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Délibération de 1749 : « L’autorité de la coutume et de l’usage est inviolable et sacrée »

13/10/2016 - 19:21

CONTRIBUTION (SIWEL) — Contribution de Mas Salem At Sayd, un passionné de l’Histoire de la Kabylie. Il revient sur une délibération datant de 1749 et qui a été adoptée chez les Igawawen et dans la plupart des régions de la Kabylie. A l’époque, comme le précise l’auteur, la Kabylie faisait face à l’idéologie de l’empire ottoman et avait besoin de réitérer le fait que la « L’autorité de la coutume et de l’usage est inviolable et sacrée ».


La loi salique kabyle a été adoptée par de nombreuses aarch kabyles. Les Ligues fédérales Haute et Basse étaient concernées. Chez les At Iraten, cela s’est traduit par la pose de 12 pierres. Et chez Djemaa N Saridj par la pose de la fameuse pierre salique. Chez ce qu’on peut appeler peu ou prou les Igawawen, cela s’est traduit par un procès verbal de délibération dressé en 1749. Mais recopié à des fins de sauvegarde en 1810. Nous trouvons cette copie dans la revue africaine n° 38 de 1895. Selon H. Roberts, les Ouadhias ont très probablement tenu une assemblée adoptant les mêmes dispositions. Nous avons appris récemment que les At Jennad ont également eu recourt à cette jurisprudence. Car ils auraient été aussi confrontés au retour de villageois que tout le monde pensaient morts (à vérifier).

Au-delà de la question de l’héritage de la femme dont les motifs ont été largement évoqués par Boulifa. Le procès verbal de la délibération de 1749 est très instructif et nous apprend de nombreuses autres choses. Et notamment, le fait que la Loi kabyle était souveraine. Surtout que le Droit kabyle avait le prima sous toutes autres formes juridiques et notamment la loi islamique.

Que nous apprend donc cette fameuse délibération :

1 – L’autorité de la coutume et de l’usage, une autorité souveraine

Devant la remise en cause de ces anciennes dispositions du Droit kabyle, la délibération réaffirme un des principes constitutionnels de la Kabylie.

« L’autorité de la coutume et de l’usage est inviolable et sacrée comme une autorité souveraine ».

Nous ne savons pas de quelle nature était la remise en cause de la loi. En revanche, nous savons qu’à ce moment-là, le royaume de Koukou n’était plus. L’État voisin Ottoman avait des vues sur la Kabylie et notamment le domaine des seigneurs de Koukou (Ivuxtucen). Qu’il avait mobilisé son « clergé » afin de répandre une vision juridique islamique exogène à Tamazgha centrale. Que ces Oulémas n’avaient de cesse d’accuser les Imravden de charlatanisme. Et ce, afin d’y substituer leur vision de la loi : la loi islamique.

Chose étrange, nous voyons avec ce procès-verbal les Imravden remettre en cause aux côtés des notables la loi islamique en Terre kabyle. Une telle réaffirmation aurait pu valoir selon Roberts une guerre Sainte généralisée contre la Kabylie. Pourquoi la Kabylie a-t-elle défié de la sorte l’Empire Ottoman ? Voire même au-delà, puisque le Maroc était soumis à la loi islamique, même s’il ne faisait pas partie de l’Empire Ottoman. Pourquoi prendre le risque d’être accusé d’apostasie ? Mystère ! Mais tôt ou tard, nous saurons. Enfin, c’est dire l’importance vitale de cette loi puisque le procès-verbal fait l’objet d’un sauvetage en 1810. Et cela ne peut se résumer aux seules préoccupations de « la loi salique ».

2 - Le « Marché » avait, en plus de sa fonction économique, une fonction politique

Généralement, le marché se tenait une fois par semaine et ce marché était organisé par l’Aarch propriétaire. En l’occurrence ici, ce sont les At Ouacif qui étaient propriétaires de ce marché. Letourneux et Hanoteau nous apprennent que le marché kabyle disposait de ses propres institutions avec son « aqaru » ses « aaqel » et surtout ses « fusils ». Il y a avait souvent un Qadi qui proposait ses services comme tout autre bien marchand. Que ce juge venu des villes rendait ses jugements sous la surveillance jalouse des Imravden (juge arbitre) et des « aaqel » du village concerné. Dans notre cas, le marché de « Larbaa n At Ouacif » rassemblait de nombreuses aarch.

Les At Betroun (At Yenni, Iboudraren et At Bu Akkache, At ouacif), les At Sedqa et autres voisins et alliés étaient aussi présents. Et bien d’autres. Nous en déduisons que le « Marché » avait en plus de sa fonction économique, une fonction politique. L’État traditionnel n’étant que peu centralisé, il se centralise en temps normal chaque semaine lors des marchés. Ce qui nous amène à conclure que le marché kabyle était un lieu de centralité de l’État traditionnelle kabyle. Autrement dit, un état qui se centralise au besoin. Et cela en vue de limiter la charge et le coût de l’appareil d’État.

Ces délibérations n’ont pas encore fini de nous révéler tous leurs secrets. Il semble que la Kabylie avait besoin de mettre les choses au clair avec le monde musulman même au XVIIIe siècle. Sur la place de la religion et sur le fait que la patrie passe avant tout. Et étrangement, les choses ne semblent pas avoir changé, car la Kabylie n’a de cesse de réaffirmer la pleine « souveraineté de ses lois ». Et aujourd’hui plus qu’hier.

Extrait de la délibération telle que  recopiée en 1810.
Extrait de la délibération telle que recopiée en 1810.
Salem At Sayd
SIWEL 131920 OCT 16



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