bel et bien considérer comme leur. Ce qu’on semble avoir le droit d’ignorer, dans ce qui fait l’identité historique des sujets européens eux-mêmes, c’est la longue histoire de la haine que l’Europe a nourrie pour les juifs.
L’antisémitisme est la seule forme de discrimination qui se trouve dans cette drôle de position. Que l’on songe à la parole sexiste : elle est toujours clairement identifiable, au point que personne n’est choqué de ce qu’une femme ayant eu un propos sexiste soit elle-même dénoncée comme « sexiste ». Il en va de même pour le racisme : la qualification d’un acte ou d’une parole comme « raciste » est indépendante de ce que l’on sait par ailleurs du locuteur. La preuve : une personne de gauche qui se trouve accusée de racisme ne va pas discuter cette qualification, mais bien au contraire essayer de s’amender en en apprenant plus sur les formes diverses et souvent subtiles que peut prendre le racisme. Avec l’antisémitisme, la situation est toute différente. Tout le monde paraît pouvoir bénéficier d’un certain flou quant à la qualification de l’acte, hormis ceux dont on est certain qu’ils sont antisémites par appartenance à l’extrême droite. Dans ces conditions, il n’y a pas à s’étonner qu’à l’extrême droite, l’autocontrôle se soit imposé comme une exigence sur ce point. Ne pouvant pas profiter du non-savoir comme excuse, mieux vaut éviter de s’exposer. Se sachant soumis à l’accusation de savoir exactement ce qu’on dit quand on le dit – cette même accusation à laquelle tout le monde échappe par ailleurs sur la question de l’antisémitisme -, mieux vaut éviter de jouer à ce jeu.
Puisque personne ne croit l’extrême droite quand elle essaie de prétendre ne pas savoir ce que c’est que l’antisémitisme, elle, parmi toutes les formations politiques, doit renoncer à énoncer publiquement sa haine de cette minorité particulière. Déduire de ce silence obligé qu’elle la tolèrera, voire qu’elle la chérit, relève d’une posture d’ignorance.
De cette privation, ou de cette absence de licence, on notera toutefois que l’extrême droite a fait une force : elle a pu se poser comme seule force politique qui assume entièrement ce qu’elle dit. Elle assume d’être raciste, d’être trans- et homophobe, de haïr les musulmans, d’être sexiste. Elle assume toutes ces négations du droit d’existence autonome des minorités en affirmant qu’elle sait parfaitement ce qu’elle fait. C’est là incontestablement une force dans une société qui vit, depuis un long moment maintenant, sous un régime néolibéral qui broie les vies tout en renvoyant chacun à sa responsabilité individuelle. Un pouvoir qui n’assume rien de sa puissance destructrice et exige dans le même temps que ceux dont les vies sont détruites se sentent responsables de ce qui leur arrive, constitue un excellent terreau pour une force politique qui montre qu’elle assume pleinement ce qu’elle dit, et promet ainsi de prendre, seule, la responsabilité de ce qui arrive. Si, dans les années trente, on a pu diagnostiquer chez les foules ayant succombé au fascisme une « disposition autoritaire » due à des structures sociales répressives, il n’est probablement pas exagéré de supposer aujourd’hui chez les électeurs du RN une « disposition à la responsabilisation ». Celle-ci est tout à fait normale dans des sociétés qui promeuvent de plus en plus l’autonomie individuelle ; ce qui est impardonnable en revanche, c’est qu’on ait laissé apparaître le Rassemblement national comme le seul mouvement reflétant cette disposition, en affirmant bruyamment « savoir ce qu’il fait », et mettre fin à toutes les « excuses » que les gouvernements libéraux invoquent pour masquer leur absence de contrôle politique. Le désir de voir enfin quelqu’un en charge assumer ce qu’il fait semble en tout cas suffisamment grand pour qu’une partie de nos concitoyens accepte que ce de quoi l’extrême droite veut assumer la responsabilité soit un projet d’exclusion, de discrimination, et potentiellement de persécution de toutes les minorités de France qui détruira le pays, matériellement, mais aussi symboliquement.
 
Qu’on ne se méprenne surtout pas : ce projet de discrimination de toutes les minorités concerne bien évidemment aussi la minorité juive. Mais puisqu’il est absolument interdit d’être antisémite – absolument interdit parce l’antisémitisme a été dans l’histoire de nos sociétés un projet d’extermination, et non pas une discrimination pouvant encore être déguisée en positivité en passant par l’argument de la « préférence nationale » – et puisque personne ne croit l’extrême droite quand elle essaie de prétendre ne pas savoir ce que c’est que l’antisémitisme, elle, parmi toutes les formations politiques, doit renoncer à énoncer publiquement sa haine de cette minorité particulière. Déduire de ce silence obligé qu’elle la tolèrera, voire qu’elle la chérit, relève en revanche d’une posture d’ignorance, impossible à adopter en ce domaine également. Puisque l’on sait que le projet du RN est un projet d’homogénéisation de la société française, s’il le faut par la force, au nom précisément de cette « France » pour laquelle il affirme sa préférence, on ne peut pas ne pas savoir que la minorité juive sera tout autant mise au pas que les autres – c’est-à-dire discriminée en tant que groupe minoritaire tout comme le sera la minorité musulmane. Certes, on peut se raconter qu’on s’en sortira comme individu parfaitement assimilé. Or non seulement cette option laisse ouverte la question de celles et ceux du groupe qui tiennent à leur différence, mais elle oublie de plus que la question est de savoir si on peut jamais être suffisamment assimilé dès lors que la définition du bon français passe par les « origines ». Et puis, veut-on vraiment nous faire croire que le RN, donc un parti qui ne peut pas ne pas être antisémite, ne va pas assez rapidement essayer de cueillir les fruits de l’antisémitisme qui s’est répandu dans la société française grâce à LFI ? Croit-on vraiment que les électeurs de l’extrême-droite seraient prompts à révolter lorsque leur gouvernement va commencer à chanter la petite chanson des privilèges des juifs, du philosémitisme d’État avec lequel il faudrait en finir, voire celle de la double allégeance ? Prétendre ignorer cela n’est pas une excuse, pas plus que prétendre ignorer qu’une parole est antisémite ne dédouane quiconque. Autrement dit : personne ne pourra dire qu’il « ne savait pas » en donnant sa voix au RN, et nul « pardon » n’est à attendre après le vote.
La France est peut-être l’un des pays européens où l’on est le plus sincèrement convaincu qu’on ne peut pas être antisémite (à moins qu’on ne soit d’extrême droite) et où, dès lors, la candeur de la question « mais pourquoi est-ce antisémite ? » trouve un accueil tout particulièrement favorable.
Reste à savoir pourquoi l’antisémitisme demeure pourtant, hormis pour l’extrême droite, le lieu où l’on peut encore plaider l’ignorance. Tout le monde admet que l’on puisse être raciste, sexiste ou homophobe en tant que simple être humain. En revanche, pour être antisémite, il faut être d’extrême droite. D’où vient une telle mise en exception ? Et à quoi tient-elle structurellement, dans le contexte actuel ?
Il semblerait que ce soit là un héritage lointain que le nazisme a légué à l’Europe. Car en dehors du pays qui a engendré la barbarie nazie, l’Allemagne, où l’on sait que les bourreaux étaient tout simplement des Allemands ordinaires – si bien qu’il n’y vient à l’esprit de personne de cantonner la potentialité antisémite à l’extrême droite –, les autres pays européens semblent s’être sortis de la catastrophe en imputant l’antisémitisme à l’occupant nazi. Au mieux, on consent à envisager qu’il y ait eu des éléments d’extrême droite dans les nations occupées et que ces éléments aient pu, par ferme conviction idéologique, collaborer à l’extermination. Mais en aucun cas, pas même dans des pays engagés du côté allemand avec autant d’enthousiasme que l’Autriche, le travail n’a véritablement été fait sur l’antisémitisme du « bon peuple ». On l’a encore moins fait dans une France, qui, effectivement, a sauvé une grande partie de ses juifs, tout en raflant les « étrangers », et où le mythe de la Résistance globale a longtemps persisté, pour avoir été soigneusement enseigné à des générations d’élèves français par l’éducation nationale. Ici, la collaboration pour des raisons de lâcheté ou d’intérêt financier a certes été douloureusement reconnue au fil du temps, mais jamais n’a été posée la question de savoir s’il y avait peut-être de l’antisémitisme largement répandu dans le pays de l’affaire Dreyfus, et s’il pourrait expliquer, en partie, cette collaboration honteuse. La France est peut-être l’un des pays européens où l’on est le plus sincèrement convaincu qu’on ne peut pas être antisémite (à moins qu’on ne soit d’extrême droite) et où, dès lors, la candeur de la question « mais pourquoi est-ce antisémite ? » trouve un accueil tout particulièrement favorable – au point où l’on en vient à écrire des textes savants distinguant entre antisémitisme structurel (l’extrême droite (l’occupant nazi)) et l’antisémitisme contextuel (tous les autres qui, ignorant ce qu’est l’antisémitisme, sont de ce fait susceptibles de ne pas savoir ce qu’ils font).
 
Faut-il pourtant croire celles et ceux qui posent la question candide ? Faut-il leur concéder qu’ils ne savent vraiment pas ce qu’ils font, et donc leur pardonner ? Faut-il vraiment continuer à croire au mythe français du bon peuple constitué de belles personnes ? Ou ne serait-il pas temps de considérer que, presque 80 ans après la Shoah, tout le monde sait ce qu’il fait, et que celles et ceux qui tiennent des propos antisémites savent même plus : ils savent qu’ils ne veulent pas savoir. Ils savent que l’antisémitisme est potentiellement l’apanage de tous, et non seulement de l’extrême droite, et ils savent qu’il est interdit d’être antisémite. Et ils savent qu’ils ne veulent pas le savoir, parce que ce que l’antisémitisme leur permet leur semble être actuellement la plus noble des causes.
Eux aussi ont un projet pour la société française, mais ils sont incapables de dire en quoi l’antisémitisme est nécessaire pour l’atteindre – contrairement à l’extrême droite, qui elle est tout à fait à même de dire pourquoi sa haine des minorités lui est nécessaire et indispensable. C’est probablement parce que les autres ne savent pas le dire qu’il est facile de percevoir cet antisémitisme comme contextuel ou électoral. Or, concéder cela, c’est faire l’impasse sur toute l’histoire de l’Europe ; c’est prétendre ne pas savoir que, tout comme tout le monde peut être raciste ou sexiste, tout le monde peut être antisémite. C’est minorer la présence de l’antisémitisme dans nos sociétés et se donner ainsi à soi-même la permission de ne pas poser la vraie question : à quoi sert-il donc dans la bouche de celles et ceux qui ne sont pas des fascistes ?
Autant il importe de ne pas croire l’extrême droite quand elle affirme ne plus être antisémite, autant il importe d’en finir enfin avec l’excuse « nous ne savons pas ce que nous faisons » lorsque des personnes libérales, voire de gauche, tiennent des propos antisémites. Il n’est nulle raison que la haine des juifs soit le seul lieu où des individus modernes s’en remettent au pardon de leur Dieu. Et s’il y en a une, il serait temps de l’exposer au grand jour pour que ces mêmes individus modernes puissent débattre du bien-fondé de cette exception à leur condition de personnes responsables.
Julia Christ




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Enquêter sur un RN antisémite : entretien avec Jonathan Hayoun et Johan Weisz

3 juillet 2024


À écouter certains, le RN ne serait plus antisémite et les juifs voteraient en grande majorité Bardella. Pour parler de ces deux affirmations douteuses, nous nous sommes entretenus avec Jonathan Hayoun, réalisateur et essayiste — il est notamment l’auteur, avec Judith Cohen-Solal de La main du diable : Comment l’extrême droite a voulu séduire les Juifs de France (Grasset,2019) — et Johan Weisz, fondateur engagé et rédacteur en chef du média en ligne StreetPress. Ils remettent en cause la thèse d’une véritable normalisation du RN, tout en revenant à la fois sur le sentiment de danger dans lequel vivent les juifs de France et la stratégie de communication du parti de Marine Le Pen.
 
Elie Petit : Comment vous est venue l’idée de travailler sur votre livre La Main Du Diable – Comment L’extrême Droite A Voulu Séduire Les Juifs De France (Jonathan Hayoun, Judith Cohen Solal, Éditions Grasset) ?
Jonathan Hayoun : Je me suis très tôt intéressé à la stratégie de séduction du RN envers les juifs. En tant que militant puis Président de l’UEJF, le combat contre le Front national à l’époque était au cœur de mon engagement, notamment lors de l’élection présidentielle de 2012 où il a été crucial de lutter contre Marine Le Pen. Et c’est en militant contre l’extrême droite que j’ai été pris pour cible et ai vu de près l’antisémitisme d’extrême droite. À cette période, Marine Le Pen, venant de prendre la tête du FN, a immédiatement cherché à se faire inviter à la radio juive, multipliant les discours en direction de la communauté juive sous prétexte de vouloir les protéger. Cette démarche était particulièrement indécente, car en parallèle, elle revendiquait l’héritage de son parti tout en niant l’antisémitisme qui l’entourait. De plus, elle tenait des propos alimentant le racisme et l’antisémitisme. Il y avait donc une stratégie derrière ces actions qui, après enquête, s’est révélée moins nouvelle qu’elle n’en avait l’air, j’y reviendrai plus tard.
 
J’avais envie de comprendre cette stratégie là, au-delà de la simple quête de respectabilité, et de voir comment elle se concrétisait. Par ailleurs, cela coïncidait avec mes recherches autour de la figure du général de Gaulle et des raisons pour lesquelles le Rassemblement national cherchait à s’approprier cette figure historique. Il y avait un point d’intersection entre ces deux tentatives d’accaparement par le RN : l’idée que de Gaulle et les juifs réfugiés et résistants à Londres avaient accepté de s’associer à l’extrême droite pour sauver la France, un mythe que l’extrême droite nourrissait et qui m’intriguait. Je voulais démonter le mythe de l’alliance entre la synagogue et l’extrême droite – front commun dit « de la Synagogue et de la Cagoule » – à Londres pendant la Seconde Guerre mondiale. Finalement, il me semblait important d’observer d’abord concrètement la situation des communautés juives vivant sous une municipalité RN. Comment ça se passe quand le RN conquiert le pouvoir et qu’il y a, là, une communauté juive établie ?
 
EP : Vous, Johan, avez créé un média il y a 14 ans, StreetPress, qui fait référence pour la documentation de l’extrême droite en France. Pourquoi avoir choisi d’enquêter, notamment sur le milieu des groupes violents ? Et en quoi est-ce difficile aujourd’hui de montrer encore la part raciste et antisémite du RN ?
 
Johan Weisz : Je commencerai par un mot sur ma famille : mes grands-parents ont été cachés pendant la guerre, ma mère était aux côtés des Klarsfeld dans toutes leurs actions au cours des 40 dernières années. Je me souviendrai toujours, par exemple, de ma mère expliquant à ma grand-mère qu’elle allait prendre le train pour Auschwitz au début des années 90, lorsque l’association Beate et Serge Klarsfeld organisait le train de la mémoire. Ma grand-mère ne comprenait pas pourquoi on pouvait prendre le train pour aller là-bas, sachant que tout le reste de la famille y était resté ! J’ai grandi avec ça. Cet engagement pour la mémoire. Et en même temps, alors que je construisais ma vie, celle d’un homme né dans le milieu des années 80, j’ai vu l’extrême droite monter en France. À StreetPress, nous avons documenté, notamment, les violences de ces groupes d’extrême droite.
 
Les violences d’extrême droite, ce n’est pas que dans les livres d’histoire ! L’an dernier, le meurtre en plein Paris d’un rugbyman qui croise des militants néofascistes. Toujours l’an dernier, des lycéens noirs et arabes tabassés à la sortie du lycée Victor Hugo dans le centre de Paris. En 2022, une femme enceinte, de la communauté des gens du voyage, tuée dans sa caravane par des chasseurs radicalisés. N’oublions pas Utoya et les 77 jeunes militants socialistes assassinés par Breivik sur l’île – l’homme était biberonné à la théorie du grand remplacement, une théorie imaginée par l’extrême droite française. On notera au passage que les violences de ces groupes d’extrême droite sont commises par les mêmes personnes qui collent les affiches pour le RN pendant la campagne qui se déroule en ce moment. En tant que journalistes, nous menons en équipe un travail précis de documentation, et ce que nous documentons, c’est que ceux qui collent les affiches pour Jordan Bardella ou qui sont assistants parlementaires de députés appartiennent aussi à des groupes violents. En 2022, on avait montré comment des soutiens d’Eric Zemmour s’entraînaient aux armes, en tirant sur des caricatures de juifs, de Noirs et de musulmans. Quand on sait ça, on peine à croire que ces gens puissent apparaître respectables ou dédiabolisés, et surtout qu’une fois au pouvoir, ils comptent arrêter tout cela… Ce sujet m’angoisse énormément et je peux dire que le RN, je m’y suis intéressé par nécessité.
En fait, on demande aux juifs d’abandonner l’universel.
 
EP : Ces groupes violents, les voit-on à l’œuvre dans les villes où le RN a pris le pouvoir, ou la gestion locale du RN, en rapport aux communautés juives, est-elle exempte de leur action ?
JH : Je ne note pas de passage à l’acte de ces groupes violents contre les Juifs dans les municipalités où le RN a le pouvoir. Ce n’est pas dans leur stratégie de le faire. Mais il ne s’agit pas de prendre la violence physique comme étalon. Néanmoins, des attentats ont été déjoués, notamment à Limoges. Faut-il attendre qu’un attentat ne soit pas déjoué pour le prendre au sérieux ? En revanche, il y a une accusation et un harcèlement antisémite très clair à l’égard de nombreux juifs qui sont des adversaires politiques du RN. En d’autres termes, ils s’en prennent aux juifs dès qu’ils sont des opposants politiques, mais ils les attaquent aussi en tant que juifs. Ainsi, dans les municipalités où le RN a le pouvoir, les juifs doivent faire profil bas. S’ils s’expriment contre, ils sont réassignés en tant que juifs et attaqués en tant que tels. Pour l’instant, c’est verbalement. Comme le montrent des exemples très clairs à Fréjus, notamment dans le livre coécrit avec Judith Cohen Solal, La main du diable. Être juif et contre l’extrême droite là où celle-ci a le pouvoir est dangereux, à la fois en tant qu’opposant et surtout en tant que juif.
 
JW : Et puis, il faut regarder ce qu’il se passe dans d’autres pays. Si on prend la Hongrie, par exemple, je pense que c’est un excellent laboratoire pour comprendre les logiques à l’œuvre. On voit des stratégies déjà répliquées en France par les médias d’extrême droite. En Hongrie, pendant des dizaines d’années, un milliardaire juif, George Soros, a soutenu toute une palette d’initiatives comme la protection des familles roms, des communautés gays, et le développement d’initiatives juives plutôt alternatives. Dès qu’elle est arrivée au pouvoir, l’extrême droite l’a combattu, dénoncé dans de nombreuses campagnes antisémites, jusqu’à faire déménager son université progressiste vers Vienne. En France, des journaux comme Valeurs Actuelles et d’autres titres d’extrême droite ont fait les mêmes couvertures sur George Soros, le dépeignant comme un multimilliardaire cherchant à contrôler le monde. Au-delà de Soros, ce sont ses valeurs qui sont attaquées. Ils avaient un milliardaire juif comme bouc émissaire, facile, utile et instrumental pour leur vindicte.
 
JH : La France a connu un cas peu médiatisé qui ressemble aux campagnes anti-Soros en Hongrie : une famille de philanthropes, comme Soros, qui s’appelle Cohen, basée à Paris. Ils ont voulu financer un centre de réfugiés, un centre d’accueil de migrants, à Callac. Ils ont été l’objet d’une campagne terrible de l’extrême droite, au point que le projet a été annulé. Le maire a été menacé de mort, et eux-mêmes ont été menacés de mort et harcelés en tant que juifs, avec toute la rhétorique du grand remplacement ou de l’organisation d’une immigration prétendument orchestrée par les juifs. Parce qu’ils s’appellent Cohen, ils sont aujourd’hui encore dans une situation d’insécurité pour avoir voulu simplement exercer leur solidarité et leur engagement citoyen.
 
EP : Dans cette campagne, le RN semble faire encore des allers-retours sur la question de la répression des droits des minorités.
JW : Peut-être que la stratégie du RN sera de ne pas trop embêter les juifs tant qu’ils ne font pas de vagues. Sebastien Chenu a dit ces jours-ci que finalement le casher ne poserait pas de problème, même s’ils annoncent à demi-mot qu’ils veulent l’interdire. En réalité, le RN est un parti attrape-tout. Ça les ennuie un peu de laisser du casher dans les rayons des supermarchés, mais ce n’est pas grave, cela servira leur image. Ce matin, Bardella a annoncé que les personnes avec une binationalité ne pourraient pas occuper de postes à responsabilité. On s’est regardé à la rédaction, et un de nos collègues franco-suisse a dit : « Ne t’inquiète pas, moi je ne suis pas concerné ». Je pense que les communautés qui souffriront le plus si l’extrême droite arrive au pouvoir sont nos amis musulmans, maghrébins, et noirs. En tant que citoyen, j’ai une responsabilité, je ne peux pas laisser passer cela sans m’engager.
 
JH : Ce qui est intéressant aussi, c’est que les juifs ne peuvent pas trop élever la voix en tant que juifs et en tant que citoyens antiracistes. S’ils élèvent la voix en tant que citoyens et antiracistes pour défendre d’autres minorités ou pour simplement défendre l’égalité, qui est un principe fondamental de la France, ils sont renvoyés à leur identité juive, mais une identité juive en insécurité. On leur demande donc de baisser la voix et d’abandonner une part de leur engagement citoyen, s’ils ne veulent pas être victimes d’antisémitisme.
 
 
Les juifs en France n’ont pas besoin du RN pour ressentir de la peur en ce moment. Dans ce domaine, c’est la perception spontanée du danger qui l’emporte d’abord.
 
JW : C’est ça qui est très important. En fait, on demande aux juifs d’abandonner l’universel.
 
Je veux ajouter un témoignage. Chez StreetPress, nous avons plusieurs journalistes qui enquêtent depuis des années sur l’extrême droite et ses groupes radicaux. Mon collègue Mathieu Mollard, qui est co-rédacteur en chef, reçoit un nombre incalculable de messages antisémites, alors qu’il n’est pas juif. Même une prise de parole en faveur de valeurs universelles, qui n’est pas portée par un juif, finit par être assignée à une identité juive.
 
EP : Si vous deviez aujourd’hui écrire un second ouvrage sur cette tentative de séduction, quels aspects de l’évolution du RN aborderiez-vous ? Par ailleurs, quelle a été la réponse de la communauté juive, ou de certaines de ses franges, face à cette stratégie ?
JH : J’ai du mal à déterminer si c’est la stratégie qui a évolué ou si, en réalité, elle est restée inchangée, tandis que le climat ambiant a évolué. On pourrait estimer que la bataille a été gagnée culturellement sans que le discours du Rassemblement national ait réellement connu de changement. Ce qui a changé, c’est la banalisation de ce discours, notamment par l’émergence de médias partageant la même idéologie, comme CNews et le JDD. Le RN fait moins d’efforts de normalisation, la partie semble en grande partie gagnée, d’autres se chargent du travail : les médias d’opinion d’extrême droite. Et c’est sans compter sur le jeu dangereux de la gauche de la gauche, qui favorise le basculement.
 
EP : Jusqu’à la tribune publiée le 22 juin dernier par Marine Le Pen dans le Figaro.
 
JH : Le moment est remarquable. Marine Le Pen a longtemps voulu éviter toute polémique sur la rafle du Vel d’Hiv ou la Shoah. Mais dans cette tribune, en invoquant Klarsfeld, elle fait un passage à l’acte que l’on se doit de souligner, en reprenant le discours historique du RN, affirmant qu’il n’y a pas de responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’Hiv. C’est ce qu’elle dit, d’une manière détournée.
 
C’est la dernière étape de la stratégie globale de l’idéologie d’extrême droite aujourd’hui, servie notamment par CNews et le JDD. Cette idée, popularisée par Éric Zemmour, est qu’il faut sauver la civilisation chrétienne. Marine Le Pen soutient que c’est cette civilisation chrétienne qui a sauvé les juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale. En utilisant une phrase de Klarsfeld, elle affirme : « Les chrétiens étaient du bon côté. Nous étions donc du bon côté et aujourd’hui, nous serons du bon côté pour sauver les juifs comme nous les avons sauvés hier. C’est vers nous que vous devez vous tourner ».
 
 
« J’ai reçu hier Serge et Beate Klarsfeld à Perpignan pour inaugurer un local associatif mémoriel et participer à la remise de la Légion d’honneur à son président, mon ami Philippe Benguigui. A cette occasion je leur ai remis la médaille de la ville.  » Tweet de Louis Alliot
EP : Que des personnalités juives depuis longtemps passées à droite adoubent ou banalisent le RN, c’est une chose acquise, malheureusement, mais la prise de parole de Serge Klarsfeld a été un électrochoc.
JH : Il faut noter une évolution chez certains juifs, qui se trouve incarnée par la position de Klarsfeld, même si cela ne reflète pas une évolution des institutions juives. Klarsfeld, sentant une menace existentielle, réagit à l’actualité politique comme s’il s’agissait de la Seconde Guerre mondiale. Il dit : « Ce sont des braves gens, ils nous auraient sauvés ». Ainsi, Marine Le Pen, dans sa tribune, revient en disant : « Oui, nous sommes le parti des braves gens. Nous ne vous sauverons pas seulement à l’avenir, nous vous avons déjà sauvés ». C’est une réécriture de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, de la responsabilité de la France, et de la collaboration, en utilisant Klarsfeld. C’est assez inouï, et Klarsfeld y participe directement et indirectement.
 
JW : C’est un baiser de la mort, alors que le combat de 30 ans de Klarsfeld a été de faire reconnaître, de faire dire à Jacques Chirac que la France était partie prenante dans la déportation et l’extermination des juifs, d’établir sa responsabilité en tant que pays.
 
JH : Pourquoi cette insistance sur les intellectuels juifs ? Disons que le vrai problème de certains intellectuels les plus médiatiques juifs en France, c’est qu’ils sont aussi identifiés comme ceux qui ont mené le plus grand combat contre l’extrême droite par le passé, que ce soit Klarsfeld ou Finkielkraut. Ils étaient considérés comme des figures d’autorité morale sur ce sujet-là. D’autres doivent émerger.
 
EP : Pour attirer les juifs vers l’extrême droite, en leur faisant croire que c’est le seul endroit sûr pour eux, il faut les avoir conduits à penser que leur survie est en jeu. Il y a de nombreux facteurs qui contribuent à ce que les juifs puissent craindre pour leur sécurité au quotidien. Le RN travaille-t-il également à attiser spécifiquement la peur de l’antisémitisme et de la violence antisémite ? Cherchent-ils à instiller la peur chez les juifs tout en essayant de les rassurer sur leur capacité à les protéger ?
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Politique
Zemmour, les Juifs et la démocratie
Gérard Bensussan
2 février 2022
JW : Les juifs en France n’ont pas besoin du RN pour ressentir de la peur en ce moment. Les agressions vécues, les messages haineux reçus, le déficit d’empathie sur ces sujets parfois considérés comme résiduels… tout cela contribue à renforcer cette perception que les choses ne vont pas bien pour la communauté juive. Le RN n’a pas changé son discours, mais le contexte a changé, notamment depuis le 7 octobre, où chaque incident antisémite qui se produit dans les sphères pro-palestiniennes radicales ou à dans certains courants de la gauche radicale, joue en faveur du RN.
 
JH : Mais là où ils exploitent la peur de manière particulièrement pernicieuse, c’est lorsqu’on voit des juifs tellement effrayés – et ils ont raison d’être inquiets – qu’ils cherchent désespérément une solution, au point d’être prêts à renoncer à des libertés fondamentales pour maintenir la République en vie. Par exemple, il y a des juifs qui expliquent que, pour leur sécurité, il serait judicieux de retirer la kippa dans la rue. Individuellement, ils ont le droit de faire ce choix, mais considérer que cela devrait être inscrit dans la loi, au point qu’ils pourraient être arrêtés s’ils portent une kippa dans la rue, c’est incroyable que cela puisse être envisagé. Il faut se rendre compte que cette idée est défendue par des juifs eux-mêmes au nom de la sécurité. Le RN, qui exploite toujours la notion de sécurité contre celles d’égalité et de liberté, a réussi à convaincre certains juifs que renoncer à la liberté et à l’égalité pour garantir leur sécurité est une bonne solution. Cela ravive des souvenirs traumatisants et exploite une peur ancestrale : qui protège vraiment les juifs ? Est-ce la République ? Cette question profondément ancrée chez les juifs est manipulée par le RN. Certains en viennent à prendre des positions qui trahissent toute l’histoire des juifs : après des siècles de lutte pour que les juifs puissent simplement afficher leur identité dans la rue en toute sécurité, il est navrant de voir que certains sont prêts non seulement à y renoncer, mais à militer en faveur de lois qui restreindraient ces droits, convaincus que cela les protégera.
 
EP : Quel rôle Éric Zemmour a-t-il joué dans la tendance croissante de certains juifs à voter pour l’extrême droite ? Et que peut-on penser de sa transformation au sein de ce mouvement, passant d’une figure influente à un marginal ?
JW : Je pense qu’il y a un aspect qui revient souvent dans le discours de l’extrême droite : ils tentent toujours d’approcher la communauté juive en disant : « Nous avons été désignés comme vos ennemis, mais regardez, aujourd’hui, nous avons un ennemi commun majeur, l’islamisme. Partons de là, nous sommes alliés contre cet ennemi qui est aussi votre principal ennemi ». Cette stratégie existe depuis le début des années 2000 en France. On l’a vue avec des figures comme Alexandre Delvalle, Guy Millière, et d’autres géopolitologues qui semaient ces idées lors de conférences, sur les plateformes médiatiques, à la radio juive aussi. Ces graines qu’ils ont semées, c’est Éric Zemmour qui les a largement arrosées en désignant l’islamisme et l’islam comme la principale menace. Quant à ce qu’il est devenu aujourd’hui, c’est son choix – et son destin personnel importe peu -, mais il a joué le rôle de catalyseur, ouvrant ainsi toutes ces portes.
 
On retrouve souvent les mêmes tropes, indépendamment de l’affiliation politique : il n’y a pas un antisémitisme propre à la gauche ou à la droite. Souvent, ce sont les mêmes motifs qui ressurgissent. Aucune catégorie de la population n’est épargnée.
EP : Qu’en est-il des interactions ou de l’influence croissante des discours et des stratégies de Soral et Dieudonné, que l’on voit apparaître à l’extrême droite et à l’extrême gauche ?
JH : Quand Soral et Dieudonné sont apparus, on les a effectivement catégorisés comme étant à l’extrême droite. Cependant, à l’origine, Dieudonné ne provenait pas spécifiquement de l’extrême droite. Quant à Soral, il avait un parcours diversifié. Il avait tenté de s’impliquer au RN sans succès. Leurs idées ont plutôt émergé en réponse à l’air du temps. Ces idées, souvent associées à l’extrême droite pour diverses raisons historiques, discursives et thématiques, préexistaient à leur émergence actuelle. Il n’est donc pas étonnant qu’elles aient irrigué non seulement l’extrême droite, mais également une frange de l’extrême gauche.
 
Vouloir classifier les discours antisémites ou les tropes antisémites selon une orientation politique spécifique est une erreur d’analyse courante aujourd’hui. L’antisémitisme a des racines historiques et se manifeste dans divers contextes politiques. Par exemple, la question de la double allégeance ou du pouvoir juif a été exploitée tant à gauche qu’à droite. Aujourd’hui, ces discours circulent librement et se nourrissent mutuellement. Un exemple parlant est celui d’Alain Soral, dont les propos ont été repris dans les milieux d’extrême droite et, plus récemment, par un militant des Gilets jaunes à l’égard de Finkielkraut. Cette phrase, « Rentrez chez vous à Tel-Aviv», avait été popularisée sur les réseaux sociaux depuis les années 2000, initialement lancée par Soral à une époque où il était affilié au Front national et proche de Marine Le Pen.
 
Le piège actuel consiste à vouloir absolument attribuer un discours antisémite à une orientation politique définie, qu’elle soit de droite ou de gauche. C’est là le danger représenté par Soral et Dieudonné : en épousant l’air du temps, ils alimentent médiatiquement et sur les réseaux sociaux un antisémitisme qui sert de nourriture à ceux qui s’y intéressent, indépendamment de leur affiliation politique apparente.
 
JW : Pour abonder, je voudrais donner l’exemple des jeunes qui ont commis le viol antisémite de Courbevoie. Est-ce là un antisémitisme de gauche ou de droite ? En réalité, c’est un antisémitisme français. Est-ce qu’ils ont été influencés par des vidéos de Soral et de Dieudonné ? Ou voient-ils tous les Israéliens comme des voleurs d’organes sanguinaires, ainsi que les décrivent des comptes Instagram aux millions d’abonnés ? En fait, on ne le sait pas. Les tropes antisémites liés à la Palestine sont présents à la fois dans l’extrême droite, où des figures comme Soral expriment une violence inouïe en évoquant Gaza et la Palestine, et dans des discours pro-palestiniens radicaux à gauche. On retrouve souvent les mêmes tropes, indépendamment de l’affiliation politique : il n’y a pas un antisémitisme propre à la gauche ou à la droite. Souvent, ce sont les mêmes motifs qui ressurgissent. Aucune catégorie de la population n’est épargnée.
 
EP : Cette phrase est intéressante : « Rentrez à Tel-Aviv », car elle sous-entend que les juifs ont un lien avec Israël. On entend parfois des slogans similaires dans des manifestations pro-palestiniennes aux États-Unis ou sur certains campus, mais sous la forme : « Retournez en Pologne ». Aujourd’hui, peut-on considérer qu’il y a une division dans l’antisémitisme entre ceux qui sont antisémites et antisionistes et ceux qui sont antisémites mais non antisionistes, par exemple ? Est-ce que cela fait une différence pour les juifs ?
JH : Personnellement, je ne crois pas que les juifs établissent ni aient à établir une hiérarchie des antisémitismes, contrairement à ce qu’une partie de la gauche semble penser et qui pose vraiment problème. Plutôt que de déclarer que l’antisémitisme existe également chez eux mais est plus dangereux de l’autre côté, les responsables de gauche devraient simplement reconnaître que l’antisémitisme est très préoccupant en France et qu’il doit être combattu sans distinction. Les juifs ne tombent pas dans le piège de classer les antisémitismes. Le véritable problème n’est pas de considérer qu’il y a une extrême droite qui demeure antisémite mais non antisioniste ; c’est plutôt de constater qu’il y a une extrême droite qui nie l’antisémitisme tout en ignorant la question du racisme. En réalité, c’est cette position qui les conduit à cela, car ils sont capables de dire : « Avant tout, nous devons nous protéger, peu importe ce qui arrive aux autres ». Ainsi, ils contribuent à marginaliser une identité juive qui est intégrée dans la République et à la société française.
 
Le RN, qui exploite toujours la notion de sécurité contre celles d’égalité et de liberté, a réussi à convaincre certains juifs que renoncer à la liberté et à l’égalité pour garantir leur sécurité est une bonne solution.
 
JH : Je rappelle que Jean-Marie Le Pen lui-même a voulu jouer avec cela, sans succès, dans les années 70 et au début des années 80, avant sa phrase sur le point de détail, qui a stoppé net sa stratégie. Avant, il a fait dire à des pseudo-associations juives : « Non, le véritable antisémitisme, il n’est pas chez nous. Celui qui est très dangereux, c’est l’antisémitisme d’État. Et aujourd’hui, où est-ce qu’il y a un antisémitisme d’État ? En Union soviétique ». Le véritable antisémitisme… Quand on entend ce vocable, il y a un problème. Encore une fois, on désigne ailleurs pour venir dédouaner les siens. Ça ne pouvait pas marcher avec Jean-Marie Le Pen. Mais avec Marine Le Pen, ça marche mieux. Jean-Marie Le Pen avait pourtant été choisi pour des raisons similaires. Il a été le premier président du Front national parce que, contrairement à tous les autres cofondateurs du Parti, c’était le seul qui n’avait pas passé trop de temps actif pendant la Seconde Guerre mondiale. Il fallait un visage neuf…
 
EP : Les juifs de France ont développé peu à peu un sentiment d’assiègement, vérifié dans la pratique politique. Comment ont-ils tenté de se protéger ?
JW : Au début des années 2000, lors de la deuxième intifada, la communauté juive avait l’impression que la majorité des médias français étaient favorables aux Palestiniens. Au motif exemple, que les médias comptabilisaient les kamikazes parmi les victimes. Dans cette période, beaucoup se sont tournés vers des médias juifs : radios, sites Internet, journaux, etc. À l’époque, je travaillais pour une radio juive et je préparais également un livre sur la période. Je me souviens de ce panneau dans la radio, qui contenait un lexique destiné aux journalistes remplaçants, souvent peu familiers avec la géopolitique du Proche-Orient. On y proposait par exemple de remplacer des termes comme « colons » dans les dépêches d’agence par « habitants des implantations » et « Cisjordanie » par « Judée-Samarie ». Ce lexique visait à ne pas heurter les auditeurs, conscients que le combat passait aussi par le choix des mots. Finalement, pour entendre une voix qui ne semblait pas anti-israélienne, on se tournait vers des médias juifs.
 
Aujourd’hui, c’est le même phénomène, de manière exponentielle, sur les réseaux sociaux. On recherche des informations qui confirment nos opinions. Nous nous sommes retrouvés à consulter des médias qui, sans le vouloir, nous isolent progressivement. Les radios où je travaillais, par exemple, n’avaient pas cette intention, mais nous nous sommes retrouvés, en termes d’information et de manière de nous informer, quelque peu en retrait du débat public national : un accident sur l’autoroute en Tel Aviv et Jérusalem passait avant les grands débats de la société française ! Mais ce phénomène n’est pas réservé à la communauté juive, on l’observe dans tous les milieux !
 
Il faut se battre pour la seule chose qui a fait venir les juifs en France et les a fait y rester : l’Universel et la République. Un juif en France se bat pour la République Universelle, et s’il pense que c’est perdu, alors autant faire ses valises.
 
Ce que disent des amis juifs, c’est : « Si Éric Zemmour est élu, peut-être que je ferai mon aliyah. Si Jean-Luc Mélenchon est élu, peut-être que je ferai mon aliyah ». Est-ce que c’est la bonne réponse ? Je ne sais pas. Mais cela exprime cet épuisement face à un débat public de plus en plus polarisé… De la même manière, aujourd’hui, de nombreuses connaissances juives de gauche me disent : « Depuis le 7 octobre, je ne regarde plus que CNews parce que c’est la seule chaîne qui n’est pas anti-israélienne ». Cela conduit à se retirer du débat public, à ne plus consulter les journaux mainstream…Et Cnews est un des chevaux de Troie de l’extrême droite pour infiltrer leurs idées dans la communauté juive. L’extrême droite n’est pas bête. Elle voit comment l’islamisme a ciblé les juifs, jusque sur le territoire français. Ils ne soutiennent pas les juifs par sincérité, mais par opportunité. Il ne faut pas flancher.
 
Mais les juifs ne sont pas naïfs, ils savent que le Rassemblement national a été fondé par des anciens nazis. Nous avons tous été éduqués dans nos histoires familiales personnelles à reconnaître cela. Si quelques-uns glissent un bulletin RN dans l’urne, ça n’est pas par adoration du IIIe Reich, mais parce que la République est impuissante à les protéger et que des figures majeures à gauche ont failli.
 
Mais Bardella, c’est un retour au statut de dhimmis pour les juifs ! Les juifs qui ne feront pas de vagues pourront continuer à vivre normalement. Mais ceux qui s’opposeront au pouvoir seront désignés à la vindicte populaire au travers de leur identité juive ! C’est déjà ce qui se passe sur les réseaux ou des armées de trolls d’extrême droite attaquent des personnalités de gauche uniquement sur leur identité juive.
 
Il faut se battre pour la seule chose qui a fait venir les juifs en France et les a fait y rester : l’Universel et la République. La première chose que les juifs de France veulent entendre, c’est parler de République, de fraternité. Ce qui a attiré leurs aïeux en France, c’était la République.
 
Il y a une ambiguïté chez nombre d’intellectuels juifs en France aujourd’hui. Comme s’ils avaient mis de côté la leçon de base du sionisme politique, qui pose que l’antisémitisme en Europe et dans le monde, c’est une constante. L’antisémitisme peut monter, il peut descendre, on peut un peu le tasser, mais c’est une constante. Ceci posé, face au pic d’antisémitisme, il n’y a que deux options. Ou bien ils en tirent la conclusion sioniste, et ils font leur alyah. Ou bien ils restent en France et ils se battent pour la seule chose qui peut protéger les juifs de France, c’est-à-dire la République et ses valeurs, qui ne sont pas compatibles avec l’extrême droite. Autrement dit, un juif en France se bat pour la République Universelle, et s’il pense que c’est perdu, alors autant faire ses valises. L’accommodement au RN, c’est participer à la fragilisation de la République, sans en tirer les conclusions nécessaires.
 
 
 
EP : A l’entre-deux tours, nous avons vu apparaître sur Internet un site appelé « Bloquons-les », qui dresse une liste de candidats, principalement du RN et certains de LFI, qui sont jugés problématiques pour leurs positions antisémites, racistes, antirépublicaines, ou autres. Ce site répond à une demande d’un public qui a du mal à synthétiser et partager des informations concises sur l’antisémitisme en politique : « Donnez-nous un centre de ressources, donnez-nous un répertoire », demandent-ils aux médias. Et cela s’appelle « Bloquons-les ». Est-ce que le journalisme et les enquêtes n’ont pas répondu suffisamment à la demande et à la nécessité d’informations sur la part réellement raciste et antisémite, qui subsiste de manière non-résiduelle à l’extrême droite, notamment ?
JH : Il est certain que la réponse à ce niveau n’a pas été suffisante. Mais la bataille culturelle ne se mène pas que par la documentation sur des propos tenus par les uns et les autres. Elle se mène sur le terrain des idées : quel projet est proposé, dans quelle histoire, dans quelle filiation idéologique, politique… ? C’est aussi comme si les électeurs ne voulaient pas se poser ces questions-là, ne pas réfléchir à ce qu’on leur propose collectivement. D’où ces réponses qui n’en passent que par des cas individuels ou leur addition. C’est très important d’identifier toutes ces personnes-là, mais ils appartiennent à des groupes politiques, des projets. Il faut pouvoir identifier ce qu’il y a dans le discours qui entraîne une haine de l’autre, de l’altérité, qui entraîne une haine de tout ce qui ne viendrait pas servir l’homogénéisation, qui est le projet de l’extrême droite. La République laisse la place à chacun avec sa différence. Ne croyons pas que le seul fait de dire qui sont les racistes, qui sont les antisémites, pourra permettre aux juifs comme aux non-juifs d’ouvrir les yeux sur la dangerosité de l’extrême droite.
 
JW : On passe du barrage républicain à la cancel culture menée par un minorité religieuse avec quelques alliés. En réalité, ce qui nous rendra plus fort, c’est une République forte, et la mobilisation contre les discriminations. Après, je respecte complètement le combat de gens qui ne vont pas lâcher d’une semelle des gens qui ont tenu des propos antisémites, parce que, si le boulot n’est pas fait par la République, il faut le faire malgré tout.
 
EP : Cela peut aussi être vu comme une manière de vouloir reprendre la main car, au football politique, les juifs sont décidément, depuis un moment, la balle.
JH : Sur « Bloquons-les », un autre élément qui me semble peut-être intéressant, c’est que malgré tout, dans le climat ambiant, les juifs ne cessent de se dire : « On en a marre d’être considérés comme des objets et instrumentalisés dans le combat politique ». Et si on parle beaucoup de ceux qui ont été sensibles à l’extrême droite, il y en a quand même de nombreux qui disent ne pas supporter ni la manière dont l’extrême droite tente de les récupérer, ni le comportement de la gauche, qui les a abandonnés, et passe son temps à essayer de se justifier. Ils veulent se sentir acteurs de cette échéance électorale et « Bloquons-les » vient leur proposer d’être dans un lieu d’action. En relayant ça, ils font à la fois partie d’un lieu d’information et d’action. Ils relaient quelque chose qui va entraîner une action directe. Ce n’est pas une simple enquête d’investigation que l’on partage, c’est un mode d’action.
 
Propos recueillis par Elie Petit
 
Jonathan Hayoun est documentariste et essayiste. Il a notamment réalisé la série documentaire « Histoire de l’antisémitisme » sur Arte et « Sauver Auschwitz ? » (Arte-Effervescence). Il est le co-auteur, avec Judith Cohen Solal, de plusieurs livres dont ‘La main du diable : Comment l’extrême droite a voulu séduire les juifs de France’ (Grasset), ‘Les adieux au General’ (Robert Laffont) et ‘Zemmour et nous. Comment un homme éduqué dans les écoles juives peut-il porter le discours de l’extrême droite ?’ ( Bouquins)
 
Johan Weisz est journaliste et fondateur du média en ligne StreetPress, engagé contre l’extrême droite. Auparavant il a cosigné l’ouvrage OPA sur les Juifs de France, enquête sur un exode programmé (Grasset, 2006)

 
https://www.tribunejuive.info/2015/08/26/lhistoire-des-juifs-en-corse/
L'histoire des juifs en Corse
L’histoire des Juifs en Corse remonte à plusieurs centaines d’années. Les premières traces d’une présence juive dans l’ile se situent aux alentours de l’an 800.
A cette époque, une importante immigration venue d’Egypte s’est installée dans le Sud de la Corse ; une grande partie de ces femmes et hommes juifs parlaient et écrivaient l’hébreu. La majorité d’entre eux s’est implantée à proximité d’un village dénommé Levie (la bien nommée), situe à l’intérieur des terres à 20 km environ de Porto-Vecchio. Par la suite, les membres de la communauté se sont dispersés un peu partout dans l’ile en devenant partie intégrante de la population autochtone et dans certains villages de montagne, des églises gardent encore la trace de documents rédigés en hébreu à côté de ceux rédigés en latin. Bien des siècles plus tard, dans les années 1500-1530, environ 1000 Juifs de la région de Naples trouvèrent refuge en Corse, fuyant très certainement une persécution locale, et ils s’installèrent dans les régions montagneuses du centre de l’ile. En l’an 1684, la ville de Padoue, située en Italie, qui était peuplée en grande partie par des Juifs qui habitaient un ghetto édifié en 1516, fut le théâtre de violences dirigées contre ses citoyens juifs, dont une partie faillit se faire lyncher. Une rumeur malveillante selon laquelle leurs coreligionnaires de Buda, avaient commis des actes de cruauté contre les Chrétiens de la ville hongroise, déclencha cette flambée de brutalité dirigée contre la communauté juive de la ville. C’est grâce à l’intervention d’un père Franciscain nomme Père Marco qui écrivit une lettre afin de dénoncer cette mystification, que la communauté juive échappa au massacre annoncé. Une grande partie de la communauté juive de Padoue décida à la suite de ces événements d’émigrer sous d’autres cieux plus cléments. Certains arrivèrent en Corse, et les habitants les nommèrent Padovani, ce qui signifie : venu de Padoue. Le nom de famille Padovani est un nom très répandu de nos jours en Corse.

Les Rois de France expulsent les Juifs, les Corses les invitent pour régénérer l’ile

Mais la plus importante vague d’immigration juive qu’ait connue la Corse se situe entre les années 1750 et 1769. La première république constitutionnelle et démocratique d’Europe venant de naitre, le leader de l’époque Pascal Paoli fit venir en Corse entre 5000 et 10000 Juifs du nord de l’Italie, (les chiffres varient selon les sources) de Milan, de Turin ainsi que de Gènes pour revitaliser l’ile suite à 400 ans d’occupation génoise. Afin de les rassurer sur leur intégration et sur la volonté du peuple corse de les considérer comme leurs égaux, ce même Paoli fit une déclaration destinée aux nouveaux venus : “Les Juifs ont les mêmes droits que les Corses puisqu’ils partagent le même sort”. Cela fit comprendre aux Juifs qu’ils étaient des citoyens à part entière et qu’ils bénéficiaient d’une totale liberté de culte, ce qui n’était pas le cas dans bon nombre de pays.

En réalité, c’est plus de 25% de la
population corse qui aurait des origines juives.

Ces immigrants portaient pour la plupart des noms à consonance ashkénaze, qui étaient très difficilement prononçables par la population locale. Une partie d’entre eux étant roux, ils se virent affubles du surnom de Rossu qui signifie rouge et désigne les rouquins ce qui donne au pluriel Rossi, nom extrêmement répandu en Corse. En réalité, c’est plus de 25% de la population corse qui aurait des origines juives. En lisant les états civils, on peut facilement s’en rendre compte : les noms tels que Giacobbi, Zuccarelli, Costantini, Simeoni… très communs dans l’ile de Beauté, ne laissent planer aucun doute quant à leur origine.

Le nombre peu important des membres de la communauté juive, ajoute au fait que les Corses n’ont fait aucune différence entre les originaires de l’ile et ces nouveaux venus, est très certainement à l’origine d’un grand nombre de mariages mixtes qui déclenchèrent une assimilation quasi-totale. Malgré cela, les signes sur l’ile de beauté d’une ancienne présence juive y sont très nombreux ; un exemple probant en est le nom d’un village Cazalabriva qui selon plusieurs sources concordantes viendrait de: casa di l’ebreo, littéralement la maison de l’hébreu (le mot juif n’existant pas en Corse). Ou bien encore, de nos jours dans certaines régions, il subsiste une tradition très ancienne de donner aux nouveau-nés des prénoms d’origine hébraïque tel que Mouse (Moise) etc. …

Plus proche de nous, durant la seconde guerre mondiale, alors que la Corse était occupée par les fascistes italiens, les habitants de l’ile se mobilisèrent pour aider les Juifs à se cacher. Avec les moyens du bord, ils aidèrent hommes, femmes et enfants à se refugier dans les villages de montagne. Un haut fonctionnaire français accomplit un travail admirable et, au mépris de sa vie, sauva à lui seul, plusieurs dizaines de Juifs. Il s’agit du sous préfet de Sartène Pierre-Joseph Jean Jacques Ravail. Il travaillait avec le réseau mis en place par les partisans de Paul Giacobbi, grand père de l’actuel préfet de Haute-Corse qui refusait d’opter pour la voie de la collaboration.

La Corse apporta sa contribution à la création de l’Etat d’Israël.

La Corse eut donc une attitude plus qu’honorable envers les Juifs persécutés, et pas seulement pendant la Seconde guerre mondiale. En effet, c’est le seul endroit en Europe ou l’on n’eut jamais à déplorer des actes antisémites, et cela mérite d’être dit. En 1947, la Corse apporta sa contribution à la création de l’Etat d’Israël. Des Corses d’alors décidèrent de secourir les combattants juifs luttant pour leur indépendance et pour former leur Etat. Leur mission: accueillir des avions qui vont être bourrés d’armes pour s’envoler vers des lieux gardés par la Haganah. Ajaccio est alors choisie comme piste d’atterrissage. Des hommes, parmi eux des policiers mais aussi des voyous, rendent visite au préfet de l’époque; il a pour nom … Maurice Papon.
L’homme a un passé confus, trois Corses lui expliquent que l’aéroport d’Ajaccio sera réservé à ces transports d’armes. Les Corses bénéficient de l’accord du gouvernement socialiste qui ne peut agir ouvertement. Maurice Papon ferme donc les yeux et il laissera filer parait-il le bébé. Les armes transiteront par la Corse pour s’évaporer vers le futur Etat juif. Il ne faut pas oublier de souligner qu’hormis toutes les vagues d’immigration juive qu’ait pu connaitre la Corse, des individus isolés sont venus s’y installer, provenant notamment des communautés juives d’Afrique du nord.
De nos jours, la communauté juive de l’ile, très peu nombreuse, se concentre essentiellement à Bastia. Son président Mr Ninio, natif de Tibériade, ouvre deux fois dans l’année la synagogue qui possède deux Rouleaux de la Torah en parfait état: pour Roch Hachana, le jour de l’an Juif et Yom Kipour. Les jeunes, pour la plupart, quittent l’ile pour aller étudier sur le continent et bien souvent ils y rencontrent leur moitié et s’y installent définitivement. Il existe en Corse de très nombreuses personnes soutenant l’Etat d’Israël dans la période difficile qu’il traverse actuellement.
Parmi ces amis d’Israël, certains sont allés jusqu’a écrire des missives au président français Jaques Chirac, à la Haute Cour internationale de La Haye ainsi qu’aux medias français, afin de dénoncer la politique européenne et française, en particulier, toujours pro palestinienne. Ce soutien inconditionnel s’explique en partie par le fait que beaucoup de corses ont le sentiment qu’il y a un gouffre entre ce qui se passe réellement et ce qui se dit dans les medias Français au sujet de ces deux communautés.
Du reste, une association Corse – Israël s’est créée afin de rapprocher les deux communautés et de développer le dialogue entre elles.
http://www.harissa.com/news/article/lhistoire-des-juifs-en-corse
https://cclj.be/article/le-renouveau-juif-en-corse/1

Le renouveau juif en Corse
Laurent-David Samama
C’est une histoire aussi longue que méconnue remontant à l’an 800. Fuyant les persécutions, un contingent de Juifs moyen-orientaux erre en Méditerranée, avant de trouver finalement refuge en Corse. Parlant et écrivant l’hébreu, cet ersatz de tribu égaré se dirige en premier lieu vers la région dite de l’Alta Rocca, près de la ville de Sartène.
Elle y achèvera finalement son parcours, dans un petit village curieusement appelé Levie (prononcez « Lévi »), 728 habitants au dernier recensement. « Entre l’an 800 et le 18e siècle », explique un article publié récemment dans Corse Matin, « c’est par dizaines de milliers que les Juifs auraient trouvé refuge dans l’intérieur des terres, fuyant les persécutions dont ils ont été victimes aux quatre coins de la Méditerranée ». Au fil des siècles, au gré des irruptions de violences et autres pogroms, des milliers de coreligionnaires suivront les primo-arrivants de Levie.

Issus de la Naples voisine ou du ghetto de Padoue, l’arrivée de ces néo-Corses fut d’autant mieux admise et même encouragée qu’elle fut perçue comme un moyen de redynamiser la vie locale. Difficile, néanmoins, d’évaluer avec précision l’empreinte juive sur l’île de Beauté.

Alors même que des patronymes corses très courants (Padovani, Giacobbi, Simeoni) semblent tout droit tirés du répertoire israélite, les historiens bataillent toujours sur la question de l’origine chrétienne ou juive de ces noms de famille. Une question complexe et relativement neuve au regard de la longue histoire juive de l’île. L’historien Antoine-Marie Graziani date ce regain d’intérêt « à une trentaine d’années tout au plus ».
C’est à la faveur d’un message posté sur les réseaux sociaux que cette histoire complexe a resurgi. Le 16 janvier dernier, Antoine Albertini, rédacteur en chef à Corse Matin, évoque sur Twitter les violences antisémites en Seine-Saint-Denis, un cauchemar récurrent qui pousse un nombre croissant de familles juives à quitter le département. Il écrit : « RAPPEL. Amis juifs, vous quittez l’Ile-de-France ? Venez dans l’île de Corse : tout le monde vous foutra la paix (cf. Seconde Guerre mondiale) ». Sur la toile, des dizaines d’exhortations semblables existent. Toutes s’enorgueillissent du noble passé résistant de l’île. Sous le régime de Vichy, tandis que toute l’administration métropolitaine collabora, les autorités locales corses refusèrent de livrer leurs Juifs. Grâce à de faux rapports départementaux et préfectoraux remis aux nazis, des milliers d’israélites furent ainsi sauvés d’une mort certaine. Un passé que la population autochtone se réapproprie désormais avec force, alors que l’antisémitisme resurgit sur le territoire national.

Autre signe, et pas des moindres : l’arrivée d’un jeune rabbin, Levi Pinson, sur l’île. Ce dernier explique : « La Corse n’avait plus de rabbin jusqu’à mon arrivée fin 2016. J’officie à Ajaccio et quand il y a besoin, je vais aussi dans d’autres villes pour des événements ou des cérémonies. C’est important pour les prières rituelles, les enterrements ou des cérémonies plus joyeuses. Le fait qu’il y ait un rabbin dépanne pas mal de personnes ».
Le début d’un renouveau ? 
https://www.corsenetinfos.corsica/Terra-Prumessa-l-epopee-des-familles-juives-en-Corse-un-recit-de-Steve-Coulom_a76179.html
corsenetinfos.corsica/Terra-Prumessa-l-epopee-des-familles-juives-en-Corse-un-recit-de-Steve-Coulom_a76179.html
https://www.jforum.fr/les-juifs-de-corse-une-histoire-si-meconnue.html
Les juifs de Corse: une histoire méconnue
23 août 2016
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© FTVIASTELLA L’une des rares affiches brandies à Bastia en soutien aux Juifs, lors de la manifestation Charlie Hebdo, le 11 janvier
Les premières traces d’une présence juive dans l’île de Beauté  remontent aux alentours de l’an 800.  A cette époque, une importante immigration venue d’Egypte s’est installée dans le Sud de la Corse ; une grande partie de ces femmes et hommes juifs parlaient et écrivaient l’hébreu. La majorité d’entre eux s’est implantée à proximité d’un village dénommé Levie (la bien nommée), situe à l’intérieur des terres à 20 km environ de Porto-Vecchio.
Par la suite, les membres de la communauté se sont dispersés un peu partout dans l’île en devenant partie intégrante de la population autochtone et dans certains villages de montagne, des églises gardent encore la trace de documents rédigés en hébreu à côté de ceux rédigés en latin.
Bien des siècles plus tard, dans les années 1500-1530, environ 1000 Juifs de la région de Naples trouvèrent refuge en Corse, fuyant très certainement une persécution locale, et ils s’installèrent dans les régions montagneuses du centre de l’île.
En l’an 1684, la ville de Padoue, située en Italie, qui était peuplée en grande partie par des Juifs qui habitaient un ghetto édifié en 1516, fut le théâtre de violences dirigées contre ses citoyens juifs, dont une partie faillit se faire lyncher. Une rumeur malveillante selon laquelle leurs coreligionnaires de Buda, avaient commis des actes de cruauté contre les Chrétiens de la ville hongroise, déclencha cette flambée de brutalité dirigée contre la communauté juive de la ville.
C’est grâce à l’intervention d’un père franciscain nomme Père Marco qui écrivit une lettre afin de dénoncer cette mystification, que la communauté juive échappa au massacre annoncé.
Une grande partie de la communauté juive de Padoue décida à la suite de ces événements d’émigrer sous d’autres cieux plus cléments. Certains arrivèrent en Corse, et les habitants les nommèrent Padovani, ce qui signifie : venu de Padoue. Le nom de famille Padovani est un nom très répandu de nos jours en Corse.
Les Rois de France expulsent les Juifs, les Corses les invitent pour régénérer l’île
Mais la plus importante vague d’immigration juive qu’ait connue la Corse se situe entre les années 1750 et 1769.
La première république constitutionnelle et démocratique d’Europe venant de naître, le leader de l’époque Pascal Paoli fit venir en Corse entre 5000 et 10000 Juifs du nord de l’Italie, (les chiffres varient selon les sources) de Milan, de Turin ainsi que de Gènes pour revitaliser l’île suite à 400 ans d’occupation génoise.
Afin de les rassurer sur leur intégration et sur la volonté du peuple corse de les considérer comme leurs égaux, ce même Paoli fit une déclaration destinée aux nouveaux venus : « Les Juifs ont les mêmes droits que les Corses puisqu’ils partagent le même sort ».
Cela fit comprendre aux Juifs qu’ils étaient des citoyens à part entière et qu’ils bénéficiaient d’une totale liberté de culte, ce qui n’était pas le cas dans bon nombre de pays.
Ces immigrants portaient pour la plupart des noms à consonance ashkénaze, qui étaient très difficilement prononçables par la population locale. Une partie d’entre eux étant roux, ils se virent affubles du surnom de Rossu qui signifie rouge et désigne les rouquins ce qui donne au pluriel Rossi, nom extrêmement répandu en Corse.
En réalité, c’est plus de 25% de la population corse qui aurait des origines juives. En lisant les états civils, on peut facilement s’en rendre compte : les noms tels que Giacobbi, Zuccarelli, Costantini, Simeoni… très communs dans l’ile de Beauté, ne laissent planer aucun doute quant à leur origine.
Le nombre peu important des membres de la communauté juive, ajoute au fait que les Corses n’ont fait aucune différence entre les originaires de l’île et ces nouveaux venus, est très certainement à l’origine d’un grand nombre de mariages mixtes qui déclenchèrent une assimilation quasi-totale.
 Malgré cela, les signes sur l’île de beauté d’une ancienne présence juive y sont très nombreux ; un exemple probant en est le nom d’un village Cazalabriva qui selon plusieurs sources concordantes viendrait de: casa di l’ebreo, littéralement la maison de l’hébreu (le mot juif n’existant pas en Corse). Ou bien encore, de nos jours dans certaines régions, il subsiste une tradition très ancienne de donner aux nouveau-nés des prénoms d’origine hébraïque tel que Mouse (Moise).
Quand la Première Guerre mondiale éclate, la Syrie et la Palestine deviennent un enjeu entre puissances occidentales : Ottomans alliés aux Allemands contre Français, Anglais et leurs alliés arabes de l’autre. Il faut choisir entre être Turcs ou rester marocains alors sous protectorat français. A l’été 1915, 740 juifs marocains et Algériens (colonie française) sont évacués par les Américains mandatés par des juifs sionistes et philanthropes américains. A nouveau la valise.
Ils laissent tout sur place et sont parqués par les Turcs dans les ports de Beyrouth et Jaffa pour être expulsés. Des bateaux américains les embarquent à Jaffa (-voir ci dessous)
 
Jaffa
On erre en Méditerranée à la recherche d’un lieu où débarquer. L’Egypte, Chypre, refusent ces loqueteux. La Canée en Crète les accepte, un immense camp de réfugiés pour 6 mois. Le papa de Guy et Benny Sabbagh à deux ans et demi. Leur grand-père Tolédano est scandalisé… les juifs en grand habit oriental jusqu’aux pieds se baissent devant tout le monde, embrassent les mains… un Tolédano, un prince de Meknès dont la famille est partie en 1870 de la ville la plus religieuse du Maroc ne se comporte pas ainsi !
Le délégué de l’Alliance venu de Salonique fustige leurs « accoutrements ». Il demande que tout le monde s’habille à l’occidentale avec costume et chapeau. Il donne même des primes aux tailleurs pour ce faire ! On se cotise et on achète du tissu et les tailleurs du camp découpent de beaux habits comme à Paris.
Mais en septembre 1915 les autorités grecques décident de supprimer l’autorisation de résidence des citoyens ou protégés français en Crète. Adieu la Crète !
Ajaccio
Heureusement Dieu veille et l’Alliance israélite universelle le précède ! Où caser tous ces immigrés  « français »? Mais bien sûr ! Dans la Corse qui se dépeuple ! Direction Ajaccio. La marine française les débarque à Ajaccio. Il y a là aussi quelques serbes (photo)
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Des réfugiés ? Des pourchassés ? La solidarité Corse s’organise comme un seul homme. Les dames du monde ajaccien (photo ci dessous) autour de Mme Henry, l’épouse du préfet rivalisent pour aider ces miséreux. Un grand élan populaire vient au secours de ces 740 démunis, des « Syriens », qui ne parlent que l’arabe et l’hébreu. Elles se dévouent, cousent des habits pour eux (photo, remarquez l’habit oriental à gauche). Fait marquant : on peut lire sur les bulletin de paie des instituteurs que ceux-ci ont versé une partie de celle-ci pour payer le tissus qui permet de réaliser des habits européens pour les « syriens » !
Enfants réfugiés juifs à Ajaccio en 1916
Enfants réfugiés juifs à Ajaccio en 1916
Une cinquantaine de familles, 180 personnes, sont transférées à Bastia en février 1916. L’île est très pauvre mais la foule accueille de manière enthousiaste les « réfugiés syriens » ! Celui qui ne connait pas la générosité corse n’a jamais rencontré un homme !
Après la première guerre mondiale, la paix retrouvée, en 1920, une partie de la communauté repart en Eretz Israël. Mais là bas c’est la misère, certains reviennent en Corse.
Certains juifs de Bastia ou de la liste d’arrivée en Corse à Ajaccio, comme les corses de la diaspora, auront bientôt des noms réputés. Ainsi Moïse Jacob Toledano  (44 ans, voir 5 ème ligne sur la liste ci-dessous) qui s’occupe des études juives à Ajaccio et qui vit en Corse jusqu’en 1920. Il deviendra Ministre des Affaires Religieuses dans le gouvernement Ben-Gourion de 1958 à sa mort en 1960, pars avoir été le rabbin en chef à Tanger en 1926 puis Dayan d’Alexandrie en Egypte, voyageant en Syrie et en Irak à la recherche d’anciens manuscrits. Léon Tolédano le frère du rabbin Tolédano, lui, deviendra milliardaire en dollars ! après avoir construit le quartier Toldéano à Bastia il va devenir milliardaire au Mexique et aux Etats-Unis… il construit la moitié de la Nouvelle Orléans… puis en Israël.
Durant la Seconde guerre mondiale, alors que la Corse était occupée par les fascistes italiens, les habitants de l’île se mobilisèrent pour aider les Juifs à se cacher.  Avec les moyens du bord, ils aidèrent hommes, femmes et enfants à se réfugier dans les villages de montagne.
Un haut fonctionnaire français accomplit un travail admirable et, au mépris de sa vie, sauva à lui seul, plusieurs dizaines de Juifs. Il s’agit du sous préfet de Sartène Pierre-Joseph Jean Jacques Ravail. Il travaillait avec le réseau mis en place par les partisans de Paul Giacobbi, grand père de l’actuel préfet de Haute-Corse qui refusait d’opter pour la voie de la collaboration.
La Corse a eu une attitude plus qu’honorable envers les Juifs persécutés. En effet, c’est le seul endroit en Europe ou l’on n’eut jamais à déplorer des actes antisémites. Cependant la réalité est à nuancer: La Corse île Juste ? Un excès d’honneur selon Yad Vashem
En 1947, la Corse apporta sa contribution à la création de l’Etat d’Israël. Des Corses d’alors décidèrent de secourir les combattants juifs luttant pour leur indépendance et pour former leur Etat. Leur mission: accueillir des avions qui vont être bourrés d’armes pour s’envoler vers des lieux gardés par la Haganah. Ajaccio est alors choisie comme piste d’atterrissage.
Il ne faut pas oublier de souligner qu’hormis toutes les vagues d’immigration juive qu’ait pu connaitre la Corse, des individus isolés sont venus s’y installer, provenant notamment des communautés juives d’Afrique du nord
De nos jours, la communauté juive de l’île, très peu nombreuse, se concentre essentiellement à Bastia. Son président Mr Ninio, natif de Tibériade, ouvre deux fois dans l’année la synagogue qui possède deux Rouleaux de la Torah en parfait état: pour Roch Hachana, le jour de l’an Juif et Yom Kipour.
Les jeunes, pour la plupart, quittent l’ile pour aller étudier sur le continent et bien souvent ils y rencontrent leur moitié et s’y installent définitivement. Il existe en Corse de très nombreuses personnes soutenant l’Etat d’Israël dans la période difficile qu’il traverse actuellement
. Parmi ces amis d’Israël, certains sont allés jusqu’à écrire des missives au président français Jaques Chirac, à la Haute Cour internationale de La Haye ainsi qu’aux médias français, afin de dénoncer la politique européenne et française, en particulier, toujours pro palestinienne.
Ce soutien inconditionnel s’explique en partie par le fait que beaucoup de Corses ont le sentiment qu’il y a un gouffre entre ce qui se passe réellement et ce qui se dit dans les médias Français au sujet de ces deux communautés.
En Corse, la petite communauté juive, estimée à moins d’une centaine de personnes, ne ressent pas cette insécurité qui pourrait la pousser à quitter l’île.

La petite communauté juive de Corse ne se sent pas menacée
Debora Bardini, ajaccienne de confession israélite; Daniel Bueno, bastiais de confession israélite; Nicolas Antonelli, président de l’association Corse-Israël. EQUIPE: Caroline Ferrer, Thierry Guespin, Dominique Lameta
« On vit en Corse, on est bien (…) Chacun pratique son culte personnellement, il n’y a pas besoin de l’étaler dans la rue », explique Debora Bardini, ajaccienne de confession israélite. « Si un jour je me sens en danger, (…) et j’espère que cela n’arrivera jamais, je partirais là-bas », ajoute-t-elle.
Cette émigration vers Israël est très marginale en Corse. « Les derniers qui sont partis sont des retraités », explique Daniel Bueno, bastiais de confession israélite. « Ils veulent y vivre pour retrouver leurs parents, leurs amis, mais ils n’avaient aucune raison de partir ».
« Je pense qu’en Corse, ce sont des démarches plus ou moins individuelles. Il n’y a pas pour l’instant, grâce à Dieu, de menaces qui visent la communauté juive », ajoute Nicolas Antonelli, président de l’association Corse Israël.
L’association Corse Israël, œuvre depuis une dizaine d’années pour le développement des relations entre la Corse et l’état d’Israël avec notamment la mise en place de jumelage entre les villes.
Source 1   extrait didier.long
Une très bonne nouvelle, en septembre aura lieu à Bastia. L’initiative des expositions à Bastia et à Montpellier sur les Juifs de  en Corse pendant la Première Guerre mondiale a été réalisée par la joyeuse équipe du Centre Fleg de Marseille dirigée par Martine Yana.
« Juifs réfugiés en Corse pendant la Première Guerre mondiale »
Affiche
La Mairie de Bastia, en la personne de M. de Philippe PERETTI, adjoint au Maire, Délégué à la valorisation du Patrimoine , a donné son accord pour cette exposition, qui retrace une partie de l’histoire de l’île et de Bastia où la communauté juive est encore présente. La communauté israélite de Bastia et des juifs de la « diaspora » corse (Guy et Benny Sabbagh) participent à cette exposition. La Maison de la Corse à Marseille a donné un sérieux coup de main.
Cette exposition montre, s’il le fallait, les liens profonds entre les peuples Corse et Juif. Comment, en 1915, sont arrivée à Ajaccio 740 juifs syriens, vêtus à l’oriental, dont une partie a rejoint Bastia. Ces « syriens » juifs en fuite, chassés par les Turcs en Terre d’Israël à Tibériade, expulsés par les grecs de la Canée en Crète où ils avaient trouvé refuge au bout de 6 mois , ont été accueillis avec sollicitude par les Corse à Ajaccio puis à Bastia.
On remarque d’émouvants témoignages de la solidarité et de l’hospitalité corse qui n’ont rien de « légendaires ». Comme ces fiches de paie des instituteurs d’Ajaccio qui ont pris sur leurs salaires pour vêtir des enfants, des femmes et des hommes. Ces femmes et ces hommes ont immédiatement créé une école pour les enfants (photo), appris la langue Corse en plus du judéo-arabe et de l’hébreu !… En un an ils s’étaient tous trouvé un travail, et se sont fondus dans la population. Juifs et Corses à la fois.
Tout cela n’était que la préfiguration du fait bien connu que la Corse, pendant la seconde guerre mondiale et c’est le seul département français à avoir agi ainsi, de concert avec le peuple, le préfet de l’époque et les autorités de l’île ont désobéi aux ordres venus de Vichy… et n’ont pas « donné » les juifs promis aux camps, aux nazis. Les « syriens » en vadrouille en méditerranée… étaient alors devenus des « touristes » munis de vrais faux-papiers !
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La femme du préfet et les dames de la société ajaccienne offrant des habits aux réfugiés « syriens », à gauche un rabbin en habit oriental
article de journal de l'époque montrant la descente du bateau des "syriens"
Le départ en 1920 d'une partie des "syriens" vers la terre d'Israël
Les "syriens" à Ajaccio et quelques serbes
La liste des réfugiés, on y remarque Jacàb-Moïse Tolédano, futur ministre des affaires religieuses du gouvernement Ben Gourion
L'école des enfants "syriens" à Ajaccio

 


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