« De «L’Algérie a vingt ans» à «Liberté pour la Kabylie», nombreux sont ceux er qui ne veulent rien comprendre au cheminement de Ferhat et préfèrent opter pour la facilité d’en faire un traître raciste vendu aux sionistes, aux Occidentaux et que sais-je encore. Pourtant, l’on sait que les transformations brusques survenues comme par sorcellerie n’existent pas et que seul le parcours d’un Homme, d’une idée ou d’une cause peut expliquer l’évolution de son discours. De Ferhat Imazighen Imoula à Ferhat Mehenni, nulle métamorphose satanique mais, au contraire, un itinéraire respectable, truffé d’erreurs certes mais dont on ne saurait balayer d’un revers de mépris les innombrables mérites. »
Inutile de rappeler les 13 incarcérations dont il a fait l’objet depuis les années 1970, ni les tortures qu’il a subies dans les geôles de la Sécurité militaire, ni son passé de militant acharné pour une Algérie dont il n’a cessé de célébrer l’Histoire, la dignité et le combat libérateur, jusqu’à un certain juin 2001. Or, beaucoup s’obstinent à supprimer tout bonnement quarante ans de combat pour ne retenir que l’image difforme d’un ethnocentriste haineux et politiquement malhonnête.
On oublie volontiers le répertoire artistique de cet homme qui fut le premier à apprendre aux Algériens de la postindépendance ce qu’est une chanson subversive, l’un des plus brillants auteurs et compositeurs de l’art musical kabylophone, l’un des initiateurs du Printemps berbère de 1980 qui fut bel et bien un mouvement de protestation inédit alors que les injustices se sont accumulées depuis 1962 ; l’un des fondateurs de la Ligue des droits de l’Homme en 1985 pour laquelle il a croupi pendant près de deux ans à Berrouaghia après avoir échappé à la peine de mort…
On oublie aisément que cet homme a, en réalité, traversé une série d’étapes classiques pour aboutir à sa dernière revendication, celle-là même qui lui vaut l’anathème de la plupart d’entre nous. L’idée de l’autonomie de la Kabylie n’est pas tombée du ciel et ne saurait être une simple illumination d’un charlatan opportuniste. Ferhat est passé par toutes les phases imaginables du combat légitime pour les libertés, à commencer par celui d’une Algérie plurielle, assumant son Histoire et se refusant à la déculturation, en passant par le refus du marchandage mémoriel d’une caste appelée «la famille révolutionnaire» alors qu’il est lui-même fils de martyr (NDLR : chahid dans le texte d’origine), la proposition d’un système fédéral capable de remédier à la tyrannie et à l’incompétence du centralisme, et enfin, la revendication quasiment forcée par les événements d’une Kabylie autonome et, ensuite, indépendante. Le fait même d’avoir exprimé cette idée a immédiatement précipité Ferhat dans la fosse des néo-harkis au service des desseins destructeurs des impérialistes.
Depuis 2001, on a très rarement argumenté pour réfuter son projet car celui-ci était tout simplement «impensable» ! Tout le drame se situe là justement : il est autrement plus facile d’excommunier que de débattre, de lyncher que de contredire, de trouver des accointances diaboliques que de chercher des antithèses… « Qu’oppose la majorité à la proposition du fondateur du MAK si ce n’est la sacralité de l’intégrité du territoire, la sainteté de la mémoire des martyrs tombés pour ce pays et l’insécabilité de la Kabylie du reste de l’Algérie, quand on ne lui sort pas tout simplement le bon vieux cliché de «vous allez mourir de faim» ! En somme, un discours chauvin, sentimental, si ce n’est pavlovien. Pourtant, le MAK est en train de gagner du terrain en Kabylie et ses idées deviennent progressivement discutables après avoir été longtemps haïssables.
Il ne s’agit pas d’adhérer à la démarche de ce mouvement mais tout simplement d’accepter de l’entendre et de le contredire sans sauter aux rideaux, de comprendre une réalité certes déplaisante mais incontestable : celle d’une Kabylie qui a toujours constitué le punching-ball préféré de l’Etat central et qui, aujourd’hui, a le droit de penser en dehors des balises politiquement correctes ; celle d’une Histoire répressive remontant à bien avant l’indépendance et dont les plus récents coups de massue furent un lâcher de chiens sur des étudiants endormis en 1980 et un assassinat impuni et fièrement revendiqué par l’Etat de 127 manifestants désarmés en 2001, dans l’indifférence générale de leurs «compatriotes»…
Mais au-delà de ces traumatismes, il existe un besoin plus visible et moins censuré en Kabylie d’une libération des mœurs et d’une sortie plus que jamais nécessaire de l’aliénation dogmatique gaiement entretenue par les pouvoirs centraux. Cela peut paraître insignifiant mais il y a bien une raison pour qu’une bonne partie de la société algérienne «mécréante» prenne la route vers ce «territoire» afin d’y goûter aux libertés et aux plaisirs simples ou d’y «manger le Ramadhan» sans être terrorisée par une éventuelle descente de police suivie d’un procès ! Cette raison est que la Kabylie, qu’on le veuille ou pas, est la seule région à résister encore au double diktat social et religieux, à être plus ou moins épargnée par la victoire idéologique des islamistes et à porter en elle les germes d’une sécularisation possible. Laquelle est évidemment impensable dans le giron d’un Etat qui impose «sa» religion à l’intégralité de ses citoyens et qui a prouvé, au fil de l’Histoire, sa totale imperméabilité au changement.
Entre cette Algérie soumise et confortablement installée dans le dogmatisme et l’inquisition et cette Kabylie où le dialogue est possible, Ferhat n’a fait que choisir. On ne peut continuer éternellement à faire passer ce choix pour un crime impardonnable. Le vrai débat surviendra un jour : l’Histoire n’en sera que plus logique !
S. H.
Source Le Soir d’Algérie
SIWEL 021041 JUI 15
Inutile de rappeler les 13 incarcérations dont il a fait l’objet depuis les années 1970, ni les tortures qu’il a subies dans les geôles de la Sécurité militaire, ni son passé de militant acharné pour une Algérie dont il n’a cessé de célébrer l’Histoire, la dignité et le combat libérateur, jusqu’à un certain juin 2001. Or, beaucoup s’obstinent à supprimer tout bonnement quarante ans de combat pour ne retenir que l’image difforme d’un ethnocentriste haineux et politiquement malhonnête.
On oublie volontiers le répertoire artistique de cet homme qui fut le premier à apprendre aux Algériens de la postindépendance ce qu’est une chanson subversive, l’un des plus brillants auteurs et compositeurs de l’art musical kabylophone, l’un des initiateurs du Printemps berbère de 1980 qui fut bel et bien un mouvement de protestation inédit alors que les injustices se sont accumulées depuis 1962 ; l’un des fondateurs de la Ligue des droits de l’Homme en 1985 pour laquelle il a croupi pendant près de deux ans à Berrouaghia après avoir échappé à la peine de mort…
On oublie aisément que cet homme a, en réalité, traversé une série d’étapes classiques pour aboutir à sa dernière revendication, celle-là même qui lui vaut l’anathème de la plupart d’entre nous. L’idée de l’autonomie de la Kabylie n’est pas tombée du ciel et ne saurait être une simple illumination d’un charlatan opportuniste. Ferhat est passé par toutes les phases imaginables du combat légitime pour les libertés, à commencer par celui d’une Algérie plurielle, assumant son Histoire et se refusant à la déculturation, en passant par le refus du marchandage mémoriel d’une caste appelée «la famille révolutionnaire» alors qu’il est lui-même fils de martyr (NDLR : chahid dans le texte d’origine), la proposition d’un système fédéral capable de remédier à la tyrannie et à l’incompétence du centralisme, et enfin, la revendication quasiment forcée par les événements d’une Kabylie autonome et, ensuite, indépendante. Le fait même d’avoir exprimé cette idée a immédiatement précipité Ferhat dans la fosse des néo-harkis au service des desseins destructeurs des impérialistes.
Depuis 2001, on a très rarement argumenté pour réfuter son projet car celui-ci était tout simplement «impensable» ! Tout le drame se situe là justement : il est autrement plus facile d’excommunier que de débattre, de lyncher que de contredire, de trouver des accointances diaboliques que de chercher des antithèses… « Qu’oppose la majorité à la proposition du fondateur du MAK si ce n’est la sacralité de l’intégrité du territoire, la sainteté de la mémoire des martyrs tombés pour ce pays et l’insécabilité de la Kabylie du reste de l’Algérie, quand on ne lui sort pas tout simplement le bon vieux cliché de «vous allez mourir de faim» ! En somme, un discours chauvin, sentimental, si ce n’est pavlovien. Pourtant, le MAK est en train de gagner du terrain en Kabylie et ses idées deviennent progressivement discutables après avoir été longtemps haïssables.
Il ne s’agit pas d’adhérer à la démarche de ce mouvement mais tout simplement d’accepter de l’entendre et de le contredire sans sauter aux rideaux, de comprendre une réalité certes déplaisante mais incontestable : celle d’une Kabylie qui a toujours constitué le punching-ball préféré de l’Etat central et qui, aujourd’hui, a le droit de penser en dehors des balises politiquement correctes ; celle d’une Histoire répressive remontant à bien avant l’indépendance et dont les plus récents coups de massue furent un lâcher de chiens sur des étudiants endormis en 1980 et un assassinat impuni et fièrement revendiqué par l’Etat de 127 manifestants désarmés en 2001, dans l’indifférence générale de leurs «compatriotes»…
Mais au-delà de ces traumatismes, il existe un besoin plus visible et moins censuré en Kabylie d’une libération des mœurs et d’une sortie plus que jamais nécessaire de l’aliénation dogmatique gaiement entretenue par les pouvoirs centraux. Cela peut paraître insignifiant mais il y a bien une raison pour qu’une bonne partie de la société algérienne «mécréante» prenne la route vers ce «territoire» afin d’y goûter aux libertés et aux plaisirs simples ou d’y «manger le Ramadhan» sans être terrorisée par une éventuelle descente de police suivie d’un procès ! Cette raison est que la Kabylie, qu’on le veuille ou pas, est la seule région à résister encore au double diktat social et religieux, à être plus ou moins épargnée par la victoire idéologique des islamistes et à porter en elle les germes d’une sécularisation possible. Laquelle est évidemment impensable dans le giron d’un Etat qui impose «sa» religion à l’intégralité de ses citoyens et qui a prouvé, au fil de l’Histoire, sa totale imperméabilité au changement.
Entre cette Algérie soumise et confortablement installée dans le dogmatisme et l’inquisition et cette Kabylie où le dialogue est possible, Ferhat n’a fait que choisir. On ne peut continuer éternellement à faire passer ce choix pour un crime impardonnable. Le vrai débat surviendra un jour : l’Histoire n’en sera que plus logique !
S. H.
Source Le Soir d’Algérie
SIWEL 021041 JUI 15