Depuis un mois, une pétition circule dans les milieux kabyles pour l’officialisation de la langue amazighe en Algérie.
Jusqu’en 2001, une telle action aurait sûrement été promise à un succès qu’il est difficile de réaliser de nos jours, et ce malgré le fossé technologique séparant les deux époques. Mais la Kabylie avait déjà, en vain, fait bien mieux que des pétitions. Si une année scolaire blanche (1994-95), deux millions de Kabyles ayant déferlé sur Alger le 14/06/2001 et 127 personnes tuées entre 2001 et 2003 n’ont rien apporté que peuvent faire aujourd’hui des signatures, et ce quel que soit leur nombre ou leur qualité ? Cependant, au-delà du caractère dépassé de cette revendication, et à cause de lui, cette pétition interpelle.
A l’heure du Gouvernement Provisoire Kabyle et du mot d’ordre d’autodétermination de la Kabylie, et sans douter aucunement de la bonne foi de ses auteurs et des signataires, certains observateurs éclairés trouvent cette initiative pour le moins trouble. Quelques hypothèses sont avancées.
Les leçons de l’Histoire ne sont pas retenues
« Tamazight langue nationale et officielle » était la revendication principale de la Kabylie durant deux décennies (1980-2001). Ce slogan nous avait menés dans une impasse que le Printemps Noir révéla dramatiquement dans le sang. Le Printemps Noir a surtout ouvert un nouvel horizon et fixé un nouveau cap pour le combat national kabyle, celui de l’autonomie régionale qui, en 10 ans de lutte, a abouti à la revendication du droit à l’autodétermination de la Kabylie. Sommes-nous donc si ignorants de notre propre histoire, de ses enseignements et de ses avancées ? Dans tous les cas, cette voie a été condamnée par l’Histoire.
Le retour en arrière de la Kabylie fait le jeu du pouvoir algérien
Revenir à la revendication de « Tamazight langue nationale et officielle » est un soulagement pour le régime antikabyle d’Alger qui sait qu’elle ne peut, dans le pire des cas pour lui, que lui faciliter la politique d’arabisation visant la mort même de la langue kabyle et de l’identité qu’elle porte. Cela signifierait que le peuple kabyle accepte de demeurer une simple minorité nationale linguistique et se condamne lui-même à se fondre linguistiquement dans la majorité arabe et, sur le plan identitaire, dans l’algérianité arabo-musulmane.
Nous savons surtout que le statut de langue officielle ne résout pas le problème d’un peuple. Par exemple, le Tamasheq est consacré langue nationale et officielle au Niger et au Mali mais il y est en perpétuelle régression depuis les années soixante. Les Touaregs de ces deux pays ne peuvent même pas se plaindre d’un traitement linguistique discriminatoire auprès des instances internationales dès lors que leur langue est officielle. Ce statut, s’il venait à être accordé au « tamazight » en Algérie ne ferait que dédouaner le régime algérien quant à son attitude raciste envers nous, tout en remettant les clés de notre langue entre les mains d’un Etat ennemi.
Cette pétition, dans le meilleur des cas, ramènerait la Kabylie à la case-départ d’il y a 30 ans, celle de 1980.
La question « démocratique » de la pétition
Une pétition est par définition un droit et une liberté démocratiques que personne ne peut remettre en cause. Pour autant un droit et une liberté sont censés faire avancer un peuple vers plus de droits et libertés que ne suppose leur simple exercice. Ils visent le progrès et non la régression comme dans le cas actuel de cette pétition. Nous sommes face à une attitude suicidaire. C’est comme si, un groupe de personnes sur un bateau ou dans un avion veut se faire exploser sans tenir compte du reste des passagers. La démocratie ne doit pas remettre en cause des acquis mais les approfondir. Ce qui est urgent en ce 20 avril 2013 est de sortir massivement dans la rue pour revendiquer comme un seul homme l’exercice du droit à l’autodétermination de la Kabylie et non d’aller, tels des SDF (Sans-domicile-fixe) linguistiques, quémander auprès de nos bourreaux et des assassins de nos enfants, qu’ils daignent nous accorder une miette de « langue amazighe » qui reste par ailleurs à définir.
Mais essayons d’aller au bout de la logique de cette incompréhensible démarche. Oublions le fait que le texte de la pétition annonce imprudemment une « imminente » révision constitutionnelle qui n’est pas à l’ordre du jour, du moins d’ici le 20 avril prochain, voire même la fin de l’année en cours, et allons dans le sens de cette pétition. Admettons que ce pouvoir tuant nos enfants et menant une politique tous-azimuts de dépersonnalisation de la Kabylie depuis toujours, brûlant nos forêts et occupant militairement de manière outrageuse ces derniers temps le territoire kabyle, en vienne par miracle à accéder à cette pétition. Allons-nous nous mettre à ses pieds et lui savoir gré d’un tel acte en oubliant 50 ans, un demi-siècle, de luttes, de sacrifices et de souffrances, de larmes et de sang de plusieurs générations de Kabyles ?
Dans tous les cas, cette regrettable initiative pourrait faire le jeu des grandes manœuvres ayant déjà commencé pour les présidentielles de 2014 que la Kabylie est, comme à son accoutumée depuis 1999, tenue de boycotter. Nul candidat qui refuserait de s’engager à respecter le droit du peuple kabyle à son autodétermination ne saurait trouver grâce auprès de celui-ci.
Ayons plutôt à l’esprit les faits ayant jalonné notre histoire, y compris du temps du Mouvement National. En effet, Ait Ahmed, dans « Mémoires d’un combattant », raconte qu’à l’époque de la crise antiberbère (1949), il reçut la visite de Mohamed Belouizdad dépêché par les « centralistes » pour le convaincre de rester dans la direction du MTLD d’où furent chassés tous les Kabyles pour crime de berbérisme. Ait Ahmed écrit avoir donné cette lucide réponse à son visiteur : « La différence entre vous et nous, c’est que nous les Kabyles sommes prêts à accepter une Algérie arabe à une Algérie française mais vous les Arabes, vous préférerez une Algérie française à une Algérie berbère ». Cette position raciste en face de nous n’a fait que se muscler depuis l’indépendance de l’Algérie contre la Kabylie.
Venir donc, en avril 2013 à en appeler « au président de la République, au gouvernement et aux parlementaires » algériens comme le fait cette pétition, est pour le moins troublant. Mais entrainer la Kabylie vers son suicide est inadmissible. La Kabylie est en train de se confectionner un drapeau national, demain elle entamera la mise sur pied d’un Conseil National et d’une commission chargée d’élaborer sa Constitution démocratique pour son prochain Etat. Tels sont les seuls et vrais enjeux de ce 20 avril 2013.
Un groupe de citoyens kabyles
SIWEL 12 1430 AVR13
Jusqu’en 2001, une telle action aurait sûrement été promise à un succès qu’il est difficile de réaliser de nos jours, et ce malgré le fossé technologique séparant les deux époques. Mais la Kabylie avait déjà, en vain, fait bien mieux que des pétitions. Si une année scolaire blanche (1994-95), deux millions de Kabyles ayant déferlé sur Alger le 14/06/2001 et 127 personnes tuées entre 2001 et 2003 n’ont rien apporté que peuvent faire aujourd’hui des signatures, et ce quel que soit leur nombre ou leur qualité ? Cependant, au-delà du caractère dépassé de cette revendication, et à cause de lui, cette pétition interpelle.
A l’heure du Gouvernement Provisoire Kabyle et du mot d’ordre d’autodétermination de la Kabylie, et sans douter aucunement de la bonne foi de ses auteurs et des signataires, certains observateurs éclairés trouvent cette initiative pour le moins trouble. Quelques hypothèses sont avancées.
Les leçons de l’Histoire ne sont pas retenues
« Tamazight langue nationale et officielle » était la revendication principale de la Kabylie durant deux décennies (1980-2001). Ce slogan nous avait menés dans une impasse que le Printemps Noir révéla dramatiquement dans le sang. Le Printemps Noir a surtout ouvert un nouvel horizon et fixé un nouveau cap pour le combat national kabyle, celui de l’autonomie régionale qui, en 10 ans de lutte, a abouti à la revendication du droit à l’autodétermination de la Kabylie. Sommes-nous donc si ignorants de notre propre histoire, de ses enseignements et de ses avancées ? Dans tous les cas, cette voie a été condamnée par l’Histoire.
Le retour en arrière de la Kabylie fait le jeu du pouvoir algérien
Revenir à la revendication de « Tamazight langue nationale et officielle » est un soulagement pour le régime antikabyle d’Alger qui sait qu’elle ne peut, dans le pire des cas pour lui, que lui faciliter la politique d’arabisation visant la mort même de la langue kabyle et de l’identité qu’elle porte. Cela signifierait que le peuple kabyle accepte de demeurer une simple minorité nationale linguistique et se condamne lui-même à se fondre linguistiquement dans la majorité arabe et, sur le plan identitaire, dans l’algérianité arabo-musulmane.
Nous savons surtout que le statut de langue officielle ne résout pas le problème d’un peuple. Par exemple, le Tamasheq est consacré langue nationale et officielle au Niger et au Mali mais il y est en perpétuelle régression depuis les années soixante. Les Touaregs de ces deux pays ne peuvent même pas se plaindre d’un traitement linguistique discriminatoire auprès des instances internationales dès lors que leur langue est officielle. Ce statut, s’il venait à être accordé au « tamazight » en Algérie ne ferait que dédouaner le régime algérien quant à son attitude raciste envers nous, tout en remettant les clés de notre langue entre les mains d’un Etat ennemi.
Cette pétition, dans le meilleur des cas, ramènerait la Kabylie à la case-départ d’il y a 30 ans, celle de 1980.
La question « démocratique » de la pétition
Une pétition est par définition un droit et une liberté démocratiques que personne ne peut remettre en cause. Pour autant un droit et une liberté sont censés faire avancer un peuple vers plus de droits et libertés que ne suppose leur simple exercice. Ils visent le progrès et non la régression comme dans le cas actuel de cette pétition. Nous sommes face à une attitude suicidaire. C’est comme si, un groupe de personnes sur un bateau ou dans un avion veut se faire exploser sans tenir compte du reste des passagers. La démocratie ne doit pas remettre en cause des acquis mais les approfondir. Ce qui est urgent en ce 20 avril 2013 est de sortir massivement dans la rue pour revendiquer comme un seul homme l’exercice du droit à l’autodétermination de la Kabylie et non d’aller, tels des SDF (Sans-domicile-fixe) linguistiques, quémander auprès de nos bourreaux et des assassins de nos enfants, qu’ils daignent nous accorder une miette de « langue amazighe » qui reste par ailleurs à définir.
Mais essayons d’aller au bout de la logique de cette incompréhensible démarche. Oublions le fait que le texte de la pétition annonce imprudemment une « imminente » révision constitutionnelle qui n’est pas à l’ordre du jour, du moins d’ici le 20 avril prochain, voire même la fin de l’année en cours, et allons dans le sens de cette pétition. Admettons que ce pouvoir tuant nos enfants et menant une politique tous-azimuts de dépersonnalisation de la Kabylie depuis toujours, brûlant nos forêts et occupant militairement de manière outrageuse ces derniers temps le territoire kabyle, en vienne par miracle à accéder à cette pétition. Allons-nous nous mettre à ses pieds et lui savoir gré d’un tel acte en oubliant 50 ans, un demi-siècle, de luttes, de sacrifices et de souffrances, de larmes et de sang de plusieurs générations de Kabyles ?
Dans tous les cas, cette regrettable initiative pourrait faire le jeu des grandes manœuvres ayant déjà commencé pour les présidentielles de 2014 que la Kabylie est, comme à son accoutumée depuis 1999, tenue de boycotter. Nul candidat qui refuserait de s’engager à respecter le droit du peuple kabyle à son autodétermination ne saurait trouver grâce auprès de celui-ci.
Ayons plutôt à l’esprit les faits ayant jalonné notre histoire, y compris du temps du Mouvement National. En effet, Ait Ahmed, dans « Mémoires d’un combattant », raconte qu’à l’époque de la crise antiberbère (1949), il reçut la visite de Mohamed Belouizdad dépêché par les « centralistes » pour le convaincre de rester dans la direction du MTLD d’où furent chassés tous les Kabyles pour crime de berbérisme. Ait Ahmed écrit avoir donné cette lucide réponse à son visiteur : « La différence entre vous et nous, c’est que nous les Kabyles sommes prêts à accepter une Algérie arabe à une Algérie française mais vous les Arabes, vous préférerez une Algérie française à une Algérie berbère ». Cette position raciste en face de nous n’a fait que se muscler depuis l’indépendance de l’Algérie contre la Kabylie.
Venir donc, en avril 2013 à en appeler « au président de la République, au gouvernement et aux parlementaires » algériens comme le fait cette pétition, est pour le moins troublant. Mais entrainer la Kabylie vers son suicide est inadmissible. La Kabylie est en train de se confectionner un drapeau national, demain elle entamera la mise sur pied d’un Conseil National et d’une commission chargée d’élaborer sa Constitution démocratique pour son prochain Etat. Tels sont les seuls et vrais enjeux de ce 20 avril 2013.
Un groupe de citoyens kabyles
SIWEL 12 1430 AVR13