Mme Najat Vallaud-Belkacem
Ministre de l’Education Nationale
Ministère de l’Education Nationale
110, Rue de Grenelle
75357 Paris SP 07
Mme La Ministre,
Comme vous le savez, suite à des accords entre la France et certains Etats (Algérie, Croatie, Espagne, Italie, Maroc, Portugal, Serbie, Tunisie, Turquie), l’Education Nationale offre aux élèves de l’école primaire, dont les parents sont ressortissants ou « français d’origine » de ces pays ou supposés tels, des « enseignements de langue et culture d’origine » (ELCO). Ces accords prévoient que ces enseignements soient assurés au sein de l’école de la République mais par des enseignants étrangers désignés et rémunérés par des gouvernements étrangers.
Il est alors très légitime de se demander au nom de quoi l’Education Nationale française accepte qu’une partie de ses enfants soient formés, « éduqués » par des Etats étrangers avec des programmes étrangers ? C’est une pratique tout autant aberrante que potentiellement dangereuse parce que possiblement porteuse de dérives d’ailleurs constatées par de nombreux organismes dont le Haut Conseil à l’Intégration (HCI) dans un rapport remis au Premier Ministre en 2013. Le HCI y dénonce en effet des phénomènes de « communautarisme » et d’« éloignement des valeurs républicaines ».
Par conséquent, je suggère que les ELCO soient rebaptisés « enseignements de la diversité linguistique et culturelle » et soient entièrement assumés et assurés par l’Education Nationale française, avec des programmes et des enseignants français et pendant le temps scolaire.
Par ailleurs, on constate que l’offre actuelle de ces enseignements s’adresse automatiquement et quasi-exclusivement aux élèves dont les parents sont originaires ou supposés originaires des Etats signataires de ces accords. En conséquence, le fait que ces enseignements s’adressent uniquement aux enfants sensés avoir un lien avec un pays étranger est à la fois discriminatoire et stigmatisant pour ces élèves et fait obstacle à l’ouverture et aux échanges interculturels tout en favorisant le repli sur soi et le sentiment communautariste.
Pour ce qui concerne spécifiquement les élèves dont les parents sont étrangers nord-africains (Algérie, Maroc, Tunisie) ou français d’origine nord-africaine ou supposés tels, l’offre de l’ELCO est faite sous la forme d’un document bilingue français et arabe. Ce qui laisse supposer que l’administration française et particulièrement l’Education Nationale, considèrent que les pays du nord de l’Afrique et leurs habitants et l’immigration en France qui en est issue, sont tous des Arabes et uniquement des Arabes.
Pourtant vous êtes très bien placée Mme la Ministre, pour savoir que la majorité des nord-africains sont des Amazighs (Berbères) et qu’en France, la proportion de personnes de culture et de langue maternelle amazighes dans la population d’origine nord-africaine est au moins de 50% ! Et même dans les pays d’origine, malgré des politiques gouvernementales très défavorables, l’amazighité commence à être reconnue si l’on en juge par exemple par le fait que la langue amazighe a le statut de langue nationale en Algérie (depuis 2002) et de langue officielle au Maroc (depuis 2011).
Concernant leurs contenus, on observe que ces enseignements ne traitent que de la langue et de la culture araboislamiques et absolument rien n’est mentionné sur le peuple autochtone du nord de l’Afrique et sur sa langue et sa culture amazighes.
On se demande alors pourquoi l’Education Nationale française continue d’ostraciser autant la langue et la culture amazighes ? Pourquoi l’Education Nationale tient tant à priver des milliers d’élèves d’origine amazighe de la langue d’origine de leurs parents? Pourquoi l’Education Nationale impose t-elle l’enseignement de la langue et la culture arabes aux enfants d’origine amazighe, comme si c’était leur langue et culture d’origine ? L’Education Nationale mesure t-elle les dégâts que cette « falsification » peut provoquer sur la construction de la personnalité et des repères identitaires de l’enfant et du futur adulte ?
Mme la Ministre, vous avez déclaré en juin dernier : « dans le cadre de la politique que je mène en faveur du développement des langues vivantes étrangères, l’arabe sera évidemment dans le panel des langues, parce qu’on a besoin de cette diversité des langues». Ce que vous dites est très juste concernant le plurilinguisme et la diversité des langues, mais pourquoi la diversité linguistique en France devrait-elle se limiter à la langue arabe ? Et pourquoi n’incluez-vous pas dans votre politique linguistique par exemple les langues régionales de France et la langue amazighe, votre langue maternelle, Mme la ministre et celle de deux millions de personnes d’origine amazighe en France ?
Par ailleurs et comme vous le savez, la culture amazighe porte en elle les valeurs qui font le socle de la République : la laicité, le respect d’Autrui, la démocratie, l’égalité femme-homme... En conséquence, en enseignant la langue et la culture amazighes aux jeunes d’origine nord-africaine mais aussi à tous les autres, on enseigne la liberté, l’égalité, la diversité et la pluralité, qu’elles soient humaine, culturelle, linguistique, spirituelle, religieuse, etc. Par exemple, en enseignant que Saint-Augustin est un Amazigh natif de Thagast dans l’est de l’Algérie, que ce sont des Amazighs qui ont conquis l’Espagne à partir de l’an 711, qu’avant d’être musulmans les nord-africains ont connu le paganisme, le judaisme, le christianisme et enfin l’islam, on contribue non seulement à « corriger l’histoire » mais aussi et surtout à casser le monolithisme, les dogmes et les idées reçues qui désorientent les jeunes générations qui deviennent alors des proies faciles du fondamentalisme religieux.
Enseigner la langue et la culture amazighes, c’est lutter contre les préjugés négatifs et contre toutes les formes de déterminisme, d’unicisme, d’extrêmisme, de racisme et de rejet de la différence. C’est en même temps une action en faveur des principes et valeurs communs qui contribuent à la connaissance de l’Autre, au rapprochement et au bien vivre ensemble
Je suis persuadé que vous avez bien compris, Mme La Ministre, que le sens de ma lettre est de conforter comme vous le dites, « une Ecole qui transmet les valeurs de la République ».
Je me permets de vous rappeler qu’un collectif d’associations vous a déjà écrit à ce sujet au mois de mars dernier mais leur courrier est resté sans suite.
Je souhaiterais vivement que vous puissiez vous saisir rapidement de ma présente alerte aux fins d’apporter les correctifs qui s’imposent au dispositif Elco. Je reste à votre disposition pour vous apporter, si vous le souhaitez, tous les éclaircissements et le soutien utiles.
Veuillez agréer, Mme La Ministre, l’expression de mon profond respect.
Belkacem Lounès
Conseiller Régional de Rhône-Alpes
Vice-Président de la Commission Enseignement Supérieur et Recherche
Président du Comité des langues régionales
SIWEL 081331 OCT 15
Ministre de l’Education Nationale
Ministère de l’Education Nationale
110, Rue de Grenelle
75357 Paris SP 07
Mme La Ministre,
Comme vous le savez, suite à des accords entre la France et certains Etats (Algérie, Croatie, Espagne, Italie, Maroc, Portugal, Serbie, Tunisie, Turquie), l’Education Nationale offre aux élèves de l’école primaire, dont les parents sont ressortissants ou « français d’origine » de ces pays ou supposés tels, des « enseignements de langue et culture d’origine » (ELCO). Ces accords prévoient que ces enseignements soient assurés au sein de l’école de la République mais par des enseignants étrangers désignés et rémunérés par des gouvernements étrangers.
Il est alors très légitime de se demander au nom de quoi l’Education Nationale française accepte qu’une partie de ses enfants soient formés, « éduqués » par des Etats étrangers avec des programmes étrangers ? C’est une pratique tout autant aberrante que potentiellement dangereuse parce que possiblement porteuse de dérives d’ailleurs constatées par de nombreux organismes dont le Haut Conseil à l’Intégration (HCI) dans un rapport remis au Premier Ministre en 2013. Le HCI y dénonce en effet des phénomènes de « communautarisme » et d’« éloignement des valeurs républicaines ».
Par conséquent, je suggère que les ELCO soient rebaptisés « enseignements de la diversité linguistique et culturelle » et soient entièrement assumés et assurés par l’Education Nationale française, avec des programmes et des enseignants français et pendant le temps scolaire.
Par ailleurs, on constate que l’offre actuelle de ces enseignements s’adresse automatiquement et quasi-exclusivement aux élèves dont les parents sont originaires ou supposés originaires des Etats signataires de ces accords. En conséquence, le fait que ces enseignements s’adressent uniquement aux enfants sensés avoir un lien avec un pays étranger est à la fois discriminatoire et stigmatisant pour ces élèves et fait obstacle à l’ouverture et aux échanges interculturels tout en favorisant le repli sur soi et le sentiment communautariste.
Pour ce qui concerne spécifiquement les élèves dont les parents sont étrangers nord-africains (Algérie, Maroc, Tunisie) ou français d’origine nord-africaine ou supposés tels, l’offre de l’ELCO est faite sous la forme d’un document bilingue français et arabe. Ce qui laisse supposer que l’administration française et particulièrement l’Education Nationale, considèrent que les pays du nord de l’Afrique et leurs habitants et l’immigration en France qui en est issue, sont tous des Arabes et uniquement des Arabes.
Pourtant vous êtes très bien placée Mme la Ministre, pour savoir que la majorité des nord-africains sont des Amazighs (Berbères) et qu’en France, la proportion de personnes de culture et de langue maternelle amazighes dans la population d’origine nord-africaine est au moins de 50% ! Et même dans les pays d’origine, malgré des politiques gouvernementales très défavorables, l’amazighité commence à être reconnue si l’on en juge par exemple par le fait que la langue amazighe a le statut de langue nationale en Algérie (depuis 2002) et de langue officielle au Maroc (depuis 2011).
Concernant leurs contenus, on observe que ces enseignements ne traitent que de la langue et de la culture araboislamiques et absolument rien n’est mentionné sur le peuple autochtone du nord de l’Afrique et sur sa langue et sa culture amazighes.
On se demande alors pourquoi l’Education Nationale française continue d’ostraciser autant la langue et la culture amazighes ? Pourquoi l’Education Nationale tient tant à priver des milliers d’élèves d’origine amazighe de la langue d’origine de leurs parents? Pourquoi l’Education Nationale impose t-elle l’enseignement de la langue et la culture arabes aux enfants d’origine amazighe, comme si c’était leur langue et culture d’origine ? L’Education Nationale mesure t-elle les dégâts que cette « falsification » peut provoquer sur la construction de la personnalité et des repères identitaires de l’enfant et du futur adulte ?
Mme la Ministre, vous avez déclaré en juin dernier : « dans le cadre de la politique que je mène en faveur du développement des langues vivantes étrangères, l’arabe sera évidemment dans le panel des langues, parce qu’on a besoin de cette diversité des langues». Ce que vous dites est très juste concernant le plurilinguisme et la diversité des langues, mais pourquoi la diversité linguistique en France devrait-elle se limiter à la langue arabe ? Et pourquoi n’incluez-vous pas dans votre politique linguistique par exemple les langues régionales de France et la langue amazighe, votre langue maternelle, Mme la ministre et celle de deux millions de personnes d’origine amazighe en France ?
Par ailleurs et comme vous le savez, la culture amazighe porte en elle les valeurs qui font le socle de la République : la laicité, le respect d’Autrui, la démocratie, l’égalité femme-homme... En conséquence, en enseignant la langue et la culture amazighes aux jeunes d’origine nord-africaine mais aussi à tous les autres, on enseigne la liberté, l’égalité, la diversité et la pluralité, qu’elles soient humaine, culturelle, linguistique, spirituelle, religieuse, etc. Par exemple, en enseignant que Saint-Augustin est un Amazigh natif de Thagast dans l’est de l’Algérie, que ce sont des Amazighs qui ont conquis l’Espagne à partir de l’an 711, qu’avant d’être musulmans les nord-africains ont connu le paganisme, le judaisme, le christianisme et enfin l’islam, on contribue non seulement à « corriger l’histoire » mais aussi et surtout à casser le monolithisme, les dogmes et les idées reçues qui désorientent les jeunes générations qui deviennent alors des proies faciles du fondamentalisme religieux.
Enseigner la langue et la culture amazighes, c’est lutter contre les préjugés négatifs et contre toutes les formes de déterminisme, d’unicisme, d’extrêmisme, de racisme et de rejet de la différence. C’est en même temps une action en faveur des principes et valeurs communs qui contribuent à la connaissance de l’Autre, au rapprochement et au bien vivre ensemble
Je suis persuadé que vous avez bien compris, Mme La Ministre, que le sens de ma lettre est de conforter comme vous le dites, « une Ecole qui transmet les valeurs de la République ».
Je me permets de vous rappeler qu’un collectif d’associations vous a déjà écrit à ce sujet au mois de mars dernier mais leur courrier est resté sans suite.
Je souhaiterais vivement que vous puissiez vous saisir rapidement de ma présente alerte aux fins d’apporter les correctifs qui s’imposent au dispositif Elco. Je reste à votre disposition pour vous apporter, si vous le souhaitez, tous les éclaircissements et le soutien utiles.
Veuillez agréer, Mme La Ministre, l’expression de mon profond respect.
Belkacem Lounès
Conseiller Régional de Rhône-Alpes
Vice-Président de la Commission Enseignement Supérieur et Recherche
Président du Comité des langues régionales
SIWEL 081331 OCT 15