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Crise migratoire : la voie de la raison

La Tribune de Bernard Cazeneuve


Franck Martin

Si la grandeur d’une civilisation se mesure à la disposition de ses élites de n’être pas impressionnées par les nombreux défis que le monde leur oppose, la nôtre, de plus en plus inhibée par ses peurs et nostalgique d’un âge d’or fantasmé, peut légitimement s’interroger sur sa capacité à échapper à son déclin.


Je me souviens...

Bernard Cazeneuve publie régulièrement une tribune dans le journal L'Opinion. Voici celle du mois d'octobre
Bernard Cazeneuve publie régulièrement une tribune dans le journal L'Opinion. Voici celle du mois d'octobre

Je me souviens qu’entre 2015 et 2016, lorsque la crise migratoire avait jeté sur les chemins de l’exode plus de deux millions de migrants, le monde entier s’était ému à la découverte d’Aylan, un enfant turc d’à peine 3 ans, échoué sans vie sur une plage. Une indignation juste avait alors saisi les opinions publiques d’Europe, de laquelle un élan de générosité était né. Quelques années plus tard, les effets du rebond de la crise migratoire sur le sol européen engendrent des réactions plus brutales, de protection et de rejet.


Déplorer les effets en renforçant les causes

Or, plutôt que de comprendre un tel renversement et de tenter d’y répondre, les gouvernants confortent ses causes en déplorant leurs effets. Le ministre français de l’Intérieur annonce que notre pays n’accueillera pas les migrants de Lampedusa, tout en précisant qu’elle ne renoncera pas à examiner la situation de ceux qui auraient besoin d’assistance.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avec à ses côtés Giorgia Meloni, signe avec le régime autoritaire de Tunis, à grand renfort d’argent public européen, un accord destiné à protéger l’Union des flux migratoires. Or les traitements dégradants et inhumains subis par les réfugiés soudanais, à Sfax notamment, poussent ces derniers à fuir la Tunisie, après avoir abandonné leur sort aux réseaux criminels de la traite des êtres humains dont ils espèrent un sauf-conduit pour accéder jusqu’à nous.

Division et crispation

Alors que les négociations européennes, initiées depuis des années, peinent à dégager un compromis qui permettrait d’affirmer une ambition commune – ou à défaut quelques objectifs de protection des frontières extérieures de l’Union européenne et de prise en charge des migrants pouvant prétendre au statut de réfugié – le sentiment domine d’une absence totale de maîtrise d’une situation devenue potentiellement explosive.

Dans un tel contexte, les peuples se divisent et se crispent. Certains, de moins en moins nombreux, s’engouffrent dans le sillage du discours du pape à Marseille et blâment le cynisme des dirigeants européens, ainsi que leur manque d’humanité. D’autres, en revanche, pointent l’incurie de politiques publiques désormais incapables d’anticiper et de maîtriser les flux migratoires, résultat de l’impunité dont bénéficieraient les réseaux de passeurs et des secousses qui ébranlent le continent africain où l’action des pays européens – et particulièrement celle de la France – n’évoquerait rien d’autre, y compris lorsqu’elle permit d’éviter au Sahel de sombrer dans le djihadisme, qu’un constat d’échec.

Les mêmes ne manquent pas de souligner l’excessive générosité des législations des pays européens d’accueil, qui feraient « appel d’air ». On pourrait aisément se désoler d’une telle démonstration d’impuissance et se contenter de postures morales, si les seules forces politiques en situation de tirer profit de cet état de fait n’étaient pas les plus populistes, et si leurs propositions n’étaient pas de nature à nous enfermer dans une impasse plus grande encore que celle dont les migrants et nous sommes déjà les victimes.

Coopération avec l'Afrique

À ceux qui présentent la restauration des frontières nationales et la politique du pushback comme la seule façon pour les nations de reprendre la maîtrise de leur politique migratoire, il faut rappeler que seule une détermination européenne plus forte permettra d’endiguer la pression qui s’exerce de nouveau, depuis quelques semaines, sur l’île de Lampedusa. Le renforcement de la coopération entre l’Union européenne et les pays du G5 Sahel est en effet l’un des moyens d’accéder à une plus grande efficacité dans la lutte contre les organisations criminelles internationales à l’origine de la traite des êtres humains, mais aussi de contenir et dissuader une fraude documentaire devenue endémique et dont les plus vulnérables des migrants finissent toujours par faire les frais.

L’approfondissement de la coopération entre les services de police et de renseignement des pays intervenant de part et d’autre de la Méditerranée, doit par ailleurs permettre d’accélérer l’identification, la judiciarisation et le démantèlement des réseaux de passeurs au rôle déterminant dans l’organisation des traversées funestes qui depuis des années transforment notre mer en cimetière.

Enfin les institutions et les pays de l’Union européenne seraient bien inspirés d’engager des politiques résolues de maintien des migrants sur le continent africain et de réinstallation de ces derniers en cas de reconduite à la frontière, dans le cadre de politiques publiques d’aide au développement et d’accompagnement des projets les plus susceptibles de contribuer à l’essor du continent africain. De ce point de vue, le coup d’État intervenu au Niger obèrera sans doute les initiatives qui auraient pu être prises dans ce domaine, en liaison avec certaines organisations non-gouvernementales, à partir d’Agadez.

Chercher la vérité, la dire pour agir

Enfin, l’Union européenne aurait grand tort de ne pas appuyer, en les assumant davantage, les missions qui incombent à Frontex, en matière de contrôle de ses frontières extérieures et dont la bonne exécution n’est en rien contraire aux missions de sauvetage en mer qui incombent à tout navire en cas de risque de naufrage ou de tragédies humanitaires. Dans le même esprit, l’organisation d’une plus grande solidarité entre les pays européens, en vue de l’accueil des migrants susceptibles de bénéficier du statut de réfugiés, suppose leur identification rapide à leur point d’arrivée et la reconduite de ceux qui ne peuvent demeurer sur le territoire européen dans des délais maîtrisés.

À défaut d’une telle politique – et d’une harmonisation des politiques de l’asile à l’échelle communautaire –, il y a fort à parier que le camp des populistes, dont chacun constate en Italie la faiblesse des recettes, continuera à prospérer, au détriment des valeurs promues par les pères fondateurs de l’Europe, de la démocratie et de la tradition d’accueil des persécutés qui est attachée à l’universalisme de son message.

On dira que la position exprimée dans ces lignes n’a pas le simplisme attendu par l’époque et pratiqué par les extrêmes. On peut aussi penser que respecter les citoyens consiste à chercher la vérité et la dire pour agir.

 

Bernard Cazeneuve





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