Nafa Kireche, ministre des relations avec la France du Gouvernement Provisoire Kabyle :
"Pourquoi je ne soutiens pas l'équipe nationale algérienne".
La coupe du monde a débuté il y a quelques jours et, si le niveau des matchs est satisfaisant, le contexte dans lequel se déroule le tournoi ne doit pas être oublié : le peuple brésilien, dont une frange importante vit en dessous du seuil de pauvreté, ne cautionne pas l'organisation de ce tournoi a prix d'or par le Brésil quand tant de choses restent à construire dans ce pays.
C'est ainsi que de nombreuses émeutes ont éclaté à travers beaucoup de localités du pays, émeutes réprimées par les autorités brésiliennes. Ce climat n'est pas sans rappeler celui qui prévaut en... Algérie, l'un des pays qualifiés pour cette coupe du monde. Le seul du nord de l'Afrique.
Car c'est de l'Algérie dont je veux parler ici. Et je le dis sans aucun état d'âme : je ne soutiens pas l'équipe nationale algérienne.
Je suis originaire de Tizi-Rached, une localité kabyle, censée appartenir à l'ensemble algérien mais je ne me reconnais absolument pas dans cette équipe.
Une équipe que les dirigeants algériens ont d'ores et déjà qualifiée de "seul représentant arabo-musulman" dans cette coupe du monde. Face à la Belgique, les joueurs algériens, qui ont ouvert le score sur penalty, se sont empressés d'aller fêter leur but en mimant... une prière sur la pelouse. Cela afin de bien marquer aux yeux du monde entier leur appartenance, en tant qu'algériens, à l'arabo-islamisme. Même les iraniens, qui ne sont pas connus pour être des laïcs intransigeants, ne se sont pas sentis obligés de mélanger les genres de cette manière. Ne parlons pas de l'Arabie Saoudite, dont les joueurs n'ont jamais montré ostensiblement leur appartenance à l'islam sur le terrain alors même qu'il s'agit du pays du prophète.
Ce zèle des joueurs algériens a provoqué chez moi un sentiment de malaise. L'Algérie a un gros problème identitaire. Il ne s'exprime pas seulement par l'attitude zélée de ses joueurs. Mais également par le nationalisme maladif exprimé par une frange importante des supporteurs algériens, notamment à l'étranger. La Suisse, qui avait naïvement accepté que l'Algérie se produise chez elle afin de préparer la coupe du monde, n'est pas prête de l'oublier. A Sion, ou avait lieu le match amical contre la Roumanie, les "supporters" algériens ont envahi le terrain à la fin du match avant d'aller vandaliser la ville. La réaction des autorités suisses, choquées, a été immédiate : elle n'accueillera plus sur son territoire les matchs de l'équipe nationale algérienne. Signalons que la France et l'Allemagne avaient déjà pris cette décision, raison pour laquelle l'Algérie n'a pas pu y jouer.
On est tellement loin de ce que je suis, de ce que devrait être ce pays ! Un pays berbère, ou règnerait la liberté de culte et dont les supporters fraterniseraient avec ceux des autres équipes ! Au lieu de cela, nous voilà représentés par une sélection qui tourne le dos à l'identité réelle du pays. L'Algérie, pays totalement inconnu de la plupart des nations présentes dans le tournoi et qui, en France, est la selection la plus détestée par l'opinion, comme le relaie un sondage du magazine américain "New York Times".
Comment, face à cette image que véhicule l'Algérie, ne pas me tourner, me "réfugier", derrière une autre appartenance ? Comment ne pas souhaiter la création d'une équipe nationale de Kabylie, qui est en réalité ma véritable patrie, et qui porte les valeurs que je souhaite tant voir rayonner au niveau international ?
Beaucoup de kabyles, aujourd'hui, se disent ouvertement hostiles à l'équipe d'Algérie, dont les valeurs, l'identité, l'image ne collent pas du tout à ce qu'ils sont. Si d'autres continuent à être portés par un nationalisme nihiliste (qui nie et oublie les coups portés à sa propre région), il est évident que la question de la représentativité de cette sélection algérienne se pose.
D'autres kabyles, désireux sans doute d'avoir une occasion de vibrer dans une compétition internationale, reportent sur l'Algérie un besoin de vivre des émotions que l'inexistence de la Kabylie ne leur permet pas. Pour cela, il suffit de se donner bonne conscience. Se dire par exemple qu'il ne faut pas mélanger le football et la politique. En faisant cela, on se trompe. Car la politique n'est jamais très loin de la sélection algérienne. Quand des dirigeants annoncent que l'Algérie représentera le monde "arabo-musulman", cela s'appelle de la politique. Quand des joueurs, au mépris de la diversité d'opinion religieuse des citoyens, miment une prière après un but, cela s'appelle de la politique.
Quand à la fin des années 70, la JS Kabylie est rebaptisée Jeunesse Sportive de Tizi-Ouzou, pour supprimer le mot "Kabylie", cela s'appelle de la politique. Quand l'international algérien d'origine kabyle, Kamel Ghilas, est exclu plusieurs matchs de la selection algérienne pour avoir exhiber le drapeau berbère après un match de l'équipe nationale, c'est de la politique ! Et soutenir l'équipe nationale algérienne, c'est, même à son corps défendant, cautionner le message politique qui triomphera en même temps que les éventuels succès de l'équipe. Quand, et c'est un cas unique dans le football contemporain, des supporters exhibent le portrait de Bouteflika dans les tribunes des stades de football, cela s'appelle de la politique.
La sélection algérienne est un outil que ne manque pas d'exploiter le régime algérien pour imposer son idéologie à l'ensemble de la population. Grisés par la perspective de vibrer lors d'une grande compétition internationale, les supporters algériens tombent évidemment dans le panneau. En Kabylie, je suis heureux de constater que la manipulation montre ses limites. Beaucoup de kabyles, éveillés notamment par le message du MAK et du GPK, sont plus que circonspects face à ce phénomène. En effet, beaucoup ont compris que la seule sélection capable de leur apporter des émotions réelles et dénuées d'arrière-pensées politiques est celle de la Kabylie, leur pays. Et pour cause, l'envahissement des pelouses, le vandalisme dans les villes, la nationalisme agressif et violent et la médiocrité dans le jeu, défensif, sont étrangers à la culture kabyle.
Nafa Kirèche,
Paris, le 22 juin 2014
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