Lyazid Abid à Philadelphie : "Matoub Lounès pour toujours"

26/06/2016 19:38

PHILADELPHIE, USA (SIWEL) — Lors de l'hommage rendu à Lounès Matoub à Philadelphie, USA, hier samedi 25 juin, plusieurs conférenciers dont Lyazid Abid, Hsen Larbi, Racid At Al Uqaci, Muh Allileche dit Dda Muh, Rabeh At Umghar et Hsen Uamran ont à tour de role apporté des temoignages émouvants sur la vie de Matoub. Siwel reproduit ci-dessous la contribution lue par Lyazid Abid, ministre des Relations internationales et vice-président du Gouvernement provisoire kabyle


J’ai rencontré Matoub Lounès, le soir du 24 avril 1994, dans les coulisses du palais des congrès, à Paris. Il était invité par Ferhat qui signait son retour à la chanson avec son album Tuγac n ddkir. A la fin du gala, une collation était offerte en son honneur. Il y avait Said Sadi, Ben Mohamed, Ali Ideflawen, Hend Sadi et beaucoup d’autres amis de Ferhat du monde artistique et politique.

Après un bref un échange avec Matoub, je lui avais dit qu’on (nous les Kabyles) pouvait chanter danser comme bon nous semble mais tant que notre drapeau ne flottera pas parmi les drapeaux des pays qui siègent à L’ONU personne ne nous reconnaitrait en tant que Kabyles. Il m’avait souri et droit dans les yeux il dit « awi-d afus-ik » il me serra la main en me disant : « D win i d avrid ! » en jetant un regard furtif autour de lui, il ajouta : « Anida-ten yergazen ar aγ-isawden γer din ? »

Pour les jeunes de 20 ans aujourd’hui, il faut rappeler que ce n’était pas évident d’avoir un avis si tranché sur une telle question à cette époque là. La Kabylie, souvenez-vous, était divisée en deux. L’écrasante majorité des Kabyles était soit du FFS soit du RCD. On voyait bien que Lounès avait déjà sa propre idée sur le salut de la Kabylie. En fin connaisseur de son peuple, en juin 1998 il confia à l’un de ses amis qui l’accompagna vers l’aéroport pour ce qui restera son dernier voyage vers l’Algérie : "À la sortie de mon album (Lettre ouverte aux…), je serai la seule opposition en Algérie" un aveu prémonitoire. Matoub fait partie des intellectuels kabyles qui ont très bien compris que nous constituons un Peuple au sens propre du mot. On l’écoutant comme en lisant Mammeri, on découvre une pensée propre à notre peuple.

Avec son dernier album, la rupture de Matoub avec l’Algérie fut définitivement consommée. La mort de Matoub est une perte énorme pour la Kabylie, car sa disparition est survenue au moment où la Kabylie avait grandement besoin de lui. Depuis sa mort, la Kabylie n’est plus ce qu’elle était avant. Désormais, les jeunes Kabyles ne feront plus jamais confiance à un pouvoir qui les abat à bout portant et qui extermine leurs idoles.

La position de nos deux partis politiques (FFS et RCD) face à l’assassinat de Matoub était fortement ambiguë, elle n’était pas en tout cas à la hauteur des attentes du peuple kabyle. En fait, elle était même déplorable. Au lieu d’exiger une commission d’enquête neutre, le RCD et le FFS ont préféré faire dans la récupération politique en accusant pour les premiers les islamistes et les seconds les militaires. Avec ces deux positions, Matoub fut assassiné une deuxième fois.

Les ennemis de la Kabylie se frottaient les mains. Ils tenteront même comme à chaque fois qu’ils éliminent un Kabyle qui les gêne de mettre leur crime sur le dos d’un autre Kabyle qui les dérange pour nous fragiliser davantage.

Une fois enterrées, nos idoles deviennent fréquentables. On en fait les protégés du pouvoir. Voir les autorités algériennes se recueillir sur la tombe de Yacine, de Mammeri, de Djaout, de Mohia et bientôt de Matoub est simplement insupportable.

La jeunesse kabyle serait dans son droit le plus légitime si elle empêchait ces apprenti-sorciers du pouvoir algérien de s’approcher des tombes de nos héros. Rappelons-nous que durant toute sa vie, Matoub fut interdit d’antenne et de scène en Algérie, Mohia fut l’ennemi à abattre, Slimane Azem interdit de territoire, Mammeri, Yacine, Bessaoud furent tous marginalisés. Comment peut-on se sentir encore Algérien, dites le-moi ?

Mes amis, en pensant à Matoub, la colère m’envahit encore. Et de plus en plus j’ai la certitude qu’il nous faut plus que l’indépendance pour assurer notre sécurité et la paix à nos enfants. Matoub, pour toujours. Ton rêve se réalisera. On te le promet.

Lyazid Abid,
Ministre des Relations internationales
Vice-président du Gouvernement provisoire kabyle

Philadelphie, le 25 juin 2016

SIWEL 261938 JUN 16



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