"La vérité est pareille à l'eau, qui prend la forme du vase qui la contient" (Ibn Khaldoun) /// «La vérité est le point d’équilibre de deux contradictions » (proverbe chinois). /// La vérité se cache au mitan du fleuve de l'info médiatique (JM).
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À L'ASSAUT DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
28 Juillet 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ
La Nouvelle Calédonie est provisoirement sortie de l’actualité française. Nul doute qu’elle y revienne, en raison de l’importance des problèmes que le conflit récent a révélée, ou plutôt rappelée à nos mémoires oublieuses : Une bonne raison pour décrire ici le destin de ce morceau d’Océanie.
Située dans le sud-ouest de l’océan Pacifique, à plus de 16000 kilomètres de la métropole, la Nouvelle-Calédonie est un territoire singulier, par sa longue chaîne montagneuse centrale, par son économie liée à l’importance de l’exploitation minière et par le processus particulier de sa colonisation.
La Nouvelle-Calédonie couvre plus de 18500 kilomètres carrés pour une population de 300000 habitants environ en 2024. Elle est constituée de la Grande Terre (16635 km2, le double de la Corse), qui culmine à 1629 m au mont Panié, prolongée au nord par les îles Belep et au sud par l’île des Pins, l’ensemble étant ceinturé par un récif-barrière entourant un très grand lagon de près de 15000 kilomètres carrés. Plus à l’est, l’archipel des Loyauté (1970 km2) est constitué de quatre îles habitées : Lifou (1139 km2), Maré (655 km2), Ouvéa (165 km2) et Tiga (11 km2). Cet ensemble d’iles génère une zone économique exclusive de 1,7 million de kilomètres carrés, ce qui représente une grande richesse potentielle pour la France
Les premiers hommes sont arrivés en Nouvelle-Calédonie entre 1100 et 1050 avant notre ère.Cultivateurs de millet et de riz, ils provenaient du littoral de la Chine du sud, d’où ils avaient traversé le détroit pour s'installer à Taïwan. Puis certains d’entre eux, que l’on appellera ensuite les Austronésiens, sans doute les premiers navigateurs de l'histoire de l'humanité, s’établiront aux Philippines puis se dirigeront ensuite vers la Nouvelle-Calédonie et d’autres iles du Pacifique.
Sur l’ile, les Austronésiens privilégient les grands estuaires, ce qui leur permet de jouir des ressources marines tout en en pratiquant l’horticulture fondée sur les plants de taros et d’ignames qu’ils ont apportés sur leurs pirogues.
Durant le premier millénaire d’occupation de la Nouvelle Calédonie, la population augmente fortement, ce qui se traduit par la multiplication et l’éparpillement des villages ainsi que par des tensions entre les groupes. Une organisation administrative en « pays » se met en place, correspondant à des zones qui se réclament des particularités sociales, politiques et linguistiques. La solitude des Austronésiens est rompue par James Cook qui découvre la Nouvelle-Calédonie en 1774, lors de sa deuxième circumnavigation.
Le navigateur baptise cette terre « New Caledonia » parce qu’elle lui rappelle l’Écosse. Des Britanniques et des Français, comme Lapérouse et d’Entrecasteaux, achèveront ensuite l’exploration de la Grande Terre et l'explorateur français Jules Dumont d'Urville sera le premier à situer géographiquement la Nouvelle Calédonie avec précision (1827).
Dés 1793, des baleiniers commencent à s'intéresser à la Nouvelle-Calédonie parce que les baleines à bosse remontent le long de ses côtes durant l'hiver austral. Ils y trouvent le ravitaillement en eau et en vivres frais, mais aussi du personnel. Plus tard, la pêche aux holothuries ou bêches-de-mer, commencera à se développer, avec une collecte effectuée par les indigènes, puis une cuisson à l'eau salée dans des marmites de fonte et un séchage en plein air, avec l’appui d’un boucanier et de quelques hommes qui restent sur place quelques mois pour préparer la cargaison.
Mais c'est surtout à travers le commerce du bois de santal à partir de 1841 que des contacts étroits vont se nouer entre Européens et Mélanésiens, ces derniers fournissant le bois en échange d'outils, d'armes en acier, d'étoffes ou encore d'objets de verre. Car les Mélanésiens, refusant que leurs arbres soient abattus et préparés par d'autres qu'eux, doivent être équipés en haches, en divers outils et en fusils.
Des marins et des aventuriers anglo-saxons s’installent sur place, prenant femme et organisant les échanges entre les navires européens et les Kanaks, nom qui désigne désormais le peuple autochtone mélanésien de la Nouvelle-Calédonie. L’évangélisation des Kanaks commence en 1840, par l’arrivée de catéchistes protestants, suivis par des missionnaires maristes. Ces missions modifient les modes de vie, poussant à l’adoption de la « robe mission» par exemple, le vêtement couramment porté aujourd’hui par les femmes kanak. Elles transforment également le peuplement, avec le regroupement de l’habitat sur le modèle du village européen, autour de l’église, l’école, les ateliers et les habitations.
Les nouveaux arrivants introduisent virus ou microbes contre lesquels les Kanaks ne sont pas préservés. Des épidémies de grippe, de tuberculose ou de rougeole se succèdent, provoquant une chute spectaculaire de la population et des bouleversements sociaux avec famines, conflits, migrations et fragmentations des clans.
Avant la colonisation, on estime que la population kanak comprenait très approximativement 50000 personnes, mais qu’elle avait déjà été décimée par les contacts avec les Européens. Elle n’était plus que de 27000 vers 1900 et resta à ce niveau jusqu'en 1940. À partir de la fin de la deuxième guerre mondiale, la population Kanak sera à nouveau en croissance pour atteindre 50 000 vers 1973 et dépasser 100 000 en 2014.
La colonisation française intervient en 1853, dans un contexte de compétition entre la Grande-Bretagne et la France.
DE L'INDIGÉNAT KANAK À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE
9 Août 2024 , Rédigé par André BoyerPublié dans #ACTUALITÉ
Des révoltes ? Le colonisateur cherche à contrôler les Kanaks en créant les tribus en 1867, à la tête desquelles l’administration place un chef, et en instituant la « réserve », un territoire dont la tribu a la jouissance mais qui limite les déplacements des Kanaks.
Dans la région de La Foa, les Kanaks font les frais de la volonté d’intégrer des milliers d’hectares au domaine de l’État pour les affecter à la colonisation libre, ce qui est à l’origine de la première grande révolte kanak en 1878. Les Kanaks ont souvent réagi violemment à la politique de peuplement pratiquée par l’administration française. Mais, compte tenu de l’affaiblissement de la population kanak qui passera de 50000 personnes environ en 1853 à 27000 en 1921, les soulèvements restent ponctuels et aisément réprimés jusqu’à l’insurrection conduite par le grand-chef Ataï en 1878.
L'administration coloniale, débordée dans un premier temps, réussit à mettre un terme à l’insurrection en utilisant la rivalité d’autres tribus kanakes avec celle d'Ataï qui est finalement capturé et décapité par ses rivaux. Cette révolte de 1878 a entrainé la mort de 200 Européens et de 800 à 1 000 Kanaks.
Sous la direction de plusieurs chefs, d'autres révoltes ont lieu en 1913 et en 1917 dans le nord de la grande île car le « grand cantonnement » pratiqué entre 1897 et 1903, réduit progressivement l’espace foncier kanak à un huitième de la superficie de la Grande Terre. Puis l’humiliation des Kanaks sera totale lorsque Joseph Guyon, gouverneur français de Nouvelle-Calédonie, lors de l'exposition coloniale de Paris de 1931, organisera un « spectacle » montrant un groupe de Kanaks dans des cages, sous couvert d' une nouvelle politique indigène visant à « assimiler» les Kanaks.
Cette politique, en vigueur jusqu’en 1946, consiste en un ensemble, juridique et réglementaire appelé « régime de l’indigénat », de mesures administratives qui s’applique aux autochtones qui sont soumis à des interdictions propres, contraints à des travaux d’utilité publique et qui subissent une séparation des systèmes scolaires qui les cantonne aux « écoles indigènes ». Ces dernières n’offrent pas d’accès à l’enseignement secondaire et supérieur : il faudra attendre 1962 pour voir un premier Kanak obtenir le baccalauréat.
Cependant le développement des infrastructures médicales avec la construction d’hôpitaux et de dispensaires ainsi que les progrès en matière d’hygiène permettent à la population kanak de se redresser démographiquement à partir des années 1930.
La Seconde Guerre mondiale bouleverse la Nouvelle-Calédonie qui a rallié la France Libre et qui est choisie comme base arrière et tête de pont par les États-Unis pour reconquérir le Pacifique. À partir de 1942, l’économie locale est dopée par le ravitaillement d’un contingent anglo-saxon qui atteint à son apogée plus de 200000 soldats étatsuniens, australiens et néo-zélandais pour un territoire où habitent 55000 habitants. Des aérodromes sont aménagés, des centres hospitaliers sont installés sur la côte est et dans l’extrême nord.
Cette présence bouleverse des Kanaks soumis au code de l'indigénat qui découvrent des soldats noirs et blancs travaillant sur un pied d'égalité, si bien que la Seconde Guerre mondiale marque le début du processus de décolonisation.
En 1946, la Nouvelle-Calédonie devient un territoire d’outre-mer (TOM) et les restrictions à la liberté de résidence, de travail et de mobilité des Kanaks sont levées par étapes. Ils accèdent à la nationalité française et obtiennent progressivement le droit de vote. Déjà le code de l'Indigénat avait été aboli par l'ordonnance du 7 mars 1944 qui supprimait le statut pénal de l'indigénat, puis la loi Lamine Guèye du 7 avril 1946 a accordé la nationalité française pleine et entière à tous les indigènes et le statut du 20 septembre 1947 a permis l’égalité politique et l’accès égal aux institutions.
Les Kanaks obtiennent alors la liberté de circulation, de propriété, et leurs droits civils.
Cependant, seuls 267 membres de l'élite kanak, chefs coutumiers, religieux et anciens combattants obtiennent effectivement le droit de voter en 1946, puis la loi du 23 mai 1951 permet à 60 % des Mélanésiens en âge de pouvoir voter d'y accéder et le suffrage universel ne sera pleinement mis en place que par le décret du 22 juillet 1957.
L’accession des Kanaks aux droits civiques entraîne la création des premiers mouvements politiques appelant à défendre leurs intérêts. Le Parti communiste calédonien est créé en 1946, qui propose un nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. En réaction, du côté catholique, une association confessionnelle, l’UICALO, est créée suivie par l’AICLF issue du milieu protestant, toutes deux destinées à défendre les droits des Kanaks. Ces deux associations se fondent en 1956 dans un parti politique, l’Union calédonienne » (UC).
Ce parti, qui affiche un programme autonomiste et social, qui est résumé par le slogan « Deux couleurs, un seul peuple », se rapproche des centristes démocrates-chrétiens de Métropole et dominera la vie politique locale jusqu'en 1972.
La Nouvelle-Calédonie est alors un territoire d'outre-mer que les lois cadres dites Defferre de 1957 conduisent vers plus d'autonomie. Mais alors qu'un mouvement de décolonisation s'amorce dans les autres colonies, ce processus connait au début des années 1960 en Nouvelle-Calédonie et dans les autres territoires français du Pacifique un brusque coup d'arrêt qui est à l’origine des crises suivantes, et en particulier de la dernière.
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À L'ASSAUT DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
28 Juillet 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ
La Nouvelle Calédonie est provisoirement sortie de l’actualité française. Nul doute qu’elle y revienne, en raison de l’importance des problèmes que le conflit récent a révélée, ou plutôt rappelée à nos mémoires oublieuses : Une bonne raison pour décrire ici le destin de ce morceau d’Océanie.
Située dans le sud-ouest de l’océan Pacifique, à plus de 16000 kilomètres de la métropole, la Nouvelle-Calédonie est un territoire singulier, par sa longue chaîne montagneuse centrale, par son économie liée à l’importance de l’exploitation minière et par le processus particulier de sa colonisation.
La Nouvelle-Calédonie couvre plus de 18500 kilomètres carrés pour une population de 300000 habitants environ en 2024. Elle est constituée de la Grande Terre (16635 km2, le double de la Corse), qui culmine à 1629 m au mont Panié, prolongée au nord par les îles Belep et au sud par l’île des Pins, l’ensemble étant ceinturé par un récif-barrière entourant un très grand lagon de près de 15000 kilomètres carrés. Plus à l’est, l’archipel des Loyauté (1970 km2) est constitué de quatre îles habitées : Lifou (1139 km2), Maré (655 km2), Ouvéa (165 km2) et Tiga (11 km2). Cet ensemble d’iles génère une zone économique exclusive de 1,7 million de kilomètres carrés, ce qui représente une grande richesse potentielle pour la France
Les premiers hommes sont arrivés en Nouvelle-Calédonie entre 1100 et 1050 avant notre ère.Cultivateurs de millet et de riz, ils provenaient du littoral de la Chine du sud, d’où ils avaient traversé le détroit pour s'installer à Taïwan. Puis certains d’entre eux, que l’on appellera ensuite les Austronésiens, sans doute les premiers navigateurs de l'histoire de l'humanité, s’établiront aux Philippines puis se dirigeront ensuite vers la Nouvelle-Calédonie et d’autres iles du Pacifique.
Sur l’ile, les Austronésiens privilégient les grands estuaires, ce qui leur permet de jouir des ressources marines tout en en pratiquant l’horticulture fondée sur les plants de taros et d’ignames qu’ils ont apportés sur leurs pirogues.
Durant le premier millénaire d’occupation de la Nouvelle Calédonie, la population augmente fortement, ce qui se traduit par la multiplication et l’éparpillement des villages ainsi que par des tensions entre les groupes. Une organisation administrative en « pays » se met en place, correspondant à des zones qui se réclament des particularités sociales, politiques et linguistiques. La solitude des Austronésiens est rompue par James Cook qui découvre la Nouvelle-Calédonie en 1774, lors de sa deuxième circumnavigation.
Le navigateur baptise cette terre « New Caledonia » parce qu’elle lui rappelle l’Écosse. Des Britanniques et des Français, comme Lapérouse et d’Entrecasteaux, achèveront ensuite l’exploration de la Grande Terre et l'explorateur français Jules Dumont d'Urville sera le premier à situer géographiquement la Nouvelle Calédonie avec précision (1827).
Dés 1793, des baleiniers commencent à s'intéresser à la Nouvelle-Calédonie parce que les baleines à bosse remontent le long de ses côtes durant l'hiver austral. Ils y trouvent le ravitaillement en eau et en vivres frais, mais aussi du personnel. Plus tard, la pêche aux holothuries ou bêches-de-mer, commencera à se développer, avec une collecte effectuée par les indigènes, puis une cuisson à l'eau salée dans des marmites de fonte et un séchage en plein air, avec l’appui d’un boucanier et de quelques hommes qui restent sur place quelques mois pour préparer la cargaison.
Mais c'est surtout à travers le commerce du bois de santal à partir de 1841 que des contacts étroits vont se nouer entre Européens et Mélanésiens, ces derniers fournissant le bois en échange d'outils, d'armes en acier, d'étoffes ou encore d'objets de verre. Car les Mélanésiens, refusant que leurs arbres soient abattus et préparés par d'autres qu'eux, doivent être équipés en haches, en divers outils et en fusils.
Des marins et des aventuriers anglo-saxons s’installent sur place, prenant femme et organisant les échanges entre les navires européens et les Kanaks, nom qui désigne désormais le peuple autochtone mélanésien de la Nouvelle-Calédonie. L’évangélisation des Kanaks commence en 1840, par l’arrivée de catéchistes protestants, suivis par des missionnaires maristes. Ces missions modifient les modes de vie, poussant à l’adoption de la « robe mission» par exemple, le vêtement couramment porté aujourd’hui par les femmes kanak. Elles transforment également le peuplement, avec le regroupement de l’habitat sur le modèle du village européen, autour de l’église, l’école, les ateliers et les habitations.
Les nouveaux arrivants introduisent virus ou microbes contre lesquels les Kanaks ne sont pas préservés. Des épidémies de grippe, de tuberculose ou de rougeole se succèdent, provoquant une chute spectaculaire de la population et des bouleversements sociaux avec famines, conflits, migrations et fragmentations des clans.
Avant la colonisation, on estime que la population kanak comprenait très approximativement 50000 personnes, mais qu’elle avait déjà été décimée par les contacts avec les Européens. Elle n’était plus que de 27000 vers 1900 et resta à ce niveau jusqu'en 1940. À partir de la fin de la deuxième guerre mondiale, la population Kanak sera à nouveau en croissance pour atteindre 50 000 vers 1973 et dépasser 100 000 en 2014.
La colonisation française intervient en 1853, dans un contexte de compétition entre la Grande-Bretagne et la France.
DE L'INDIGÉNAT KANAK À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE
9 Août 2024 , Rédigé par André BoyerPublié dans #ACTUALITÉ
Des révoltes ? Le colonisateur cherche à contrôler les Kanaks en créant les tribus en 1867, à la tête desquelles l’administration place un chef, et en instituant la « réserve », un territoire dont la tribu a la jouissance mais qui limite les déplacements des Kanaks.
Dans la région de La Foa, les Kanaks font les frais de la volonté d’intégrer des milliers d’hectares au domaine de l’État pour les affecter à la colonisation libre, ce qui est à l’origine de la première grande révolte kanak en 1878. Les Kanaks ont souvent réagi violemment à la politique de peuplement pratiquée par l’administration française. Mais, compte tenu de l’affaiblissement de la population kanak qui passera de 50000 personnes environ en 1853 à 27000 en 1921, les soulèvements restent ponctuels et aisément réprimés jusqu’à l’insurrection conduite par le grand-chef Ataï en 1878.
L'administration coloniale, débordée dans un premier temps, réussit à mettre un terme à l’insurrection en utilisant la rivalité d’autres tribus kanakes avec celle d'Ataï qui est finalement capturé et décapité par ses rivaux. Cette révolte de 1878 a entrainé la mort de 200 Européens et de 800 à 1 000 Kanaks.
Sous la direction de plusieurs chefs, d'autres révoltes ont lieu en 1913 et en 1917 dans le nord de la grande île car le « grand cantonnement » pratiqué entre 1897 et 1903, réduit progressivement l’espace foncier kanak à un huitième de la superficie de la Grande Terre. Puis l’humiliation des Kanaks sera totale lorsque Joseph Guyon, gouverneur français de Nouvelle-Calédonie, lors de l'exposition coloniale de Paris de 1931, organisera un « spectacle » montrant un groupe de Kanaks dans des cages, sous couvert d' une nouvelle politique indigène visant à « assimiler» les Kanaks.
Cette politique, en vigueur jusqu’en 1946, consiste en un ensemble, juridique et réglementaire appelé « régime de l’indigénat », de mesures administratives qui s’applique aux autochtones qui sont soumis à des interdictions propres, contraints à des travaux d’utilité publique et qui subissent une séparation des systèmes scolaires qui les cantonne aux « écoles indigènes ». Ces dernières n’offrent pas d’accès à l’enseignement secondaire et supérieur : il faudra attendre 1962 pour voir un premier Kanak obtenir le baccalauréat.
Cependant le développement des infrastructures médicales avec la construction d’hôpitaux et de dispensaires ainsi que les progrès en matière d’hygiène permettent à la population kanak de se redresser démographiquement à partir des années 1930.
La Seconde Guerre mondiale bouleverse la Nouvelle-Calédonie qui a rallié la France Libre et qui est choisie comme base arrière et tête de pont par les États-Unis pour reconquérir le Pacifique. À partir de 1942, l’économie locale est dopée par le ravitaillement d’un contingent anglo-saxon qui atteint à son apogée plus de 200000 soldats étatsuniens, australiens et néo-zélandais pour un territoire où habitent 55000 habitants. Des aérodromes sont aménagés, des centres hospitaliers sont installés sur la côte est et dans l’extrême nord.
Cette présence bouleverse des Kanaks soumis au code de l'indigénat qui découvrent des soldats noirs et blancs travaillant sur un pied d'égalité, si bien que la Seconde Guerre mondiale marque le début du processus de décolonisation.
En 1946, la Nouvelle-Calédonie devient un territoire d’outre-mer (TOM) et les restrictions à la liberté de résidence, de travail et de mobilité des Kanaks sont levées par étapes. Ils accèdent à la nationalité française et obtiennent progressivement le droit de vote. Déjà le code de l'Indigénat avait été aboli par l'ordonnance du 7 mars 1944 qui supprimait le statut pénal de l'indigénat, puis la loi Lamine Guèye du 7 avril 1946 a accordé la nationalité française pleine et entière à tous les indigènes et le statut du 20 septembre 1947 a permis l’égalité politique et l’accès égal aux institutions.
Les Kanaks obtiennent alors la liberté de circulation, de propriété, et leurs droits civils.
Cependant, seuls 267 membres de l'élite kanak, chefs coutumiers, religieux et anciens combattants obtiennent effectivement le droit de voter en 1946, puis la loi du 23 mai 1951 permet à 60 % des Mélanésiens en âge de pouvoir voter d'y accéder et le suffrage universel ne sera pleinement mis en place que par le décret du 22 juillet 1957.
L’accession des Kanaks aux droits civiques entraîne la création des premiers mouvements politiques appelant à défendre leurs intérêts. Le Parti communiste calédonien est créé en 1946, qui propose un nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. En réaction, du côté catholique, une association confessionnelle, l’UICALO, est créée suivie par l’AICLF issue du milieu protestant, toutes deux destinées à défendre les droits des Kanaks. Ces deux associations se fondent en 1956 dans un parti politique, l’Union calédonienne » (UC).
Ce parti, qui affiche un programme autonomiste et social, qui est résumé par le slogan « Deux couleurs, un seul peuple », se rapproche des centristes démocrates-chrétiens de Métropole et dominera la vie politique locale jusqu'en 1972.
La Nouvelle-Calédonie est alors un territoire d'outre-mer que les lois cadres dites Defferre de 1957 conduisent vers plus d'autonomie. Mais alors qu'un mouvement de décolonisation s'amorce dans les autres colonies, ce processus connait au début des années 1960 en Nouvelle-Calédonie et dans les autres territoires français du Pacifique un brusque coup d'arrêt qui est à l’origine des crises suivantes, et en particulier de la dernière.
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BAGNARDS ET COLONS CONTRE LES KANAKS
1 Août 2024 , Rédigé par André BoyerPublié dans #ACTUALITÉ
CHEMIN DE FER CONSTRUIT PAR LES BAGNARDS EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Pour coloniser la Nouvelle-Calédonie, Napoléon III saisit « l’occasion » du massacre, de plusieurs officiers et hommes d'équipage de la corvette française L'Alcmène, envoyée en mission de reconnaissance pour étudier la possibilité de l'installation d'un bagne en 1850, à Yenghebane, dans le nord de la Grande Ile.
Il ordonne au contre-amiral Despointes de prendre possession de la Nouvelle-Calédonie le 24 septembre 1853, qui devient le troisième élément des Établissements français du Pacifique après le royaume de Tahiti (1842), et les Îles Marquises (1842).
Pour asseoir juridiquement la colonisation, Tardy de Montravel, établit un code en 1854, visant à faire renoncer les chefs de tribus à leurs coutumes, dont celui de rendre la justice. La même année, un établissement militaire est fondé en Nouvelle-Calédonie qui est d’abord nommé Port-de-France, avant d’être rebaptisé Nouméa en 1866.
Le 14 janvier 1860, la Nouvelle-Calédonie devient une colonie à part entière, affranchie de la tutelle de Tahiti. Son premier gouverneur, nommé en 1862, le contre-amiral Charles Guillain, est chargé d'organiser la mise en place du bagne et donc de trouver des terres qui seront confiées aux libérés en échange de l’engagement de s’installer dans la colonie tout en étant « libre ». Pour ce faire il va cantonner les Kanak dans des « réserves autochtones ». Le premier convoi pénitentiaire arrive le 5 janvier 1864 avec 250 condamnés, criminels de droit commun, relégués ou auteurs de délits récidivistes à bord de l'Iphigénie.
Napoléon III a en effet signé un décret en 1863 autorisant la création en Nouvelle-Calédonie d’un établissement de travaux forcés. Les convois de bagnards se succéderont de 1864 à 1897, mais le centre pénitentiaire ne fermera ses portes qu’en 1922.
Après la Commune de Paris, la Nouvelle-Calédonie sert de lieu de déportation pour les anciens communards condamnés par les conseils de guerre mis en place par le gouvernement d'Adolphe Thiers. Parmi eux, Henri Rochefort qui réussira à s'évader et Louise Michel. À ceux-là s'ajoutent les Kabyles ayant participé à la révolte du cheik El Mokrani en Algérie en 1871.
L'administration pénitentiaire, ou « Tentiaire » posséde une grande partie du foncier : outre les pénitenciers de l’île Nou et de Ducos à Nouméa, de Prony dans le sud ou de l'île des Pins, elle possède aussi des villages alloués aux anciens forçats doublant leur peine comme Dumbéa, La Foa, Bourail ou Pouembout.
En parallèle se développent les concessions offertes aux bagnards et une colonisation libre venue de France, notamment d'Alsace ou de Lorraine à quoi s'ajoutent des déçus de la ruée vers l'or australienne. Ces colons libres deviennent surtout éleveurs dans de grandes propriétés sur la côte ouest de la Grande Terre dans les environs directs de Nouméa ou encore à Païta, Bouloupari, Moindou et Koné, entre autres. Il s’y ajoute la venue de Réunionnais que l'administration coloniale fera venir en Nouvelle-Calédonie pour y développer l'exploitation de la canne à sucre.
En 1895, un nouveau gouverneur, Paul Feillet, met fin à la colonisation pénale en déclarant qu’il s’agit de « fermer le robinet d'eau sale ». En revanche, il lance des campagnes en métropole pour faire venir des colons, les « colons Feillet » qui devaient venir pour cultiver le café. En outre, pour l'exploitation minière qui se développe, l'immigration de travailleurs asiatiques, tonkinois, indonésiens ou japonais, est encouragée.
Car, en 1864, l’ingénieur des mines Jules Garnier a découvert un ensemble de minéraux silicatés riches en nickel, minerai qui sera baptisé «garniérite». Son exploitation débute dans les années 1870 et marque profondément l’économie, le territoire, la culture et les modes de vie néo-calédoniens, au point que La Société Le Nickel (SLN), créée en 1880, deviendra un opérateur économique hégémonique et que les termes suivants sont devenus courants dans le vocabulaire néo-calédonien :
1 Août 2024 , Rédigé par André BoyerPublié dans #ACTUALITÉ
CHEMIN DE FER CONSTRUIT PAR LES BAGNARDS EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Pour coloniser la Nouvelle-Calédonie, Napoléon III saisit « l’occasion » du massacre, de plusieurs officiers et hommes d'équipage de la corvette française L'Alcmène, envoyée en mission de reconnaissance pour étudier la possibilité de l'installation d'un bagne en 1850, à Yenghebane, dans le nord de la Grande Ile.
Il ordonne au contre-amiral Despointes de prendre possession de la Nouvelle-Calédonie le 24 septembre 1853, qui devient le troisième élément des Établissements français du Pacifique après le royaume de Tahiti (1842), et les Îles Marquises (1842).
Pour asseoir juridiquement la colonisation, Tardy de Montravel, établit un code en 1854, visant à faire renoncer les chefs de tribus à leurs coutumes, dont celui de rendre la justice. La même année, un établissement militaire est fondé en Nouvelle-Calédonie qui est d’abord nommé Port-de-France, avant d’être rebaptisé Nouméa en 1866.
Le 14 janvier 1860, la Nouvelle-Calédonie devient une colonie à part entière, affranchie de la tutelle de Tahiti. Son premier gouverneur, nommé en 1862, le contre-amiral Charles Guillain, est chargé d'organiser la mise en place du bagne et donc de trouver des terres qui seront confiées aux libérés en échange de l’engagement de s’installer dans la colonie tout en étant « libre ». Pour ce faire il va cantonner les Kanak dans des « réserves autochtones ». Le premier convoi pénitentiaire arrive le 5 janvier 1864 avec 250 condamnés, criminels de droit commun, relégués ou auteurs de délits récidivistes à bord de l'Iphigénie.
Napoléon III a en effet signé un décret en 1863 autorisant la création en Nouvelle-Calédonie d’un établissement de travaux forcés. Les convois de bagnards se succéderont de 1864 à 1897, mais le centre pénitentiaire ne fermera ses portes qu’en 1922.
Après la Commune de Paris, la Nouvelle-Calédonie sert de lieu de déportation pour les anciens communards condamnés par les conseils de guerre mis en place par le gouvernement d'Adolphe Thiers. Parmi eux, Henri Rochefort qui réussira à s'évader et Louise Michel. À ceux-là s'ajoutent les Kabyles ayant participé à la révolte du cheik El Mokrani en Algérie en 1871.
L'administration pénitentiaire, ou « Tentiaire » posséde une grande partie du foncier : outre les pénitenciers de l’île Nou et de Ducos à Nouméa, de Prony dans le sud ou de l'île des Pins, elle possède aussi des villages alloués aux anciens forçats doublant leur peine comme Dumbéa, La Foa, Bourail ou Pouembout.
En parallèle se développent les concessions offertes aux bagnards et une colonisation libre venue de France, notamment d'Alsace ou de Lorraine à quoi s'ajoutent des déçus de la ruée vers l'or australienne. Ces colons libres deviennent surtout éleveurs dans de grandes propriétés sur la côte ouest de la Grande Terre dans les environs directs de Nouméa ou encore à Païta, Bouloupari, Moindou et Koné, entre autres. Il s’y ajoute la venue de Réunionnais que l'administration coloniale fera venir en Nouvelle-Calédonie pour y développer l'exploitation de la canne à sucre.
En 1895, un nouveau gouverneur, Paul Feillet, met fin à la colonisation pénale en déclarant qu’il s’agit de « fermer le robinet d'eau sale ». En revanche, il lance des campagnes en métropole pour faire venir des colons, les « colons Feillet » qui devaient venir pour cultiver le café. En outre, pour l'exploitation minière qui se développe, l'immigration de travailleurs asiatiques, tonkinois, indonésiens ou japonais, est encouragée.
Car, en 1864, l’ingénieur des mines Jules Garnier a découvert un ensemble de minéraux silicatés riches en nickel, minerai qui sera baptisé «garniérite». Son exploitation débute dans les années 1870 et marque profondément l’économie, le territoire, la culture et les modes de vie néo-calédoniens, au point que La Société Le Nickel (SLN), créée en 1880, deviendra un opérateur économique hégémonique et que les termes suivants sont devenus courants dans le vocabulaire néo-calédonien :
- le wharf qui permet d’évacuer le minerai,
- le Caillou qui désigne, avec une nuance affectueuse, la Nouvelle-Calédonie),
- le «bull» ou bulldozer,
- le «rouleur» qui est le camionneur qui transporte le nickel de la mine à l’embarcadère.
L’immigration, qui arrive par vagues successives, implique la nécessité pour l'Administration coloniale de trouver des terres aux nouveaux arrivants. Après la prise de possession de l'archipel, l'État s’est proclamé, par deux déclarations de 1855 et 1862, propriétaire de toutes les terres. L'arrêté du 22 janvier 1868 laisse une partie de ces terres aux Kanaks : une propriété « incommutable, insaisissable et inaliénable » des domaines attribués est reconnue aux tribus. Les Kanaks ne peuvent ni les vendre, ni en acheter, mais sont aussi théoriquement protégés contre toute violation de terres.
Or la délimitation est faite de telle manière que certaines terres initialement concédées sont finalement retirées aux Kanak au profit des colons, tandis que du bétail de ces derniers s'introduit régulièrement sur les terres coutumières et abîme leurs champs d'ignames et de taros.
Plus tard, le code de l'indigénat, mis en place par les décrets de 1874 et 1881, sera appliqué en Nouvelle-Calédonie par le décret du 18 juillet 1887. Il fait des Kanaks des « sujets de la France », ne jouissant d'aucun droit civil mais uniquement de leur droit personnel conféré par la religion et la coutume.
Ils doivent payer un impôt de capitation, sont soumis aux réquisitions de main d'œuvre au profit des autorités ou des colons. Le gouverneur nomme les chefs de tribu et les grands-chefs et délimite leurs pouvoirs. Le code de l'indigénat aboutit à une politique de cantonnement menée à partir de 1897, visant à rassembler tous les Kanaks dans les réserves en leur allouant une superficie moyenne de trois hectares par habitant et qui remet en cause le découpage de 1868.
Ce domaine est régulièrement rogné par les autorités afin d'y installer des colons : les « réserves » passent ainsi de 320 000 à 124 000 hectares de 1898 à 1902. Seules les Îles Loyauté reste des réserves kanaks intégrales.
Au cours du temps, l’espace indigène est sérieusement grignoté, ce qui n’ira pas sans révoltes.
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Or la délimitation est faite de telle manière que certaines terres initialement concédées sont finalement retirées aux Kanak au profit des colons, tandis que du bétail de ces derniers s'introduit régulièrement sur les terres coutumières et abîme leurs champs d'ignames et de taros.
Plus tard, le code de l'indigénat, mis en place par les décrets de 1874 et 1881, sera appliqué en Nouvelle-Calédonie par le décret du 18 juillet 1887. Il fait des Kanaks des « sujets de la France », ne jouissant d'aucun droit civil mais uniquement de leur droit personnel conféré par la religion et la coutume.
Ils doivent payer un impôt de capitation, sont soumis aux réquisitions de main d'œuvre au profit des autorités ou des colons. Le gouverneur nomme les chefs de tribu et les grands-chefs et délimite leurs pouvoirs. Le code de l'indigénat aboutit à une politique de cantonnement menée à partir de 1897, visant à rassembler tous les Kanaks dans les réserves en leur allouant une superficie moyenne de trois hectares par habitant et qui remet en cause le découpage de 1868.
Ce domaine est régulièrement rogné par les autorités afin d'y installer des colons : les « réserves » passent ainsi de 320 000 à 124 000 hectares de 1898 à 1902. Seules les Îles Loyauté reste des réserves kanaks intégrales.
Au cours du temps, l’espace indigène est sérieusement grignoté, ce qui n’ira pas sans révoltes.
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https://la1ere.francetvinfo.fr/histoire-en-mai-1931-des-dizaines-de-kanaks-sont-exhibes-dans-un-zoo-humain-en-marge-de-l-exposition-coloniale-de-paris-1008688.html
Histoire : en mai 1931, des dizaines de Kanaks sont exhibés dans un zoo humain en marge de l’Exposition coloniale de Paris
Hommes kanaks lors de l'Exposition coloniale de Paris en 1931. • ©DR
Il y a 90 ans, de mai à novembre 1931, la dernière Exposition coloniale internationale de Paris connaît un succès sans précédent. Tous les territoires des Outre-mer actuels y sont représentés par des pavillons. Mais des dizaines de Kanaks en sont réduits, en marge, à une ignoble mise en scène.
Philippe Triay •
Publié le 14 mai 2021 à 15h03, mis à jour le 14 mai 2021 à 17h58
La dernière Exposition coloniale internationale de Paris ouvre ses portes le 6 mai 1931 à la Porte Dorée et sur une grande partie du bois de Vincennes, et durera jusqu’au 15 novembre de la même année. Avec huit millions de visiteurs, c’est un succès populaire sans précédent et une victoire idéologique pour la France impériale de l’époque. Des « indigènes » des colonies sont emmenés dans la capitale comme figurants, afin de reproduire pour le public français des scènes de leur vie locale.
Mais pour des dizaines de Kanaks, une autre histoire va se dérouler. Sordide. En marge de l’exposition, la Fédération française des anciens coloniaux en « recrute » une centaine, pour les exhiber au Jardin zoologique d’acclimatation du bois de Boulogne. Vous avez bien lu, dans un zoo ! En fait de recrutement, les Kanaks sont complètement dupés. On leur ment délibérément en leur disant qu’ils vont participer à l’Exposition coloniale internationale pour présenter leurs danses et leur culture, et qu’ils pourront visiter la capitale. A leur arrivée en mars 1931 à Marseille, ils sont envoyés non pas à Vincennes, mais directement au Jardin d’acclimatation. Quelques-uns d’entre eux iront néanmoins à Paris pour l’ouverture officielle du pavillon de la Nouvelle-Calédonie.
"Sauvages cannibales et polygames"
Parmi ceux qui accostent à Marseille, certains sont envoyés, sans qu’ils s'y attendent, en Allemagne, à Francfort, pour un « show » intitulé « Les derniers cannibales des mers du Sud ». Nous y reviendrons. Au Jardin zoologique d’acclimatation, des cases de fortune sont construites à la va-vite. Les publicités s’étalent dans la presse, où les Kanaks sont qualifiés, entre autres, de « sauvages cannibales et polygames ». Et le spectacle peut commencer en marge de l’Exposition coloniale. Dans son livre « Cannibale », inspiré des entretiens que l’auteur a eu avec des descendants de Kanaks exhibés dans le zoo humain, le romancier Didier Daeninckx écrit en leur nom :
On nous jetait du pain, des bananes, des cacahuètes, des caramels... Des cailloux aussi. Les femmes dansaient, les hommes évidaient le tronc d’arbre en cadence, et toutes les cinq minutes l’un des nôtres devait s’approcher pour pousser un grand cri, en montrant les dents, pour impressionner les badauds. Nous n’avions plus une seule minute de tranquillité, même notre repas faisait partie du spectacle.
Le triomphe est au rendez-vous, en dépit des protestations émises par les communistes, des religieux, des associations de défense des droits humains et des Kanaks, tous unis contre les responsables de cette déshumanisation. Le ministre des Colonies est saisi de l’affaire, et réagira bien tard, en sommant la Fédération française des anciens coloniaux, au mois de juillet, de rapatrier ses « employés ».
Exhibés en Allemagne et en Autriche.
Mais les organisateurs n’en ont cure. Au contraire, ils poursuivent leurs sinistres projets. Dans le courant du mois de mai, ils obligent une soixantaine de Kanaks à partir en Allemagne, où ils sont de nouveau exposés aux railleries de la foule à Hambourg, Berlin, Francfort, Munich… ainsi qu’à Vienne en Autriche. Ils sont confiés notamment à des dirigeants de cirque.
Leur cauchemar se termine en novembre 1931. Avec ceux de Paris, les Mélanésiens rejoignent Marseille, où ils embarquent finalement vers leur terre natale, avec un souvenir de France qui les marquera à jamais, ainsi que leur descendance à laquelle ils ne manqueront pas de raconter les avanies endurées. Le reste appartient à une histoire qui est loin d’avoir fini de s’écrire, comme en témoigne l’actualité de la Nouvelle-Calédonie…
Il y a 90 ans, de mai à novembre 1931, la dernière Exposition coloniale internationale de Paris connaît un succès sans précédent. Tous les territoires des Outre-mer actuels y sont représentés par des pavillons. Mais des dizaines de Kanaks en sont réduits, en marge, à une ignoble mise en scène.
Philippe Triay •
Publié le 14 mai 2021 à 15h03, mis à jour le 14 mai 2021 à 17h58
La dernière Exposition coloniale internationale de Paris ouvre ses portes le 6 mai 1931 à la Porte Dorée et sur une grande partie du bois de Vincennes, et durera jusqu’au 15 novembre de la même année. Avec huit millions de visiteurs, c’est un succès populaire sans précédent et une victoire idéologique pour la France impériale de l’époque. Des « indigènes » des colonies sont emmenés dans la capitale comme figurants, afin de reproduire pour le public français des scènes de leur vie locale.
Mais pour des dizaines de Kanaks, une autre histoire va se dérouler. Sordide. En marge de l’exposition, la Fédération française des anciens coloniaux en « recrute » une centaine, pour les exhiber au Jardin zoologique d’acclimatation du bois de Boulogne. Vous avez bien lu, dans un zoo ! En fait de recrutement, les Kanaks sont complètement dupés. On leur ment délibérément en leur disant qu’ils vont participer à l’Exposition coloniale internationale pour présenter leurs danses et leur culture, et qu’ils pourront visiter la capitale. A leur arrivée en mars 1931 à Marseille, ils sont envoyés non pas à Vincennes, mais directement au Jardin d’acclimatation. Quelques-uns d’entre eux iront néanmoins à Paris pour l’ouverture officielle du pavillon de la Nouvelle-Calédonie.
"Sauvages cannibales et polygames"
Parmi ceux qui accostent à Marseille, certains sont envoyés, sans qu’ils s'y attendent, en Allemagne, à Francfort, pour un « show » intitulé « Les derniers cannibales des mers du Sud ». Nous y reviendrons. Au Jardin zoologique d’acclimatation, des cases de fortune sont construites à la va-vite. Les publicités s’étalent dans la presse, où les Kanaks sont qualifiés, entre autres, de « sauvages cannibales et polygames ». Et le spectacle peut commencer en marge de l’Exposition coloniale. Dans son livre « Cannibale », inspiré des entretiens que l’auteur a eu avec des descendants de Kanaks exhibés dans le zoo humain, le romancier Didier Daeninckx écrit en leur nom :
On nous jetait du pain, des bananes, des cacahuètes, des caramels... Des cailloux aussi. Les femmes dansaient, les hommes évidaient le tronc d’arbre en cadence, et toutes les cinq minutes l’un des nôtres devait s’approcher pour pousser un grand cri, en montrant les dents, pour impressionner les badauds. Nous n’avions plus une seule minute de tranquillité, même notre repas faisait partie du spectacle.
Le triomphe est au rendez-vous, en dépit des protestations émises par les communistes, des religieux, des associations de défense des droits humains et des Kanaks, tous unis contre les responsables de cette déshumanisation. Le ministre des Colonies est saisi de l’affaire, et réagira bien tard, en sommant la Fédération française des anciens coloniaux, au mois de juillet, de rapatrier ses « employés ».
Exhibés en Allemagne et en Autriche.
Mais les organisateurs n’en ont cure. Au contraire, ils poursuivent leurs sinistres projets. Dans le courant du mois de mai, ils obligent une soixantaine de Kanaks à partir en Allemagne, où ils sont de nouveau exposés aux railleries de la foule à Hambourg, Berlin, Francfort, Munich… ainsi qu’à Vienne en Autriche. Ils sont confiés notamment à des dirigeants de cirque.
Leur cauchemar se termine en novembre 1931. Avec ceux de Paris, les Mélanésiens rejoignent Marseille, où ils embarquent finalement vers leur terre natale, avec un souvenir de France qui les marquera à jamais, ainsi que leur descendance à laquelle ils ne manqueront pas de raconter les avanies endurées. Le reste appartient à une histoire qui est loin d’avoir fini de s’écrire, comme en témoigne l’actualité de la Nouvelle-Calédonie…
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