Centrafrique : la France dans le piège du néocolonialisme

15/12/2013 15:35

PARIS (SIWEL) — "Actuellement, il n’existe pas de pays africain francophone où l’on ne pratique pas de racisme d’Etat contre l’un ou plusieurs de ses peuples", écrit Ferhat Mehenni dans son dernier livre (1), que j’ai eu le plaisir de préfacer. Cet homme politique kabyle, réfugié en France, connaît la mentalité africaine : il assure qu’elle n’accepte plus les "aberrantes frontières" qui imposent une cohabitation à des peuples trop différents.


Les 1 600 militaires dépêchés par la France en Centrafrique ne suffiront probablement pas à rétablir la sécurité dans ce pays tourmenté par ses querelles intestines. La mort de deux soldats du 8 e RPIMa de Castres, lundi soir à Bangui au premier jour de l’opération Sangaris, illustre la brutalité des affrontements. Dans le bloc-notes du 11 octobre, je m’étonnais de l’indifférence portée au sort des habitants de ce pays oublié. Il est heureux que Paris se soit réveillé. Mais toute l’Afrique francophone souffre de la même mal-gouvernance, aggravée par une offensive islamiste dont les chrétiens sont les cibles. Depuis la décolonisation, il y a 50 ans, la France est intervenue 48 fois en Afrique subsaharienne, dans un service après vente à renouveler sans cesse puisque les réparations sommaires ne tiennent pas. Congo, Côte d’Ivoire, Mali, Centrafrique, etc., sont autant de pays qui continueront à appeler à la rescousse, tant que les causes de leur instabilité ne seront pas énoncées. Or, le cœur du problème tient au fait que ces nations, taillées à la serpe par la puissance coloniale, se déchirent de l’intérieur. Alors que les britanniques ont su comprendre ce mal-vivre en démembrant le Soudan ou l’Ethiopie, la France s‘accroche à ses créatures en promettant l’intangibilité des frontières. "Pour la France, il n’y a qu’un Mali", dit par exemple le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Ce néocolonialisme est un piège dont il faut sortir.

"Actuellement, il n’existe pas de pays africain francophone où l’on ne pratique pas de racisme d’Etat contre l’un ou plusieurs de ses peuples", écrit Ferhat Mehenni dans son dernier livre (1), que j’ai eu le plaisir de préfacer. Cet homme politique kabyle, réfugié en France, connaît la mentalité africaine : il assure qu’elle n’accepte plus les "aberrantes frontières" qui imposent une cohabitation à des peuples trop différents. "Il ne suffit pas de doter des populations hétéroclites d’un Etat pour que celui-ci fasse une nation (…) La division de la Côte d’Ivoire et du Mali, chacun en deux, reste à l’ordre du jour de l’Histoire. Aucune réconciliation nationale n’y est possible". L’analyse vaut également pour la Centrafrique, théâtre d’un conflit ethnique et religieux entre musulmans du nord et chrétiens du sud. Ce discours réaliste est évidemment à l’opposé de l’utopie du "vivre ensemble", mise en scène hier à Johannesburg, en hommage à Nelson Mandela (j’y revendrai vendredi). Mais la France, qui s’épuise à tenter d’éteindre des incendies qui repartent ailleurs, devrait davantage écouter ce que disent les peuples concernés. Mehenni : "Pour perdre l’Afrique, la France n’a qu’à persévérer dans le déni des réalités des peuples africains".

(1) Afrique : le casse-tête français ; La France va-t-elle perdre l’Afrique ? Editions de Passy

Ivan Rioufol,
Le Figaro



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