Ferhat Mehenni à Maroc Hebdo: " J’ai la certitude de voir la Kabylie indépendante de mon vivant”

19/05/2016 13:15

MAROC (SIWEL) — Le 20 avril 2016, des milliers de Kabyles sont descendus dans la rue pour réclamer l’indépendance de la Kabylie. Le président du Gouvernement Provisoire Kabyle, Ferhat MEHENNI, a donné une interview à l'hebdomadaire marocain Maroc Hebdo où il affirme, à l’âge de 65 ans, avoir la certitude de voir la Kabylie indépendante de son vivant.

Siwel publie ci-après l’interview du Président de l’Anavad.


- Maroc Hebdo : partout en Algérie mais également à l’Etranger, notamment en France, le 20 avril 2016 a vu des dizaines de milliers de Kabyles descendre dans la rue pour réclamer le droit à l’autodétermination de la Kabylie. Estimez-vous que ce soit, dans l’ensemble, une réussite ?

- Ferhat Mehenni : En effet, ce sont des centaines de milliers de Kabyles qui sont descendus dans la rue, particulièrement des jeunes. En Kabylie, en France et à Montréal en particulier. Ils ont réclamé le droit de la Kabylie à son autodétermination. Nous sommes fiers de ce succès et nous n’en resterons pas là. Il doit trouver sa traduction et ses prolongements dans des actes diplomatiques en vue d’un soutien international dont nous avons déjà quelques signes encourageants. Mais je n’en dirais pas plus pour le moment.

- Maroc Hebdo : Que pensez-vous de la politique de l’Etat algérien vis-à- vis des Imazighen, c’est-à-dire des locuteurs des dialectes de la langue amazighe?

- Ferhat Mehenni : L’Etat algérien est l’enfant de la colonisation française. Il traite les Imazighen en colonisés et les considère comme un danger permanent pour sa survie. Il considère qu’il n’y a pas d’autre avenir pour les Berbères en dehors de leur arabisation. Il mène une politique culturelle génocidaire.
C’est, entre autres, la raison pour laquelle nous en sommes venus à proclamer l’Anavad et à réclamer notre droit à un Etat kabyle indépendant.
Toutefois, là où vous parlez de dialectes, nous parlons de langues. Il n’y a pas une langue amazighe mais des langues amazighes. Tamazight est une famille de langues sœurs, belles et majeures. Parler de dialectes revient à les rabaisser, à les dévaloriser et du même coup à porter atteinte aux peuples qui les parlent.

- Maroc Hebdo : Au départ, vous réclamiez seulement l’autonomie de la Kabylie. Pourquoi désormais l’indépendance?

- Ferhat Mehenni : La revendication d’une autonomie pour la Kabylie n’avait jamais été entendue par le pouvoir algérien même si elle était de nature à le consolider. En fait, il se complaisait dans le huis clos que cette option lui garantissait. Avec l’autodétermination, l’affaire devient internationale.
Nous avons besoin de témoins et de soutiens au sein de la communauté internationale pour faire aboutir un droit légitime, reconnu par tous les pactes entre Etats, le droit d’un peuple à disposer de lui-même. La Kabylie est ainsi passée d’une revendication d’un statut de large autonomie à celle de l’autodétermination, entérinée par le deuxième congrès du MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie) le 9 décembre 2011 et réaffirmé par le troisième congrès qui vient de se tenir le 26 février 2016.

- Maroc Hebdo : Ailleurs au Maghreb, plusieurs Imazighen mettent en cause vos velléités indépendantistes dans la mesure où vous auriez « trahi », pour reprendre certaines critiques, le combat millénaire des populations de la région en faveur d’une réunification sous une seule et même bannière, en l’occurrence celle de «Tamazgha». Ils vous accusent de vouloir faire ressortir un certain «spécifisme» kabyle, si j’ose dire, au lieu de mettre en lumière le socle d’appartenance commun. Qu’en dites-vous ?

Ferhat Mehenni: Nous respectons les opinions de nos frères imazighen et je crois qu’aujourd’hui, ils respectent les nôtres. Je rappelle que c’est dès 2001, après que nous ayons revendiqué une autonomie régionale suite à l’épisode sanglant du “Printemps Noir” durant lequel la Kabylie a perdu plus d’une centaine de ses enfants, abattus par le pouvoir algérien, que nous avons entendu certaines récriminations amazighes contre notre démarche, qualifiée alors de trahison. Visiblement, il y avait incompréhension. La Kabylie a vocation à défendre l’amazighité et non à s’y dissoudre. Elle a un devoir de solidarité morale à l’égard de tous les Imazighen mais elle devra se battre avant tout pour elle-même.

- Maroc Hebdo : Vous avez installé, dès 2010, un gouvernement provisoire, l’Anavad, sans pour autant être élu. Cela ne pose-t-il pas d’après vous un problème de légitimité ?

- Ferhat Mehenni: Il n’y a aucun gouvernement provisoire au monde qui ait été élu. On installe un gouvernement de cette nature lorsque les conditions politiques d’en élire un l’interdisent. C’est le cas actuellement de la Kabylie. Toutefois, l’élection du président de l’Anavad est une affaire interne aux militants du MAK dont il tire sa légitimité. Depuis 2010, j’ai été élu à deux reprises, en 2011 et en 2016, à l’unanimité de nos congressistes pour un mandat de 4 ans. Les marches populaires que nous organisons depuis 2010 et celles de ce 20 avril 2016 en Kabylie ont largement légitimé le MAK et l’Anavad, leurs présidents ainsi que leur demande d’un référendum d’autodétermination pour la Kabylie.

- Maroc Hebdo : L’Etat marocain est l’un des rares à soutenir officiellement votre cause. Qu’en pensez-vous ?

- Ferhat Mehenni : Le Maroc a ouvert la voie à la reconnaissance internationale du droit du peuple kabyle à disposer de lui-même. Nous l’en félicitons et lui exprimons la considération de la Kabylie qui souhaiterait renforcer ses relations fraternelles avec lui. L’avenir est à construire avec nos deux volontés.

- Maroc Hebdo : Pensez-vous que l’indépendance de la Kabylie soit réellement possible un jour ?

- Ferhat Mehenni : J’ai 65 ans mais j’ai la certitude de la voir de mon vivant.
 

Source Maroc Hebdo

SIWEL 191305 MAI 16




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